Mes chers collègues, Mesdames, Messieurs, la délégation aux droits des femmes a décidé de procéder, en 2021, à un bilan de la situation des femmes dans les territoires ruraux. Il couvre des sujets aussi divers que l'orientation scolaire et universitaire, l'égalité professionnelle, la santé, le rôle des élues et l'accès aux responsabilités et, bien sûr, la lutte contre les violences, thème de notre table ronde de ce matin.
Je remercie tout d'abord nos interlocuteurs de s'être rendus disponibles pour nous aujourd'hui malgré des agendas très contraints. Je précise à leur attention que notre délégation a désigné, pour mener à bien ce travail, une équipe de huit rapporteurs associant tous les groupes politiques de notre assemblée, et représentant par ailleurs des territoires très divers : Vienne, Drôme, Lozère, Rhône, Hautes-Alpes, Haute-Garonne, Finistère et Dordogne.
Je rappelle également que cette réunion fait l'objet d'un enregistrement vidéo, accessible en ce moment même sur le site du Sénat puis en VOD, et qu'elle est organisée à la fois au Sénat et à distance, en visioconférence.
La lutte contre les violences faites aux femmes, la prise en charge et l'accompagnement des victimes apparaissent aujourd'hui comme un véritable défi pour les territoires ruraux. Plus d'un an après la clôture, le 25 novembre 2019, du Grenelle de lutte contre les violences, la question se pose de savoir si les territoires ruraux et leurs spécificités ont été suffisamment pris en compte, et si la dynamique impulsée alors par le Gouvernement est suffisante pour impacter durablement les politiques de lutte contre les violences en milieu rural.
Avec cette table ronde, notre délégation a souhaité mettre l'accent sur la situation des femmes habitant en zone rurale, victimes de violences conjugales.
Nous savons en effet que les spécificités des conditions de vie dans ces territoires augmentent les difficultés rencontrées par ces femmes dans leur parcours de sortie des violences et compliquent leur accompagnement par les acteurs et actrices de la lutte contre ces violences.
Un rapport publié en 2018 par le Centre Hubertine Auclert sur les femmes vivant dans les zones rurales d'Ile-de-France a mis en évidence les difficultés liées à la faible mobilité des victimes et à leur isolement, à la recherche d'anonymat problématique pour celles qui souhaiteraient effectuer un signalement ou s'informer sur les démarches à entreprendre, à leur dépendance économique et financière, à une connaissance insuffisante des associations susceptibles de leur venir en aide et, enfin, au manque de structures d'hébergement d'urgence adaptées ainsi qu'à l'insuffisance des solutions de relogement pérenne.
Autre spécificité soulignée par cette étude : les femmes victimes de violences qui vivent dans des communes rurales s'adressent beaucoup plus souvent au corps médical et font moins appel à la police, aux services sociaux, aux associations ou aux numéros verts d'aide aux victimes.
Enfin, ce rapport montre l'importance de l'engagement des collectivités territoriales et cite bon nombre de bonnes pratiques mises en oeuvre par des élus pour mieux accompagner les victimes de violences dans les territoires ruraux.
Ces constats sont-ils transposables à d'autres territoires ruraux que ceux de l'Ile-de-France ?
Je me tourne vers nos invités, qui vont nous éclairer par leur expérience et leurs témoignages, nous aider à mieux comprendre la situation des victimes de violences dans les territoires ruraux et à formuler des recommandations destinées à améliorer la lutte contre les violences faites aux femmes dans ces territoires.
Je les remercie d'être à nos côtés ce matin, dans cette salle ou à distance, et leur souhaite la bienvenue au Sénat.
Avec Hélène Furnon-Petrescu, cheffe du service des droits des femmes, nous allons nous interroger sur la spécificité des réponses à apporter pour venir en aide aux femmes victimes de violences dans les territoires éloignés des grandes métropoles. Puis nous prendrons connaissance des constats établis par la Gendarmerie nationale grâce à Aline Emptaz, conseillère judiciaire auprès du directeur général de la Gendarmerie nationale, et au lieutenant-colonel Denis Mottier, de la direction des opérations et de l'emploi. Nous entendrons ensuite les témoignages de deux grands réseaux associatifs : la Fédération nationale des Centres d'information sur les droits des femmes (FNCIDFF), représentée par Nora Husson, responsable du département suivi et exploitation statistiques des CIDFF ; et la Fédération nationale Solidarité femmes (FNSF), représentée par Françoise Brié, sa directrice générale, que nous sommes heureux de retrouver ce matin. Je précise que la FNSF a publié en 2016 une étude pionnière sur le sujet qui nous réunit ce matin, à partir d'observations effectuées dans deux régions : Midi-Pyrénées et Pays de la Loire. Nous donnerons ensuite la parole à deux associations de terrain : Paroles de femmes à Gaillac dans le Tarn, représentée par sa présidente Betty Fournier, et Les Chouettes, de la Drôme, représentée par Françoise Mar, coprésidente et cofondatrice.
Nous entendrons également le point de vue des associations d'élus, pour nous éclairer sur les obstacles et difficultés spécifiques que rencontrent les élus des territoires ruraux en matière de lutte contre les violences et d'accompagnement des victimes, mais aussi pour nous faire part des initiatives et bonnes pratiques locales qui pourraient servir d'exemples. L'Assemblée des départements de France (ADF) interviendra par la voix d'Anne Harel, vice-présidente du conseil départemental de la Manche, et de Marie-Pierre Mouton, présidente du conseil départemental de la Drôme. L'Association des maires de France (AMF) est représentée par Cécile Gallien, vice-présidente et maire de Vorey en Haute-Loire ainsi qu'Édith Gueugneau, maire de Bourbon-Lancy en Saône-et-Loire, que notre délégation connaît bien.
Enfin, nous aborderons le rôle crucial des professionnels de santé dans la prise en charge des victimes de violences dans les territoires ruraux : le pharmacien, investi depuis le premier confinement d'un rôle majeur pour identifier et orienter les femmes victimes de violences, et le médecin traitant, qui est en première ligne pour identifier et prendre en charge les victimes, a fortiori depuis que la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales a prévu la levée du secret médical en cas de violences conjugales, même en l'absence d'accord de la victime, si ces violences mettent la victime en danger immédiat et si elle se trouve en situation d'emprise.
Nous entendrons donc le Docteur Marie-Pierre Glaviano Ceccaldi, vice-présidente du Conseil national de l'Ordre des médecins et présidente du Comité national des violences intrafamiliales et, enfin, Alain Delgutte, membre du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens.
Je vais tout d'abord donner la parole à Hélène Furnon-Petrescu, que je remercie une nouvelle fois, comme nos invités, de s'être rendue disponible pour cette visioconférence. Nous avons l'habitude de nous rencontrer et de travailler ensemble. C'est un plaisir de vous retrouver ce matin.
Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les sénatrices et les sénateurs, Mesdames, Messieurs, je suis très heureuse d'être présente ce matin, en compagnie d'acteurs concernés par la réflexion, l'étude et les réponses sur ce thème. Je suis honorée d'être la première intervenante. Je souhaiterais livrer quelques réflexions sur les spécificités des situations ou des réponses à apporter dans les territoires. Je nourrirai mes éléments de réflexion d'exemples d'actions conduites sur les territoires par les personnes travaillant au sein de nos réseaux régionaux et départementaux qui déploient des trésors d'inventivité et d'ingénierie pour apporter des réponses à des situations certes diversifiées, mais présentant cependant certains traits communs s'agissant de la lutte contre les violences faites aux femmes et la ruralité.
Les femmes et les filles en milieu rural sont confrontées à des formes multiples, spécifiques, croisées, de discriminations, d'injustices et de violences. Elles présentent des traits particuliers soulignant la pertinence du thème de ce matin. Elles peuvent subir des formes particulières de pauvreté et d'exclusion. Je mentionnerai par exemple, sans aller plus loin sur ce point, la discrimination dans l'accès à la propriété foncière. Elles assurent la majeure partie des soins non rémunérés et du travail domestique dans les familles et dans les ménages. Elles peuvent connaître un moindre accès aux services de santé ou à des informations et services d'ordre général concernant leurs droits en matière de santé sexuelle. Je me garde de faire des généralités, mais elles peuvent avoir un accès plus restreint à la justice, aux infrastructures, aux services et opportunités, que les femmes des milieux urbains.
Si les violences au sein du couple touchent tous les milieux sociaux et toutes les zones du territoire, nous pouvons peut-être considérer que les victimes vivant en milieu rural sont confrontées à des difficultés supplémentaires. Je voudrais rappeler - mes collègues de la Gendarmerie en parleront mieux que moi - que la moitié des féminicides ont lieu en milieu rural. En France, trois quarts des bassins de vie sont ruraux. Ils représentent 78 % de la superficie du pays, et sont occupés par environ 31 % de la population. Ils concentrent 47 % des féminicides. Je ne suis pas statisticienne, mais nous pouvons donc considérer qu'il existe une occurrence des féminicides un peu plus élevée dans les milieux ruraux.
Les problématiques spécifiques relèvent du fait que les victimes dans les zones rurales sont plus isolées, puisqu'il s'agit de zones à moindre densité, mais également plus exposées, peut-être moins informées ou sans doute moins protégées. Ces constats ne résultent pas de volontés mais simplement de conséquences de situations et de contraintes matérielles. L'isolement est plus accentué en raison de la proximité, de la promiscuité, et d'une moindre anonymisation. Dans les faits, cela peut limiter la libération de la parole, favoriser un contrôle renforcé des auteurs des violences, et rendre plus difficile un dépôt de plainte ou la possibilité de se confier à un professionnel.
La prévenance des stéréotypes sexistes est certainement plus importante dans un milieu parfois encore patriarcal. La minimisation des violences accroît la honte et la stigmatisation, ce qui renforce le repli des victimes. Une moindre connaissance des droits et des dispositifs de prise en charge existants s'ajoute à des voies de recours moins aisées en raison des distances ou des moyens d'accès. Enfin, une certaine précarité économique et financière peut être accentuée, en particulier dans certaines catégories socioprofessionnelles. Je pense aux agricultrices, dont les reconnaissances statutaires ont certes progressé mais doivent encore être améliorées. Cela peut accentuer une dépendance vis-à-vis de l'auteur des violences.
La réflexion porte bien entendu sur les propositions d'actions déjà à l'oeuvre, en cours d'expérimentation ou d'application, ou celles qui pourraient et devraient être amplifiées. Nous devons développer des actions de prévention et de sensibilisation aux violences sexistes et sexuelles. Je pense notamment aux établissements scolaires et à toutes les structures d'enseignement et d'éducation, telles que les maisons familiales rurales (MFR), pour lutter contre la banalisation des violences. Il est important de le faire.
Il est essentiel de renforcer la communication pour mieux faire connaître les droits et les dispositifs de recours. Il s'agit d'entrer dans une démarche proactive afin de rompre l'isolement des victimes. Un certain nombre d'expériences très intéressantes sont conduites dans ce domaine. Je peux vous en citer deux. Dans le Gers et dans le Tarn-et-Garonne, mais également dans d'autres départements, des campagnes d'information et de communication ont été mises en place au travers de pochettes d'emballage de médicaments. Elles comportent des informations sur les dispositifs existants, tant au niveau national que départemental. L'accès aux professionnels de santé constitue un enjeu important. La même campagne a été menée sur 80 000 emballages de pain dans le Gers, avec l'aide d'artisans boulangers. De nombreuses personnes ont ainsi pu être sensibilisées, parmi lesquelles des proches de victimes. Le réseau d'alerte et d'appui est bien évidemment composé des victimes et de leur entourage.
Nous pouvons établir un diagnostic des dispositifs et acteurs existants sur le territoire pour agir et renforcer le maillage territorial. Quelles sont ses faiblesses ? Où doit-il être renforcé ? Une expérience a été menée en Normandie sous l'égide de la Direction régionale aux droits des femmes avec le réseau des délégués régionaux et départementaux, l'agence régionale de santé (ARS), ainsi que l'ensemble des professionnels de santé. Un travail très important a été réalisé.
Il est possible de développer des lieux de permanence pour les associations n'ayant pas les moyens d'ouvrir des centres d'accueil sur tout le territoire, au sein d'autres sites tels que des mairies ou des Maisons France Services. Mme Husson en parlera mieux que moi, mais je peux citer la FNCIDFF qui a développé un partenariat avec le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), devenu Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Elle a impulsé la mise en place de permanences recevant un nombre élevé de personnes.
Le ministère chargé de l'égalité a mis en place des points d'accueil éphémères dans les centres commerciaux. Ils visent à informer les femmes et leur permettre de rencontrer des professionnels avec l'appui de nos partenaires associatifs. Nous en avons tiré un certain nombre d'enseignements nous incitant à poursuivre ce dispositif. Aujourd'hui, une quinzaine de points d'accueils de ce type sont ouverts dans les zones rurales ou semi-rurales, dans des départements tels que la Loire, la Haute-Loire, le Puy-de-Dôme, l'Yonne, la Nièvre, l'Orne et la Creuse.
Voilà des exemples de dispositifs visant à « aller vers ». Nous pouvons également citer l'exemple d'un bus pour les femmes circulant en Indre-et-Loire depuis 2020. Il a pour objectif d'aller à la rencontre de femmes sur leur lieu de vie, pour leur apporter de l'information, les orienter, et mieux prévenir et repérer les femmes victimes de violences. Il délivre également une information sur l'accès aux droits, et peut repérer des situations de violences afin d'apporter la bonne réponse à ces situations.
Environ 80 % des femmes rencontrées dans ce cadre ont exprimé avoir été ou être victimes de violences, ou connaître une personne victime de violences dans leur entourage. Nous en concluons que ce type d'actions est important. En 2019, ce bus a rencontré 400 femmes et plus de 400 enfants pour renforcer le repérage et la prise en charge des victimes par des dispositifs de proximité et consolider le partenariat entre les différents acteurs représentés.
Nous pouvons également évoquer la conclusion de contrats locaux sur les violences sexistes et sexuelles. De nombreux outils et partenariats permettent aux services de l'État et à ses partenaires de se rencontrer régulièrement et de croiser des informations précieuses sur les territoires.
Nous développons également des réseaux dits « sentinelles » pour répondre au mieux aux besoins des femmes. Je vois que l'association Paroles de femmes est représentée aujourd'hui. Je pense à un exemple très intéressant dans le Tarn. Un réseau de relais a été mis en place depuis 2016 avec la déléguée départementale aux droits des femmes. L'implication des professionnels de santé, des collectivités territoriales, des forces de sécurité intérieure et de commerçants travaillant ensemble permet d'apporter des réponses. Je crois d'ailleurs, Madame Fournier, que vous avez proposé d'implanter cette méthode dans trois autres départements en 2021 : en Haute-Garonne, dans les Pyrénées-Orientales et la Lozère.
Il est extrêmement important de renforcer la formation professionnelle pour apporter des réponses à ces situations en zone rurale. Le développement des postes d'ISCG (Intervenants sociaux en commissariat et gendarmerie) doit être encouragé. Je pense que mes collègues de la Gendarmerie s'exprimeront sur ce sujet. Les dispositifs favorisant la mobilité des victimes doivent être développés. Le programme budgétaire 137 finançant la lutte contre les violences faites aux femmes contribue au financement de dispositifs de mobilité depuis plusieurs années. C'est par exemple le cas dans l'Indre où un dispositif a été mis en place depuis avril 2019. Il met des véhicules à la disposition de femmes victimes de violences devant quitter le domicile conjugal, afin de les conduire dans des centres d'hébergement d'urgence. Un protocole très précis a été établi et fonctionne. En 2020, une quinzaine de femmes ont bénéficié de ce dispositif, correspondant à 804 kilomètres parcourus au total.
Il est bien évidemment primordial de renforcer la mise à l'abri et de faciliter l'accès au logement. Dans le Finistère - dont Mme Nadège Havet, l'une des rapporteurs de cette délégation, est sénatrice - l'hébergement de femmes par des accueillants agricoles et ruraux permet de diversifier l'offre d'hébergement à destination des femmes victimes de violences. Elle implique la formation des accueillants et le dépassement d'un certain nombre de biais tels que l'isolement ou les difficultés de déplacement. De nombreuses questions annexes doivent être posées pour le déploiement de ce type de dispositif.
Favoriser l'insertion professionnelle des femmes constitue également un enjeu important dans la lutte contre les violences à leur encontre en milieu rural. Je n'ai pas évoqué la crise sanitaire, mais nous avons tous conscience qu'elle rend la situation plus difficile. Là encore, je crois que la FNCIDFF nous exposera tout à l'heure diverses expériences très intéressantes ayant été menées. L'autonomisation des femmes peut les amener à surmonter leur condition de victime.
La question posée était la suivante : faut-il apporter des réponses spécifiques ? Je suis en tout cas persuadée que nous devons apporter des réponses adaptées. Les constats ne sont peut-être pas drastiquement différents en ruralité et ailleurs. Le phénomène d'emprise est par exemple similaire entre les territoires. Les situations sont en revanche, de manière pratique et matérielle, très différentes. Certains facteurs culturels peuvent également entrer en jeu. Nous devons par conséquent y apporter des réponses adaptées.
J'ai essayé de citer un certain nombre de réponses. Une importante mobilisation et des partenariats me semblent essentiels pour les mettre en oeuvre. En zone rurale, je pense que nous disposons paradoxalement de nombreux facteurs permettant de développer le partenariat et les solidarités de façon très concrète sur les territoires.
Je vous remercie, Madame la présidente.
Merci à vous. Je donne la parole à Aline Emptaz, conseillère judiciaire auprès du directeur général de la Gendarmerie nationale, et au lieutenant-colonel Denis Mottier, de la direction des opérations et de l'emploi. Ils ont joué un rôle essentiel durant la période de confinement. Je les remercie de leur forte mobilisation.
Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les sénatrices et sénateurs, bonjour.
Merci d'avoir sollicité la Gendarmerie nationale pour cette intervention. Nous allons vous présenter de manière assez brève, compte tenu du temps qui nous est imparti et du nombre d'interventions à suivre, le dispositif mis en oeuvre s'agissant des violences conjugales, avant de préciser les thématiques et spécificités liées aux territoires ruraux pour enfin vous expliquer ce que la Gendarmerie met plus précisément en oeuvre sur le terrain. Nous vous exposerons enfin nos pistes de réflexion pour tenter d'améliorer la situation, bien évidemment encore imparfaites au vu des chiffres ayant été récemment publiés et qui seront actualisés au printemps 2021.
Lieutenant-colonel Denis Mottier, direction des opérations et de l'emploi de la Gendarmerie nationale. - Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs, bonjour à tous. Je suis le lieutenant-colonel Denis Mottier, de la direction des opérations et de l'emploi, officiant plus particulièrement au bureau de la sécurité publique.
Mon propos va s'articuler en quatre parties. Je dresserai dans un premier temps un bilan de l'action spécifique de la Gendarmerie sur les territoires ruraux, avec quelques données chiffrées. Je m'efforcerai d'être bref en ne présentant que les tendances, sans m'attarder sur les territoires particuliers. J'évoquerai ensuite la dynamique générale suite au Grenelle de lutte contre les violences conjugales, ayant permis à la Gendarmerie d'adapter sa réponse, tout en vous présentant les limites atteintes dans les territoires ruraux. Enfin, je vous exposerai sept recommandations ou propositions d'améliorations, qui mêlent à la fois l'action de la Gendarmerie, l'action partenariale et la synergie nécessaire à atteindre dans ces territoires.
Sachez tout d'abord qu'il n'existe pas de réponse purement policière ou gendarmique à un problème de société tel que les violences faites aux femmes, et plus largement liées à la condition de la femme. Pour autant, dans les territoires ruraux, dans le silence de la nuit et dans l'intimité des foyers, le 17 constitue bien souvent le seul recours des victimes. C'est pourquoi l'action de la Gendarmerie reste parfois l'unique solution des victimes dans ces situations. Adapter cette réponse au plus près des attentes de cette population, tout en garantissant la sécurité de nos interventions, et créer des synergies locales dans une logique partenariale sont les deux axes de notre réflexion. S'agissant des interventions, je tiens à souligner que la Gendarmerie mène toutes les heures, partout sur le territoire, près de quinze interventions pour des faits de violences intrafamiliales (VIF). C'est très important et cela implique, notamment pour nous autres militaires, la nécessité de nous sécuriser.
S'agissant de notre action spécifique dans les territoires ruraux, la Gendarmerie intervient sur 95 % du territoire et 51 % de la population, ce qui se traduit par une proportion stricte d'interventions et de victimes de 50 % sur les territoires ruraux et 50 % sur les zones péri-urbaines et urbaines. Il est ici intéressant de souligner les densités de population. Les progressions de VIF sont similaires entre les différents types de territoire. Il n'y a pas de décrochage entre les phénomènes de VIF en zone rurale ou urbaine, ce qui ne permet pas de donner de véritable tendance à la lecture des chiffres. Ce constat mènera à une recommandation visant à mieux comprendre cette violence et les violences faites aux femmes dans les territoires ruraux.
De par son maillage territorial, la Gendarmerie est parfois le seul service public disponible. Le 17 constitue parfois le seul recours d'urgence en matière de violences conjugales. Elle doit donc adapter son dispositif, en matière d'intervention, mais également au niveau de sa permanence de lieux d'écoute dans tous les territoires ruraux. Passée l'urgence, l'accompagnement doit primer. L'accompagnement social fait aujourd'hui défaut car les associations sont généralement situées dans les centres urbains, pas uniquement dans les métropoles, mais aussi dans des villes moyennes où se concentrent l'action associative et l'ensemble des synergies sociales. Le traitement de la protection des victimes de violences conjugales est compliqué en milieu rural et atteint ses limites en termes de propositions d'hébergements d'urgence, de prise en compte de certaines spécificités liées au handicap et aux seniors, et de mise en oeuvre du bracelet anti-rapprochement (BAR) et du Téléphone grand danger (TGD). Les délais d'intervention en zone rurale sont aussi plus importants.
Si grâce à la dynamique générale du Grenelle de lutte contre les violences conjugales la Gendarmerie a bien évidemment bénéficié d'avancées, nous avons aussi développé des outils spécifiques, dont des indicateurs, constitués d'un tableau de bord pour le suivi des violences intrafamiliales. Cela nous permet d'observer les évolutions constatées par les brigades, les compagnies, mais également les groupements, en volume ou selon leur répartition géographique. Nous avons également créé au 1er janvier 2021 des maisons de confiance et de protection des familles dont le nombre s'élève aujourd'hui à 53, qui feront l'objet d'une recommandation dans la suite de mon propos. Nous développons au niveau national et déclinons au niveau local des synergies avec les associations présentes ce matin à cette table ronde.
La Gendarmerie veut également formuler les sept recommandations suivantes :
- poursuivre le recrutement des ISCG dans les territoires ruraux pour renforcer un maillage associatif lacunaire et soutenir le besoin de proximité sociale et de rencontre qui font défaut dans nos territoires. À ce titre, ces intervenants sociaux devront bénéficier de véhicules et de moyens dédiés, notamment pour communiquer par visioconférence avec les victimes et assurer leur accompagnement à distance, à défaut de pouvoir le faire physiquement, pour conserver un lien, même dégradé. L'intervenant social de Gendarmerie est essentiel pour faire le lien avec les centres d'organisation de l'accompagnement social, qu'il soit financier ou éducatif afin de sortir de la situation d'urgence. Un appel au 17 signifie pour la Gendarmerie une situation d'urgence qu'elle se doit de résoudre via un accompagnement social, afin d'aboutir à un retour à la normalité, notamment dans les territoires ruraux ;
- doter tous les départements de maisons de confiance et de protection des familles, et renforcer celles qui existent dans les départements qui le nécessitent. Cet effort, évalué à 250 équivalents temps plein (ETP) pour la Gendarmerie, permettra de consolider le suivi des victimes et de systématiser le rappel des plus sensibles d'entre elles, afin de parvenir à une individualisation et un suivi particularisé de chaque situation. La victime, mais également son environnement, doivent être pris en considération : l'accompagnement des enfants ne peut être exclu de la prise en charge car ils sont des victimes indirectes ;
- aider à la mobilité et à la prise en charge du transport des victimes de violences intrafamiliales. Nous souhaitons, dès l'instant où aucun soin ne doit leur être apporté, favoriser le déplacement des victimes et de leurs enfants, par la Gendarmerie, avec des véhicules adaptés au transport d'enfants en bas âge. Les militaires doivent donc être équipés de véhicules de grande capacité, bénéficiant de l'ensemble des modalités garantissant un transport des victimes en toute sécurité. Il faut également permettre dans chaque département un recours aux bons de taxi, et organiser, y compris la nuit, une permanence téléphonique laissant la possibilité aux gendarmes de demander un transport individualisé pour les femmes victimes de violence ;
- développer l'accès aux services numériques. La pandémie nous a fait prendre conscience de la nécessité de développer le recours au numérique et d'en informer les victimes. Nous devons leur donner la possibilité d'utiliser les appels vidéo pour obtenir des conseils à distance ou assurer un suivi simplifié des victimes. Pour les personnes isolées, notamment les seniors, nous devons financer des services de téléassistance. La sénescence d'une certaine partie de la population en milieu rural peut conduire à de la violence, parfois révélatrice de la détresse d'un couple confronté, par exemple, à la maladie d'Alzheimer. La prise en charge de nos anciens pourrait se faire, outre par un accompagnement social et financier, par des moyens de téléassistance ;
- développer une offre de sécurité itinérante et le déploiement de réseaux de proximité. Certaines actions sont déjà opérationnelles mais elles doivent être amplifiées et mieux financées, comme par exemple l'accès au service public dans les Maisons France Services et le programme « Petites villes de demain », auxquels la Gendarmerie participera afin d'offrir un service et un point d'écoute aux femmes victimes de violences. S'y ajoute l'ouverture, dans les villages et les villes, de tiers lieux ou de permanences en lien avec les mairies, comme c'est le cas à Mantes-la-Jolie. Des camping-cars ou des bus conduits par des réservistes circulent, notamment dans la Vienne ; ils permettent de couvrir les zones qui le nécessitent. Je mentionnerai aussi le recueil de plaintes dans les hôpitaux : 53 conventions ont été signées à cet effet en 2020. Il est également fait appel aux réservistes de la Gendarmerie nationale pour assurer un maillage serré des permanences ou des patrouilles dans les territoires, sur les marchés et dans les nouveaux lieux de vie. Enfin, n'oublions pas le développement de points d'écoute dans les centres commerciaux, tels que le « Gend Drive » à Puzey en Haute-Saône ou à La-Ville-du-Bois dans l'Essonne. Nous remarquons que la péri-urbanité peut servir de trait d'union entre les métropoles et les zones rurales. Bien souvent, les habitants des campagnes y font leurs courses où y consultent un médecin. La Gendarmerie doit assurer la couverture de ces territoires ;
- densifier le réseau de partenariats dans les départements ruraux, en organisant les collaborations entre les institutions et les partenaires associatifs, et en identifiant les différentes dynamiques associatives. Les offres sont d'autant plus locales et les structures petites que les zones sont rurales, ce qui freine leur collaboration avec la Gendarmerie ou les préfectures. Nous devons développer une synergie et opérer des regroupements en conservant les identités associatives. Ces différentes associations doivent bénéficier d'un financement dédié de l'État. Le recours à des hébergements d'urgence dans une logique d'éloignement, en collaboration avec les maires et les conseils départementaux, doit être accru. Les solutions d'hébergement aujourd'hui offertes par les Services intégrés de l'accueil et de l'orientation (SIAO) et la plateforme d'hébergement d'urgence sont concentrées dans les zones urbaines où elles demeurent insuffisantes. Le nombre des hébergements d'urgence en zone rurale est quant à lui trop faible pour permettre à la victime de ne pas être totalement déracinée de son lieu de vie ou de travail, du lieu de scolarité de ses enfants ou de l'ensemble de son équilibre de vie, nécessaire à sa reconstruction. Ces places d'hébergement sont pourtant essentielles. Elles devraient être accessibles 24h/24 et 7j/7, par l'intermédiaire de la plateforme d'hébergement ou par des plateformes SIAO centralisées afin de permettre aux gendarmes d'y accéder en cas d'urgence. Enfin, nous pourrions nous appuyer sur les partenariats nationaux et les initiatives locales portées par des entreprises privées telles que Carrefour, Sodebo, les pharmaciens et boulangers ayant imprimé sur leurs emballages des messages à l'attention des victimes, destinés à les informer de l'existence du 3919, des plateformes d'appel et de la plateforme contre les violences sexuelles et sexistes ;
- mieux appréhender les dynamiques des territoires pour corriger ou anticiper certaines lacunes, en opérant les rééquilibrages appropriés. Une prévention ciblée permet d'éviter que des situations ne dégénèrent. Je prône une meilleure compréhension des territoires ruraux en favorisant les échanges participatifs sur les véritables préoccupations des habitants. Nous devons développer des véritables outils de suivi statistique des phénomènes de violences intrafamiliales, en lien avec d'autres indicateurs de précarité ou d'emploi. Associer à notre logique policière une logique plus sociologique nous permettrait de ne plus travailler dans l'urgence, mais de proposer des solutions permettant d'éviter l'intervention de la Gendarmerie, si elle peut être évitée.
J'espère avoir été clair car il n'est pas simple de brosser un tableau de l'ensemble des enjeux de la ruralité en un quart d'heure. J'espère que ces recommandations pourront prospérer.
L'action de la Gendarmerie est menée selon deux axes : protéger et servir. Protéger la victime est une nécessité de tous les instants, tout comme servir le bien commun.
Merci pour cette présentation en duo très efficace et percutante. Mme Furnon-Petrescu faisait tout à l'heure référence aux emballages des baguettes de pain. Les produits de première nécessité et l'alimentation servent parfois de véhicule de prévention.
Je cède la parole à Nora Husson, qui représente la Fédération nationale des centres d'information des droits des femmes et de la famille (FNCIDFF).
Bonjour Madame la présidente, Messieurs et Mesdames les sénateurs et sénatrices.
Notre contribution s'articulera autour de plusieurs points. Quels sont les obstacles à l'identification des femmes victimes de violences ? Je laisserai la parole à Alexia Lerond, conseillère technique chargée des violences au sein de la fédération nationale pour présenter des éléments statistiques sur le profil des femmes victimes de violences en zone rurale. Nous traiterons bien évidemment de la question de la mobilité, primordiale pour les femmes victimes de violences et nous dresserons ensuite le tableau des permanences assurées par les CIDFF en milieu rural, avant d'évoquer les effets de la crise sanitaire sur les demandes formulées par les femmes victimes de violences. Alexia présentera les questions posées par ces dernières, avant que j'expose la manière dont les CIDFF organisent leurs permanences. Enfin, nous vous présenterons quelques exemples de bonnes pratiques et définirons les enjeux.
L'isolement social et géographique constitue, à 76, 3 %, notre principal obstacle pour identifier les femmes victimes de violences. Pour pallier cet obstacle, le développement de permanences de proximité doit être privilégié, notamment dans les lieux permettant l'accès à différents organismes. La confidentialité étant toutefois essentielle, nous ne souhaitons pas que ces permanences apparaissent dédiées aux seules femmes dans ces situations. Elles doivent donc rester pluridisciplinaires pour que les victimes puissent s'y rendre sans être stigmatisées. Des espaces dédiés aux consultations avec des psychologues doivent y être créés pour organiser des groupes de parole. Des ateliers de confiance en soi permettraient de produire du lien social et l'insertion professionnelle devrait être favorisée par des accompagnements spécifiques. L'offre de transport public en milieu rural est défaillante, ce qui entraîne de vrais problèmes d'accessibilité. Le déplacement des référents violence doit être facilité dans le cadre d'un partenariat local ; ils doivent pouvoir être véhiculés pour se rendre directement au domicile des personnes.
Quant aux informations imprimées sur les emballages de pharmacie ou de boulangerie, elles sont à améliorer. Les habitants des milieux ruraux doivent disposer d'informations sur les services disponibles dans leur environnement, afin de pouvoir les contacter. Les réseaux de professionnels et ces dispositifs doivent être en mesure de communiquer entre eux. Il est primordial que les partenaires puissent mailler le territoire et échanger pour poser des diagnostics et définir des solutions.
La question de la formation, soulevée par Mme Furnon-Petrescu, est importante car les organisations en milieu rural, les services de portage à domicile, les aides à domicile, mais aussi les jeunes, notamment dans les lycées agricoles, doivent être sensibilisés et formés à la détection des situations de violences.
Bonjour Madame la présidente, Messieurs et Mesdames les sénateurs et sénatrices. Je vais vous présenter très rapidement le profil des femmes victimes de violences, avant d'aborder la question de la mobilité sous un angle plus statistique. Les violences telles qu'abordées ce matin touchent particulièrement les femmes âgées de 36 à 45 ans (30,5 % des femmes reçues). Les violences commises sur les femmes âgées interviennent le plus fréquemment dans le contexte intrafamilial, à domicile pour 97,4 % d'entre-elles, plutôt que dans un établissement de type EHPAD.
Pour faciliter l'accès des victimes ne disposant pas de véhicules aux lieux indispensables à leur accompagnement, il conviendrait, selon la majorité des CIDFF, de développer des permanences décentralisées sur certains territoires, mais également de favoriser l'usage des taxis ou d'autres solutions de déplacement telles que le covoiturage ou le vélo. Selon 90 % des centres, les bons de taxis sont adaptés à la situation des territoires ruraux.
Je vais maintenant aborder les effets de la crise sanitaire sur les demandes des femmes victimes de violences en milieu rural, 20 % des personnes étant informées par les CIDFF. Dès le début de crise sanitaire, les centres ont constaté une augmentation de 20 à 100 % du nombre des sollicitations. Cette hausse s'explique par les situations de proximité continue entre victimes et auteurs de violences durant le confinement. Cette cohabitation forcée a exacerbé et multiplié les violences existantes. Le CIDFF d'Ille-et-Vilaine nous a indiqué que cette période a parfois permis à la victime de comprendre qu'elle vivait une situation de violence.
Pour les victimes vivant en couple avec l'auteur des violences, le confinement a compliqué les possibilités d'action. Certains centres ont insisté sur les difficultés d'intervenir au sein des couples vivant encore ensemble et d'effectuer des démarches permettant à la victime d'être accompagnée et contactée par des organismes et associations.
Bien que les centres se soient rapidement organisés pour adapter leurs modalités de fonctionnement aux contraintes du confinement, contacter les victimes par téléphone pendant cette période a pu engendrer un contrôle omniprésent de l'auteur au travers de cyber-violences. Cela nous a conduits à rapidement assurer à nouveau des permanences en présentiel, en respectant les gestes barrières, afin de reprendre un contact direct avec les victimes.
Lors des entretiens juridiques menés par la FNCIDFF avec des femmes victimes de violences, on a pu constater que les thématiques les plus abordées sont celles relatives à la famille et aux violences : questions relatives aux conséquences d'une rupture, au type de violences, aux conséquences et suites judiciaires. 94 % des demandes relatives aux violences concernent les violences conjugales en milieu rural.
Comment sont organisées concrètement les permanences des CIDFF ? De façon générale, les CIDFF interviennent dans une logique de proximité. Ils sont à même de répondre à des demandes très spécifiques, notamment celles formulées par des collectivités situées en milieu rural. Sur 2 100 permanences déployées sur l'ensemble du territoire métropolitain et ultramarin, 422 lieux de permanence le sont en milieu rural. 60 CIDFF assurent des permanences d'information juridique généraliste dans les maisons de service au public. Parmi ceux-ci, 28 tiennent des permanences spécifiques liées à l'emploi, 30 proposent des permanences en présence de professionnels formés aux violences faites aux femmes, et trois interviennent sur des champs spécifiques de la médiation familiale.
Quelles sont à nos yeux les meilleures solutions pour organiser les permanences et les structures accueillant différents services ? Nous jugeons nécessaire de diversifier les lieux d'accueil généralistes et pluridisciplinaires. Les maisons France Services sont en ce sens des espaces et outils extrêmement intéressants. Elles ne stigmatisent pas les femmes qui auraient à solliciter un spécialiste. Il est de plus essentiel de créer des lieux mutualisés, multiservices, pour rendre les démarches plus simples et concrètes à travers des permanences à l'emploi ou médicales et des services de PMI. Les maisons médicales sont également très importantes, les CIDFF soulignant le fait que les femmes s'orientent bien souvent vers le médecin traitant lorsqu'aucun service n'existe à proximité pour se confier. S'y ajoutent les espaces tels que les centres communaux d'action sociale (CCAS).
Nous évoquons également la nécessité de créer des permanences itinérantes ou en visioconférence. Les CIDFF ont développé des permanences à distance à travers différents outils, notamment via les espaces numériques. Il existe des bornes dans certaines maisons France Services.
Au travers de ces espaces multi-accueil, des agents doivent être formés sur les problématiques des violences conjugales, de manière à repérer et à décoder les messages transmis par les femmes venant prendre un rendez-vous en urgence. La visibilité des actions des associations et des CIDFF doit être localement renforcée afin que le message soit clairement identifié, pour que les femmes puissent se référer à des numéros de téléphone ou des lieux identifiés. Enfin, nous ne devons pas chercher à « stigmatiser » les permanences de violence conjugale, ce qui risquerait de produire un effet inverse à ce qui est recherché.
Un grand merci pour cette présentation. Je cède la parole à Françoise Brié, directrice générale de la FNSF.
Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'avoir invitée à cette table ronde.
La FNSF anime un réseau de 73 associations spécialisées dans l'accompagnement des femmes victimes de violences, en particulier conjugales. 35 000 femmes sont ainsi accompagnées dans des centres d'accueil. 7 000 femmes et enfants sont logés dans des lieux d'hébergement spécifiques. La fédération a créé et gère la ligne nationale d'écoute 3919, qui a pris en charge près de 100 000 appels en 2020.
La présence de femmes victimes de violences est réelle en milieu rural. Nous savons pertinemment que leur occurrence est identique en milieu rural et en milieu urbain. La FNSF a établi la première étude sur le sujet en 2013 en Midi-Pyrénées et dans les Pays de la Loire. Betty Fournier expliquera ses suites. La dénonciation de ces violences dans la ruralité est complexe. Les femmes sollicitent moins les dispositifs pouvant les soutenir et les accompagner dans leurs démarches. En 2018, 26 % des 27 205 appels pris en charge par le 3919 provenaient d'une région classée comme essentiellement rurale, et 74 % de territoires essentiellement urbains ou intermédiaires. L'INSEE indique que 33 % émanaient d'une zone rurale, contre 67 % d'une zone urbaine ou intermédiaire. Autrement dit, les femmes résidant en zone rurale sont moins représentées sur la ligne d'écoute nationale. Lorsqu'elles appellent, elles décrivent des moyens de contrôle particuliers tels que l'interdiction d'utiliser leur véhicule ou le contrôle du kilométrage, l'interdiction de sortir. Nous avons relevé le cas d'une femme qui n'avait pas de chaussures depuis dix ans. L'interdiction de s'éloigner du domicile est très prégnante.
S'agissant des mesures d'éloignement géographique par des mises en sécurité en hébergement pour des femmes en très grave danger, nous notons également que 4 % seulement des demandes proviennent d'un territoire classé en zone rurale. Les femmes y sont pourtant particulièrement en danger du fait d'un certain nombre de facteurs. Nous approchons d'un taux de 50 % des féminicides en milieu rural.
Nous avons développé des partenariats, avec la Gendarmerie en particulier. Pendant le confinement, nous avons ainsi pu avoir accès directement au 17 dans chaque département, ce qui s'est révélé précieux dans les situations où les femmes ne pouvaient pas solliciter les services d'urgence. Nous avons pu nous même contacter ces services d'urgence, dix fois plus fréquemment lors du confinement qu'en période normale.
Les associations Solidarité Femmes sont importantes du fait de leur expérience. Elles montrent que les spécificités des conditions de vie en zone rurale accroissent les difficultés rencontrées par les femmes dans leur parcours de sortie des violences. Nous constatons également une sous-représentation des femmes vivant en zone rurale dans les sollicitations de nos dispositifs. C'est particulièrement le cas dans les Pays de la Loire, comme le signale l'Union régionale Solidarité Femmes.
Les difficultés majeures rencontrées relèvent de la prégnance des stéréotypes sexistes et d'une société patriarcale, des violences minimisées ou niées, sur des durées plus longues et d'une gravité plus importante, avec des facteurs de risque sérieux tels que la présence d'armes liée à la pratique de la chasse. S'y ajoutent l'isolement géographique et les difficultés de mobilité, la précarité financière, la méconnaissance des droits et l'absence d'anonymat. Effectuer une démarche en toute discrétion est difficile, l'auteur des violences pouvant être connu des professionnels que les femmes consultent. L'entre soi vient parfois compliquer le départ du domicile des femmes victimes de violences dans les zones rurales. La présence de la belle-famille à proximité peut également rendre ce départ plus complexe.
Notons également la difficulté à déposer plainte, les disparités territoriales dans l'accès aux aides, le manque de services de proximité en termes de santé ou de justice et les formations souvent inégales des professionnels. Les territoires étant étendus, le temps de parcours peut y être très important, que ce soit en transports en commun ou en véhicule individuel. L'accès à des services permettant aux victimes de quitter le domicile est pourtant essentiel.
Lorsque les femmes originaires de zones urbaines arrivent en milieu rural pour y être mises en sécurité, il peut être difficile pour elles de s'intégrer. Elles ne disposent pas toujours des services de santé ou de proximité nécessaires. Un certain nombre de mises en sécurité se soldent ainsi par un échec car les femmes souhaitent repartir, la modification de leur mode de vie rendant l'éloignement géographique plus dur à vivre.
Au niveau des expériences positives, rappelons que les femmes en milieu rural apportent beaucoup de richesse et de compétences aux territoires ruraux. Elles restent majoritaires dans des services essentiels tels que l'éducation, la santé, la justice, le social. Elles sont très importantes dans le développement agricole et les circuits courts. Elles ont un rôle d'appui et de soutien dans le développement économique d'activités.
Le réseau Solidarité Femmes, en plus de son ancrage et de ses liens avec les partenaires sociaux, est en interconnexion avec des associations du département ou de la région, qu'elles soient ou non membres de la FNSF. Les synergies sont essentielles pour faciliter le parcours de sortie des violences. Le travail en réseau est important, depuis le diagnostic jusqu'à la mise en sécurité et la reconstruction.
Je terminerai par quelques exemples d'actions menées par les associations du réseau Solidarité Femmes. Des expériences innovantes viennent d'être menées dans les Hauts-de-France. C'est le cas du minibus associatif Nina et Simone, qui illustre l'importance d'« aller vers ». Il circule dans la région à la rencontre des femmes, est très accessible et repérable par sa couleur jaune, pour montrer aux femmes que l'invisibilité peut être contrée, y compris dans les territoires ruraux. Il permet de bénéficier d'une écoute et de conseils en matière de droits, de sexualité et de travail. Ce soutien permet à celles qui ont été victimes de violences d'approcher de façon confidentielle les équipes de Nina et Simone. Il a été mis en place après le confinement. Nous en notons déjà une fréquentation importante. En Haute-Garonne, un accueil de jour a été mis en place par l'association Femmes de Papier. Celle-ci mène des actions de sensibilisation à l'égalité femmes-hommes et de prévention des violences sur le territoire rural. Il est important de rappeler que les violences émergent des inégalités femmes-hommes. Ce sujet doit être travaillé en milieu rural également.
N'oublions pas que l'Ile-de-France compte de nombreuses zones rurales. Le relais Paroles de Femmes du 77 a adopté ces modes d'intervention avec des permanences déconcentrées pour faciliter l'accès, diminuer le temps de déplacement à l'extérieur de la maison, dans les structures partenaires, et pour garantir l'anonymat. Il a réparti les lieux d'hébergement sur un territoire étendu pour assurer leur sécurité et leur confidentialité, et a développé des réunions partenariales.
En matière de réponse et de facilitation de la connaissance du numéro d'écoute 3919, nous avons évoqué l'expérience sur les emballages de baguettes et les outils importants visant à rappeler que les femmes peuvent composer ce numéro. Abordons également la facilitation des moyens financiers. Nous constatons que le nombre de femmes accédant à ces services est peu important. Il est tout de même essentiel de maintenir les dispositifs existants, tels que les centres d'accueil et accueils de jour ainsi que les centres d'hébergement, en partenariat avec les mairies et conseils départementaux, pour que les femmes puissent y accéder avec des moyens de transport adaptés dès qu'elles souhaitent quitter le domicile conjugal.
Je vous remercie. Je pense que Betty Fournier aura également une expérience intéressante à développer dans son intervention.
Merci beaucoup. Je passe la parole à Betty Fournier, représentante de l'association Paroles de Femmes dans le Tarn.
Bonjour Madame la présidente, bonjour à tous. Je précise que, si je suis à l'origine de l'association Paroles de Femmes, dont j'étais présidente, je viens de passer le relais à Carole Hamel.
Créée en 2005, notre association est référente violences dans le département et labellisée accueil de jour spécialisé. Nous disposons de permanences déconcentrées dans le Tarn, dont une dans une maison France Services. Nous recevons environ 300 femmes par an, dont 45 % en zone rurale. Notre département est en effet essentiellement rural, en dehors d'Albi et de Castres. Nous nous sommes intéressés à cette problématique dès 2012, puisque nous estimions que nous étions dans le déni des situations très compliquées de ces femmes en milieu rural. Nous avons mené la première étude sur le sujet en France. Des constats que nous en avons tirés, nous avons essayé de mettre en place des personnes relais en 2016. Nous avons donc travaillé sur tout l'ouest du département afin de développer ces accueils, ce qui nous a amenés en 2019 à organiser un colloque sur cette question à Gaillac. Près de 300 personnes y ont assisté. Toutes les administrations étaient représentées, témoignant ainsi d'une prise de conscience des partenaires. Le Préfet, le président du conseil général, les procureurs, la Gendarmerie ont démontré leur volonté de lutter contre les violences en milieu rural.
Une centaine de relais sont aujourd'hui en place dans le Tarn. Ce projet est novateur car il fait appel à tous les citoyens : infirmières à domicile, médecins, kinés, pharmaciens, agents d'accueil, postières, coiffeurs, responsables de friperies... Toute personne peut être un relais si elle est sensibilisée et formée et si elle est en contact avec les femmes. Nous travaillons avec les Familles rurales, les syndicats agricoles, les personnels de la caisse d'allocations familiales (CAF) ou de la mutualité sociale agricole (MSA), ou encore les associations caritatives.
Après leur sensibilisation et leur formation, ces personnes ont pour rôle de repérer et détecter certaines difficultés vécues par les femmes, afin de les informer et de les orienter vers les structures spécialisées. Elles ont également pour rôle de distribuer des plaquettes d'information et différents outils existants. Cependant, disposer de « personnes relais » ne suffit pas : il est important de créer du lien avec elles. Si le Covid nous en a quelque peu empêchés cette année, nous organisons en temps normal des déjeuners avec les « personnes relais » afin d'échanger avec elles sur ce que vivent les victimes et de créer du lien pour ne pas laisser ces volontaires seuls. Nous essayons d'organiser ces repas collectifs dans différents villages.
Jusqu'ici, nous n'avions bénéficié d'aucun fonds dédié à cette question. Ce n'est qu'en 2019 que nous avons disposé de financements pour la mise en place du colloque. En 2020, c'est la DRPS Occitanie qui nous a financés pour développer la mise en place de cette action sur d'autres départements, c'est-à-dire mailler l'ensemble des territoires du Tarn en partenariat avec le CIDFF, avec lequel nous travaillons très étroitement depuis des années, et travailler dans la Haute-Garonne et les Pyrénées-Orientales. N'oublions pas que les territoires au nord et au sud de Toulouse sont ruraux. Nous avons commencé un travail que nous espérons pouvoir développer plus largement en 2021.
Nous avions également pour objectif de développer une méthodologie et des outils transférables dans d'autres départements, d'accompagner ces derniers et de coordonner les différentes actions. Depuis cette année, nous avons reçu de nombreuses demandes de territoires hors Occitanie souhaitant développer ce concept : le Beaujolais, le Finistère, cinq associations des Pays de la Loire, ou encore le Cantal. Nous sommes en lien avec eux et espérons, avec la Fédération nationale Solidarité Femmes, pouvoir coordonner ces associations qui souhaitent mettre en place des personnes relais.
J'espère que nos sollicitations auprès de quelques départements nous permettront de bénéficier de financements complémentaires en 2021. C'est grâce au travail militant des associations de Parole de Femmes que nous avons pu réaliser notre travail jusqu'ici.
Il est grand temps de prendre conscience qu'en zone rurale, le poids des stéréotypes de genre, de la communauté familiale et du « qu'en dira-t-on » est très important, ce qui empêche aujourd'hui encore de nombreuses femmes de sortir du silence. La mobilité est certes un problème, mais il n'est pas le seul. Les femmes nous indiquent que, même si elles ont une voiture, le contrôle de leur temps exercé par l'auteur des violences les handicape davantage. Si elles souhaitent consulter un autre médecin, leur compagnon violent leur interdit de s'y rendre.
Je souhaite également aborder la question des néo-ruraux. Ils sont nombreux. Par exemple, Monsieur travaille à Toulouse et le couple s'installe dans la campagne environnante, dans un rayon de soixante kilomètres. La femme quitte son travail dans la ville précédente et n'en trouve pas dans sa nouvelle région. Elle se retrouve donc seule à la maison. Son compagnon utilise la voiture pour se rendre au bureau, la privant de moyen de transport. Nous observons de nombreux couples dans cette situation, au sein desquels il n'y avait aucun problème auparavant, mais où des problèmes de violences apparaissent. Il est important de le noter.
Les enfants sont aussi exposés aux violences. Depuis 2016, nous avons mis en place le service « Des mots pour le dire », seul dispositif de ce genre dans le département. Nous recevons les mères et la fratrie pour que chacun puisse parler de ses émotions et pour aider la femme à reprendre sa place de maman. Ce service fonctionne très bien. Nous ne disposons malheureusement pas de fonds suffisants pour répondre à toutes les demandes. Nous avons reçu cette année quarante-huit mères et quatre-vingt-dix enfants. Leur nombre augmente chaque année.
Nous sommes prêts à répondre à tout département souhaitant prendre connaissance de notre méthodologie. Ils peuvent nous appeler ou envoyer un mail à ruraliteparoledefemmes81@gmail.com.
Merci beaucoup pour cette présentation extrêmement concise.
Je cède la parole à Françoise Mar, coprésidente et cofondatrice de l'association Les Chouettes dans la Drôme. Marie-Pierre Monier, l'une de nos huit rapporteurs, est sénatrice de la Drôme et est présente ce matin.
Bonjour. Je vais vous dire un mot sur l'association Les Chouettes, puis évoquer la situation de notre territoire et nos préconisations. Nous sommes très admiratifs de Paroles de femmes, qui va nous inspirer. L'association Les Chouettes-solidarité femmes du Diois est née en juin 2020. Elle exerçait déjà ses activités depuis un an. Nous comptons vingt-cinq adhérentes dont quatre accompagnantes formées. Nous avons pour objectif de lutter contre les inégalités entre les femmes et les hommes. Sur le terrain, nous jouons malheureusement surtout un rôle « d'ambulance » en quelque sorte puisque nous arrivons après les violences, en soutien aux femmes victimes et à leurs enfants.
Nous sommes une association indépendante. Nous avons signé une convention avec l'espace France Services du Diois et nous y tenons une permanence mensuelle. Nous y disposons aussi à la demande d'un bureau nous permettant, de rencontrer les femmes, puisque les cafés et autres lieux sont fermés. Ce partenariat est intéressant pour nous en raison de l'anonymat qu'il offre aux femmes lors de nos rendez-vous ; la proximité des animatrices de cet espace et des permanences des services publics (CAF, CPAM, CARSAT...) est intéressante aussi.
Nous suivons plus de vingt-cinq femmes dans des situations souvent compliquées. La plupart vivent des violences post-conjugales consécutives à des violences de couple. Notre territoire est spécifique puisqu'il est rural et montagnard. La ville la plus proche, Valence, se situe à environ soixante-cinq kilomètres. Il arrive que nous assurions le covoiturage de certaines femmes vivant sans voiture dans des hameaux isolés, jusqu'à Die, Crest ou Valence si besoin, pour rencontrer une avocate ou honorer un rendez-vous de santé. Les indicateurs d'accès aux services de santé et de revenus sont assez faibles dans le Diois. Le taux de précarité, au regard des bénéficiaires de la couverture maladie universelle (CMU) notamment, y est supérieur à la moyenne régionale, tout comme le suivi en ambulatoire pour des problèmes psychiatriques, le taux de mortalité par suicide ou encore le nombre de pathologies liées à l'alcool. Die est une jolie commune touristique, mais peut être difficile à vivre pour certaines et certains.
À ces difficultés s'ajoutent l'éloignement et la méconnaissance quasi systématique des dispositifs d'aide chez toutes les femmes que nous rencontrons. Elles ignorent leurs droits. Les deux tiers d'entre elles ont des enfants et constituent des foyers monoparentaux. Assez souvent, elles ne sont pas originaires de la région. Elles ont pu venir chercher refuge depuis d'autres endroits du département ou depuis d'autres départements. Elles découvrent que les auteurs de violences les poursuivent, sous la forme de harcèlement lourd par exemple. Surtout, elles vont mal, voire très mal, psychologiquement. On manque dans le Diois de psychiatres et de pédopsychiatres formés aux psycho-traumatismes. Les délais d'attente au centre médico-psycho-pédagogique (CMPP) pour leurs enfants sont élevés. Puisqu'une majorité de femmes victimes que nous accompagnons a peu de moyens financiers, nous devons trouver une manière de les accompagner vers leur reconstruction, elles et leurs enfants. Elles font souvent état du besoin de se retrouver entre elles pour partager et avancer plus vite. Nous connaissons le bénéfice des groupes de parole. Notre association en propose un animé par une psychothérapeute-sexologue. Ces séances mensuelles sont gratuites et réservées à ces femmes. Nous proposons dans les mêmes conditions un groupe de sophrologie-relaxation, ainsi qu'un groupe dédié à la communication.
Peu de gens encore sont formés à comprendre le caractère massif des violences, à en repérer les signes et à choisir d'accompagner les victimes. Nous souhaitons donc mailler le territoire Diois de personnes sensibilisées, ou, encore mieux, formées. Nous avons la chance que l'ARS ait choisi la thématique des violences faites aux femmes pour le premier groupe « Santé des femmes » créé il y a un an et demi à Die. Nous avons insisté pour cela. Un groupe partenarial piloté par l'ARS réunit donc chaque mois l'intervenante sociale en gendarmerie, les gendarmes, R.e.m.a.i.d, le CIDFF, le centre médico-social du département, les soignants hospitaliers ou libéraux, les associations d'aide, etc. Les échanges sont très riches. Nous apprenons à nous connaître. Nous espérons que le Conseil local intercommunal de sûreté et de prévention de la délinquance (CLISPD), qui va bientôt constituer le nouveau format de ces réunions, permettra aux élus de se saisir de la question.
Justement, parmi les cinquante maires de la communauté de communes, nous avons proposé qu'un et une maire soient désignés référents sur cette question des violences, et plus généralement de l'égalité femmes-hommes. Cela a été fait. Ces élus jouent un rôle fondamental au fond des campagnes ; ce sont souvent le dernier recours pour les femmes maltraitées et isolées. Nous voudrions que deux élus référents, un homme et une femme, soient formés ou sensibilisés aux questions de violences dans chaque équipe municipale. Notre association propose des actions de formation et de sensibilisation aux violences faites aux femmes. Nous aimerions que les maires des petites communes mettent à notre disposition un lieu d'écoute, même dans ces temps de Covid. Si nous ne comptons que peu de dispositifs officiels de soutien sur ce vaste territoire rural, ils sont de qualité. L'intervenante sociale en gendarmerie joue un rôle fondamental. Une permanence du CIDFF se tient chaque mois en compagnie d'une juriste. C'est insuffisant, d'autant qu'elle a souvent eu lieu en visioconférence. Nous avons perdu la permanence de la psychologue du CIDFF il y a plusieurs années. Nous disposons aussi une permanence du R.e.m.a.i.d (service d'aide aux victimes), également très utile. De notre côté, nous sommes joignables tous les jours. Nous avons choisi d'écouter les femmes de manière empathique. Nous les croyons et les accompagnons dans la durée, dans les allers-retours que vous connaissez bien, dans leurs hésitations. Nous ne poussons pas spécialement au dépôt de la plainte, car nous connaissons les chiffres de ce qu'il en advient. 80 % des plaintes sont en effet classées sans suite.
Nous demandons une transparence sur les données de la Gendarmerie. Les indicateurs et leur analyse nous semblent indispensables. Combien sont les femmes ayant fait un renseignement judiciaire, qui donc n'osent pas déposer plainte ? Combien ont déposé plainte ? Combien de plaintes ont été classées par le parquet ? Combien de jugements ont abouti à une condamnation ? Combien de peine ont été effectuées ? Les femmes que nous suivons ne sont pas toujours informées du classement de leur plainte.
Nous aimerions que soit créée une cellule de gendarmerie contre les violences sexuelles et sexistes, dans la vallée de la Drôme ou le département. Nous avons besoin de gendarmes motivés et formés. Nous refusons la loterie par laquelle les femmes sont accueillies par des gendarmes plus ou moins aptes à appréhender leur état de vulnérabilité. Nous avons bien sûr rencontré des gendarmes compétents et motivés à Die, mais une brigade spécialisée permettrait de disposer 24h/24 de professionnels ne minimisant pas le discours des femmes et menant systématiquement un travail d'enquête.
Nous aimerions également qu'un plus grand nombre d'ordonnances de protection soient délivrées sur le territoire de la Drôme. Car nous ne parvenons pas à protéger les femmes. Elles ont toutes peur des représailles lorsqu'elles déposent plainte, et rien ne peut les protéger véritablement. C'est à nous de leur conseiller de changer de téléphone.
La toute jeune association Femmes répit, créée peu de temps après nous, constitue à nos yeux un partenaire intéressant. Elle va proposer des séjours de répit de cinq jours pour permettre aux femmes qui vont mal psychologiquement, et souvent physiquement, de récupérer. Nous encourageons ce projet. Nous avançons parallèlement.
J'ai parlé de la Justice. Nous sommes accompagnés par deux avocates spécialisées et expérimentées qui croient les femmes et les suivent. Nous travaillons également avec Femmes solidaires de Valence, qui est comme une grande soeur pour nous, expérimentée et bienveillante. Le parquet de Valence manque de personnel. Les délais d'instruction auprès des juges des affaires familiales ou des enfants sont extrêmement longs. Pendant six mois, voire un an, les femmes et leurs enfants subissent toujours des violences. Nous constatons un réel manque de moyens humain et matériel dans les gendarmeries aussi. Il faut parfois apporter le papier aux gendarmes pour qu'ils puissent l'imprimer.
Enfin, l'hôpital de Die, ouvert 24h/24., constitue une ressource importante. Une urgentiste référente violences vient d'être nommée. Des sages-femmes, une psychologue et une infirmière sont déjà formées et pratiquent le questionnaire systématique avec tact. Nous avons bon espoir qu'un parcours bienveillant puisse maintenant voir le jour dans tout l'hôpital.
Merci pour votre écoute.
Merci beaucoup et merci pour votre mobilisation dans la Drôme. Passons la parole aux élus, souvent cités dans les interventions de ce matin. Pour l'Assemblée des départements de France, nous allons maintenant entendre Marie-Pierre Mouton, présidente du conseil départemental de la Drôme puis Anne Harel, vice-présidente du conseil départemental de la Manche.
Merci Madame la présidente. Mesdames et Messieurs, les violences faites aux femmes ont lieu dans nos villes et nos territoires ruraux. Vous avez raison de souligner que l'éloignement des pôles centraux et des services publics, une mobilité plus difficile, une vie associative moins variée et la désertification médicale sont autant de facteurs compliquant la détection, le recueil des confidences et l'accompagnement des femmes violentées. La crise sanitaire et sociale n'arrange rien. Elle est également sociale. Les confinements partiels ou complets aggravent toutes ces situations.
Les départements sont des collectivités de proximité, chefs de file de l'action sociale, apportant leur soutien financier aux associations spécialisées. Je salue l'intervention de Mme Mar, qui collabore depuis très longtemps avec le CIDFF de la Drôme, et avec le R.e.m.a.i.d (service d'aide aux victimes de crime).
Nous participons à la mise en réseau des acteurs de proximité, dont le rôle est déterminant dans la sensibilisation et l'incitation à coordonner les réponses à apporter. Pour encourager la proximité et aller vers l'autre, il nous semble primordial de mailler notre territoire, par le biais notamment de nos centres médicaux sociaux - il y en a vingt-cinq dans la Drôme. La compétence de la protection maternelle et infantile permet de repérer et d'inciter à la confidence.
Un bus « Drôme proximité », centre médico-social ambulant à destination des Drômois et Drômoises les plus éloignés des services publics, permet aux femmes isolées d'obtenir des informations. De tels centres sont davantage sollicités lorsque les acteurs locaux sont peu nombreux sur un territoire.
Dans le cadre de la crise sanitaire actuelle, nous avons conclu un partenariat avec l'État pour recevoir des appels sur un numéro d'urgence sociale. Nous avons en outre développé un partenariat avec la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) dans le cadre des suivis de Covid ou avec le concours d'infirmiers se déplaçant à domicile pour constater si l'isolement est possible. S'ils détectent des problèmes, ils en informent, grâce à ce numéro d'urgence sociale, des agents du département, professionnels de l'écoute.
Les partenariats sont indispensables. Le département accompagne financièrement la présence d'intervenants sociaux en gendarmerie, aux résultats probants. Des femmes sont formées spécifiquement à l'écoute sur ces sujets. Nous avons financé un, puis deux postes. Aujourd'hui, c'est la police qui nous sollicite. Nous poursuivrons ces financements cette année.
Nous avons également aidé très récemment le CIDFF dans la construction d'un réseau d'accueil citoyen et d'accompagnement des femmes et des enfants qui recueille les victimes de violences, le temps qu'elles trouvent des solutions plus pérennes. Nous débutons le maillage de ce réseau avec un objectif de début de cinq familles pour huit femmes accueillies chaque année. Nous espérons pouvoir l'étendre au département.
La chambre départementale possède des atouts pour la mise en oeuvre d'une politique dynamique dans le cadre des violences faites aux femmes : ses capacités de repérage et d'accompagnement via les services médico-sociaux, la possibilité de mobiliser des financements comme le Fonds Unique Logement (FUL), le Plan départemental d'action pour le logement et l'hébergement des personnes défavorisées (PDALHPD) pour créer une offre d'hébergement et d'accompagnement, sa compétence en matière de protection de l'enfance et des mineurs, et l'incitation à organiser des séances de sensibilisation dans les collèges.
Je salue l'initiative des communes qui, même si elles sont encore trop peu nombreuses, créent ces logements. Une intercommunalité s'est par exemple mobilisée pour la mise à disposition d'un logement d'accueil.
Au regard des difficultés, la création et le financement d'une offre de logement ou d'hébergement temporaire relèvent de l'État et de la cohésion sociale. Il y a peu de marge de manoeuvre lorsque les gendarmeries ou commissariats refusent d'enregistrer les plaintes. Il n'est pas simple de se rendre au poste de police ou de gendarmerie sans traces visibles de violences sur le corps, lorsque la victime en est encore aux prémices de cette emprise. Ajoutons que, sauf mise en oeuvre de la protection de l'enfance, les travailleurs sociaux ne peuvent pas intervenir sans l'accord de la personne. Nous sommes limités dans ce champ d'intervention. Il est en tout cas certain que le partenariat et le travail collectif sont essentiels. Je vous remercie de réunir autant d'acteurs. C'est seulement en travaillant ensemble que nous pourrons améliorer ces situations et accompagner des femmes en détresse.
Merci beaucoup Madame la présidente. Nous allons maintenant entendre la vice-présidente de la Manche.
Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs les intervenants, bonjour à tous. J'essaierai d'être assez brève tout en vous donnant quelques informations sur les actions mises en oeuvre dans mon département.
Dès 2015, le conseil départemental, sous la présidence de Philippe Bas, s'est emparé de cette politique. Une délégation aux droits des femmes a été créée. Je ne reviendrai pas sur les constats relatés par les uns et les autres. Sachez toutefois que dans la Manche, en 2020, nous avons constaté une augmentation de 16 % des violences faites aux femmes. L'accueil des victimes de violences conjugales par des travailleurs sociaux du département connaît donc une hausse. C'est devenu leur quotidien, surtout dans les zones rurales.
Les problématiques ont été largement identifiées. Les publics concernés comptent des personnes âgées - la population de ces territoires étant vieillissante - ainsi que les personnes en situation de handicap. Les violences conjugales sont parfois niées ou banalisées. Parmi ces publics, la perte d'autonomie peut générer des violences du côté chez l'aidant comme chez l'aidé. Les enfants sont des victimes collatérales que nous devons également accompagner avec nos services.
À l'isolement géographique, car les services ne se situent pas toujours à proximité et les réseaux de transport y sont peu développés, s'ajoutent des difficultés de mobilité, et l'isolement des acteurs locaux. Les élus sont parfois démunis face à ces situations et peuvent être perçus comme le seul interlocuteur des victimes résidant en territoire rural. Des réponses doivent y être apportées. Nous devons favoriser la mobilité de ces publics et rapprocher les services de l'usager en délocalisant les lieux de permanence. Les travailleurs sociaux du département exercent dans les centres médico-sociaux mais également au sein des territoires de solidarité dans les maisons France Services ou dans les mairies. Le développement de l'accessibilité numérique fait également partie de nos priorités. S'y ajoutent un maillage de personnes formées et informées et une communication publique et collégiale entre l'ensemble des parties prenantes.
En partenariat avec les signataires du protocole départemental, le département a créé une fiche réflexe pour rappeler le cadre légal et donner des repères aux élus. Elle a été diffusée par les conseillers départementaux à l'ensemble des communes de leur canton. Nous mettons également en oeuvre, depuis 2018, la démarche « Territoire 100 % inclusif ». En 2019, nous avons adopté une politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes car il nous a semblé important de disposer d'une feuille de route permettant d'afficher des propositions d'action structurées dans ce domaine. Dans le cadre du travail engagé par le protocole départemental, il a été décidé de créer un observatoire des violences et des réalités manchoises. Pour l'instant, il fait partie de l'Observatoire départemental de la protection de l'enfance, mais nous souhaitons créer une entité dédiée afin de connaître la répartition géographique des cas de violence, d'observer les suites données à ces démarches, d'évaluer la qualité de la prise en charge des victimes, de rapprocher les cultures professionnelles afin de prévenir les effets de violences, et d'adhérer aux réseaux de prévention. Les conseillères conjugales et familiales des territoires de solidarité interviennent aussi dans les établissements scolaires, notamment les collèges, pour mener des actions de prévention. Je ne rappelle pas le rôle de la Protection maternelle et infantile (PMI). En suivant les familles, la PMI permet de détecter des situations de violences intrafamiliales. Parmi les propositions d'actions de la politique départementale, la formation continue des professionnels sociaux et médico-sociaux est également primordiale et concerne prioritairement la compréhension des phénomènes de violence, leur repérage et la prise en charge des victimes. Il est nécessaire de former à l'écoute et à l'accompagnement des victimes, mais aussi des auteurs. Ces professionnels doivent pouvoir participer à des temps d'échanges sur les pratiques.
En complément de ces formations, nous avons signé une convention de partenariat avec l'Association d'aide aux victimes, de contrôle judiciaire socioéducatif, d'enquête de personnalité, de médiation pénale (ACJM), afin de fournir aux professionnels du département les informations juridiques de premier niveau à apporter aux victimes.
Nous accompagnons également des victimes dans leur parcours de sortie de la violence, en assurant leur mise à l'abri et en développant des places en maison parentale. Nous avons lancé l'année dernière un appel à projets, reconduit en 2021, centré sur la prévention et la protection des personnes. Nous lui avons attribué un budget de 20 000 euros. En 2020, il a contribué à la création d'un fonds d'urgence pour les situations de crise, mais aussi à l'hébergement de victimes dans les territoires ruraux.
Il est évidemment nécessaire de décloisonner les réponses et de travailler en réseau avec nos partenaires. Nous disposons pour cela de plusieurs leviers : la communication publique de notre politique départementale, la signature du protocole départemental par quarante-sept acteurs départementaux, le protocole de lutte contre les violences sexuelles et sexistes à l'échelle de la juridiction de Coutances, décliné sur le territoire par un contrat local, l'implication politique et technique du département dans les CLSPD et CISPD (conseil local ou intercommunal de prévention de la délinquance), et la signature de conventions de partenariat pour la mise en oeuvre de réseaux VIF. Nous avons également développé des plans locaux inclusifs à l'échelle de chaque territoire de solidarité dans la Manche. Ils sont destinés à optimiser les complémentarités et à agir en partenariat avec les acteurs locaux sur les problématiques identifiées du territoire, dont la lutte contre les violences conjugales.
Le Grenelle aura permis un rapprochement des professionnels et des acteurs oeuvrant dans ce domaine. L'une des avancées notables concerne le rapprochement avec les forces de l'ordre. En 2020, le département de la Manche a été associé à deux sessions de formation de la Police et de la Gendarmerie sur la compréhension des violences et sur les leviers d'accompagnement des victimes. En 2021, les territoires de solidarité sont conviés à la formation de gendarmes pour présenter leurs missions dans les domaines de la prévention et de l'accompagnement social des victimes, travail quotidien des travailleurs sociaux.
Durant la crise sanitaire, et plus particulièrement pendant le confinement, l'État a mis en place des dispositifs d'alerte dans les pharmacies ou les grandes surfaces. Malheureusement, ils ont été organisés sans concertation avec les territoires de solidarité. Le suivi et la prise en charge des victimes auraient pu être optimisés. Nous souhaitons maintenir ou retrouver la dynamique enclenchée avant le confinement, sans quoi nous risquerions d'avancer au détriment des victimes.
Merci Madame la présidente. Nous avons pu constater que notre collègue Philippe Bas était très engagé sur cette thématique. Nous nous en réjouissons.
Pour l'Association des maires de France, je donne la parole à ses deux représentantes, Cécile Gallien, vice-présidente de l'AMF et maire de Vorey en Haute-Loire, et Édith Gueugneau, maire de Bourbon-Lancy, en Saône-et-Loire.
Bonjour à toutes et à tous. Je vous remercie d'avoir organisé cette table ronde pour débattre de ce sujet essentiel car près de 50 % des féminicides surviennent dans des communes rurales. Les interventions de ce matin indiquent que peu de femmes font appel aux associations et aux acteurs locaux. Nous sommes tous engagés pour que cette situation évolue.
72 % des communes de France comptent moins de 1 000 habitants. Il est temps de traiter la question des violences faites aux femmes dans les territoires ruraux. Je confirme que pour les femmes victimes de violences, les difficultés liées à l'emploi, à la mobilité, à l'accès à la propriété, à l'isolement et au manque d'anonymat, sont exacerbées en milieu rural, dans les hameaux ou les campagnes reculées. Pourquoi iraient-elles déposer plainte à la gendarmerie, se confier au maire ou aux pompiers en sachant pertinemment qu'ils connaissent leur conjoint ? À tout cela s'ajoute la crainte des mères de se voir retirer la garde de leurs enfants. Nous constatons leur grande méconnaissance des dispositifs d'aide aux femmes victimes de violences et de leurs droits.
L'AMF a rappelé à l'occasion du centième congrès des maires qu'il existait des femmes maires en France. Nous avons, en 2017, lancé le groupe de travail « Promouvoir les femmes dans les exécutifs locaux » car les dispositions de la loi sur la parité ne s'appliquent pas dans les communes de moins de 1 000 habitants, soit dans 72 % des communes françaises. Nous avons étendu nos interventions à la question de l'égalité hommes-femmes. En novembre 2019, lors de notre dernier congrès, nous avons souhaité inviter tous les futurs élus aux élections municipales de 2020 à s'engager dans la promotion de l'égalité dans l'institution communale, de l'égalité des sexes dans les politiques publiques et de la lutte contre les violences faites aux femmes sur l'ensemble du territoire. Le document La commune et l'égalité femmes-hommes a été publié à cet effet.
Cet engagement a été cosigné par François Baroin, Marlène Schiappa, Édith Gueugneau et moi-même puis diffusé à l'ensemble de nos associations départementales. Nous ferons en sorte que les 36 000 maires de France s'y associent.
L'agenda rural, dont je suis l'une des cinq corédacteurs, intègre des éléments relatifs à l'amélioration des conditions de travail des femmes, notamment celles dont le rôle s'avère indispensable à la vie sociale et économique des territoires ruraux.
Des études menées sur les jeunes femmes en milieu rural indiquent qu'elles s'autocensurent et se considèrent souvent comme devant soutenir leur famille. Ces constats sont essentiels pour leur permettre d'aboutir à leur émancipation et leur recherche d'autonomie, de bien-être et d'épanouissement.
Maire depuis douze ans d'une commune de 1 460 habitants, je suis intervenue à trois reprises pour cacher des femmes et permettre leur hébergement dans des gîtes ruraux auxquels j'ai fait appel en urgence avant de mettre ces victimes en relation avec les structures adéquates.
Une cellule animée par la sous-préfète a été créée en septembre 2019. Elle rassemble la Gendarmerie, le Service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP), trente structures apportant leur soutien aux femmes, et le département. De nombreuses actions sont menées pour obtenir des Téléphones grand danger (TGD), éloigner le conjoint violent, ou mettre à disposition des lieux d'accueil, malheureusement encore situés en majorité dans les villes moyennes. Un intervenant social financé par l'État, la CAF et le département travaille dans les gendarmeries.
Nous constatons que les femmes victimes de violences en territoire rural se sentent seules et n'osent pas parler. Nous devons donc mener une importante campagne de communication pour les y inciter. Les communes ont créé des comptes Facebook, des réseaux, en plus des relais par la presse écrite régionale. Tous ces dispositifs doivent être exposés à l'ensemble des maires et l'AMF s'engage à les présenter lors de chaque assemblée départementale.
Je remercie du fond du coeur les deux intervenantes du Tarn et du Diois, qui mènent des actions formidables que nous allons suivre. Toute victime de violences en zone rurale doit pouvoir consulter une « personne relais » - un élu ou un pharmacien par exemple, par lequel elle se sentira écoutée et avec lequel elle sera en parfaite confiance - pour qu'une solution lui soit proposée. Comptez sur l'AMF pour faire avancer cette cause à vos côtés.
Madame la présidente, Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, Mesdames les intervenantes, je suis très heureuse de participer à cette table ronde. La richesse des interventions me rend encore plus optimiste.
Effectivement, la question des violences faites aux femmes en milieu rural ne doit pas être sous-estimée car les victimes sont nombreuses. Ces femmes doivent être crues. Leur voix doit être entendue et leur parole ne doit pas être mise en doute ou minimisée comme c'est bien souvent le cas.
Déposer plainte constitue pour elles une épreuve. En milieu rural, tout le monde se connaît. C'est un frein. Comment peuvent-elles être assurées que leurs propos demeureront confidentiels ? S'y ajoute la crainte de se rendre à la gendarmerie et du contrôle opéré par la famille. Dans les petites communes, il est parfois difficile de se confier au maire. La prise en charge et l'accompagnement des victimes sont donc prioritaires et l'implication et la mobilisation des élus primordiales et fondamentales car tout repose sur l'engagement des collectivités territoriales. Je remercie les présidents des conseils départementaux, les associations et les directions départementales sur la cohésion sociale. En Saône-et-Loire, nous bénéficions en outre du concours d'une déléguée départementale au droit des femmes et à l'égalité.
En milieu rural, nous constatons que l'accès aux associations est rendu difficile en raison de leur éloignement ; l'isolement des victimes est accru par leur moindre mobilité et leur dépendance financière. J'ai entendu Mme la présidente du CIDFF : nous ne disposons d'aucune permanence du centre sur notre territoire. J'habite dans une petite commune de 5 000 habitants, à l'extrême ouest d'un département assez vaste. La Saône-et-Loire a organisé des réseaux VIF composés de professionnels de différentes institutions et associations. En tant que maire de Bourbon-Lancy, j'ai créé ce réseau VIF en 2015. Il fonctionne très bien. La commune dispose d'un appartement dédié aux femmes victimes de violences et de trois appartements d'urgence. En 2020, ils ont été occupés à 95 %. Il est nécessaire d'accueillir les femmes subissant des violences, pas uniquement lorsqu'elles habitent dans notre ville, mais également les villes alentour.
La ville de Bourbon-Lancy dispose également de services de professionnels qui accompagnent ces personnes, pour protéger ces femmes ayant besoin de se reconstruire. Cela prend du temps. Nous portons une attention particulière aux enfants, victimes collatérales des violences conjugales. Lorsque les femmes quittent leur domicile, elles se retrouvent très seules. Elles ont besoin d'un accompagnement et d'un suivi, car le harcèlement de leur conjoint, bien souvent, ne cesse pas.
Les femmes handicapées sont aussi victimes de violence. Un centre de réadaptation fonctionnelle est installé à Bourbon-Lancy et nous travaillons avec un Service d'accompagnement médico-social pour adultes handicapés (SAMSAH). Nous allons pouvoir mettre en place un appartement spécifique pour accueillir ces femmes lorsqu'elles subissent des violences.
J'aimerais également revenir sur la sénescence. Nous sommes parfois confrontés à l'émergence de violences au sein de couples vivant ensemble depuis des années, lorsque les personnes arrivent en fin de vie.
Avec Cécile Gallien, nous avons la volonté de travailler sur l'égalité femmes-hommes au sein de l'AMF. Nous avons besoin de mener ce travail de fond qui doit commencer dès la petite enfance pour changer les mentalités.
L'État doit répondre à nos demandes de moyens pour développer les formations, accompagner les collectivités et les gendarmeries dans la prise en charge des victimes. Nos gendarmes font face à de nombreuses demandes, ils ont besoin de personnel supplémentaire formé pour y répondre. Nous aimerions que des travailleurs sociaux nous accompagnent dans ces démarches.
Nous avons observé de nombreuses avancées, je reste très optimiste. Pour autant, nos territoires doivent s'organiser. Les maisons France Services répondent aujourd'hui à ce besoin de plus de proximité des services publics. Je suis en train d'en créer une dans ma commune. Vous avez évoqué les « Petites villes de demain », dispositifs portés par l'État qui nous permettront de proposer de plus de services.
Le travail que nous devons mener ensemble, main dans la main avec les associations, est très important à nos yeux. La dématérialisation numérique devrait nous permettre d'organiser des permanences virtuelles.
Le chemin parcouru est important. Depuis trois ans, la campagne #Metoo a provoqué un réel changement. La parole s'est libérée. Nous devons être en mesure d'accompagner toutes les victimes. Aujourd'hui, les maires de France affichent une réelle volonté de le faire. Cécile Gallien a rappelé la charte que nous pourrions faire signer à tous les maires. Nous avons également besoin de moyens, d'information et d'une véritable volonté politique pour avancer.
Merci beaucoup. Il a été beaucoup question de sécurité, de police, de collectivités, d'associations, mais aussi de santé. À ce titre, je laisse la parole au Docteur Marie-Pierre Glaviano Ceccaldi, vice-présidente du Conseil national de l'Ordre des médecins et présidente du Comité national des violences intrafamiliales, et à Alain Delgutte, membre du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens, pour clôturer cette table ronde.
Docteure Marie-Pierre Glaviano Ceccaldi, vice-présidente du Conseil national de l'Ordre et présidente du Comité national des violences intrafamiliales (CNVIF). - Merci Madame la présidente. Bonjour à toutes et à tous.
Je suis médecin généraliste encore en activité, avec une expérience de médecine légale à l'Institut médico-légal de Clermont-Ferrand durant quelques années. Je m'exprime aujourd'hui en tant que vice-présidente du Conseil national de l'ordre des médecins et présidente du CNVIF. Concernant l'institution ordinale, vous savez que le praticien référent en milieu rural est le médecin généraliste ou de famille. La désertification médicale n'est pas négligeable dans ces zones. Elle rend la prise en charge des victimes de violences conjugales plus difficile. Le médecin de famille est parfois le seul interlocuteur disponible. Sa proximité avec la famille et l'entourage peut rendre la libération de la parole de la victime encore plus difficile, bien qu'il soit lié par le secret médical. Il est nécessaire de rassurer et de lever toute ambiguïté sur l'application de la loi du 30 juillet 2020 permettant une dérogation permissive dans des circonstances strictement encadrées (une femme sous emprise, en danger immédiat arrivée au bout de son parcours). La réforme ne peut pas entraîner de difficultés supplémentaires dans la prise en charge des femmes victimes de violences. Il ne s'agit pas de faire des signalements sans l'accord de la victime en dehors d'un contexte d'urgence. Cela doit rester un cas exceptionnel.
Comme je le disais, cette application est strictement encadrée par la loi. Elle ne peut souffrir d'aucune ambiguïté. Pour cette raison, l'institution ordinale se mobilise et met en oeuvre des actions territoriales pour informer les professionnels. Le conseil départemental de l'Ordre des médecins a signé hier un premier protocole avec les parquets de Marseille et Aix-en-Provence. Ces protocoles ont pour objectif de mettre à la disposition des signalants tous les outils nécessaires. Ils engagent le conseil départemental de l'ordre et les parquets concernés à réaliser des journées de sensibilisation et à développer une relation étroite avec les départements qui posséderaient des instituts médico-légaux ou des instituts médico-judiciaires. Voilà pour la phase découlant de l'élaboration du vadémécum. Il était important à nos yeux d'harmoniser ce dispositif sur tout le territoire. Ces protocoles seront généralisés et mis en application par des commissions « Vigilance Violences » créées au sein des conseils départementaux de l'Ordre des médecins.
Le comité national des violences intrafamiliales est de création récente, il a été créé le 20 avril 2020 dans un contexte d'urgence lié au confinement et à l'augmentation des violences conjugales et intrafamiliales. Il est constitué de plus soixante-dix experts représentant tous les Ordres de la branche santé, du Conseil national des barreaux, de la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), de l'HAS, de nombreux collèges et de représentants de la justice. Il comporte cinq commissions, dont l'une est dédiée aux violences faites aux femmes. Il était important à nos yeux qu'elle soit présidée par une association. Françoise Brié en est à la tête.
Une commission « recherche » concerne les auteurs de violences, à des fins de prévention. D'autres commissions travaillent sur les violences sur les enfants et sur l'enseignement et la formation. Un séminaire, ouvert aux professionnels prenant en charge les violences conjugales et intrafamiliales, sera organisé en octobre 2021. Il se déroulera sur une journée, pendant laquelle les thèmes suivants seront évoqués : l'évolution du regard sociétal sur les violences, l'évolution du droit dans ce domaine, l'importance du repérage et du dépistage et les procédures de signalement et d'information préoccupante. Cet événement sera organisé en collaboration avec le laboratoire de recherche juridique de Paris 8 et le soutien de l'institution ordinale.
Je suis à la disposition de tous pour répondre à d'éventuelles questions. Merci.
Merci. Vous avez été rapide, précise et concise. Je laisse la parole à Alain Delgutte.
Merci Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs, merci de m'avoir invité pour cette table ronde. Outre mes fonctions au sein de l'Ordre des pharmaciens, je suis pharmacien à Nevers dans la Nièvre, département rural. Ce sujet m'est donc familier.
Je vais évoquer les modalités pratiques de la participation du réseau des pharmacies d'officines à la lutte contre les violences familiales lors du confinement, opération qui s'est déroulée à partir du mois de mars en métropole, mais aussi dans les départements d'outre-mer. Lors du confinement du printemps 2020, les violences intrafamiliales ont augmenté de 30 %. Le 26 mars, le ministre de l'intérieur a annoncé l'engagement des pharmaciens à participer à l'aide apportée aux femmes pour les extraire de ces situations de violence. Pour ce faire, il s'est appuyé sur des modèles européens, notamment sur l'exemple espagnol à Tenerife, où les femmes se rendaient dans les officines et demandaient un « masque 19 », alertant ainsi le pharmacien qui se chargeait de contacter les forces de l'ordre afin de mettre la personne concernée en sécurité. La France n'a pas du tout été en retard dans ce domaine. D'autres pays tels que l'Autriche, la Belgique, l'Allemagne, les Pays-Bas, Malte ou la Grèce se sont mis en ordre de marche d'avril jusqu'à août dernier pour aider ces femmes.
Pourquoi faire appel aux pharmaciens ? J'y vois trois raisons principales :
- notre présence : nous étions ouverts. Nous avons assuré la permanence pharmaceutique et avons continué à délivrer les médicaments aux patients. Nous avons renouvelé les traitements lorsqu'ils étaient périmés et terminés, puisque les médecins n'étaient parfois pas joignables ;
- notre proximité : 22 000 officines sont réparties sur tout le territoire et plus d'un tiers d'entre elles sont installées dans des communes de moins de 5 000 habitants. La distance moyenne de la pharmacie la plus proche pour l'ensemble des communes comptant une officine est de 3,8 kilomètres, et de cinq kilomètres pour celles n'en comptant pas. 90 % des communes bénéficient d'une pharmacie à moins de 7,2 kilomètres, et 66 % à moins de cinq kilomètres ;
- notre accessibilité : nous sommes disponibles 24h/24 et 7j/7. Nous avons la confiance des patients, les enquêtes le démontrent régulièrement. Nous sommes fréquemment en contact avec les femmes, qui se rendent souvent dans nos officines. En milieu rural, nous connaissons nos patients, leurs conditions de vie ou leurs difficultés financières. Nous portons un vrai rôle social à ce niveau.
Quel a été dispositif français pendant le confinement ? Il s'est organisé très rapidement, en quelques jours. Nous avons mis en place une « fiche réflexe » précisant les modalités de saisine des forces de l'ordre face à des signalements de violence. Nous avons proposé une liste de contacts utiles pour orienter les victimes vers des professionnels de santé, mais également vers des intervenants en droit et des associations locales très proches. Les avocats ont mis en place un numéro d'appel unique en cas de besoin. Nous avons apposé des affiches dans les officines, indiquant les numéros d'appel tels que le 3919. Nous avons assuré la diffusion et communiqué avec l'ensemble des officines via le dossier pharmaceutique, outil informatique professionnel nous permettant de connaître les interactions médicamenteuses, mais aussi de communiquer rapidement avec l'ensemble des pharmacies. En moins d'un quart d'heure, elles peuvent ainsi toutes recevoir des messages urgents. Au niveau local et régional, nous avons pris contact avec des associations désirant s'impliquer dans le soutien aux victimes, pour les faire connaître auprès du réseau des pharmacies.
Quel a été le bilan de cette action ? À défaut de remontées officielles - puisque cela ne nous était pas demandé - plusieurs exemples ont été relatés par la presse. J'ai eu connaissance de quatorze signalements de pharmaciens, mais ce chiffre est largement sous-estimé. À titre personnel, je sais que la pharmacie à côté de chez moi a fait appel à une association car la femme victime de violences ne souhaitait pas alerter la gendarmerie.
Ce dispositif évolue. Dans le cadre de la formation professionnelle continue, neuf formations sont accessibles aux pharmaciens comme aux professionnels de santé. Nous avons diffusé une « fiche réflexe » au format A4, très synthétique. Nous travaillons avec la MIPROF pour proposer aux pharmaciens des outils de repérage des cas de violences, et leur enseigner les stratégies et les mots à employer car nous n'apprenons pas ces éléments lors de nos études. Nous mettons également gratuitement à la disposition des pharmaciens le Cespharm, outil informatique du Comité d'éducation sanitaire et sociale de la pharmacie française. Nous travaillons enfin en lien avec la Direction générale de l'offre de soins (DGOS) et la MIPROF sur la mise en place pratique du dispositif autorisant les pharmaciens à transgresser le secret médical en cas d'urgence vitale pour le patient.
Vous voyez que la profession s'est acquittée de cette nouvelle mission demandée par les autorités. Elle s'est mise en ordre de marche en l'espace de quelques jours. Nous nous formons, nous évoluons et échangeons avec les autres professionnels, qu'ils soient de santé, judiciaires ou de gendarmerie. En un seul mot, Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les sénateurs, vous pouvez compter sur les pharmaciens.
Nous n'en doutons pas. Nous comptons des pharmaciens efficaces au sein de cette délégation. Il est vrai que le premier confinement a révélé une capacité d'adaptation des collectivités et des pharmacies, et la réactivité du Gouvernement qui a émis des propositions assez rapidement, nous devons le souligner. Certaines bonnes pratiques méritent d'être pérennisées et améliorées ; c'est le cas de la « fiche réflexe » à laquelle vous faisiez référence.
Les intervenants étaient nombreux ce matin et leurs interventions très complètes. Les questions seront sans doute peu nombreuses de la part de mes collègues.
Je laisse la parole aux rapporteurs Marie-Pierre Monier et Bruno Belin.
C'était une très intéressante table ronde. Je salue particulièrement Françoise Mar, avec laquelle je suis déjà en contact.
Je vous l'ai déjà indiqué, nous constituons un collectif dans les Baronnies dont l'idée revient à l'élue d'une commune de moins de 500 habitants, située à une heure et demi de Valence. En effet, si Die ne se trouve qu'à une soixantaine de kilomètres de Valence, les temps de trajet sont souvent plus longs en milieu rural. Je pense que les élus ont un rôle très important à jouer. Dans ce collectif créé en 2015 et uniquement composé d'élus, nous avons organisé des événements, des conférences et des ciné-débats, des échanges, ainsi que des formations d'élus. L'une des élues a convaincu son conseil municipal d'affecter un appartement aux femmes victimes de violences sur les crédits de rénovation de la mairie. Il a été utilisé pendant le confinement.
Nos débats confirment l'importance de développer un réseau même si c'est difficile. Les associations doivent être accompagnées financièrement. Les permanences d'accueil des victimes demeurent trop peu nombreuses. Les associations de terrain, même si elles ne sont pas toutes fléchées au départ pour agir contre les violences faites aux femmes, prennent le relais, mais elles doivent être soutenues. La création d'un réseau nous a semblé indispensable. Le CIDFF nous a aidés par son expertise en matière de logement d'urgence. Les intervenantes sociales en gendarmerie - deux dans la Drôme - ont a également joué un rôle important. J'ai auditionné le colonel de gendarmerie du département, qui m'a indiqué que ce nombre est très insuffisant. Il a raison, c'est trop peu pour 364 communes de 500 habitants. Nous devons recommander une plus forte présence sur le terrain.
Nous avons rencontré une difficulté que je tiens à partager. Il nous reviendra peut-être à nous, législateurs, de faire évoluer cette situation. Je veux parler du problème de la confidentialité du lieu d'hébergement de la victime et de ses enfants. Une femme hébergée dans une petite commune a découvert que son mari avait eu connaissance de l'école dans laquelle étaient scolarisés ses enfants, alors même que les visites du père n'étaient pas autorisées ailleurs que dans un lieu médiatisé et qu'une injonction d'éloignement avait été délivrée. La catastrophe a été évitée de peu grâce à la réaction opportune de la directrice de l'école et des gendarmes. L'Éducation nationale, qui a réagi comme elle pouvait, n'était pas directement fautive mais cette situation était réellement problématique. Nous devrons réfléchir à des dispositions législatives pour que cela ne se reproduise pas.
La Gendarmerie, présente dans tous les territoires ruraux, réalise un travail essentiel. La formation des gendarmes est primordiale. En Drôme, le colonel est conscient de la problématique des violences conjugales. Un gendarme a effectué un stage de dix jours sur cette problématique et d'autres devraient être formés dans le département.
Les élus sont en première ligne. Depuis la création de ce collectif, j'ai reçu de nombreux retours d'élus m'indiquant que des femmes viennent se confier à eux. La mise en place d'un référent me semble être une très bonne idée. Il est parfois plus simple pour les femmes victimes de violences de se confier à une autre femme. Or 20 % seulement des nouveaux maires élus en 2020 sont des femmes. La mise en place d'un référent en municipalité peut être pertinente, surtout en zone rurale où tout le monde se connaît et où l'élu occupe une place à part. Nous pourrions, dans un premier temps, en suggérer l'idée avant de l'imposer.
Enfin, l'ignorance des voies de secours et de l'existence des numéros d'urgence est incompréhensible. Je salue la communication par voie d'emballage. Un travail de fond doit vraiment être réalisé. J'ai été contactée, la semaine dernière, par une femme habitant en ville qui ne connaissait pas l'existence du 3919. Son appel lui a permis d'être aidée immédiatement. La situation est pire en milieu rural, où l'information a plus de mal à circuler. Les permanences numériques sont tributaires des liaisons téléphonique, parfois fluctuantes ou inexistantes. Il m'est parfois difficile de faire des visioconférences, même depuis mon domicile. Le rapport issu de nos travaux devra s'attacher à proposer les moyens d'assurer une meilleure information des femmes victimes de violences en milieu rural.
Je serai bref. Merci pour la qualité de vos interventions, très complètes, je n'ai donc que peu de questions. Je souhaiterais toutefois revenir sur trois points.
Le lieutenant-colonel Mottier l'a évoqué : pourquoi faut-il systématiquement déplacer la victime plutôt que le conjoint violent ? Nous avons tous été confrontés à ce type de situations dans nos vies d'élus. C'est insupportable et cela constitue une double, voire triple peine lorsque les enfants doivent en plus être déplacés. Nous devons nous interroger sur la manière dont les services de police et de gendarmerie doivent intervenir.
J'ai bien évidemment apprécié les propos de Cécile Gallien, dans lesquels je me suis reconnu, ayant moi-même été maire d'une commune rurale. Je reprends là aussi deux points que j'ai déjà évoqués en propositions, qui aboutiront peut-être. Nous devons en finir avec le panachage des listes dans les communes de moins de 1 000 habitants. Des scrutins de liste autoriseraient des scrutins paritaires. La même règle doit prévaloir pour les élections municipales, quel que soit le nombre d'habitants de la commune.
Mon autre proposition concerne la création d'un correspondant violences, au même titre qu'il existe des correspondants défense, dans toutes les équipes municipales. Ils constitueraient une personne contact clairement identifiable par les victimes.
Je salue mon confrère Alain Delgutte. Nous savons depuis des années que les pharmaciens accomplissent plus que leur travail courant. Tu as indiqué que tu ne disposais pas de données relatives au confinement, mais j'aurais aimé connaître l'évaluation du nombre des demandes de « masque 19 », ce dispositif qui n'a peut-être pas suffisamment bénéficié de publicité et dont il aurait été pertinent d'en établir un bilan.
Il existe un diplôme universitaire (DU) de médecine légale, ouvert aux pharmaciens, délivré par l'université de Versailles-Saint-Quentin. J'ai eu l'occasion de le suivre. Il est enseigné par un médecin légiste et permet un complément de formation.
Enfin, pour que les pharmaciens puissent toujours, à l'avenir, faire oeuvre utile, nous allons devoir préserver le maillage rural des pharmacies pour ne pas devoir un jour être confrontés à des déserts pharmaceutiques.
Merci. Je donne la parole à Guylène Pantel avant de laisser nos intervenants vous répondre.
Merci Madame la présidente. Je tiens moi aussi à saluer les intervenants pour la qualité de leurs propos. Nous voyons bien que de nombreuses actions sont menées dans les territoires.
J'habite le département le moins peuplé de France, comptant 77 000 habitants. L'anonymat y constitue l'un des problèmes majeurs. Lorsqu'une femme est victime de violences dans nos petites communes, la nouvelle se répand comme une traînée de poudre. C'est un vrai problème qui vient s'ajouter au tsunami qui bouleverse la vie des enfants. Nous ne pouvons que saluer le travail des gendarmes qui interviennent le plus discrètement possible. Malgré cela, tout s'ébruite, ce qui dissuade certaines femmes de réagir et de déposer plainte.
Il a été souligné tout à l'heure que des interventions de prévention devaient se dérouler dans les lycées agricoles, mais elles devraient être étendues à l'école primaire. Ce n'est pas suffisamment mis en avant.
Les auditions de ce matin sont particulièrement intéressantes. Elles englobent toutes les thématiques rencontrées dans nos territoires. J'ai mené des auditions dans mon département avec la responsable des droits des femmes, de la préfecture, l'association Femmes Solidaires ou encore des agricultrices. J'y ai beaucoup appris. Dans mon territoire, je pense que nous avons à travailler sur la mise en coordination des actions de toutes les associations et de tous les partenaires. C'est absolument nécessaire dans la mise en place de plateformes ou de comités de pilotage. J'ai réalisé que les collaborations entre acteurs devaient être développées.
Chez les agricultrices, les violences conjugales sont très difficiles pour la simple raison qu'elles sont conjointes d'exploitant, n'ont aucun statut et ne peuvent pas partir, au risque de tout perdre. Souvent, le fils prend la relève de l'exploitation. La mère peut donc encore moins quitter le domicile. J'ai lu le témoignage bouleversant d'une agricultrice après notre entretien, je vais d'ailleurs visiter sa ferme demain matin. Elle a été extraordinaire et je souhaite lui rendre la pareille. Très franchement, je pense que nous avons beaucoup de travail.
Les maisons France Services ont été évoquées à plusieurs reprises ce matin. Beaucoup de services y sont proposés. Je pense que certaines peineront à trouver des lieux de confidentialité pour écouter ces femmes en difficulté.
Je ne serai pas plus longue, bien qu'il y ait encore beaucoup à dire. Nous devons continuer à oeuvrer sur ces thématiques dans nos territoires ruraux.
Je remercie les collègues qui ont suivi cette table ronde en présentiel ou à distance. Les propos liminaires des intervenants ayant été complets, les questions sont peu nombreuses. Je laisse la parole à la Gendarmerie, remerciée à plusieurs reprises.
Lieutenant-colonel Denis Mottier. - Sur la question des campagnes d'information et de communication menées par la Gendarmerie, l'opération R-mess est déployée dans un certain nombre de départements. Il s'agit d'étiqueter les sachets de pains ou de pharmacie. Il est tout à fait possible de mener ces campagnes au niveau local, voire en collaboration avec le centre d'information et de recrutement (CIRFA) Gendarmerie, la Gendarmerie nationale et un mécène ou un financeur. La Gendarmerie est prête à poursuivre ses efforts dans ce domaine.
Une convention avec Carrefour nous permettra également de procéder à des étiquetages et à une diffusion dans tout son réseau, englobant les grands centres commerciaux, mais également supérettes. Nous sommes prêts à collaborer avec d'autres commerçants.
Sur la question de la confidentialité et de l'anonymat, nous ne pourrons pas aller à l'encontre de la nature même de la ruralité, bien que j'en comprenne la nécessité. Quasiment tout se sait dans un hameau ou un village. Une intervention de gendarmerie, même sans sirène ou moyens lumineux, y est remarquée, et entraîne des rumeurs ou des commentaires.
S'agissant de la double peine subie par une femme qui doit être déplacée, je rappelle que les mesures de justice précisent que c'est à l'auteur des violences de quitter le domicile. Nous nous heurtons toutefois, lors de nos interventions, à la notion de propriété. Dans le cas des agricultrices, les murs et l'exploitation n'appartiennent pas toujours à la victime. C'est alors extrêmement difficile, car s'y ajoute la volonté de la victime de quitter le lieu lui rappelant toutes les violences subies. Il n'y a pas de double peine. Nous faisons en sorte de satisfaire la victime pour qu'elle trouve une solution. Il s'agit parfois d'une fuite consentie. Il me semblait important de le préciser. Dans la ruralité, le départ de l'auteur des violences n'est pas toujours possible ou souhaitable.
Merci beaucoup. Paroles de Femmes et Les Chouettes peuvent maintenant réagir.
Je voulais insister sur le rôle très important des délégués aux droits des femmes. Nous avons la chance dans le Tarn d'avoir été accompagnés par une déléguée pendant douze ans, et d'avoir été rejoints par une nouvelle déléguée. Elles sont très impliquées. C'est très important pour les associations. Depuis des années, une commission « Violences » est de plus menée par Madame la Préfète. Elle réunit tous les partenaires. S'y ajoutent des formations organisées par la déléguée aux droits des femmes avec le CIDFF pour former les gendarmes, les travailleurs sociaux et les associations. Nous pouvons ainsi réaliser un travail remarquable avec tout ce réseau. Nous travaillons en partenariat avec la gendarmerie, que nous voyons très régulièrement.
Nous avons dans le Tarn la chance de disposer d'un réseau remarquable.
Je voulais revenir sur notre souhait d'ouvrir une maison des hommes violents dans la Drôme, à titre expérimental. Il en existe une à Arras, « Le Home des Rosati ». Nous avons essentiellement évoqué les femmes, mais nous avons tout à faire avec les hommes. En attente de jugement, ces hommes violents pourraient, sur la base du volontariat, faire un séjour dans cette maison qui a fait preuve de son intérêt en termes de récidive. Marlène Schiappa souhaite dupliquer ce dispositif très intéressant. J'imagine très bien cette expérience pilote dans notre département.
D'autre part, j'aimerais attirer votre attention sur un diplôme universitaire médical en formation continue, « Prise en charge des violences faites aux femmes vers la bientraitance ». Il s'adresse aux soignants en première ligne auprès des femmes : médecins généralistes, gynécologues, sages-femmes et kinés en rééducation du périnée. Il est dispensé à l'université Paris Descartes et à Grenoble en alternance. Ce diplôme permet aux soignants de créer ensuite leur réseau. Plusieurs soignants l'ont suivi dans la Drôme.
Enfin, plusieurs intervenants ont soulevé la question de la prévention. Le code de l'éducation prévoit des séances d'information et d'éducation à la sexualité de la maternelle à la terminale, y compris dans la formation professionnelle. Chez nous, ce n'est pas mis en place. C'est pourtant majeur pour faire évoluer les mentalités chez les enfants et chez les jeunes. J'ai discuté avec les proviseurs et directeurs d'écoles. Ils ont besoin d'informations et de séances clé en main gratuites. Ils sont débordés par de nombreuses sollicitations dans les écoles : écologie, civisme, gaz à effet de serre... Aucune obligation n'est faite à l'Éducation nationale concernant l'éducation filles-garçons.
Il existe par ailleurs à Lyon une structure intervenant dans toute la région Rhône-Alpes avec des conseillères conjugales et familiales ou celles du Planning familial. Ce n'est pas suffisant. Les retours des méta-analyses montrent que les messages auprès des enfants doivent être répétés. Un cours une fois tous les deux ans ne suffit pas. Ces sujets doivent être abordés plusieurs fois dans l'année, tout au long de la vie, pour que le discours prenne différentes formes et modifie les représentations dans la tête des enfants.
Merci à tous les participants de cette table ronde. Il ne sera pas simple d'extraire toutes les bonnes pratiques et propositions émises aujourd'hui. Elles ont été nombreuses. Nous avons pu observer que les départements ne manquaient pas d'ingéniosité dans la mise en relation. Je constate également la difficulté de travailler ensemble dont nous avions pu nous rendre compte lors du Grenelle. Les associations avancent, tout comme la Gendarmerie et les collectivités. Les actions sont variables en fonction de l'implication des uns et des autres. Je retiendrai notamment la proposition concernant la mise en place d'un intervenant social dans chaque gendarmerie, qui constituerait un bénéfice immédiat pour les victimes dans les départements. Je retiens également la proposition d'un référent identifié et formé dans chaque mairie. Vous l'avez souligné, il n'est pas possible d'aborder ces questions de manière complète et adaptée sans formation.
Nous allons poursuivre ce travail. Huit co-rapporteurs représentent des territoires variés. Lorsque je les présente, je n'oublie pas les outre-mer, trois sénatrices de cette délégation les représentant. Souvent, les problématiques de la ruralité sont amplifiées dans les territoires ultramarins. Nous faisions référence à l'anonymat et à la difficulté de s'échapper. Ces obstacles sont exacerbés sur une île.
Je vous remercie sincèrement pour votre participation et vos propositions. Nous ne manquerons pas de revenir vers vous pour vous informer des travaux de nos rapporteurs, fortement mobilisés sur le sujet. Le Sénat représente les territoires. Nous nous devions, en ce début de mandat suite aux élections de 2020, de nous emparer de ce sujet qui nous tient à coeur.