Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les sénatrices et sénateurs, bonjour.
Merci d'avoir sollicité la Gendarmerie nationale pour cette intervention. Nous allons vous présenter de manière assez brève, compte tenu du temps qui nous est imparti et du nombre d'interventions à suivre, le dispositif mis en oeuvre s'agissant des violences conjugales, avant de préciser les thématiques et spécificités liées aux territoires ruraux pour enfin vous expliquer ce que la Gendarmerie met plus précisément en oeuvre sur le terrain. Nous vous exposerons enfin nos pistes de réflexion pour tenter d'améliorer la situation, bien évidemment encore imparfaites au vu des chiffres ayant été récemment publiés et qui seront actualisés au printemps 2021.
Lieutenant-colonel Denis Mottier, direction des opérations et de l'emploi de la Gendarmerie nationale. - Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs, bonjour à tous. Je suis le lieutenant-colonel Denis Mottier, de la direction des opérations et de l'emploi, officiant plus particulièrement au bureau de la sécurité publique.
Mon propos va s'articuler en quatre parties. Je dresserai dans un premier temps un bilan de l'action spécifique de la Gendarmerie sur les territoires ruraux, avec quelques données chiffrées. Je m'efforcerai d'être bref en ne présentant que les tendances, sans m'attarder sur les territoires particuliers. J'évoquerai ensuite la dynamique générale suite au Grenelle de lutte contre les violences conjugales, ayant permis à la Gendarmerie d'adapter sa réponse, tout en vous présentant les limites atteintes dans les territoires ruraux. Enfin, je vous exposerai sept recommandations ou propositions d'améliorations, qui mêlent à la fois l'action de la Gendarmerie, l'action partenariale et la synergie nécessaire à atteindre dans ces territoires.
Sachez tout d'abord qu'il n'existe pas de réponse purement policière ou gendarmique à un problème de société tel que les violences faites aux femmes, et plus largement liées à la condition de la femme. Pour autant, dans les territoires ruraux, dans le silence de la nuit et dans l'intimité des foyers, le 17 constitue bien souvent le seul recours des victimes. C'est pourquoi l'action de la Gendarmerie reste parfois l'unique solution des victimes dans ces situations. Adapter cette réponse au plus près des attentes de cette population, tout en garantissant la sécurité de nos interventions, et créer des synergies locales dans une logique partenariale sont les deux axes de notre réflexion. S'agissant des interventions, je tiens à souligner que la Gendarmerie mène toutes les heures, partout sur le territoire, près de quinze interventions pour des faits de violences intrafamiliales (VIF). C'est très important et cela implique, notamment pour nous autres militaires, la nécessité de nous sécuriser.
S'agissant de notre action spécifique dans les territoires ruraux, la Gendarmerie intervient sur 95 % du territoire et 51 % de la population, ce qui se traduit par une proportion stricte d'interventions et de victimes de 50 % sur les territoires ruraux et 50 % sur les zones péri-urbaines et urbaines. Il est ici intéressant de souligner les densités de population. Les progressions de VIF sont similaires entre les différents types de territoire. Il n'y a pas de décrochage entre les phénomènes de VIF en zone rurale ou urbaine, ce qui ne permet pas de donner de véritable tendance à la lecture des chiffres. Ce constat mènera à une recommandation visant à mieux comprendre cette violence et les violences faites aux femmes dans les territoires ruraux.
De par son maillage territorial, la Gendarmerie est parfois le seul service public disponible. Le 17 constitue parfois le seul recours d'urgence en matière de violences conjugales. Elle doit donc adapter son dispositif, en matière d'intervention, mais également au niveau de sa permanence de lieux d'écoute dans tous les territoires ruraux. Passée l'urgence, l'accompagnement doit primer. L'accompagnement social fait aujourd'hui défaut car les associations sont généralement situées dans les centres urbains, pas uniquement dans les métropoles, mais aussi dans des villes moyennes où se concentrent l'action associative et l'ensemble des synergies sociales. Le traitement de la protection des victimes de violences conjugales est compliqué en milieu rural et atteint ses limites en termes de propositions d'hébergements d'urgence, de prise en compte de certaines spécificités liées au handicap et aux seniors, et de mise en oeuvre du bracelet anti-rapprochement (BAR) et du Téléphone grand danger (TGD). Les délais d'intervention en zone rurale sont aussi plus importants.
Si grâce à la dynamique générale du Grenelle de lutte contre les violences conjugales la Gendarmerie a bien évidemment bénéficié d'avancées, nous avons aussi développé des outils spécifiques, dont des indicateurs, constitués d'un tableau de bord pour le suivi des violences intrafamiliales. Cela nous permet d'observer les évolutions constatées par les brigades, les compagnies, mais également les groupements, en volume ou selon leur répartition géographique. Nous avons également créé au 1er janvier 2021 des maisons de confiance et de protection des familles dont le nombre s'élève aujourd'hui à 53, qui feront l'objet d'une recommandation dans la suite de mon propos. Nous développons au niveau national et déclinons au niveau local des synergies avec les associations présentes ce matin à cette table ronde.
La Gendarmerie veut également formuler les sept recommandations suivantes :
- poursuivre le recrutement des ISCG dans les territoires ruraux pour renforcer un maillage associatif lacunaire et soutenir le besoin de proximité sociale et de rencontre qui font défaut dans nos territoires. À ce titre, ces intervenants sociaux devront bénéficier de véhicules et de moyens dédiés, notamment pour communiquer par visioconférence avec les victimes et assurer leur accompagnement à distance, à défaut de pouvoir le faire physiquement, pour conserver un lien, même dégradé. L'intervenant social de Gendarmerie est essentiel pour faire le lien avec les centres d'organisation de l'accompagnement social, qu'il soit financier ou éducatif afin de sortir de la situation d'urgence. Un appel au 17 signifie pour la Gendarmerie une situation d'urgence qu'elle se doit de résoudre via un accompagnement social, afin d'aboutir à un retour à la normalité, notamment dans les territoires ruraux ;
- doter tous les départements de maisons de confiance et de protection des familles, et renforcer celles qui existent dans les départements qui le nécessitent. Cet effort, évalué à 250 équivalents temps plein (ETP) pour la Gendarmerie, permettra de consolider le suivi des victimes et de systématiser le rappel des plus sensibles d'entre elles, afin de parvenir à une individualisation et un suivi particularisé de chaque situation. La victime, mais également son environnement, doivent être pris en considération : l'accompagnement des enfants ne peut être exclu de la prise en charge car ils sont des victimes indirectes ;
- aider à la mobilité et à la prise en charge du transport des victimes de violences intrafamiliales. Nous souhaitons, dès l'instant où aucun soin ne doit leur être apporté, favoriser le déplacement des victimes et de leurs enfants, par la Gendarmerie, avec des véhicules adaptés au transport d'enfants en bas âge. Les militaires doivent donc être équipés de véhicules de grande capacité, bénéficiant de l'ensemble des modalités garantissant un transport des victimes en toute sécurité. Il faut également permettre dans chaque département un recours aux bons de taxi, et organiser, y compris la nuit, une permanence téléphonique laissant la possibilité aux gendarmes de demander un transport individualisé pour les femmes victimes de violence ;
- développer l'accès aux services numériques. La pandémie nous a fait prendre conscience de la nécessité de développer le recours au numérique et d'en informer les victimes. Nous devons leur donner la possibilité d'utiliser les appels vidéo pour obtenir des conseils à distance ou assurer un suivi simplifié des victimes. Pour les personnes isolées, notamment les seniors, nous devons financer des services de téléassistance. La sénescence d'une certaine partie de la population en milieu rural peut conduire à de la violence, parfois révélatrice de la détresse d'un couple confronté, par exemple, à la maladie d'Alzheimer. La prise en charge de nos anciens pourrait se faire, outre par un accompagnement social et financier, par des moyens de téléassistance ;
- développer une offre de sécurité itinérante et le déploiement de réseaux de proximité. Certaines actions sont déjà opérationnelles mais elles doivent être amplifiées et mieux financées, comme par exemple l'accès au service public dans les Maisons France Services et le programme « Petites villes de demain », auxquels la Gendarmerie participera afin d'offrir un service et un point d'écoute aux femmes victimes de violences. S'y ajoute l'ouverture, dans les villages et les villes, de tiers lieux ou de permanences en lien avec les mairies, comme c'est le cas à Mantes-la-Jolie. Des camping-cars ou des bus conduits par des réservistes circulent, notamment dans la Vienne ; ils permettent de couvrir les zones qui le nécessitent. Je mentionnerai aussi le recueil de plaintes dans les hôpitaux : 53 conventions ont été signées à cet effet en 2020. Il est également fait appel aux réservistes de la Gendarmerie nationale pour assurer un maillage serré des permanences ou des patrouilles dans les territoires, sur les marchés et dans les nouveaux lieux de vie. Enfin, n'oublions pas le développement de points d'écoute dans les centres commerciaux, tels que le « Gend Drive » à Puzey en Haute-Saône ou à La-Ville-du-Bois dans l'Essonne. Nous remarquons que la péri-urbanité peut servir de trait d'union entre les métropoles et les zones rurales. Bien souvent, les habitants des campagnes y font leurs courses où y consultent un médecin. La Gendarmerie doit assurer la couverture de ces territoires ;
- densifier le réseau de partenariats dans les départements ruraux, en organisant les collaborations entre les institutions et les partenaires associatifs, et en identifiant les différentes dynamiques associatives. Les offres sont d'autant plus locales et les structures petites que les zones sont rurales, ce qui freine leur collaboration avec la Gendarmerie ou les préfectures. Nous devons développer une synergie et opérer des regroupements en conservant les identités associatives. Ces différentes associations doivent bénéficier d'un financement dédié de l'État. Le recours à des hébergements d'urgence dans une logique d'éloignement, en collaboration avec les maires et les conseils départementaux, doit être accru. Les solutions d'hébergement aujourd'hui offertes par les Services intégrés de l'accueil et de l'orientation (SIAO) et la plateforme d'hébergement d'urgence sont concentrées dans les zones urbaines où elles demeurent insuffisantes. Le nombre des hébergements d'urgence en zone rurale est quant à lui trop faible pour permettre à la victime de ne pas être totalement déracinée de son lieu de vie ou de travail, du lieu de scolarité de ses enfants ou de l'ensemble de son équilibre de vie, nécessaire à sa reconstruction. Ces places d'hébergement sont pourtant essentielles. Elles devraient être accessibles 24h/24 et 7j/7, par l'intermédiaire de la plateforme d'hébergement ou par des plateformes SIAO centralisées afin de permettre aux gendarmes d'y accéder en cas d'urgence. Enfin, nous pourrions nous appuyer sur les partenariats nationaux et les initiatives locales portées par des entreprises privées telles que Carrefour, Sodebo, les pharmaciens et boulangers ayant imprimé sur leurs emballages des messages à l'attention des victimes, destinés à les informer de l'existence du 3919, des plateformes d'appel et de la plateforme contre les violences sexuelles et sexistes ;
- mieux appréhender les dynamiques des territoires pour corriger ou anticiper certaines lacunes, en opérant les rééquilibrages appropriés. Une prévention ciblée permet d'éviter que des situations ne dégénèrent. Je prône une meilleure compréhension des territoires ruraux en favorisant les échanges participatifs sur les véritables préoccupations des habitants. Nous devons développer des véritables outils de suivi statistique des phénomènes de violences intrafamiliales, en lien avec d'autres indicateurs de précarité ou d'emploi. Associer à notre logique policière une logique plus sociologique nous permettrait de ne plus travailler dans l'urgence, mais de proposer des solutions permettant d'éviter l'intervention de la Gendarmerie, si elle peut être évitée.
J'espère avoir été clair car il n'est pas simple de brosser un tableau de l'ensemble des enjeux de la ruralité en un quart d'heure. J'espère que ces recommandations pourront prospérer.
L'action de la Gendarmerie est menée selon deux axes : protéger et servir. Protéger la victime est une nécessité de tous les instants, tout comme servir le bien commun.