Intervention de Françoise Brié

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 11 février 2021 : 1ère réunion
Table ronde sur la lutte contre les violences faites aux femmes dans les territoires ruraux : enjeux et spécificités

Françoise Brié, directrice générale de la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF) :

Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'avoir invitée à cette table ronde.

La FNSF anime un réseau de 73 associations spécialisées dans l'accompagnement des femmes victimes de violences, en particulier conjugales. 35 000 femmes sont ainsi accompagnées dans des centres d'accueil. 7 000 femmes et enfants sont logés dans des lieux d'hébergement spécifiques. La fédération a créé et gère la ligne nationale d'écoute 3919, qui a pris en charge près de 100 000 appels en 2020.

La présence de femmes victimes de violences est réelle en milieu rural. Nous savons pertinemment que leur occurrence est identique en milieu rural et en milieu urbain. La FNSF a établi la première étude sur le sujet en 2013 en Midi-Pyrénées et dans les Pays de la Loire. Betty Fournier expliquera ses suites. La dénonciation de ces violences dans la ruralité est complexe. Les femmes sollicitent moins les dispositifs pouvant les soutenir et les accompagner dans leurs démarches. En 2018, 26 % des 27 205 appels pris en charge par le 3919 provenaient d'une région classée comme essentiellement rurale, et 74 % de territoires essentiellement urbains ou intermédiaires. L'INSEE indique que 33 % émanaient d'une zone rurale, contre 67 % d'une zone urbaine ou intermédiaire. Autrement dit, les femmes résidant en zone rurale sont moins représentées sur la ligne d'écoute nationale. Lorsqu'elles appellent, elles décrivent des moyens de contrôle particuliers tels que l'interdiction d'utiliser leur véhicule ou le contrôle du kilométrage, l'interdiction de sortir. Nous avons relevé le cas d'une femme qui n'avait pas de chaussures depuis dix ans. L'interdiction de s'éloigner du domicile est très prégnante.

S'agissant des mesures d'éloignement géographique par des mises en sécurité en hébergement pour des femmes en très grave danger, nous notons également que 4 % seulement des demandes proviennent d'un territoire classé en zone rurale. Les femmes y sont pourtant particulièrement en danger du fait d'un certain nombre de facteurs. Nous approchons d'un taux de 50 % des féminicides en milieu rural.

Nous avons développé des partenariats, avec la Gendarmerie en particulier. Pendant le confinement, nous avons ainsi pu avoir accès directement au 17 dans chaque département, ce qui s'est révélé précieux dans les situations où les femmes ne pouvaient pas solliciter les services d'urgence. Nous avons pu nous même contacter ces services d'urgence, dix fois plus fréquemment lors du confinement qu'en période normale.

Les associations Solidarité Femmes sont importantes du fait de leur expérience. Elles montrent que les spécificités des conditions de vie en zone rurale accroissent les difficultés rencontrées par les femmes dans leur parcours de sortie des violences. Nous constatons également une sous-représentation des femmes vivant en zone rurale dans les sollicitations de nos dispositifs. C'est particulièrement le cas dans les Pays de la Loire, comme le signale l'Union régionale Solidarité Femmes.

Les difficultés majeures rencontrées relèvent de la prégnance des stéréotypes sexistes et d'une société patriarcale, des violences minimisées ou niées, sur des durées plus longues et d'une gravité plus importante, avec des facteurs de risque sérieux tels que la présence d'armes liée à la pratique de la chasse. S'y ajoutent l'isolement géographique et les difficultés de mobilité, la précarité financière, la méconnaissance des droits et l'absence d'anonymat. Effectuer une démarche en toute discrétion est difficile, l'auteur des violences pouvant être connu des professionnels que les femmes consultent. L'entre soi vient parfois compliquer le départ du domicile des femmes victimes de violences dans les zones rurales. La présence de la belle-famille à proximité peut également rendre ce départ plus complexe.

Notons également la difficulté à déposer plainte, les disparités territoriales dans l'accès aux aides, le manque de services de proximité en termes de santé ou de justice et les formations souvent inégales des professionnels. Les territoires étant étendus, le temps de parcours peut y être très important, que ce soit en transports en commun ou en véhicule individuel. L'accès à des services permettant aux victimes de quitter le domicile est pourtant essentiel.

Lorsque les femmes originaires de zones urbaines arrivent en milieu rural pour y être mises en sécurité, il peut être difficile pour elles de s'intégrer. Elles ne disposent pas toujours des services de santé ou de proximité nécessaires. Un certain nombre de mises en sécurité se soldent ainsi par un échec car les femmes souhaitent repartir, la modification de leur mode de vie rendant l'éloignement géographique plus dur à vivre.

Au niveau des expériences positives, rappelons que les femmes en milieu rural apportent beaucoup de richesse et de compétences aux territoires ruraux. Elles restent majoritaires dans des services essentiels tels que l'éducation, la santé, la justice, le social. Elles sont très importantes dans le développement agricole et les circuits courts. Elles ont un rôle d'appui et de soutien dans le développement économique d'activités.

Le réseau Solidarité Femmes, en plus de son ancrage et de ses liens avec les partenaires sociaux, est en interconnexion avec des associations du département ou de la région, qu'elles soient ou non membres de la FNSF. Les synergies sont essentielles pour faciliter le parcours de sortie des violences. Le travail en réseau est important, depuis le diagnostic jusqu'à la mise en sécurité et la reconstruction.

Je terminerai par quelques exemples d'actions menées par les associations du réseau Solidarité Femmes. Des expériences innovantes viennent d'être menées dans les Hauts-de-France. C'est le cas du minibus associatif Nina et Simone, qui illustre l'importance d'« aller vers ». Il circule dans la région à la rencontre des femmes, est très accessible et repérable par sa couleur jaune, pour montrer aux femmes que l'invisibilité peut être contrée, y compris dans les territoires ruraux. Il permet de bénéficier d'une écoute et de conseils en matière de droits, de sexualité et de travail. Ce soutien permet à celles qui ont été victimes de violences d'approcher de façon confidentielle les équipes de Nina et Simone. Il a été mis en place après le confinement. Nous en notons déjà une fréquentation importante. En Haute-Garonne, un accueil de jour a été mis en place par l'association Femmes de Papier. Celle-ci mène des actions de sensibilisation à l'égalité femmes-hommes et de prévention des violences sur le territoire rural. Il est important de rappeler que les violences émergent des inégalités femmes-hommes. Ce sujet doit être travaillé en milieu rural également.

N'oublions pas que l'Ile-de-France compte de nombreuses zones rurales. Le relais Paroles de Femmes du 77 a adopté ces modes d'intervention avec des permanences déconcentrées pour faciliter l'accès, diminuer le temps de déplacement à l'extérieur de la maison, dans les structures partenaires, et pour garantir l'anonymat. Il a réparti les lieux d'hébergement sur un territoire étendu pour assurer leur sécurité et leur confidentialité, et a développé des réunions partenariales.

En matière de réponse et de facilitation de la connaissance du numéro d'écoute 3919, nous avons évoqué l'expérience sur les emballages de baguettes et les outils importants visant à rappeler que les femmes peuvent composer ce numéro. Abordons également la facilitation des moyens financiers. Nous constatons que le nombre de femmes accédant à ces services est peu important. Il est tout de même essentiel de maintenir les dispositifs existants, tels que les centres d'accueil et accueils de jour ainsi que les centres d'hébergement, en partenariat avec les mairies et conseils départementaux, pour que les femmes puissent y accéder avec des moyens de transport adaptés dès qu'elles souhaitent quitter le domicile conjugal.

Je vous remercie. Je pense que Betty Fournier aura également une expérience intéressante à développer dans son intervention.

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