Intervention de Françoise Mar

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 11 février 2021 : 1ère réunion
Table ronde sur la lutte contre les violences faites aux femmes dans les territoires ruraux : enjeux et spécificités

Françoise Mar, coprésidente et cofondatrice de l'association Les Chouettes (Drôme) :

Bonjour. Je vais vous dire un mot sur l'association Les Chouettes, puis évoquer la situation de notre territoire et nos préconisations. Nous sommes très admiratifs de Paroles de femmes, qui va nous inspirer. L'association Les Chouettes-solidarité femmes du Diois est née en juin 2020. Elle exerçait déjà ses activités depuis un an. Nous comptons vingt-cinq adhérentes dont quatre accompagnantes formées. Nous avons pour objectif de lutter contre les inégalités entre les femmes et les hommes. Sur le terrain, nous jouons malheureusement surtout un rôle « d'ambulance » en quelque sorte puisque nous arrivons après les violences, en soutien aux femmes victimes et à leurs enfants.

Nous sommes une association indépendante. Nous avons signé une convention avec l'espace France Services du Diois et nous y tenons une permanence mensuelle. Nous y disposons aussi à la demande d'un bureau nous permettant, de rencontrer les femmes, puisque les cafés et autres lieux sont fermés. Ce partenariat est intéressant pour nous en raison de l'anonymat qu'il offre aux femmes lors de nos rendez-vous ; la proximité des animatrices de cet espace et des permanences des services publics (CAF, CPAM, CARSAT...) est intéressante aussi.

Nous suivons plus de vingt-cinq femmes dans des situations souvent compliquées. La plupart vivent des violences post-conjugales consécutives à des violences de couple. Notre territoire est spécifique puisqu'il est rural et montagnard. La ville la plus proche, Valence, se situe à environ soixante-cinq kilomètres. Il arrive que nous assurions le covoiturage de certaines femmes vivant sans voiture dans des hameaux isolés, jusqu'à Die, Crest ou Valence si besoin, pour rencontrer une avocate ou honorer un rendez-vous de santé. Les indicateurs d'accès aux services de santé et de revenus sont assez faibles dans le Diois. Le taux de précarité, au regard des bénéficiaires de la couverture maladie universelle (CMU) notamment, y est supérieur à la moyenne régionale, tout comme le suivi en ambulatoire pour des problèmes psychiatriques, le taux de mortalité par suicide ou encore le nombre de pathologies liées à l'alcool. Die est une jolie commune touristique, mais peut être difficile à vivre pour certaines et certains.

À ces difficultés s'ajoutent l'éloignement et la méconnaissance quasi systématique des dispositifs d'aide chez toutes les femmes que nous rencontrons. Elles ignorent leurs droits. Les deux tiers d'entre elles ont des enfants et constituent des foyers monoparentaux. Assez souvent, elles ne sont pas originaires de la région. Elles ont pu venir chercher refuge depuis d'autres endroits du département ou depuis d'autres départements. Elles découvrent que les auteurs de violences les poursuivent, sous la forme de harcèlement lourd par exemple. Surtout, elles vont mal, voire très mal, psychologiquement. On manque dans le Diois de psychiatres et de pédopsychiatres formés aux psycho-traumatismes. Les délais d'attente au centre médico-psycho-pédagogique (CMPP) pour leurs enfants sont élevés. Puisqu'une majorité de femmes victimes que nous accompagnons a peu de moyens financiers, nous devons trouver une manière de les accompagner vers leur reconstruction, elles et leurs enfants. Elles font souvent état du besoin de se retrouver entre elles pour partager et avancer plus vite. Nous connaissons le bénéfice des groupes de parole. Notre association en propose un animé par une psychothérapeute-sexologue. Ces séances mensuelles sont gratuites et réservées à ces femmes. Nous proposons dans les mêmes conditions un groupe de sophrologie-relaxation, ainsi qu'un groupe dédié à la communication.

Peu de gens encore sont formés à comprendre le caractère massif des violences, à en repérer les signes et à choisir d'accompagner les victimes. Nous souhaitons donc mailler le territoire Diois de personnes sensibilisées, ou, encore mieux, formées. Nous avons la chance que l'ARS ait choisi la thématique des violences faites aux femmes pour le premier groupe « Santé des femmes » créé il y a un an et demi à Die. Nous avons insisté pour cela. Un groupe partenarial piloté par l'ARS réunit donc chaque mois l'intervenante sociale en gendarmerie, les gendarmes, R.e.m.a.i.d, le CIDFF, le centre médico-social du département, les soignants hospitaliers ou libéraux, les associations d'aide, etc. Les échanges sont très riches. Nous apprenons à nous connaître. Nous espérons que le Conseil local intercommunal de sûreté et de prévention de la délinquance (CLISPD), qui va bientôt constituer le nouveau format de ces réunions, permettra aux élus de se saisir de la question.

Justement, parmi les cinquante maires de la communauté de communes, nous avons proposé qu'un et une maire soient désignés référents sur cette question des violences, et plus généralement de l'égalité femmes-hommes. Cela a été fait. Ces élus jouent un rôle fondamental au fond des campagnes ; ce sont souvent le dernier recours pour les femmes maltraitées et isolées. Nous voudrions que deux élus référents, un homme et une femme, soient formés ou sensibilisés aux questions de violences dans chaque équipe municipale. Notre association propose des actions de formation et de sensibilisation aux violences faites aux femmes. Nous aimerions que les maires des petites communes mettent à notre disposition un lieu d'écoute, même dans ces temps de Covid. Si nous ne comptons que peu de dispositifs officiels de soutien sur ce vaste territoire rural, ils sont de qualité. L'intervenante sociale en gendarmerie joue un rôle fondamental. Une permanence du CIDFF se tient chaque mois en compagnie d'une juriste. C'est insuffisant, d'autant qu'elle a souvent eu lieu en visioconférence. Nous avons perdu la permanence de la psychologue du CIDFF il y a plusieurs années. Nous disposons aussi une permanence du R.e.m.a.i.d (service d'aide aux victimes), également très utile. De notre côté, nous sommes joignables tous les jours. Nous avons choisi d'écouter les femmes de manière empathique. Nous les croyons et les accompagnons dans la durée, dans les allers-retours que vous connaissez bien, dans leurs hésitations. Nous ne poussons pas spécialement au dépôt de la plainte, car nous connaissons les chiffres de ce qu'il en advient. 80 % des plaintes sont en effet classées sans suite.

Nous demandons une transparence sur les données de la Gendarmerie. Les indicateurs et leur analyse nous semblent indispensables. Combien sont les femmes ayant fait un renseignement judiciaire, qui donc n'osent pas déposer plainte ? Combien ont déposé plainte ? Combien de plaintes ont été classées par le parquet ? Combien de jugements ont abouti à une condamnation ? Combien de peine ont été effectuées ? Les femmes que nous suivons ne sont pas toujours informées du classement de leur plainte.

Nous aimerions que soit créée une cellule de gendarmerie contre les violences sexuelles et sexistes, dans la vallée de la Drôme ou le département. Nous avons besoin de gendarmes motivés et formés. Nous refusons la loterie par laquelle les femmes sont accueillies par des gendarmes plus ou moins aptes à appréhender leur état de vulnérabilité. Nous avons bien sûr rencontré des gendarmes compétents et motivés à Die, mais une brigade spécialisée permettrait de disposer 24h/24 de professionnels ne minimisant pas le discours des femmes et menant systématiquement un travail d'enquête.

Nous aimerions également qu'un plus grand nombre d'ordonnances de protection soient délivrées sur le territoire de la Drôme. Car nous ne parvenons pas à protéger les femmes. Elles ont toutes peur des représailles lorsqu'elles déposent plainte, et rien ne peut les protéger véritablement. C'est à nous de leur conseiller de changer de téléphone.

La toute jeune association Femmes répit, créée peu de temps après nous, constitue à nos yeux un partenaire intéressant. Elle va proposer des séjours de répit de cinq jours pour permettre aux femmes qui vont mal psychologiquement, et souvent physiquement, de récupérer. Nous encourageons ce projet. Nous avançons parallèlement.

J'ai parlé de la Justice. Nous sommes accompagnés par deux avocates spécialisées et expérimentées qui croient les femmes et les suivent. Nous travaillons également avec Femmes solidaires de Valence, qui est comme une grande soeur pour nous, expérimentée et bienveillante. Le parquet de Valence manque de personnel. Les délais d'instruction auprès des juges des affaires familiales ou des enfants sont extrêmement longs. Pendant six mois, voire un an, les femmes et leurs enfants subissent toujours des violences. Nous constatons un réel manque de moyens humain et matériel dans les gendarmeries aussi. Il faut parfois apporter le papier aux gendarmes pour qu'ils puissent l'imprimer.

Enfin, l'hôpital de Die, ouvert 24h/24., constitue une ressource importante. Une urgentiste référente violences vient d'être nommée. Des sages-femmes, une psychologue et une infirmière sont déjà formées et pratiquent le questionnaire systématique avec tact. Nous avons bon espoir qu'un parcours bienveillant puisse maintenant voir le jour dans tout l'hôpital.

Merci pour votre écoute.

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