Merci Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs, merci de m'avoir invité pour cette table ronde. Outre mes fonctions au sein de l'Ordre des pharmaciens, je suis pharmacien à Nevers dans la Nièvre, département rural. Ce sujet m'est donc familier.
Je vais évoquer les modalités pratiques de la participation du réseau des pharmacies d'officines à la lutte contre les violences familiales lors du confinement, opération qui s'est déroulée à partir du mois de mars en métropole, mais aussi dans les départements d'outre-mer. Lors du confinement du printemps 2020, les violences intrafamiliales ont augmenté de 30 %. Le 26 mars, le ministre de l'intérieur a annoncé l'engagement des pharmaciens à participer à l'aide apportée aux femmes pour les extraire de ces situations de violence. Pour ce faire, il s'est appuyé sur des modèles européens, notamment sur l'exemple espagnol à Tenerife, où les femmes se rendaient dans les officines et demandaient un « masque 19 », alertant ainsi le pharmacien qui se chargeait de contacter les forces de l'ordre afin de mettre la personne concernée en sécurité. La France n'a pas du tout été en retard dans ce domaine. D'autres pays tels que l'Autriche, la Belgique, l'Allemagne, les Pays-Bas, Malte ou la Grèce se sont mis en ordre de marche d'avril jusqu'à août dernier pour aider ces femmes.
Pourquoi faire appel aux pharmaciens ? J'y vois trois raisons principales :
- notre présence : nous étions ouverts. Nous avons assuré la permanence pharmaceutique et avons continué à délivrer les médicaments aux patients. Nous avons renouvelé les traitements lorsqu'ils étaient périmés et terminés, puisque les médecins n'étaient parfois pas joignables ;
- notre proximité : 22 000 officines sont réparties sur tout le territoire et plus d'un tiers d'entre elles sont installées dans des communes de moins de 5 000 habitants. La distance moyenne de la pharmacie la plus proche pour l'ensemble des communes comptant une officine est de 3,8 kilomètres, et de cinq kilomètres pour celles n'en comptant pas. 90 % des communes bénéficient d'une pharmacie à moins de 7,2 kilomètres, et 66 % à moins de cinq kilomètres ;
- notre accessibilité : nous sommes disponibles 24h/24 et 7j/7. Nous avons la confiance des patients, les enquêtes le démontrent régulièrement. Nous sommes fréquemment en contact avec les femmes, qui se rendent souvent dans nos officines. En milieu rural, nous connaissons nos patients, leurs conditions de vie ou leurs difficultés financières. Nous portons un vrai rôle social à ce niveau.
Quel a été dispositif français pendant le confinement ? Il s'est organisé très rapidement, en quelques jours. Nous avons mis en place une « fiche réflexe » précisant les modalités de saisine des forces de l'ordre face à des signalements de violence. Nous avons proposé une liste de contacts utiles pour orienter les victimes vers des professionnels de santé, mais également vers des intervenants en droit et des associations locales très proches. Les avocats ont mis en place un numéro d'appel unique en cas de besoin. Nous avons apposé des affiches dans les officines, indiquant les numéros d'appel tels que le 3919. Nous avons assuré la diffusion et communiqué avec l'ensemble des officines via le dossier pharmaceutique, outil informatique professionnel nous permettant de connaître les interactions médicamenteuses, mais aussi de communiquer rapidement avec l'ensemble des pharmacies. En moins d'un quart d'heure, elles peuvent ainsi toutes recevoir des messages urgents. Au niveau local et régional, nous avons pris contact avec des associations désirant s'impliquer dans le soutien aux victimes, pour les faire connaître auprès du réseau des pharmacies.
Quel a été le bilan de cette action ? À défaut de remontées officielles - puisque cela ne nous était pas demandé - plusieurs exemples ont été relatés par la presse. J'ai eu connaissance de quatorze signalements de pharmaciens, mais ce chiffre est largement sous-estimé. À titre personnel, je sais que la pharmacie à côté de chez moi a fait appel à une association car la femme victime de violences ne souhaitait pas alerter la gendarmerie.
Ce dispositif évolue. Dans le cadre de la formation professionnelle continue, neuf formations sont accessibles aux pharmaciens comme aux professionnels de santé. Nous avons diffusé une « fiche réflexe » au format A4, très synthétique. Nous travaillons avec la MIPROF pour proposer aux pharmaciens des outils de repérage des cas de violences, et leur enseigner les stratégies et les mots à employer car nous n'apprenons pas ces éléments lors de nos études. Nous mettons également gratuitement à la disposition des pharmaciens le Cespharm, outil informatique du Comité d'éducation sanitaire et sociale de la pharmacie française. Nous travaillons enfin en lien avec la Direction générale de l'offre de soins (DGOS) et la MIPROF sur la mise en place pratique du dispositif autorisant les pharmaciens à transgresser le secret médical en cas d'urgence vitale pour le patient.
Vous voyez que la profession s'est acquittée de cette nouvelle mission demandée par les autorités. Elle s'est mise en ordre de marche en l'espace de quelques jours. Nous nous formons, nous évoluons et échangeons avec les autres professionnels, qu'ils soient de santé, judiciaires ou de gendarmerie. En un seul mot, Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les sénateurs, vous pouvez compter sur les pharmaciens.