Intervention de Monique Ronzeau

Mission d'information Conditions de la vie étudiante — Réunion du 11 mars 2021 à 14h00
Audition de Mme Monique Ronzeau présidente de l'observatoire national de la vie étudiante ove

Monique Ronzeau, présidente de l'OVE :

Nous allons essayer, avec ma collègue, de répondre au mieux : comme vous le constatez dans vos questions, le sujet est complexe et très vaste. Cette année, nous avions déjà lancé cette enquête au long cours, qui suit des analyses régulièrement répétées tous les trois ou quatre ans depuis 1994. Dans ce contexte, je voudrais revenir en introduction sur des points que vous avez évoqués.

Commençons par notre mission principale. L'OVE dispose d'abord de données statistiques spécifiques, qui ne sont pas vraiment disponibles auprès d'autres institutions ou opérateurs car, en France, on étudie surtout la population jeune et pas spécifiquement la population étudiante - ce qui crée des biais par rapport à l'approche de la jeunesse, notamment sur le plan économique. L'OVE a également la capacité de faire remonter le ressenti des étudiants : comment vivent-ils leur expérience, leur parcours de vie et leur parcours d'étude ? Ainsi que le confirme l'enquête 2020, nous constatons au fil des années des évolutions, mais elles sont relativement lentes. Je mets à part le confinement et les conséquences de la crise de cette année : nous y reviendrons. On veut se rapprocher d'une réalité qui, sinon, transparaît peu. Les relais intermédiaires (associations, syndicats, élus des conseils universitaires) peinent à traduire les besoins, les difficultés ou les attentes des étudiants. La vie étudiante ne se limite pas à ce qui se passe sur les campus : on en a aujourd'hui une acception large, à la différence de celle qui prévalait dans les années 1980. On s'intéresse à l'expérience étudiante, c'est-à-dire à la construction d'un parcours d'étude mais aussi au parcours d'autonomie et de construction de la personne humaine en lien avec ses pairs, les enseignements-chercheurs et l'environnement. Ce dernier doit, lui aussi, être analysé de façon concomitante.

Je souhaite aborder un second point, qui va revenir à plusieurs reprises dans notre présentation : il est impossible de parler aujourd'hui « des étudiants » ou d'une « population étudiante ». Cela n'a aucun sens, et c'est d'autant plus vrai après la crise. La pression démographique aboutit à un nombre d'étudiants en augmentation considérable depuis les années 1970. Dès lors, les universités et les établissements d'enseignement supérieur ont dû s'adapter, et la différenciation entre les catégories d'étudiants s'est progressivement imposée. Elle s'est fortement accrue depuis la crise et s'est révélée de plus en plus importante entre catégories d'établissements. On ne peut parler d'un système à deux vitesses, mais on observe une réalité complexe, qu'il faut analyser comme telle sans procéder à des généralisations, comme peuvent le faire les médias.

Les résultats de l'enquête 2020 s'inscrivent dans la durée et dans les constats précédents de 2016. Je précise ici qu'on a exploité 60 000 résultats (complétés et exploitables), mais nous avions consulté 250 000 étudiants avec un panel représentant l'ensemble de l'enseignement supérieur, et pas seulement les universités. On observe une stabilisation, mais certains points particuliers ont donné lieu à des progrès - dans des proportions raisonnables toutefois. Ainsi, lorsqu'on analyse le sentiment des étudiants par rapport au déroulement de leurs études (satisfaction quant à leur organisation et à ce qu'elles leur apportent), on voit qu'en 2020, 64 % sont satisfaits ou très satisfaits. C'est une amélioration par rapport à 2016 où le chiffre était de 60 %. En 2020, 10 % sont insatisfaits, pour 11 % en 2016. En ce qui concerne le contenu de la formation, 71 % des étudiants étaient satisfaits. 2020 allait donc dans un sens positif. C'est également le cas pour les perspectives d'avenir : en 2016, 54 % des étudiants estimaient leurs chances d'insertion en France bonnes ou très bonnes contre 14 % qui les estimaient mauvaises ou très mauvaises, et en 2020, on est passé respectivement à 68 % et 8 %. À l'étranger, l'écart est similaire : en 2016, 40 % estimaient les chances d'insertion à l'étranger bonnes ou très bonnes, 21 % mauvaises ou très mauvaises ; en 2020, nous passons respectivement à 45 % et 18 %.

Je veux évoquer un dernier élément positif, qui porte sur la situation financière et économique des étudiants (indépendamment de la crise actuelle). Dans l'ensemble, pendant l'année universitaire, la proportion d'étudiants qui déclarent connaître des difficultés financières importantes ou très importantes est d'un cinquième. Cela représente, par rapport aux 23 % de 2016, une baisse modeste mais significative, car ce type d'écart enregistre, sur une population plus grande, de vraies évolutions. En 2020, 26 % des étudiants déclaraient ne pas avoir assez d'argent pour couvrir les besoins mensuels, contre 29 % en 2016.

Plus généralement, lorsqu'on examine la situation économique des étudiants, on doit se souvenir de la différence avec les estimations réalisées par l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) sur la population jeune. Il n'y a ainsi pas de budget étudiant au sens strict, mais une reconstitution des ressources perçues par les étudiants, qui proviennent de trois origines principales : les aides familiales, les aides publiques, et les activités rémunérées, qui se sont progressivement renforcées.

Concernant cette activité rémunérée, il faut prendre garde à ne pas faire trop de raccourcis. On entend toujours qu'un étudiant sur deux travaille, que les étudiants ont du mal à satisfaire leurs besoins... C'est plus complexe : d'abord, la dernière enquête indique que 38 % des étudiants travaillent et, ensuite, le panel d'activités rémunérées va du baby-sitting, qui procure des revenus modestes mais souvent réguliers, aux stages liés à leurs études, notamment les études de santé, en passant par une série de « petits jobs » (vente, commerce). L'analyse doit se concentrer sur ce qui crée problème dans l'activité rémunérée, à savoir l'intensité et le rythme de l'emploi (nombre d'heures et de jours par semaine), qui peuvent contrarier, ou non, la possibilité de suivre les études. Ce facteur majeur a entraîné des conséquences très négatives sur le budget et la situation économique des étudiants en 2020. Cette notion relève donc d'un examen économique, et c'est une de nos limites : nous ne disposons pas des outils de mesure qui conviennent dans le domaine économique.

Voilà donc une piste pour les décideurs dans un avenir proche : remettre à plat un système largement illisible, y compris de la part des étudiants eux-mêmes, qui ont des droits mais ne savent pas toujours à qui s'adresser. On l'a observé avec les mesures d'urgence, certes nécessaires, prises pendant la crise. Il va falloir remettre de la cohérence et redonner du sens à la politique de soutien financier, en ciblant les populations les plus fragiles.

Au-delà de ces trois points, on enregistre peu de modifications dans le domaine du logement. On observe toujours une répartition entre la cohabitation familiale (avec les parents, séparés ou non) d'une part, et la location ou la colocation d'autre part. Je rappelle d'ailleurs que les locations en résidence universitaire ne représentent que 12 % des logements occupés par les étudiants pendant la période universitaire. Le logement pose globalement des difficultés majeures. C'est toujours vrai dans l'enquête 2020 : le montant du loyer est le premier poste de dépenses des étudiants, très variable en fonction du lieu de résidence et des caractéristiques de l'étudiant - qui peut être boursier ou non, recevoir ou non une aide de la famille... Dans ce domaine, il est nécessaire d'examiner l'ensemble des aides et des mesures de soutien, y compris l'aide personnalisée au logement (APL), qui sont parfois décalées par rapport à la réalité vécue par les étudiants, notamment dans les métropoles urbaines en raison du mode de logement.

Au-delà du constat de stabilité et d'amélioration - partielle mais importante -, des points de fragilité touchent à l'état de santé des étudiants. Ils sont apparus dès l'enquête 2016 et se trouvent très confortés en 2020. En arrière-plan, il faut avoir conscience que les étudiants se sentent et se perçoivent en bonne santé (70 % en 2020 contre 62 % en 2016). Le renoncement aux soins s'explique ainsi souvent par le fait qu'ils espèrent une amélioration spontanée de leur état de santé, ce qui est caractéristique d'une population jeune qui n'a pas forcément intégré les potentielles difficultés de santé. Cela change avec la crise sanitaire. L'évolution dans le domaine des fragilités psychologiques est par ailleurs frappante : la part des étudiants déclarant de telles fragilités est passée de 20 à 30 % entre 2016 et 2020. Le renoncement aux soins est passé à 33% pour des raisons financières. Nous faisons donc état d'une alerte, confirmée et amplifiée par les conséquences de la pandémie.

Pour l'OVE, l'exercice est compliqué et inédit : on faisait des constats sur la base de données très riches mais il se trouve que ceci s'est passé au printemps 2020. Nous n'avons pas pu anticiper une durée aussi importante de la crise, ni des effets de plus en plus importants au fur et à mesure des confinements, déconfinements et couvre-feux. Nous avons toutefois prévu, à l'avenir, d'exploiter les propos des étudiants grâce à des équipes de recherche (économistes et statisticiens) qui vont effectuer un travail approfondi.

Pour avancer et avoir une matière première plus utile sur la crise, nous avons relancé, auprès de 6 000 étudiants déjà contactés pour la première enquête de 2020, une enquête courte visant à percevoir ce qui leur arrivait. En ressortait, et en ressort encore, un bouleversement dans l'espace : l'unité de lieu entre formation, recherche dans les laboratoires et vie étudiante a disparu, ce qui déstructure totalement l'identité étudiante. On a entendu des mots très forts sur la « perte de sens ». Qu'est-ce qu'être étudiant, en effet, lorsqu'on ne peut plus ni aller en cours, ni se voir dans des lieux de socialisation et qu'on est coupé du lien avec l'enseignant-chercheur, ou qu'on est revenu dans sa famille ? Tout ceci est brassé dans un ensemble anxiogène dû à l'incertitude liée à la crise. Ces conditions de bouleversement se sont traduites dans les réponses à cette deuxième enquête.

Élise Tenret va vous présenter des éléments de réponse à la deuxième question, sur ce qui s'est passé et qui ressort de notre enquête sur le confinement.

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