Je veux dire un mot sur la situation économique. Dans un premier temps, l'arrêt des activités rémunérées a débouché sur un effet de sidération, qui d'ailleurs n'a pas touché exclusivement les étudiants. Mais on s'est vite aperçu que la situation économique générale et la difficulté des entreprises à se projeter avaient un impact immédiat sur la réponse qu'attendaient les étudiants. Ceux qui ont réussi à retrouver des « petits jobs » (livraison à domicile, etc.) s'en sont mieux sorti. En revanche, la situation a été beaucoup plus difficile pour les étudiants dont l'activité rémunérée reposait sur des formes plus solides d'emploi, comme parfois le salariat. Cette déstabilisation a coïncidé avec la nécessité de quitter un logement, en raison d'un loyer trop élevé par exemple.
Notre enquête montre que les étudiants évoquent un cumul de facteurs de stress et de faiblesse psychologique. La crise est multiforme, et ces dimensions qui s'entrechoquent ont toutes produit des effets en même temps. La fermeture des locaux universitaires, l'arrêt des activités rémunérées, et donc l'isolement et, finalement, la difficulté psychologique à le surmonter : tout ceci s'est cumulé dans un espace-temps très resserré. Cela ressort de façon évidente de notre deuxième enquête.
À cet égard, les étudiants ont reconnu les mesures d'urgence qui ont été prises. À la question de savoir s'ils estimaient avoir reçu beaucoup d'informations de la part de leur établissement, et suffisamment d'aides, la réponse était plutôt positive. Je parle ici du premier confinement : la situation s'est ensuite compliquée. Beaucoup ont rencontré des problèmes de connexion numérique, mais moins que ce qu'on pouvait penser. Cela s'est assez bien passé car les établissements ont réagi par des plans d'acquisition de matériels, et les collectivités territoriales sont montées en puissance pour aider à l'équipement des étudiants. En somme, face à cette situation, les acteurs de la vie étudiante se sont assez sensiblement et fortement mobilisés. Grâce aux établissements d'enseignement supérieur, qui ont particulièrement utilisé la contribution à la vie étudiante et de campus (CVEC), et grâce au ministère, qui a mis en place des aides via des centres régionaux d'oeuvres universitaires de scolaires (Crous) très réactifs dans le déploiement des dispositifs, le pire a été évité.
L'analyse de la situation qui prévaut depuis est plus complexe. Plus la crise dure et plus s'observe un double phénomène. Certains psychologues ont parlé d'un phénomène de glissement, comme on a pu l'évoquer pour les personnes âgées : une espèce d'usure et de fatigue - qui sort bien des témoignages que vous avez reçus - s'est installée. Elle n'était pas encore perceptible dans notre enquête sur le confinement. On observe ici un décalage, et nous avons l'intention de continuer l'analyse. Ces signes d'anxiété et de difficulté à organiser son temps personnel ne constituent pas une surprise : on constate des conséquences négatives similaires dans les premières études sur le télétravail. Les étudiants, en outre, ne se trouvaient pas dans un cadre de travail qui les aurait préparés à cela. Ils ont le sentiment général de ne plus savoir situer leur formation et les études qu'ils poursuivent. Cela remet en cause les choix d'orientation ou le fait de se projeter au-delà du master et d'aller en doctorat : tout est en train de bouger entre licence, master et doctorat. Les priorités ne sont plus perçues de la même façon, parce que l'avenir proche est incertain.
Cela me conduit à aborder la question du déroulement du confinement selon les différentes catégories d'étudiants. Il ne s'est bien sûr pas passé de la même façon pour tous. Des différenciations s'observaient déjà avant : elles se sont confirmées et développées. Certaines catégories ont plus souffert que d'autres : les étudiants étrangers ont été les premiers à être affectés, car ils ont été coupés de l'aide familiale, voire d'un petit travail qu'ils avaient trouvé en arrivant en France. Le soutien des pairs en leur faveur n'était, au surplus, pas autant organisé que ce que l'on a pu observer avec les associations françaises ou certaines filières, par exemple dans les instituts universitaires et technologiques (IUT). Ensuite, les étudiants les plus âgés (plus de 26 ans), engagés dans des études doctorales, ont, pour certains, perdu une source de revenus. Enfin, les étudiants primo-entrants à l'université ont été particulièrement touchés : la génération inscrite à la rentrée 2020 n'a rien connu de l'université. Les grandes écoles s'en sortent beaucoup mieux, pour des raisons évidentes d'encadrement pédagogique et d'organisation, avec un accompagnement personnalisé. Ce dernier constitue à la fois un défi et une nécessité absolue pour les universités. Finalement, les différences qui ressortent de notre enquête se sont clairement accentuées.