Bonsoir à tous, mesdames et messieurs les Sénateurs, je me propose de vous exposer notre vision du développement de la méthanisation sous forme d'injection de gaz ou de cogénération, ce qui recouvre une partie des thèmes que vous avez évoqués.
Nous allons publier avec les gestionnaires de réseaux de gaz, le 1er avril prochain, la cinquième édition de notre Panorama du gaz renouvelable, où figureront beaucoup des informations demandées dans votre questionnaire, à commencer par l'état du gaz sous ses diverses formes, sa répartition régionale, les perspectives de développement, ainsi qu'un « état de l'art » des nouveaux modes de production de gaz renouvelables, tels que la pyrogazéification (chauffage de déchets à plus de 1000 degrés en présence d'une faible quantité d'oxygène aboutissant à une conversion en gaz), le power-to-gas (production d'hydrogène par électrolyse de l'eau, combinée ensuite à du CO2, via le processus de méthanisation pour générer un méthane de synthèse) et la gazéification hydrothermale.
S'agissant, en premier lieu, de la situation du gaz renouvelable à fin de l'année 2020, on constate que les productions d'électricité en cogénération françaises représentent aujourd'hui un peu plus de 500 mégawatts/heure (MWh) de puissance installée, soit 0,6 % de la production d'électricité nationale. Ce secteur connaît une faible dynamique de développement, car les priorités publiques sont ailleurs.
Cela contraste, en effet, avec l'essor de l'injection de biogaz (devenu biométhane) dans le réseau de gaz, dont le nombre d'installations a bondi de 123 à 214 entre fin 2019 et fin 2020, pour atteindre une puissance installée de 4 térawatts/heure (TWh). Cela correspond, pour le moment, à une injection effective de seulement 2,2 TWh, en raison de la progressivité de la mise en service des capacités de production. La part du gaz renouvelable dans les réseaux n'atteint que 0,5 %, mais la « liste d'attente » - ou registre de capacité - compte presque 1 200 projets représentant l'équivalent d'une capacité de production de 26 TWh, dont un volume de 14 TWh a fait l'objet de contrats déjà signés (y compris les installations déjà en fonctionnement).
En second lieu, la stratégie française en matière de gaz renouvelable s'inscrit dans la stratégie nationale bas-carbone (SNBC), déjà présentée ici par Mme Sophie Mourlon, tablant, à l'horizon 2050, sur une baisse de la consommation globale de gaz, aujourd'hui d'environ 480 TWh par an, qui reviendrait dans une fourchette comprise entre 195 et 295 TWh par an.
La nouvelle programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) fixe un objectif de 6 TWh de biométhane injecté en 2023, puis de 14 à 22 TWh en 2028, ce qui est très décevant et inférieur aux dispositions de la précédente PPE de 2016. Ces chiffres apparaissent également déconnectés de la dynamique observée sur le terrain, susceptible de se traduire par 60 TWh en 2030. Qui plus est, aucun objectif n'a été fixé pour la pyrogazéification, même s'il est prévu un démonstrateur pour le power-to-gas en 2023. D'une façon générale, il est à noter que la programmation pluriannuelle de l'énergie, qui n'est qu'un texte réglementaire, est en passe d'entraîner un non-respect des dispositions votées par le législateur, dans le cadre de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.
En troisième lieu, les perspectives de développement de la méthanisation résident dans la priorité donnée à l'injection. Comme ce n'est pas possible sur tout le territoire, puisque le réseau de gaz n'est pas présent partout, la cogénération demeure toutefois une solution de valorisation.
S'il existe un tarif de rachat de la puissance électrique jusqu'à 500 KW/h pour la méthanisation, il n'existe plus aucun dispositif de rachat pour les installations de stockage de déchets non-dangereux et les stations d'épuration. Les appels d'offres de la CRE (Commission de régulation de l'énergie) n'ont pas été renouvelés : ce segment est donc complètement délaissé.
Le tarif de rachat pour l'injection établi en 2011, sur lequel s'est engagée la dynamique que j'ai précédemment décrite, a été abrogé, au profit d'un dispositif provisoire : il s'agit de l'arrêté du 23 novembre 2020 fixant les conditions d'achat du biométhane injecté dans les réseaux de gaz naturel. Le tarif définitif, qui ne s'appliquera qu'aux installations de méthanisation, fait actuellement l'objet de discussions avec la Commission européenne (DG Concurrence). Son contenu semble proche de celui de l'arrêté précité du 23 novembre 2020. La consultation officielle de la Commission européenne interviendra dans les prochaines semaines. Pour les stations d'épuration des eaux usées (STEP) et les installations de stockage non-dangereux, des discussions sont en cours entre la filière et la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) du ministère de la Transition écologique, mais il n'existe rien de plus abouti pour le moment.
La nouvelle formule de tarification prévoit :
- une baisse initiale du tarif de 1 à 15 % selon les catégories d'installations et les types de puissances, ce qui est important et pourrait mettre à mal le développement de la filière ;
- ensuite, une trajectoire de réduction du tarif d'achat de 2 % par an, comme pour la filière électrique ;
- une suppression des primes pour l'utilisation de biodéchets résidus ou pour l'utilisation de résidus et co-produits végétaux, agricoles et agroalimentaires, y compris les cultures intermédiaires à vocation énergétique (CIVE) ;
- en revanche, le maintien de la prime aux effluents d'élevage ;
- une diminution de 5 euros par MG/h en cas de subvention à l'investissement par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) ;
- un mécanisme de réduction dynamique du tarif d'achat, en fonction du volume de signatures de contrats d'entrée dans le registre de capacités.
Le nouveau tarif est réservé aux installations de moins de 300 Normo m3/h, ce qui correspond à peu près à une capacité de 25 GWh par an. Les autres projets de plus grande puissance devront passer un appel d'offres, sachant qu'aucun cahier des charges n'a été notifié à ce jour à la Commission européenne.
Pour atteindre et développer des volumes supplémentaires, la filière a proposé des mécanismes extrabudgétaires, consistant à ce que le budget de l'État compense le prix d'achat en fonction du prix du gaz sur le marché. Il existe notamment un dispositif de certificats verts émis par les producteurs de gaz proportionnellement au gaz naturel qu'ils livrent à leurs clients finaux, qui bénéficierait aux producteurs de plus de 300 normo m3 ne relevant pas des tarifs. Ces mécanismes extrabudgétaires constituent à nos yeux une solution très pertinente pour financer des projets, pourvu qu'ils soient couplés à des mesures incitatives portant sur l'ensemble de la chaîne du biométhane, et notamment sur l'aval, et que les ressources de l'État ainsi économisées se reportent intégralement sur les projets bénéficiant des mécanismes de soutien déjà prévus tels que les guichets ouverts et les appels d'offres à venir.
Enfin, on constate un basculement du soutien au gaz renouvelable vers une logique de rentabilité pour la collectivité, prenant en compte les externalités positives de la méthanisation, ce qui suppose de mettre en place des méthodologies robustes d'évaluation. Le comité stratégique de filière a ainsi identifié quatre externalités prioritaires :
- les émissions de gaz à effet de serre ;
- les charges liées au traitement des déchets ;
- la qualité de l'eau ;
- et la résilience des exploitations agricoles.