Madame la présidente, monsieur le président Rapin, monsieur le président Cambon, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de vous présenter ce soir les sujets qui seront à l’ordre du jour du Conseil européen de jeudi et vendredi prochains. Celui-ci, pour des raisons sanitaires, se tiendra en visioconférence, et c’est le Président de la République qui représentera notre pays.
Le premier sujet qui sera abordé, sans doute le plus longuement, est celui de la situation sanitaire liée à la crise de la covid, dans toutes ses dimensions. Nous étudierons en particulier comment mieux coordonner les mesures de gestion que peut prendre l’Europe et les réponses qu’elle peut apporter.
Pour être très clair, la priorité est simple : il faut accélérer la campagne de vaccination en Europe, augmenter l’approvisionnement en doses de vaccin. À cette fin, je suis convaincu qu’il est essentiel de maintenir le cadre européen d’acquisition de ces doses, cadre qui, à ce jour, est non pas un problème mais la solution. Néanmoins, il faut renforcer la pression sur les laboratoires, s’assurer de la bonne exécution des contrats et ne négliger aucun outil, aucun mécanisme, pour garantir le plus rapidement possible, de manière complète et équitable, l’approvisionnement de l’Union européenne et de ses États membres en doses de vaccin.
Vous le savez, un débat s’est fait jour voilà quelques semaines sur le contrôle des exportations de vaccin. Un tel mécanisme a été mis en place, notamment à la demande de la France, par les institutions européennes au début du mois de février. La France défend le principe de réciprocité et d’équité qu’a proposé la Commission européenne. C’est ce à quoi veille celle-ci au travers des contrôles systématiques qui sont exercés sur les livraisons effectuées depuis l’Union européenne. Je précise que le but n’est pas de les interdire, car tel ne serait pas notre intérêt dans la mesure où, ayant aussi besoin d’importer des doses, nous devons en permettre, dans certains cas, l’exportation.
C’est donc dans ce cadre européen que nous assurerons au mieux la défense de ces intérêts. Nous en discuterons donc jeudi et vendredi.
Vous le savez, afin de tirer les leçons de ce qui n’a pas été suffisamment anticipé et de ce qui s’est révélé insuffisamment efficace dans cette crise sanitaire, la Commission européenne a également proposé – là aussi, c’était une demande qu’avait formulée la France voilà plusieurs mois – de mettre en place une forme d’agence européenne s’inspirant du modèle de l’agence fédérale américaine, la Biomedical Advanced Research and Development Authority (Barda), dans le but de financer davantage, plus en amont et en prenant plus de risques, la recherche de solutions technologiques et médicales.
Si l’on veut être tout à fait honnête et transparent, il faut bien dire que c’est grâce à cela que les États-Unis d’Amérique ont pu obtenir un avantage décisif dans cette campagne de vaccination. C’est pourquoi nous devons en tirer les leçons pour l’Union européenne.
De fait, au mois de février, la Commission européenne a proposé de créer une autorité européenne de préparation et de réaction en cas d’urgence sanitaire, appelée HERA (Health Emergency Response Authority). De premiers financements ont été proposés en préfiguration de cette agence.
Sur ce front sanitaire et vaccinal, ce point sera donc également à l’ordre du jour du Conseil de la fin de semaine.
Dans cette crise, il est important aussi que les Européens continuent à faire preuve de fermeté, d’unité et de solidarité. Vous avez constaté les tensions qui sont parfois apparues entre États européens face aux difficultés sanitaires et vaccinales que nous rencontrons tous. Je note d’ailleurs qu’à deux exceptions près, aucun État européen, malgré les tentations, n’est sorti de ce cadre, car il n’existe pas de solution miracle pour trouver des doses « cachées ». Chaque pays a donc fait l’expérience qu’il était dans notre intérêt de demeurer dans le cadre européen, pour une plus grande sûreté sur les plans tant scientifique qu’industriel.
Quand un pays membre est confronté, ponctuellement, à d’importantes difficultés, notre intérêt à la fois sanitaire et géopolitique doit nous conduire à faire jouer la solidarité européenne. C’est ce que nous avons fait collectivement à l’égard de deux pays européens particulièrement touchés ces dernières semaines, la République tchèque et la Slovaquie.
Et puisque cette entraide européenne fait parfois moins de bruit dans les médias que d’autres gestes géopolitiques, je tiens donc à le souligner : c’est d’abord d’un soutien européen dont ont bénéficié ces deux pays et d’autres, comme l’Autriche, plutôt que de solutions externes à l’Union européenne.
Cette approche de solidarité doit aussi se penser à l’échelle internationale. C’est la raison pour laquelle la France défend depuis plusieurs mois, par la voix du Président de la République, l’idée que le vaccin doit être considéré comme un bien public mondial et que l’accès à celui-ci doit être progressivement généralisé, indépendamment des moyens financiers, des capacités industrielles ou sanitaires de telle ou telle région du monde.
Non seulement cela correspond à nos valeurs, mais c’est aussi notre intérêt pour que la pandémie ne continue pas de frapper l’ensemble de la population mondiale et donc, in fine, l’Europe et la France.
C’est notamment l’initiative Covax qui porte cette ambition de solidarité internationale. Financée à plus de 40 % par l’Union européenne, elle a déjà permis d’ailleurs d’assurer de premiers approvisionnements à destination de pays en développement, en particulier en Afrique.
Il faut également accélérer la campagne vaccinale et préparer l’avenir. C’est pourquoi le Conseil européen se penchera sur l’après-crise sanitaire, qui devra être gérée de manière coordonnée. C’est notre devoir d’Européens d’anticiper et de coordonner ensemble, notamment – rêvons un peu – la levée progressive des mesures restrictives de circulation, mieux que nous ne l’avons fait après la première vague de la pandémie, l’été dernier.
C’est dans cet esprit que, le 17 mars dernier, la Commission européenne a proposé de créer un « certificat vert numérique », qu’on appelle parfois « pass sanitaire ». Selon nous, cette proposition va dans la bonne direction.
Cette solution de pass sanitaire n’est certes pas pour aujourd’hui. Nous avons dit à plusieurs reprises qu’elle était prématurée, ce qu’a répété le Président de la République lors du dernier sommet européen. Mais nous devons l’anticiper.
Deux critères principaux doivent être retenus.
D’une part, cette solution doit être européenne pour nous préserver de solutions nationales non coordonnées, voire incohérentes ou contradictoires, ce qui ne serait dans l’intérêt d’aucun pays. C’est ce vers quoi tend la proposition qu’a formulée le commissaire Thierry Breton voilà quelques jours.
D’autre part, cette solution ne doit pas reposer sur le seul vaccin car, même si nous nous employons à ce que la campagne de vaccination s’accélère partout en Europe, il est évident qu’à l’été, elle n’aura pas encore été généralisée à l’ensemble de la population, en particulier aux jeunes. Et donc opérer une discrimination entre générations et entre catégories d’âge serait une approche injuste. C’est aussi pour cette raison que la proposition de la Commission européenne intègre comme preuve sanitaire non seulement le vaccin, mais aussi d’autres éléments, comme un test négatif ou une infection préalable à la covid, laquelle apporte une protection au moins pour quelques mois.
Autre enjeu de ce Conseil européen, au-delà de l’après-crise sanitaire : renforcer notre économie, faire face aux conséquences de cette crise en poursuivant la construction d’une autonomie stratégique de l’Europe, redonner aux secteurs économiques les plus touchés une ambition européenne plus forte. Seront donc évoquées les questions de politique industrielle et le marché unique.
La France défend en l’espèce, depuis plusieurs années, un certain nombre de priorités, notamment le renforcement de notre politique commerciale qui, tout en restant ouverte vers le monde extérieur, doit être capable de garantir une meilleure lutte antidumping, une meilleure autonomie stratégique, l’équité dans l’accès aux marchés publics.
Nous demanderons une nouvelle fois, à l’occasion de ce Conseil européen, que soit relancé le travail législatif au niveau de l’Union européenne.
Nous défendrons aussi, dans cet esprit de reconstruction économique, l’accélération des plans de relance, du plan de relance européen en particulier. Voilà maintenant six semaines, votre assemblée a voté les ressources propres permettant de financer ce plan ; cependant, il reste encore quatorze pays européens qui doivent faire de même. C’est aussi ce message d’urgence et d’accélération que nous ferons passer.
Dans ce débat sur le marché unique et sur le renforcement de notre économie, un point spécifique sera consacré à la question du numérique.
Vous le savez, depuis maintenant plus de trois ans, la France porte l’ambition d’une taxation juste des entreprises du numérique, qui, souvent, échappent à quasiment toute imposition. Il y a un peu plus de deux ans, les pays européens ont collectivement pris la décision de renvoyer ces travaux à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). La nouvelle administration américaine a adressé des signaux positifs en faveur de leur reprise dans un tel cadre international.
Néanmoins, il faut être très clair : si ces travaux n’aboutissent pas ou, dans le cas où ils aboutiraient, s’ils doivent faire l’objet de précisions, nous devrons reprendre le fil des discussions européennes dès la fin du premier semestre 2021. Nous attendons d’ailleurs de la Commission européenne une proposition législative sur de nouvelles ressources propres budgétaires, notamment une taxe numérique au niveau européen. Ce sera là sans doute un point de débat difficile de ce sommet européen, mais nous devrons à nouveau porter cette initiative.
Le Conseil européen sera l’occasion de discuter de l’agenda international. Plusieurs points ont été renvoyés à ce sommet, cependant qu’un nouveau – je le signale à votre assemblée – vient de s’ajouter à cet agenda : le président du Conseil européen, Charles Michel, a annoncé cet après-midi que le président américain Joe Biden serait, en fin de journée jeudi, connecté à la visioconférence des chefs d’État et de gouvernement pour un échange sur la nouvelle relation transatlantique.
Plusieurs points étaient déjà à l’ordre du jour de ces échanges, notamment une question relative à la Turquie. Nous avons demandé, au mois de décembre, au Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, de faire un point complet de la relation entre l’Union européenne et la Turquie pour étudier les signaux adressés par celle-ci après la pression que les Vingt-Sept, la France en tête, avaient exercée sur elle à la suite du Conseil européen qui s’est tenu à la fin de l’année 2020.
Vous le savez, ces signaux sont ambigus et parfois contradictoires. Certains, il faut le reconnaître, sont positifs.
Ainsi, en Méditerranée orientale, les forages illégaux ont, à ce stade, cessé et des bateaux qui menaçaient de porter atteinte à la souveraineté de la Grèce ou de Chypre ont été retirés des eaux concernées. A contrario, dans d’autres domaines, qui touchent à son paysage politique et partisan, la Turquie a adressé ces derniers jours encore des signaux préoccupants. Ce week-end, dans un registre différent mais tout aussi préoccupant, elle a annoncé se retirer de la convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, une décision que, avec Jean-Yves Le Drian et Elisabeth Moreno, nous avons profondément regrettée.
Par conséquent, Josep Borrell fera donc un point aussi transparent et complet que possible. Si besoin était, nous avons préparé des mesures restrictives, mais nous donnerons sans doute jusqu’au mois de juin à la Turquie pour clarifier sa position, pour marquer sa volonté de dialogue ou d’escalade. Nous restons ouverts au dialogue, mais l’Europe se prépare à faire preuve de fermeté, si nécessaire, dans la continuité de celle qu’a fait prévaloir la France ces derniers mois.
Une même approche de dialogue et de fermeté sera poursuivie à l’égard de la Russie. Un point sur cette question est également inscrit à l’ordre du jour de ce Conseil européen.
J’ajoute un dernier élément.
Un sommet entre l’Union européenne et l’Inde étant prévu au mois de mai, sous la présidence portugaise, la France souhaite ajouter à la discussion de l’agenda international un point sur la région indo-pacifique, dans le but de construire une stratégie européenne à destination de cette zone. Ces derniers jours, les États-Unis et le Royaume-Uni, en manifestant une volonté d’implication plus forte, ont signifié que cet espace géopolitique était pour eux une priorité. Le souhait de la France est que l’Europe manifeste une pareille ambition.
Pour conclure, je veux indiquer que, voilà quelques jours, un accord a enfin été trouvé pour le lancement de la Conférence sur l’avenir de l’Europe.
Même s’il ne fera pas l’objet d’une discussion entre les chefs d’État et de gouvernement, il s’agit là d’un point d’actualité important. Il devrait trouver dans les prochaines semaines une traduction concrète puisque le 9 mai seront lancés les premiers débats entre les trois institutions européennes. Seront sollicitées les contributions de l’ensemble des parlements nationaux, de l’ensemble des gouvernements des États membres et de toute autre instance – association, fédération, etc. – qui souhaiterait, pour une année, participer à ce débat sur les orientations à long terme de l’Union européenne.
Puisque nous parlions de l’après-crise, nous devrons aussi réfléchir aux réformes importantes qui pourront être mises œuvre au sein de l’Union européenne, et dont la présidence française aura à connaître à partir de 2022.