Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen abordera évidemment la nouvelle relation euro-britannique, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle connaît en ce moment une phase critique.
Il va falloir empêcher la dérive politique et symbolique du Royaume-Uni, loin de notre continent. L’année dernière, Boris Johnson avait remis en cause le protocole irlandais au mépris de la signature britannique. Certes, il s’est ravisé in extremis pour arracher un accord commercial, mais on sait que les partis unionistes d’Irlande du Nord n’en contestent pas moins les contrôles en mer d’Irlande qu’implique le marché unique.
Et voilà maintenant que le Royaume-Uni revient à nouveau sur ses engagements, en prolongeant de six mois la dispense provisoire de contrôle sanitaire des produits agroalimentaires passant de la Grande-Bretagne à l’Irlande du Nord !
L’Union européenne vient certes de mettre en demeure le Royaume-Uni de renoncer à cette décision illégale, mais la question très sensible de la frontière irlandaise s’est déjà envenimée avec la tentative avortée des autorités européennes d’y contrôler les livraisons de vaccins au Royaume-Uni.
Et c’est à juste titre que l’Union européenne exige maintenant que les livraisons de vaccins prévues aux contrats soient honorées : la Commission devrait adresser une mise en demeure au groupe AstraZeneca, afin que ses usines britanniques livrent enfin les Vingt-Sept.
L’Europe a passé les contrats nécessaires ; elle ne peut accepter de plus grands retards dans la vaccination. Monsieur le secrétaire d’État, il y va de la crédibilité des institutions européennes ; elles ont là l’occasion de montrer le visage d’une Europe qui protège et non d’une Europe qui échoue.
Au-delà de la dimension sanitaire, il y a évidemment un enjeu politique considérable dans ce dossier.
Dans cette perspective, il faut souligner à nouveau l’importance du Royaume-Uni dans la défense européenne, au moment où les Vingt-Sept élaborent leur « boussole stratégique » et où ce pays, de son côté, publie sa Revue stratégique.
Désormais, les membres de l’Union européenne ne représentent plus que 20 % des dépenses militaires des pays membres de l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique Nord), comme se plaît à le rappeler son secrétaire général, Jens Stoltenberg.
Monsieur le secrétaire d’État, vous le savez, la question de la défense européenne mobilise notre assemblée de manière constante. Sur ce sujet, il est naturellement indispensable de préciser la relation de l’Union européenne avec l’OTAN. Le Président de la République, je n’en doute pas, aura à cœur de le faire.
L’Union européenne peut et doit améliorer sa résilience et sa capacité de défense pour conquérir son autonomie. Que les États-Unis réinvestissent l’OTAN, tant mieux ! Qu’ils aient un regain de considération pour l’Europe, tant mieux ! Que l’Organisation se préoccupe du flanc sud de l’Europe, tant mieux !
Mais prenons garde que les Européens, trop heureux d’éprouver à nouveau la solidité du parapluie de l’OTAN, se laissent entraîner dans cette dangereuse confrontation qui se profile entre les États-Unis et la Chine : l’amitié et la solidarité ne sont pas l’alignement.
Enfin, l’Union européenne est, par exemple, bien mieux placée que l’OTAN pour sanctionner les actes hostiles d’une Turquie membre de l’Alliance.
Les travaux sur la « boussole stratégique » offrent peut-être une fenêtre pour nous entendre afin d’organiser notre sécurité et notre défense conformément à nos valeurs et à nos intérêts. Du reste, cela n’est pas contradictoire avec le rôle dévolu à l’OTAN.
Je sais pouvoir compter sur vous, monsieur le secrétaire d’État, pour que la France s’investisse pleinement dans cette démarche de la « boussole stratégique », que nous suivons pas à pas.
Cette démarche pourra s’enrichir d’une étude bienvenue, à savoir la vision pour la transformation numérique de l’Europe d’ici à 2030, que le Conseil des ministres va examiner.
Qu’il s’agisse d’intelligence artificielle, de stockage des données ou de cybersécurité, l’enjeu du numérique est fondamental pour l’autonomie stratégique de l’Union. Il irrigue tous les domaines de la défense et de la sécurité, mais aussi notre tissu industriel et de recherche. L’Union européenne peut encore rester dans la course si elle a la volonté d’avancer.
Concernant la cybersécurité, les dernières attaques dont les États-Unis ont été victimes montrent la prégnance de la menace cyber.
Je l’observe avec soulagement : l’Europe est de plus en plus lucide sur le mélange de menaces et d’opportunités que représente le numérique.
Autre sujet majeur abordé au Conseil : la Turquie.
Monsieur le secrétaire d’État, gardons-nous de lui envoyer des signaux trop positifs ! Certes, elle a retiré son navire de forage Oruç Reis de la zone de recherche en mer Égée, et fait de l’adhésion à l’Union européenne une « priorité stratégique » ; certes, elle a entamé des concertations exploratoires avec la Grèce. Mais ses refus d’inspection dans le cadre de l’opération Irini, son attitude en Libye, sa réaffirmation de l’illégitimité du droit de la mer et une tension qui reste palpable en Méditerranée orientale doivent nous laisser sur nos gardes.
Vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État, le retrait de la Turquie, annoncé samedi, de la convention d’Istanbul sur les violences faites aux femmes montre que, derrière les paroles apaisantes, les désaccords de fond sont profonds. Puissent les discussions sur le rapport que le Haut Représentant de l’Union européenne doit présenter sur la Turquie être à la hauteur de ces enjeux !
L’Union européenne doit aussi affiner sa doctrine quant à l’approche du dossier russe. Vous connaissez la position du Sénat : nécessaire fermeté, mais ouverture permanente au dialogue avec ce grand voisin et défense de nos intérêts économiques.
Sur tous ces sujets, monsieur le secrétaire d’État, vous avez notre confiance, mais le chemin est encore bien long et nécessite du courage pour faire advenir une Europe plus forte, plus unie et plus autonome.