Intervention de Jean Arthuis

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 24 mars 2021 à 10h30
Audition de M. Jean Arthuis président de la commission sur l'avenir des finances publiques

Photo de Jean ArthuisJean Arthuis, président de la commission sur l'avenir des finances publiques :

Merci monsieur le président, je vais donc revenir sur les différents thèmes évoqués par les uns et les autres.

Tout d'abord je voudrais dire, notamment au rapporteur général, que nous nous sommes interdit de nous substituer à la décision politique. Les élections légitiment un projet, ainsi que celles et ceux qui auront pour charge de le mettre en oeuvre.

Nous avons voulu nous placer au niveau de la méthode et des instruments. Plusieurs parmi vous ont évoqué la règle d'or qui, dans la Constitution, poserait un principe dont le respect serait vérifié par le Conseil constitutionnel. Nous nous sommes posé cette question, mais finalement nous avons pensé que pour modifier la Constitution, il faut un investissement d'énergie politique dont on n'est jamais certain qu'il aboutisse au résultat souhaité.

J'ai bien conscience que l'exercice auquel nous nous sommes livrés a été précédé par un certain nombre de rapports dont les enseignements n'ont pas toujours été respectés. Nous avons donc plutôt essayé de définir quelques principes. S'agissant de la règle d'or, une modification de la Constitution avait été approuvée par les deux assemblées, mais le projet n'avait pas abouti, le président de la République anticipant un nombre de voix insuffisant au Congrès. Mais si vous pensez demain qu'il y a une chance d'obtenir un accord au plan constitutionnel, je vous encouragerai dans cette voie, avec toutefois une mise en garde : une fois dans la Constitution, la règle devient extrêmement rigide. Or dans une crise comme celle que nous traversons, il faut une « escape clause » comme le prévoient les traités européens, sans quoi cela ne fonctionne pas. On peut prévoir toutes les règles constitutionnelles, mais derrière ces règles il faut une adhésion populaire, une révolution culturelle, et une appropriation des enjeux par les Français eux-mêmes.

Un État surendetté est-il un État totalement indépendant ? Pensez-vous que le Premier ministre grec était souverain quand il a été contraint de mettre en place un programme d'ajustement alors que le peuple grec, une semaine avant, s'était exprimé à une très large majorité contre ce dernier dans le cadre d'un référendum ? Quand on parle de la dette publique, on parle aussi de la souveraineté. Bien sûr, les États-Unis peuvent engager un programme de 1 900 milliards de dollars en émettant des dettes. Mais la France a saturé ses marges de manoeuvre sur le plan de la dépense et l'Europe n'est pas un État fédéral. L'Europe reste une addition de dettes souveraines nationales. Nous avons l'euro comme bouclier mais nous devons prendre en compte les divergences entre États.

Vous m'avez interrogé sur les règles budgétaires. Les cibles de 3 % de déficit et de 60 % de dette ont été fixées dans un monde où les taux d'intérêt étaient de 5 %. C'était une façon de s'assurer que les dépenses primaires seraient à l'équilibre et que c'est la charge de la dette qui représenterait les 3 %. C'est le souvenir que j'en ai. Quel a par la suite été le problème ? C'est que l'on a décidé de passer à la monnaie unique mais sans partager d'autres souverainetés. L'Europe, c'est un marché unique et une souveraineté monétaire mais sans gouvernement européen. Comment faire vivre une monnaie orpheline d'État ? L'Allemagne et les pays du Nord ont eu peur que les pays du Sud fassent marcher la planche à billet. L'Allemagne a même une phobie de l'inflation, du fait de son histoire. Dans ce contexte, les règles budgétaires, c'est en quelque sorte notre règlement de copropriété. Force est toutefois de constater qu'il n'a pas bien fonctionné, notamment parce que les comptes publics étaient établis souverainement au niveau national. On s'est aperçu que les comptes grecs n'étaient pas sincères. Chacun était un peu complice de ce système. En posant la question du budget de la zone euro, vous posez donc une question fondamentale mais qui appelle une révision des traités, ce qui nécessite l'unanimité. Nous avons choisi une approche plus pragmatique.

Nous n'avons pas voulu non plus nous substituer à la volonté politique, tranchée à l'occasion des élections. Nous voulons simplement que les Français s'emparent de cette problématique budgétaire pour qu'ils mettent la pression sur les hommes politiques et les partenaires sociaux. Car nous avons quand même des facteurs de conservatisme assez forts. Nous sommes un pays hypercentralisé et hyperadministré, ce qui suppose des contrôles à tous les étages, dans un climat de méfiance. On ne règle pas uniquement les problèmes avec des crédits budgétaires. Nos problèmes sont d'abord des problèmes de gouvernance. En tant que président du conseil de surveillance d'un hôpital public, je peux vous dire que les gestionnaires n'ont aucune prise sur les praticiens. Ne faudrait-il pas davantage de coordination ? Sans doute faut-il aller vers plus de déconcentration et de décentralisation. Mais ce n'était pas notre mission. Je vous rappelle aussi que nous étions dix au départ et que nous voulions être dix à l'arrivée pour adopter les conclusions de ce rapport.

Vous avez posé des questions sur les recettes. Très franchement, même rétablir l'impôt sur la fortune rapporterait 3 milliards d'euros. C'est sans rapport avec les problèmes que nous avons à résoudre. En revanche, nous avons dit qu'il ne fallait pas baisser les impôts. On peut vouloir baisser certains impôts ou cotisations qui sont des facteurs de délocalisation, mais il faut alors augmenter d'autres impôts, pour maintenir le niveau des prélèvements obligatoires.

Sur les règles européennes, il faut rappeler que nous sommes dans une situation budgétaire singulière. Il nous faut fixer nos propres règles sans attendre pour préserver notre crédibilité. Au niveau européen, le critère de la dette devra incontestablement être revu. Mais il faut poser le principe de l'équilibre des comptes publics hors période de crise.

Venons-en aux collectivités locales. Elles sont tenues par des règles comptables qui les mettent à l'abri de la dérive. Le problème, c'est qu'on a décentralisé tout en supprimant les impôts locaux car ce sont pratiquement les seuls que les citoyens ont l'impression de payer. Peut-être qu'il faudra revoir cela mais la difficulté est qu'il y a énormément de collectivités locales. J'ai conscience que dans cette maison ce n'est pas un sujet facile à traiter. Pensez-vous que toutes les communes aient les moyens d'assumer davantage de compétences ? D'autres pays se sont engagés dans la création de communes nouvelles. J'ai essayé de fusionner quatre communes en 1989, c'était la campagne la plus dure que j'ai menée. La relation entre l'État et les collectivités est compliquée car ces dernières sont dépendantes pour leurs ressources de celui-ci et que l'État oriente les dépenses. Mais les règles comptables et financières des collectivités territoriales sont irréprochables.

Si nous suggérons l'extension des contrats de Cahors, c'est que cela a bien fonctionné et qu'il nous paraît donc logique d'élargir leur champ d'application.

L'État fait des efforts, mais il est trop centralisé. Il donne beaucoup d'instructions aux maires. Mais avec le principe de précaution, face à des situations dramatiques, les membres du gouvernement et de l'administration prescriptive et responsable ont le souci d'éviter de se retrouver mis en cause devant une juridiction. C'est la conséquence des législations qui ont été votées.

Il faut une révolution culturelle, qui touche aussi la gouvernance publique.

Ne faut-il pas revoir la manière dont on travaille au Parlement ? Je me souviens qu'on passait beaucoup de temps sur le budget, sans que cela conduise à beaucoup d'améliorations. Dans certains pays on vote le budget en quelques jours, et un seul ministre vient le présenter. Nous avons nos habitudes et nos procédures, nous présentons des rapports, mais peut-être faut-il revoir la gouvernance du Parlement.

Nous avons cherché à faire un rapport assez court et pédagogique. Le débat sur la dette va arriver devant l'opinion publique. Quant aux dépenses à réduire, il faut prendre le temps de les identifier, car c'est principalement sur les transferts sociaux que la France a des engagements : les retraites, l'assurance-chômage, etc. Le périmètre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) ne devrait-il pas être étendu à l'Unedic, puisque l'État intervient lorsque cet organisme est en déficit ?

Un tableau global des recettes et des dépenses publiques permettrait de mettre en évidence les grandes masses. Une remise en cause des transferts sociaux est difficile, mais il faudra bien que le prochain quinquennat se préoccupe de la question des retraites.

Sur le plan européen, c'est la crédibilité du pays qui est en cause. Comment la France peut-elle faire valoir son point de vue auprès de ses partenaires si sa situation financière est préoccupante ? Tous les ans, nous envoyons à la Commission européenne un programme de stabilité, que nous ne respectons jamais ; la France se singularise.

Nous n'avons pas voulu fixer des voies définitives, car nous n'avions pas pour mission de nous substituer aux politiques. Cela aurait d'ailleurs rendu l'adoption du rapport plus difficile, compte tenu de la composition de notre groupe. Ainsi, s'agissant des impôts de production, je pense pour ma part qu'il faut les revoir pour permettre la réindustrialisation du pays et l'emploi : la mondialisation a changé la donne, de manière corrosive pour l'emploi et le tissu économique.

Nous suggérons certaines modifications de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), dans l'esprit des propositions faites par le président et le rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale. Nous n'avons pas proposé de réforme constitutionnelle, ni de remise en cause du principe de libre administration des collectivités locales.

Nous insistons sur la pluriannualité, parce qu'une visibilité sur cinq ans est nécessaire pour engager de vraies réformes structurelles dans les administrations.

S'agissant des investissements des collectivités locales, je pense qu'il serait bon de leur permettre de faire des provisions lorsqu'elles font des excédents, afin de limiter plus tard le recours à l'emprunt lorsque des investissements importants sont lancés.

Au total, l'État-providence a bien fonctionné dans des circonstances dramatiques, mais son avenir est désormais en question. Une transformation radicale est peut-être nécessaire pour assurer son avenir.

Faut-il contracter de nouveaux emprunts ? Il faudrait alors se demander à quel niveau on stabilisera la dette, et comment réagiraient les partenaires européens qui ont fait d'autres choix. Il ne faut pas déstabiliser le fonctionnement de la zone euro : l'écart de niveau d'endettement entre la France et l'Allemagne est considérable.

S'agissant de la maturité de la dette, la France a déjà allongé celle-ci de manière importante, à plus de huit ans. La Grande-Bretagne a une maturité de dette de dix-huit ans, mais elle la finance par des fonds d'investissements pour les retraites, ce qui n'est pas notre cas. Ceux qui souscrivent les titres de dette française vont les porter à la Banque centrale européenne : si elle n'était pas acheteuse, le marché serait-il autant demandeur de nos titres ?

Nous proposons que la « vigie » soit indépendante, parce que la Cour des comptes fait de l'audit a posteriori. Il faudrait d'ailleurs s'intéresser plus au compte général de l'État, par-delà les 22 000 pages de documents budgétaires produits actuellement. La « vigie » est plutôt portée sur l'avenir et la prévision et seuls deux pays de l'OCDE sur vingt, à savoir la Finlande et la France, confient cette mission à la Cour des comptes.

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