Je suis professeur émérite de médecine, spécialiste en immunologie et sur les maladies émergentes. J'ai beaucoup travaillé sur le sida et le VIH. Je suis aussi un médecin engagé et j'ai toujours une consultation à l'hôpital Bicêtre. Lors de ma carrière, j'ai travaillé sur la transmission du VIH de la mère à l'enfant pour traiter les mamans par des antirétroviraux ; j'ai contribué à l'arrivée des trithérapies pour lutter contre le VIH, ainsi qu'à la mise en place des traitements pour éradiquer l'hépatite C. Les autorités françaises m'ont confié la direction l'Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS), puis nommé délégué interministériel de de la lutte contre le virus Ebola et, enfin, président du CCNE, depuis 2016.
Mon premier mandat a été consacré, dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique, à la préparation et à la mise en place des états généraux de la bioéthique - c'était la première fois que le CCNE assurait cette mission -, afin de construire une forme d'intelligence collective, en intégrant à la fois la vision des experts et des citoyens, sur des sujets scientifiques complexes, mais aussi sur la relation entre la science et la société, avant que des décisions politiques ne soient prises. J'ai eu l'occasion de venir au Sénat vous rendre compte de nos travaux. Cette démocratie en santé me paraît fondamentale, y compris après la crise de la covid. La science est fondamentale, mais n'est pas suffisante et toutes ses avancées ne sont pas bonnes en tant que telles.
J'ai aussi cherché à positionner le CCNE au niveau international, davantage qu'il ne l'était, afin de porter la voix de la bioéthique française à l'Organisation mondiale de la santé (OMS), dont je fais partie du comité d'éthique, ou à Bruxelles. Nous nous sommes ainsi prononcés, avec succès, contre la suppression, qui était envisagée avant la crise de la covid, du poste de commissaire européen à la santé, pour ne conserver, sous la pression des grands laboratoires, qu'un commissaire à l'innovation.
Puis est arrivée la covid. Le CCNE a rendu son premier avis le 13 mars 2020. Ayant été nommé président du Conseil scientifique, je me suis mis en retrait de la présidence du CCNE. En quatre ans, le CCNE a publié quatorze avis, signe de la vitalité de cette instance : les liens entre la biodiversité et la santé, la santé des migrants au regard de l'exigence éthique, les enjeux éthiques du vieillissement, le numérique et la santé, les enjeux éthiques des modifications ciblées du génome - à propos notamment des nouvelles techniques de type Crispr-Cas 9 -, l'adoption ou encore l'accès aux innovations thérapeutiques. La force du CCNE est son caractère pluridisciplinaire, qui lui permet de construire une réflexion sur la base de l'intelligence collective.
Je suis candidat à un nouveau mandat car je souhaite accompagner son évolution vers un CCNE 2.0 : si le CCNE doit continuer à exercer ses missions actuelles et sa réflexion de long terme sur les enjeux éthiques, il doit aussi s'adapter. La prochaine loi sur la bioéthique devrait accroitre ses missions, en lui confiant le rôle de construire le débat éthique de manière continue. À cet égard, nous pouvons nous appuyer sur l'expérience des états généraux : nous avons organisé plus de 350 réunions en région et plus de 300 auditions, créé un site web, etc. L'enjeu était de s'ouvrir à la société civile et aux territoires. C'est une dimension qui m'est chère pour éviter que le CCNE ne soit coupé des territoires et ne se réduise à un club d'intellos parisiens. Il est crucial d'associer la société civile aux réflexions sur les grandes questions qui la concernent. Pour cela, nous nous appuyons déjà sur le réseau des espaces de réflexion éthique dans les régions (ERER) et sur leur conférence nationale (CNERER). Les avis du CCNE sur la vaccination, qui seront publiés sous peu, ont ainsi été élaborés en collaboration avec ce réseau. Il est essentiel que santé rime avec démocratie. Le citoyen a son mot à dire, non seulement sur sa maladie, s'il est malade, mais sur les enjeux sociaux de la santé.
La loi prévoit un élargissement des missions du CCNE, autour de l'articulation entre l'environnement ou le numérique et la santé, par exemple. Édouard Philippe nous avait demandé, dans une lettre de mission de juillet 2019, de construire un comité pilote du numérique. Celui-ci a été installé dans les mêmes locaux que le CCNE. Deux pistes d'évolutions existent : faut-il créer un comité d'éthique numérique indépendant du CCNE ou bien faut-il aller plus loin, en construisant un grand comité d'éthique national, avec différentes sections sur la santé, le numérique, l'environnement, etc. Rien n'est tranché. C'est pour achever ce chantier que je suis candidat. Une loi sera nécessaire. Une grande structure aurait des avantages, mais ce changement de dimension, qui transformerait le CCNE en une sorte d'agence davantage qu'en une structure de réflexion, est-il pour autant souhaitable ?
Enfin, il faut continuer à affirmer la place du CCNE à l'international. La plupart des pays n'ont pas de comité d'éthique du numérique, alors que la plupart ont repris notre modèle de CCNE ; le Japon va ainsi s'inspirer de nos états généraux pour préparer une loi de bioéthique. La France est donc pionnière en la matière et peut faire porter sa voix pour tracer un chemin entre la vision anglo-saxonne et la vision asiatique, hors Japon. L'éthique devrait aboutir à une vision partagée, au moins au niveau européen, mais ce n'est toujours le cas. Il faut profiter de la présidence française de l'Union européenne l'an prochain pour mettre la question éthique au coeur du débat et commencer à tirer les conséquences de la crise sanitaire.
Je me suis mis en retrait de la présidence du CCNE entre le 13 mars et le mois de juillet. J'avais demandé à quitter la présidence du Conseil scientifique, mais le Parlement a souhaité le prolonger. La procédure de renouvellement du CCNE est très longue - on se croirait dans Courteline... - et je ne pouvais l'abandonner dans ces conditions. C'est pour cela que j'ai repris la présidence. Le CCNE a publié sept avis pendant la crise sanitaire.
Le CCNE est une belle instance, peut-être encore un peu méconnue. Des points peuvent être améliorés. La prise en compte du numérique est un enjeu. Il est aussi fondamental d'affirmer la voix de la France au niveau international sur l'éthique. Dans cet esprit, un groupe de travail a été créé sur les enjeux éthiques de la santé publique. La crise a révélé des tensions fortes, intergénérationnelles par exemple. Il faut réfléchir à ces questions qui concernent l'avenir de notre société.