Commission des affaires sociales

Réunion du 24 mars 2021 à 11h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • CCNE
  • comité
  • généraux
  • loi de bioéthique
  • réflexion
  • scientifique
  • vision
  • éthique

La réunion

Source

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

En application de l'article 13 de la Constitution, nous entendons ce matin M. Jean-François Delfraissy, candidat proposé par le Président de la République pour le renouvellement de son mandat à la présidence du Comité consultatif national d'éthique (CCNE). Je salue les commissaires qui assistent à cette réunion à distance. Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.

Je rappelle que cette nomination ne sera effective qu'en l'absence d'opposition des commissions parlementaires compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat dans les formes prévues par la Constitution. Si l'addition des votes négatifs de chaque commission représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés, le Président de la République ne pourrait pas procéder à cette nomination. À l'issue de l'audition, nous procéderons immédiatement au vote pour lequel les délégations ne sont pas autorisées, ainsi qu'au dépouillement, de manière simultanée avec l'Assemblée nationale, qui a procédé à cette même audition plus tôt dans la matinée.

Monsieur Delfraissy, vous êtes devenu l'une des figures de la gestion de cette crise sanitaire et êtes sans doute plus connu de nos concitoyens en votre qualité de président du Conseil scientifique sur la covid-19 que comme président du CCNE, où vous avez été nommé le 4 janvier 2017 pour un mandat de deux ans. Notre commission vous a entendu à ce titre en décembre 2016, puis en janvier 2019. Je vous laisse la parole pour présenter votre bilan et les perspectives que vous envisagez pour le CCNE pour les prochaines années, avant que nos collègues ne vous adressent leurs questions.

Debut de section - Permalien
Jean-François Delfraissy, candidat proposé par le Président de la République à la présidence du Comité consultatif national d'éthique

Je suis professeur émérite de médecine, spécialiste en immunologie et sur les maladies émergentes. J'ai beaucoup travaillé sur le sida et le VIH. Je suis aussi un médecin engagé et j'ai toujours une consultation à l'hôpital Bicêtre. Lors de ma carrière, j'ai travaillé sur la transmission du VIH de la mère à l'enfant pour traiter les mamans par des antirétroviraux ; j'ai contribué à l'arrivée des trithérapies pour lutter contre le VIH, ainsi qu'à la mise en place des traitements pour éradiquer l'hépatite C. Les autorités françaises m'ont confié la direction l'Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS), puis nommé délégué interministériel de de la lutte contre le virus Ebola et, enfin, président du CCNE, depuis 2016.

Mon premier mandat a été consacré, dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique, à la préparation et à la mise en place des états généraux de la bioéthique - c'était la première fois que le CCNE assurait cette mission -, afin de construire une forme d'intelligence collective, en intégrant à la fois la vision des experts et des citoyens, sur des sujets scientifiques complexes, mais aussi sur la relation entre la science et la société, avant que des décisions politiques ne soient prises. J'ai eu l'occasion de venir au Sénat vous rendre compte de nos travaux. Cette démocratie en santé me paraît fondamentale, y compris après la crise de la covid. La science est fondamentale, mais n'est pas suffisante et toutes ses avancées ne sont pas bonnes en tant que telles.

J'ai aussi cherché à positionner le CCNE au niveau international, davantage qu'il ne l'était, afin de porter la voix de la bioéthique française à l'Organisation mondiale de la santé (OMS), dont je fais partie du comité d'éthique, ou à Bruxelles. Nous nous sommes ainsi prononcés, avec succès, contre la suppression, qui était envisagée avant la crise de la covid, du poste de commissaire européen à la santé, pour ne conserver, sous la pression des grands laboratoires, qu'un commissaire à l'innovation.

Puis est arrivée la covid. Le CCNE a rendu son premier avis le 13 mars 2020. Ayant été nommé président du Conseil scientifique, je me suis mis en retrait de la présidence du CCNE. En quatre ans, le CCNE a publié quatorze avis, signe de la vitalité de cette instance : les liens entre la biodiversité et la santé, la santé des migrants au regard de l'exigence éthique, les enjeux éthiques du vieillissement, le numérique et la santé, les enjeux éthiques des modifications ciblées du génome - à propos notamment des nouvelles techniques de type Crispr-Cas 9 -, l'adoption ou encore l'accès aux innovations thérapeutiques. La force du CCNE est son caractère pluridisciplinaire, qui lui permet de construire une réflexion sur la base de l'intelligence collective.

Je suis candidat à un nouveau mandat car je souhaite accompagner son évolution vers un CCNE 2.0 : si le CCNE doit continuer à exercer ses missions actuelles et sa réflexion de long terme sur les enjeux éthiques, il doit aussi s'adapter. La prochaine loi sur la bioéthique devrait accroitre ses missions, en lui confiant le rôle de construire le débat éthique de manière continue. À cet égard, nous pouvons nous appuyer sur l'expérience des états généraux : nous avons organisé plus de 350 réunions en région et plus de 300 auditions, créé un site web, etc. L'enjeu était de s'ouvrir à la société civile et aux territoires. C'est une dimension qui m'est chère pour éviter que le CCNE ne soit coupé des territoires et ne se réduise à un club d'intellos parisiens. Il est crucial d'associer la société civile aux réflexions sur les grandes questions qui la concernent. Pour cela, nous nous appuyons déjà sur le réseau des espaces de réflexion éthique dans les régions (ERER) et sur leur conférence nationale (CNERER). Les avis du CCNE sur la vaccination, qui seront publiés sous peu, ont ainsi été élaborés en collaboration avec ce réseau. Il est essentiel que santé rime avec démocratie. Le citoyen a son mot à dire, non seulement sur sa maladie, s'il est malade, mais sur les enjeux sociaux de la santé.

La loi prévoit un élargissement des missions du CCNE, autour de l'articulation entre l'environnement ou le numérique et la santé, par exemple. Édouard Philippe nous avait demandé, dans une lettre de mission de juillet 2019, de construire un comité pilote du numérique. Celui-ci a été installé dans les mêmes locaux que le CCNE. Deux pistes d'évolutions existent : faut-il créer un comité d'éthique numérique indépendant du CCNE ou bien faut-il aller plus loin, en construisant un grand comité d'éthique national, avec différentes sections sur la santé, le numérique, l'environnement, etc. Rien n'est tranché. C'est pour achever ce chantier que je suis candidat. Une loi sera nécessaire. Une grande structure aurait des avantages, mais ce changement de dimension, qui transformerait le CCNE en une sorte d'agence davantage qu'en une structure de réflexion, est-il pour autant souhaitable ?

Enfin, il faut continuer à affirmer la place du CCNE à l'international. La plupart des pays n'ont pas de comité d'éthique du numérique, alors que la plupart ont repris notre modèle de CCNE ; le Japon va ainsi s'inspirer de nos états généraux pour préparer une loi de bioéthique. La France est donc pionnière en la matière et peut faire porter sa voix pour tracer un chemin entre la vision anglo-saxonne et la vision asiatique, hors Japon. L'éthique devrait aboutir à une vision partagée, au moins au niveau européen, mais ce n'est toujours le cas. Il faut profiter de la présidence française de l'Union européenne l'an prochain pour mettre la question éthique au coeur du débat et commencer à tirer les conséquences de la crise sanitaire.

Je me suis mis en retrait de la présidence du CCNE entre le 13 mars et le mois de juillet. J'avais demandé à quitter la présidence du Conseil scientifique, mais le Parlement a souhaité le prolonger. La procédure de renouvellement du CCNE est très longue - on se croirait dans Courteline... - et je ne pouvais l'abandonner dans ces conditions. C'est pour cela que j'ai repris la présidence. Le CCNE a publié sept avis pendant la crise sanitaire.

Le CCNE est une belle instance, peut-être encore un peu méconnue. Des points peuvent être améliorés. La prise en compte du numérique est un enjeu. Il est aussi fondamental d'affirmer la voix de la France au niveau international sur l'éthique. Dans cet esprit, un groupe de travail a été créé sur les enjeux éthiques de la santé publique. La crise a révélé des tensions fortes, intergénérationnelles par exemple. Il faut réfléchir à ces questions qui concernent l'avenir de notre société.

Debut de section - PermalienPhoto de Corinne Imbert

Je représente le Sénat au CCNE et vous remercie de la qualité de l'accueil que vous m'y avez réservé. Ma première question portera sur la fin de vie. Cette question n'a pas figuré dans la loi de bioéthique, conformément aux préconisations du CCNE, mais elle revient en discussion au Parlement avec plusieurs textes. Quelle est votre analyse ? Pensez-vous que la culture des soins palliatifs est assez développée dans notre pays ? Quel est, en outre, votre avis sur l'obligation vaccinale et sur le pass sanitaire ?

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Jomier

Comme ma collègue, je souhaiterais connaître votre position sur la question de la fin de vie.

Ma deuxième question porte sur la révision de la loi de bioéthique. Vous avez animé des états généraux, démarche intéressante et novatrice, mais les thèmes que vous avez proposés n'ont pas tous été repris dans la loi. De manière prémonitoire, vous attiriez l'attention sur le lien entre l'environnement et la santé, un an avant l'éclatement de la crise sanitaire et l'apparition de la notion One Health (une seule santé). Que faudrait-il améliorer dans la phase préparatoire pour mieux identifier les sujets et construire des consensus à leur sujet ?

Debut de section - PermalienPhoto de Xavier Iacovelli

Le CCNE avait rendu un avis favorable à l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation (AMP) à toutes les femmes. Cette question a provoqué un vif débat au Parlement, tout comme la fin de vie. Comment améliorer la visibilité des avis du CCNE pour que les citoyens puissent mieux s'en emparer ? Souhaitez-vous poursuivre la démarche des états généraux sur d'autres sujets ? Comment, dans ce cas, y associer davantage les Français ?

Debut de section - Permalien
Jean-François Delfraissy, candidat proposé par le Président de la République à la présidence du Comité consultatif national d'éthique

La fin de vie ne faisait pas partie du périmètre de la révision de la loi de bioéthique. Nous avions malgré tout souhaité ouvrir une réflexion sur ce sujet important pour nos concitoyens dans le cadre des états généraux. Ce thème a aussi été abordé dans notre avis sur la révision de la loi. Selon nous, la loi Claeys-Leonetti est insuffisamment connue des Français et des professionnels de santé, et il faut mieux la faire connaître pour mieux l'appliquer. Nous ne sommes pas revenus sur ce sujet depuis. Toutefois, comme cette question reste prégnante, nous allons recréer un groupe de réflexion sur le sujet, dans une perspective de long terme, et non de court terme à propos de tel ou tel texte.

En ce qui concerne la vaccination, le CCNE s'interroge sur trois aspects. La situation dans les Ehpad, tout d'abord : alors que des règles d'assouplissement se mettent en place progressivement, nous nous interrogeons sur le degré de liberté qui peut être instauré dans ces établissements, selon que l'on est ou non vacciné. Cela pose la question de la liberté individuelle, puisque 10 % à 12 % des résidents n'ont pas souhaité se faire vacciner. Autre sujet, la vaccination des soignants : la moitié d'entre eux est, en moyenne, vaccinée, mais avec une grande disparité en fonction des corps professionnels - 70 % des médecins sont vaccinés, mais environ 45 % des infirmières ou 35 % des aides-soignants seulement. Avant d'envisager une obligation, il faut étudier les faits, pour voir quel vaccin leur a été proposé, s'ils ont eu véritablement accès au vaccin, etc. Notre avis sera rendu dans quarante-huit heures, mais notre idée générale ne va pas dans le sens d'une obligation des soignants. Il conviendrait plutôt de procéder en rappelant les obligations déontologiques, avec l'espoir de convaincre par imprégnation. C'est d'ailleurs ce qui se passe, notamment lorsque l'on propose des vaccins à ARN messager.

En ce qui concerne le pass sanitaire, le « certificat de vaccination » ou, au niveau européen, le « passeport sanitaire » - terme peu adapté, car il implique l'idée de passer les frontières -, il semble urgent de ne pas prendre de décision ! On commence à savoir, avec les données anglaises et israéliennes, que le vaccin protège aussi contre la transmission, et non seulement contre les formes graves. La réflexion sur le pass sanitaire suppose de savoir si les gens ont été, ou non, vaccinés, s'ils ont, ou non, des anticorps, s'ils ont fait, ou non, un test quarante-huit heures plus tôt, etc. Cela dépasse la question vaccinale, mais soulève de nombreuses questions éthiques : sur la responsabilité individuelle, la liberté de se vacciner, les conséquences liées à la mise en oeuvre d'un outil numérique rassemblant des données personnelles, etc. Pourtant, nos citoyens attendent des réponses pour sortir de la crise. Le problème est aussi que ceux qui sont vaccinés sont principalement les plus âgés, non les jeunes. Est-il alors éthique d'imposer un pass sanitaire à une population qui n'a pas eu accès au vaccin ?

Vous m'avez aussi interrogé sur les questions liées à l'environnement et à la santé. Le CCNE a déjà abordé de tels sujets, mais la prochaine loi de bioéthique devrait nous permettre de les intégrer pleinement dans notre champ de réflexion. D'ailleurs, deux nouveaux membres ont intégré le comité à ce titre. C'est un sujet qu'il nous faut également traiter au niveau européen ; je note d'ailleurs qu'il est peut-être plus facile d'aborder à ce niveau ce type de question que d'autres sujets éthiques comme la fin de vie ou la génomique, sur lesquels nos approches culturelles sont parfois sensiblement différentes.

Autre question que je vais traduire de manière provocante : comment faire en sorte que le CCNE ne soit pas seulement un club de réflexion d'intellectuels parisiens ? Comment doit-il s'ouvrir ? Une évolution en ce sens a déjà commencé depuis plusieurs années, notamment à l'occasion des états généraux, et des partenariats se sont mis en place avec les ERER et la CNERER, mais le mouvement est encore trop peu lisible. Je note ainsi que le CCNE a rendu le 13 mars 2020 un avis sur les enjeux éthiques de la pandémie, dans lequel nous évoquons la question de la place des ERER en région pour aider les équipes des Ehpad ou des services de réanimation. Dès que la loi nous en donnera la possibilité et lorsque nous aurons les moyens nécessaires pour le faire, nous pourrons avancer plus vite, par exemple en organisant des débats généraux sur un cycle de trois ou quatre ans.

Faut-il une loi de bioéthique tous les cinq ans, ou à une périodicité précise définie par le législateur, ou devons-nous avancer au fil de l'eau ? Je crois que les deux processus sont utiles. La loi permet de se fixer des rendez-vous réguliers avec une durée encadrée, mais il faut aussi que nous puissions traiter les sujets qui se posent au fur et à mesure de leur apparition.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Henno

Je ne reviens pas sur la question de la fin de vie, dont vous avez déjà parlé. Je me souviens que vous aviez dit qu'on vieillissait mal dans notre pays. Il me semble que la question reste entière.

Vous avez aussi évoqué avec gravité, lors d'une audition, les questions liées à la rencontre entre le numérique et les biotechnologies, par exemple le problème des coûts exorbitants de certains traitements contre le cancer aux États-Unis. Quelles peuvent être les conséquences de ce sujet en termes de gouvernance ? Comment envisager la question de l'accès aux innovations thérapeutiques ?

Enfin, j'ai toujours du mal à comprendre pourquoi nous ne réussissons pas à faire avancer plus vite les coopérations internationales sur tous ces sujets.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Meunier

Je partage votre humour, monsieur le président ; il faut sûrement en avoir en ce moment... Surtout, j'espère que le président du CCNE sera mieux traité que le président du conseil scientifique !

Je voudrais revenir sur la question de la démocratie sanitaire. Comment aller plus loin en la matière ? Faut-il modifier la composition du CCNE ? Quelles sont vos propositions ? J'ajoute que j'ai été très heureuse d'être membre du CCNE et, à ce titre, je ne me reconnais pas vraiment dans l'image de « l'intello parisien » que vous évoquez...

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Mouiller

Vous avez parlé de la manière dont vous voyiez l'évolution du comité, par exemple en ce qui concerne l'utilisation du numérique ou sur les sujets liés à l'environnement et la santé. Ne craignez-vous pas d'aggraver la lourdeur des travaux du CCNE et leur manque de lisibilité ?

Par ailleurs, les travaux du CCNE sont peu souvent relayés dans les médias, contrairement à ceux du conseil scientifique... Comment mettre en place une stratégie de communication efficace pour le CCNE ?

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Mes propos seront volontairement excessifs, parce que je crois essentiel que la réflexion avance sur les sujets que nous abordons ce matin. Nous vivons une crise extrêmement grave. Or nos concitoyens assistent à une véritable dictature des médias et à l'apparition d'une génération - spontanée... - de scientifiques de tous bords. Les évolutions que vous avez évoquées ne risquent-elles pas d'entraîner une dictature de l'éthique qui musellerait complètement le politique ?

Debut de section - Permalien
Jean-François Delfraissy, candidat proposé par le Président de la République à la présidence du Comité consultatif national d'éthique

Je rebondis sur cette dernière question, car je partage les interrogations qu'elle soulève. Le CCNE a été créé sous François Mitterrand et il a changé depuis lors, comme le monde, mais même si certaines choses évoluent, une même vision et une même construction de pensée demeurent. Dans ces conditions, comment garder ses fondamentaux, tout en s'adaptant aux évolutions du monde ? La bioéthique n'est évidemment pas fixée dans le marbre, elle doit évoluer en même temps que la science, même si elle doit conserver sa base de réflexion - l'homme et son destin.

Vous avez senti mes hésitations sur toutes ces questions, notamment lorsque j'ai évoqué le concept One Health. Vous le savez, le président du CCNE n'est rien ; la force du comité, ce sont ses membres. Nous élaborons nos positions par la discussion et l'intelligence collective. Le Comité regroupe trente-neuf hommes et femmes qui passent beaucoup de temps, gratuitement, à préparer nos réflexions et à eux-mêmes écrire. Je ne souhaiterais d'ailleurs pas que se monte une grosse machine à la française, comme nous savons si bien le faire, c'est-à-dire une structure trop administrative. Je ne crois pas à un modèle de type « agence de l'éthique » qui serait à la disposition des gouvernements - chacun a pu voir les limites des structures de ce type. Il faut donc faire très attention.

Nous tenons énormément à notre indépendance. Nous sommes une force de propositions, mais comme le Conseil scientifique, nous ne décidons de rien ! C'est cela qui fait notre force. Ces réflexions sont au coeur de mes motivations pour poursuivre deux ans encore à la présidence du CCNE.

Les questions de démocratie sanitaire sont essentielles pour moi - c'est sûrement l'un des legs de la lutte contre le VIH. Pour autant, chacun doit rester dans son rôle. L'expertise et la réflexion éthique sont au coeur de notre mission, mais on peut aussi s'interroger quand des citoyens nous disent qu'ils ne comprennent rien à nos avis ! Nous devons donc trouver un juste équilibre - c'est très difficile - entre la construction d'une intelligence collective et l'apport des citoyens à cette réflexion. Nous avons des discussions à ce sujet au sein du CCNE, certains voulant s'ouvrir beaucoup, d'autres disant attention.

En tout cas, c'est l'une de mes priorités. Nous avons déjà avancé et dans les mois et années à venir nous pourrons organiser des réunions partout sur le territoire sur des thèmes très pointus. Je me souviens de la première réunion que nous avions organisée dans le cadre des états généraux de la bioéthique ; c'était à Brest, le 6 janvier 2018, et le thème était : les nouveaux aspects de la génomique et Crispr-Cas 9 ! La salle était pleine - 250 personnes - et la réunion a été géniale ! Nos concitoyens sont beaucoup plus intelligents qu'on ne le pense souvent et ils posent les bonnes questions.

Monsieur Mouiller, vous avez parlé de la lourdeur de nos travaux et de l'évolution du comité. Je crois que les choses peuvent se faire assez facilement, mais nous aurons besoin de moyens supplémentaires, qui ne sont pas considérables pour autant : quelques postes et un peu de crédits de fonctionnement.

La communication est évidemment un sujet essentiel. Ce qui manque aujourd'hui, c'est la confiance, tant vis-à-vis des politiques et des décideurs en général que des scientifiques - cela m'attriste d'autant plus que c'était une partie de mon rôle. Nous avons assisté à un afflux inconsidéré et sans aucune régulation de scientifiques ou de prétendus tels. J'ai d'ailleurs porté cette question devant le Conseil supérieur de l'audiovisuel dès septembre dernier. Vous savez, je n'ai pas pris la parole publiquement depuis six semaines en tant que président du Conseil scientifique, parce que j'estime qu'il faut se protéger, qu'il est important de travailler, de penser et d'écrire et qu'il ne faut pas subir la pression de certains médias ou politiques.

En tout état de cause, nous ne sortirons pas indemnes de tout cela. Ce sera certainement un sujet pour le CCNE, comme pour d'autres instances, dans le cadre de ses réflexions sur les enjeux éthiques de la santé publique. Je crois qu'il y aura trois étapes dans l'action du CCNE en la matière : une réponse immédiate sur des sujets d'actualité, une opinion à plusieurs mois sur les enjeux de la crise sanitaire et une vision plus globale autour des enjeux éthiques de la santé publique. Le CCNE doit répondre à l'urgence, mais ce n'est pas son rôle premier, il doit surtout penser dans la durée.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Il est vrai que le chemin est étroit : il faut à la fois renforcer le CCNE et ne pas en faire une machine lourde comme une agence.

Je voudrais revenir sur une question centrale : comment éclairer les savoirs dans le but d'une appropriation plus collective ? Certes, le CCNE a organisé des débats, mais ils sont peu partagés par le public. Quelles initiatives prendre pour renforcer cette participation des citoyennes et des citoyens ? Aujourd'hui, nous sommes abreuvés d'expertises émanant souvent de faux experts... Or nous avons besoin d'une parole, élaborée en commun par un groupe de scientifiques et d'intellectuels, qui soit partagée. C'est aussi une question de respect de la dignité humaine, du devoir de solidarité et de la justice.

Par ailleurs, comment améliorer notre rayonnement international ?

Je fais partie des sénateurs et des sénatrices qui étaient dubitatifs devant le fait d'intégrer la question de la PMA dans le projet de loi de bioéthique. Qu'en pensez-vous ?

Enfin, pouvez-vous nous en dire davantage sur la coexistence de vos deux fonctions ?

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Procaccia

Faut-il faire évoluer la composition du CCNE ?

J'ai présenté aujourd'hui même une note, au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), sur la phagothérapie. Vous avez récemment publié un rapport sur l'accès aux médicaments innovants, mais n'y a-t-il pas aussi un problème en ce qui concerne l'accès à des traitements, parfois anciens, qui ne sont plus homologués ?

Je voudrais enfin vous interroger sur la situation des Français de l'étranger. Le Gouvernement avait décidé qu'ils ne pourraient plus rentrer en France, s'ils venaient d'un pays hors Union européenne ; le Conseil d'État a annulé cette décision la semaine dernière. Cette question pourrait-elle faire partie de vos réflexions d'un point de vue éthique, d'autant que nombre de ces Français ne peuvent pas se faire soigner correctement dans leur pays de résidence ?

Debut de section - PermalienPhoto de Florence Lassarade

Toutes les questions que je voulais poser l'ont été. Je vous interrogerai donc sur un tout autre sujet : pour quelle raison n'avez-vous pas été écouté à la fin du mois de janvier, lorsque vous préconisiez un confinement strict ?

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Une chercheuse française installée à l'étranger a reçu le prix Nobel de chimie en 2020. Quelle est la place de la France dans le monde en termes de recherche et par conséquent d'éthique de la recherche ?

L'Assemblée nationale a récemment adopté une proposition de loi sur l'éthique de l'urgence qui prévoit une intervention plus systématique du CCNE en cas de crise. Pensez-vous qu'un tel texte soit nécessaire ?

Enfin, nous avons tous connu durant cette crise des cas, douloureux, liés à des problèmes de visites à des parents en fin de vie dans des Ehpad ou hôpitaux. Certaines personnes évoquent l'idée d'un droit opposable à la visite. Comment répondre à cette demande qui peut paraître de bon sens et d'humanité ? Faut-il légiférer ?

Debut de section - Permalien
Jean-François Delfraissy, candidat proposé par le Président de la République à la présidence du Comité consultatif national d'éthique

Plusieurs questions m'ont été posées sur les modalités de fonctionnement du CCNE. Je le redis, il regroupe trente-neuf membres, à peu près à parité femmes-hommes, qui sont spécialistes de disciplines variées. Environ la moitié de ses membres sont de jeunes retraités, l'autre moitié étant encore en activité. Ils sont nommés par des ministères et des organismes de recherche, mais la notion d'indépendance est très importante pour nous ; cette indépendance est renforcée par notre capacité d'autosaisine et par le fait que nous pouvons être saisis à l'initiative de plusieurs instances différentes.

Devons-nous faire entrer des citoyens directement dans le CCNE ? J'y suis tout à fait favorable, mais en quantité limitée pour garder au CCNE sa taille réduite qui permet de faire émerger l'intelligence collective dont je parlais tout à l'heure. Le niveau des discussions est particulièrement élevé et il est évident que des non-spécialistes seront au départ perdus, mais cela veut simplement dire qu'il faut les accompagner particulièrement. Une fois plus aguerris, ces citoyens nous interpelleront sur le fait qu'ils ne comprennent pas certaines de nos rédactions. Cela pose de nouveau la question des destinataires des avis du CCNE. Au fond, nos publications sont destinées à des publics différents : les scientifiques, les politiques, mais aussi les citoyens - c'est vers ces derniers que nous devons progressivement aller. Cette direction que j'ai souhaité donner au CCNE va prendre du temps à se concrétiser pleinement. Nous avons d'ailleurs intégré des citoyens issus des ERER dans les groupes de travail qui participent à l'élaboration de nos avis. La question ne se pose donc pas uniquement pour le comité plénier.

J'ai déjà évoqué les questions de coopération internationale. Un membre du CCNE sera nommé au comité d'éthique de l'Union européenne ; cela devrait aussi être le cas pour celui de l'ONU. Je vous l'assure, nous poussons la vision française de l'éthique. La preuve en est que les instances internationales nous demandent régulièrement d'intervenir lors de leurs réunions.

En ce qui concerne la dualité de mes fonctions, je dois vous dire que je me suis beaucoup interrogé et que je n'ai pas complètement la réponse... J'ai tranché, puisque je suis devant vous, mais j'ai beaucoup hésité ! Je suis très attaché au CCNE. Vous le savez, j'avais demandé à ce que le Conseil scientifique arrête de fonctionner au mois de juillet ; le Parlement en a décidé autrement et il a finalement bien fait. La situation reste difficile pour quelques semaines, voire deux à trois mois, dans l'attente de la montée en charge de la vaccination - nous aurons probablement atteint 30 millions de personnes vaccinées à la fin du mois de juin. Nous ne sommes pas des devins ; nous nous appuyons sur des modèles.

La présence du président du CCNE au sein du Conseil scientifique est intéressante dans le sens où il existe d'autres enjeux que la question strictement sanitaire : les enjeux sociétaux et économiques, les conséquences pour la jeunesse, etc. Le CCNE apporte une vision humaniste et de responsabilité envers l'autre. Il y a donc un lien.

En outre, on ne quitte pas un navire qui ne va pas bien, même si nul n'est irremplaçable. En tout cas, ce n'est pas ma vision des choses, mon éthique personnelle. Qui plus est, l'enjeu du Conseil scientifique relève surtout du court et du moyen terme, car je reste optimiste sur l'idée d'une sortie de crise à l'automne 2021 grâce à la vaccination et même si de nouveaux variants apparaissent.

En ce qui concerne la recherche française, je vais vous parler franchement : les gouvernements successifs n'ont absolument rien compris à la manière d'investir dans la recherche. Notre pays est extraordinairement nul ! Je ne tire pas la couverture à moi, en tant que scientifique, et j'ai plutôt une vision de grand-père... La France n'est tout simplement pas à la hauteur de ses ambitions. Nous n'étions déjà pas bien placés dans le monde, sauf sur les recherches liées au VIH, et nous continuons de déraper. Mme Charpentier, qui a reçu le prix Nobel de chimie, adore la France, mais elle est partie parce qu'elle trouvait davantage de moyens ailleurs !

Vous m'avez aussi interrogé sur l'éthique de l'urgence. Le CCNE travaille régulièrement sur des questions d'actualité ; je vais citer quelques exemples récents : les enjeux éthiques face à la pandémie le 13 mars 2020, le renforcement des mesures de protection dans les Ehpad et les unités de soins de longue durée le 1er avril 2020, les dispositions funéraires à la mi-avril 2020, les enjeux éthiques du déconfinement le 20 mai 2020, les enjeux éthiques de la prise en charge de l'accès aux soins en novembre dernier ou encore les enjeux éthiques de la vaccination en décembre. Ces positions n'ont peut-être pas été suffisamment visibles dans le contexte fou que nous connaissons depuis un an, mais le travail a été fait.

Concernant votre dernière question, madame la présidente, l'un de mes regrets, à la fois en tant que médecin, président du CCNE et président du Conseil scientifique, est la gestion insuffisamment humaine de la situation dans les Ehpad durant la première vague. Les choses sont maintenant beaucoup plus nuancées. Le vaccin est efficace, cette population a été prioritaire, même si cela ne change rien finalement pour les services de réanimation, parce que ces personnes vont peu, de toute façon, dans ce type de service. Nous parlons de ce sujet dans le prochain avis du CCNE qui sort dans quarante-huit heures ; nous évoquons notamment l'importance de partager le processus de décision.

Enfin, notre avis sur l'innovation ne porte pas sur les médicaments ou traitements dits anciens, parce que nous sommes partis de la question du coût de ces innovations. Or il est vrai que certains de ces médicaments peuvent être recyclés pour d'autres usages.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Je vous remercie, monsieur le président. Nous allons maintenant vous raccompagner afin de passer au vote et au dépouillement du scrutin.

M. Jean-François Delfraissy est raccompagné hors de la salle de réunion.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Mes chers collègues, nous venons de procéder à l'audition de M. Jean-François Delfraissy, dont la nomination est envisagée par le Président de la République pour exercer les fonctions de président du Comité consultatif national d'éthique.

Nous allons à présent procéder au vote, qui se déroulera à bulletin secret comme le prévoit l'article 19 bis de notre règlement. En application de la loi du 23 juillet 2010, il ne peut y avoir de délégation de vote. Mmes Jocelyne Guidez et Frédérique Puissat sont désignées en tant que scrutatrices.

Nous procéderons ensuite au dépouillement ; nous sommes en contact avec la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale afin de procéder de manière simultanée.

L'article 13 de la Constitution dispose que le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs de chaque commission représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.

La commission procède au vote, puis au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Jean-François Delfraissy aux fonctions de président du Comité consultatif national d'éthique, simultanément à celui de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Voici le résultat du scrutin : 24 pour et 3 abstentions. Agrégé à celui de l'Assemblée nationale, le résultat est le suivant :

Nombre de votants : 51

Bulletins blancs : 8

Nombre de suffrages exprimés : 43

Pour : 40

Contre : 3

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12 heures 45.