La fin de vie ne faisait pas partie du périmètre de la révision de la loi de bioéthique. Nous avions malgré tout souhaité ouvrir une réflexion sur ce sujet important pour nos concitoyens dans le cadre des états généraux. Ce thème a aussi été abordé dans notre avis sur la révision de la loi. Selon nous, la loi Claeys-Leonetti est insuffisamment connue des Français et des professionnels de santé, et il faut mieux la faire connaître pour mieux l'appliquer. Nous ne sommes pas revenus sur ce sujet depuis. Toutefois, comme cette question reste prégnante, nous allons recréer un groupe de réflexion sur le sujet, dans une perspective de long terme, et non de court terme à propos de tel ou tel texte.
En ce qui concerne la vaccination, le CCNE s'interroge sur trois aspects. La situation dans les Ehpad, tout d'abord : alors que des règles d'assouplissement se mettent en place progressivement, nous nous interrogeons sur le degré de liberté qui peut être instauré dans ces établissements, selon que l'on est ou non vacciné. Cela pose la question de la liberté individuelle, puisque 10 % à 12 % des résidents n'ont pas souhaité se faire vacciner. Autre sujet, la vaccination des soignants : la moitié d'entre eux est, en moyenne, vaccinée, mais avec une grande disparité en fonction des corps professionnels - 70 % des médecins sont vaccinés, mais environ 45 % des infirmières ou 35 % des aides-soignants seulement. Avant d'envisager une obligation, il faut étudier les faits, pour voir quel vaccin leur a été proposé, s'ils ont eu véritablement accès au vaccin, etc. Notre avis sera rendu dans quarante-huit heures, mais notre idée générale ne va pas dans le sens d'une obligation des soignants. Il conviendrait plutôt de procéder en rappelant les obligations déontologiques, avec l'espoir de convaincre par imprégnation. C'est d'ailleurs ce qui se passe, notamment lorsque l'on propose des vaccins à ARN messager.
En ce qui concerne le pass sanitaire, le « certificat de vaccination » ou, au niveau européen, le « passeport sanitaire » - terme peu adapté, car il implique l'idée de passer les frontières -, il semble urgent de ne pas prendre de décision ! On commence à savoir, avec les données anglaises et israéliennes, que le vaccin protège aussi contre la transmission, et non seulement contre les formes graves. La réflexion sur le pass sanitaire suppose de savoir si les gens ont été, ou non, vaccinés, s'ils ont, ou non, des anticorps, s'ils ont fait, ou non, un test quarante-huit heures plus tôt, etc. Cela dépasse la question vaccinale, mais soulève de nombreuses questions éthiques : sur la responsabilité individuelle, la liberté de se vacciner, les conséquences liées à la mise en oeuvre d'un outil numérique rassemblant des données personnelles, etc. Pourtant, nos citoyens attendent des réponses pour sortir de la crise. Le problème est aussi que ceux qui sont vaccinés sont principalement les plus âgés, non les jeunes. Est-il alors éthique d'imposer un pass sanitaire à une population qui n'a pas eu accès au vaccin ?
Vous m'avez aussi interrogé sur les questions liées à l'environnement et à la santé. Le CCNE a déjà abordé de tels sujets, mais la prochaine loi de bioéthique devrait nous permettre de les intégrer pleinement dans notre champ de réflexion. D'ailleurs, deux nouveaux membres ont intégré le comité à ce titre. C'est un sujet qu'il nous faut également traiter au niveau européen ; je note d'ailleurs qu'il est peut-être plus facile d'aborder à ce niveau ce type de question que d'autres sujets éthiques comme la fin de vie ou la génomique, sur lesquels nos approches culturelles sont parfois sensiblement différentes.
Autre question que je vais traduire de manière provocante : comment faire en sorte que le CCNE ne soit pas seulement un club de réflexion d'intellectuels parisiens ? Comment doit-il s'ouvrir ? Une évolution en ce sens a déjà commencé depuis plusieurs années, notamment à l'occasion des états généraux, et des partenariats se sont mis en place avec les ERER et la CNERER, mais le mouvement est encore trop peu lisible. Je note ainsi que le CCNE a rendu le 13 mars 2020 un avis sur les enjeux éthiques de la pandémie, dans lequel nous évoquons la question de la place des ERER en région pour aider les équipes des Ehpad ou des services de réanimation. Dès que la loi nous en donnera la possibilité et lorsque nous aurons les moyens nécessaires pour le faire, nous pourrons avancer plus vite, par exemple en organisant des débats généraux sur un cycle de trois ou quatre ans.
Faut-il une loi de bioéthique tous les cinq ans, ou à une périodicité précise définie par le législateur, ou devons-nous avancer au fil de l'eau ? Je crois que les deux processus sont utiles. La loi permet de se fixer des rendez-vous réguliers avec une durée encadrée, mais il faut aussi que nous puissions traiter les sujets qui se posent au fur et à mesure de leur apparition.