Intervention de Jean-François Delfraissy

Commission des affaires sociales — Réunion du 24 mars 2021 à 11h00
Audition de M. Jean-François delFraissy candidat proposé par le président de la république à la présidence du comité consultatif national d'éthique ccne

Jean-François Delfraissy, candidat proposé par le Président de la République à la présidence du Comité consultatif national d'éthique :

Je rebondis sur cette dernière question, car je partage les interrogations qu'elle soulève. Le CCNE a été créé sous François Mitterrand et il a changé depuis lors, comme le monde, mais même si certaines choses évoluent, une même vision et une même construction de pensée demeurent. Dans ces conditions, comment garder ses fondamentaux, tout en s'adaptant aux évolutions du monde ? La bioéthique n'est évidemment pas fixée dans le marbre, elle doit évoluer en même temps que la science, même si elle doit conserver sa base de réflexion - l'homme et son destin.

Vous avez senti mes hésitations sur toutes ces questions, notamment lorsque j'ai évoqué le concept One Health. Vous le savez, le président du CCNE n'est rien ; la force du comité, ce sont ses membres. Nous élaborons nos positions par la discussion et l'intelligence collective. Le Comité regroupe trente-neuf hommes et femmes qui passent beaucoup de temps, gratuitement, à préparer nos réflexions et à eux-mêmes écrire. Je ne souhaiterais d'ailleurs pas que se monte une grosse machine à la française, comme nous savons si bien le faire, c'est-à-dire une structure trop administrative. Je ne crois pas à un modèle de type « agence de l'éthique » qui serait à la disposition des gouvernements - chacun a pu voir les limites des structures de ce type. Il faut donc faire très attention.

Nous tenons énormément à notre indépendance. Nous sommes une force de propositions, mais comme le Conseil scientifique, nous ne décidons de rien ! C'est cela qui fait notre force. Ces réflexions sont au coeur de mes motivations pour poursuivre deux ans encore à la présidence du CCNE.

Les questions de démocratie sanitaire sont essentielles pour moi - c'est sûrement l'un des legs de la lutte contre le VIH. Pour autant, chacun doit rester dans son rôle. L'expertise et la réflexion éthique sont au coeur de notre mission, mais on peut aussi s'interroger quand des citoyens nous disent qu'ils ne comprennent rien à nos avis ! Nous devons donc trouver un juste équilibre - c'est très difficile - entre la construction d'une intelligence collective et l'apport des citoyens à cette réflexion. Nous avons des discussions à ce sujet au sein du CCNE, certains voulant s'ouvrir beaucoup, d'autres disant attention.

En tout cas, c'est l'une de mes priorités. Nous avons déjà avancé et dans les mois et années à venir nous pourrons organiser des réunions partout sur le territoire sur des thèmes très pointus. Je me souviens de la première réunion que nous avions organisée dans le cadre des états généraux de la bioéthique ; c'était à Brest, le 6 janvier 2018, et le thème était : les nouveaux aspects de la génomique et Crispr-Cas 9 ! La salle était pleine - 250 personnes - et la réunion a été géniale ! Nos concitoyens sont beaucoup plus intelligents qu'on ne le pense souvent et ils posent les bonnes questions.

Monsieur Mouiller, vous avez parlé de la lourdeur de nos travaux et de l'évolution du comité. Je crois que les choses peuvent se faire assez facilement, mais nous aurons besoin de moyens supplémentaires, qui ne sont pas considérables pour autant : quelques postes et un peu de crédits de fonctionnement.

La communication est évidemment un sujet essentiel. Ce qui manque aujourd'hui, c'est la confiance, tant vis-à-vis des politiques et des décideurs en général que des scientifiques - cela m'attriste d'autant plus que c'était une partie de mon rôle. Nous avons assisté à un afflux inconsidéré et sans aucune régulation de scientifiques ou de prétendus tels. J'ai d'ailleurs porté cette question devant le Conseil supérieur de l'audiovisuel dès septembre dernier. Vous savez, je n'ai pas pris la parole publiquement depuis six semaines en tant que président du Conseil scientifique, parce que j'estime qu'il faut se protéger, qu'il est important de travailler, de penser et d'écrire et qu'il ne faut pas subir la pression de certains médias ou politiques.

En tout état de cause, nous ne sortirons pas indemnes de tout cela. Ce sera certainement un sujet pour le CCNE, comme pour d'autres instances, dans le cadre de ses réflexions sur les enjeux éthiques de la santé publique. Je crois qu'il y aura trois étapes dans l'action du CCNE en la matière : une réponse immédiate sur des sujets d'actualité, une opinion à plusieurs mois sur les enjeux de la crise sanitaire et une vision plus globale autour des enjeux éthiques de la santé publique. Le CCNE doit répondre à l'urgence, mais ce n'est pas son rôle premier, il doit surtout penser dans la durée.

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