Plusieurs questions m'ont été posées sur les modalités de fonctionnement du CCNE. Je le redis, il regroupe trente-neuf membres, à peu près à parité femmes-hommes, qui sont spécialistes de disciplines variées. Environ la moitié de ses membres sont de jeunes retraités, l'autre moitié étant encore en activité. Ils sont nommés par des ministères et des organismes de recherche, mais la notion d'indépendance est très importante pour nous ; cette indépendance est renforcée par notre capacité d'autosaisine et par le fait que nous pouvons être saisis à l'initiative de plusieurs instances différentes.
Devons-nous faire entrer des citoyens directement dans le CCNE ? J'y suis tout à fait favorable, mais en quantité limitée pour garder au CCNE sa taille réduite qui permet de faire émerger l'intelligence collective dont je parlais tout à l'heure. Le niveau des discussions est particulièrement élevé et il est évident que des non-spécialistes seront au départ perdus, mais cela veut simplement dire qu'il faut les accompagner particulièrement. Une fois plus aguerris, ces citoyens nous interpelleront sur le fait qu'ils ne comprennent pas certaines de nos rédactions. Cela pose de nouveau la question des destinataires des avis du CCNE. Au fond, nos publications sont destinées à des publics différents : les scientifiques, les politiques, mais aussi les citoyens - c'est vers ces derniers que nous devons progressivement aller. Cette direction que j'ai souhaité donner au CCNE va prendre du temps à se concrétiser pleinement. Nous avons d'ailleurs intégré des citoyens issus des ERER dans les groupes de travail qui participent à l'élaboration de nos avis. La question ne se pose donc pas uniquement pour le comité plénier.
J'ai déjà évoqué les questions de coopération internationale. Un membre du CCNE sera nommé au comité d'éthique de l'Union européenne ; cela devrait aussi être le cas pour celui de l'ONU. Je vous l'assure, nous poussons la vision française de l'éthique. La preuve en est que les instances internationales nous demandent régulièrement d'intervenir lors de leurs réunions.
En ce qui concerne la dualité de mes fonctions, je dois vous dire que je me suis beaucoup interrogé et que je n'ai pas complètement la réponse... J'ai tranché, puisque je suis devant vous, mais j'ai beaucoup hésité ! Je suis très attaché au CCNE. Vous le savez, j'avais demandé à ce que le Conseil scientifique arrête de fonctionner au mois de juillet ; le Parlement en a décidé autrement et il a finalement bien fait. La situation reste difficile pour quelques semaines, voire deux à trois mois, dans l'attente de la montée en charge de la vaccination - nous aurons probablement atteint 30 millions de personnes vaccinées à la fin du mois de juin. Nous ne sommes pas des devins ; nous nous appuyons sur des modèles.
La présence du président du CCNE au sein du Conseil scientifique est intéressante dans le sens où il existe d'autres enjeux que la question strictement sanitaire : les enjeux sociétaux et économiques, les conséquences pour la jeunesse, etc. Le CCNE apporte une vision humaniste et de responsabilité envers l'autre. Il y a donc un lien.
En outre, on ne quitte pas un navire qui ne va pas bien, même si nul n'est irremplaçable. En tout cas, ce n'est pas ma vision des choses, mon éthique personnelle. Qui plus est, l'enjeu du Conseil scientifique relève surtout du court et du moyen terme, car je reste optimiste sur l'idée d'une sortie de crise à l'automne 2021 grâce à la vaccination et même si de nouveaux variants apparaissent.
En ce qui concerne la recherche française, je vais vous parler franchement : les gouvernements successifs n'ont absolument rien compris à la manière d'investir dans la recherche. Notre pays est extraordinairement nul ! Je ne tire pas la couverture à moi, en tant que scientifique, et j'ai plutôt une vision de grand-père... La France n'est tout simplement pas à la hauteur de ses ambitions. Nous n'étions déjà pas bien placés dans le monde, sauf sur les recherches liées au VIH, et nous continuons de déraper. Mme Charpentier, qui a reçu le prix Nobel de chimie, adore la France, mais elle est partie parce qu'elle trouvait davantage de moyens ailleurs !
Vous m'avez aussi interrogé sur l'éthique de l'urgence. Le CCNE travaille régulièrement sur des questions d'actualité ; je vais citer quelques exemples récents : les enjeux éthiques face à la pandémie le 13 mars 2020, le renforcement des mesures de protection dans les Ehpad et les unités de soins de longue durée le 1er avril 2020, les dispositions funéraires à la mi-avril 2020, les enjeux éthiques du déconfinement le 20 mai 2020, les enjeux éthiques de la prise en charge de l'accès aux soins en novembre dernier ou encore les enjeux éthiques de la vaccination en décembre. Ces positions n'ont peut-être pas été suffisamment visibles dans le contexte fou que nous connaissons depuis un an, mais le travail a été fait.
Concernant votre dernière question, madame la présidente, l'un de mes regrets, à la fois en tant que médecin, président du CCNE et président du Conseil scientifique, est la gestion insuffisamment humaine de la situation dans les Ehpad durant la première vague. Les choses sont maintenant beaucoup plus nuancées. Le vaccin est efficace, cette population a été prioritaire, même si cela ne change rien finalement pour les services de réanimation, parce que ces personnes vont peu, de toute façon, dans ce type de service. Nous parlons de ce sujet dans le prochain avis du CCNE qui sort dans quarante-huit heures ; nous évoquons notamment l'importance de partager le processus de décision.
Enfin, notre avis sur l'innovation ne porte pas sur les médicaments ou traitements dits anciens, parce que nous sommes partis de la question du coût de ces innovations. Or il est vrai que certains de ces médicaments peuvent être recyclés pour d'autres usages.