Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, le Premier président de la Cour des comptes présente cette après-midi au Sénat le rapport public annuel. Cette présentation est un moment solennel pour notre assemblée, qui illustre et symbolise l’assistance que la Cour des comptes apporte au Parlement, en application de l’article 47-2 de notre Constitution.
Cette année, la remise du rapport public a été quelque peu décalée pour permettre à la Cour d’achever l’instruction de ses enquêtes et de livrer ses analyses sur la gestion de la crise. Le Premier ministre lui a également confié une mission relative à la situation des finances publiques et aux priorités de l’action publique pour l’après-crise, ce qui explique l’absence de sa traditionnelle analyse de la situation de nos finances publiques. Alors que le Parlement débat de la soutenabilité de notre dette publique et que la commission Arthuis vient de rendre ses conclusions, nous serons attentifs aux résultats de ces travaux.
Je ne reviendrai pas longuement sur le fait que, au-delà de ce rapport public annuel, la Cour des comptes produit de nombreux autres rapports qui nous sont très utiles. La commission des finances vous entend très régulièrement, monsieur le Premier président, comme ce sera encore le cas, le 15 avril prochain, sur l’exécution du budget de l’État.
L’activité de contrôle de notre commission se nourrit également des résultats des enquêtes demandées en application de l’article 58-2 de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF.
Nous avons ainsi entendu, le 10 mars dernier, les magistrats de la cinquième chambre de la Cour, venus présenter, au cours d’une audition pour suite à donner, l’enquête sur l’article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, la loi SRU.
D’autres auditions seront organisées avant l’été sur le bilan de l’intégration de la gendarmerie au ministère de l’intérieur et sur la couverture mobile en 4G du territoire.
De nouvelles enquêtes sont d’ores et déjà programmées pour être remises au début de l’année 2022, dont l’une, très attendue, concernera la mise en œuvre du plan de relance et sera suivie par le rapporteur général de notre commission, Jean-François Husson.
Ces enquêtes complètent utilement les travaux de contrôle et d’évaluation conduits par les rapporteurs spéciaux tout au long de l’année, lesquels donnent lieu à la publication de nombreux rapports d’information – une vingtaine l’an passé –, en dehors même de la période du printemps. Tous ces travaux ont vocation à nourrir et à éclairer nos débats budgétaires.
Le premier tome du rapport public annuel a pour ambition de tirer les premiers enseignements de la crise liée à l’épidémie s’agissant de plusieurs politiques publiques.
La Cour fait, par exemple, un premier bilan de la politique d’hébergement et de logement des personnes sans domicile pendant la crise sanitaire. Elle souligne la faible préparation de l’État, qui manquait, avant le mois de mars 2020, d’outils opérationnels de gestion de crise, tout en décrivant l’engagement des opérateurs sur le terrain, lequel a permis, dans une situation critique, d’assurer la continuité des missions.
L’hébergement d’urgence ne doit toutefois être qu’un point de passage : c’est sur l’accès au logement, en particulier dans les différentes formes de logement social, qu’il nous faut désormais mettre l’accent. Ce premier bilan nous intéresse particulièrement, puisque notre rapporteur spécial Philippe Dallier travaille actuellement sur le sujet.
La Cour analyse, en outre, le déploiement des outils numériques qui ont permis d’assurer une continuité des apprentissages dans le contexte de fermeture des établissements scolaires lors du confinement de mars 2020.
Comme l’avait fait notre collègue Gérard Longuet dans son dernier rapport budgétaire, la Cour rapport souligne que, malgré un succès global et la mise en œuvre rapide d’outils numériques à grande échelle, la crise sanitaire a soulevé des problématiques d’inégalités d’accès au numérique. Cet enseignement doit désormais guider la stratégie numérique de l’éducation nationale, en intégrant les acquis et l’expérience de la période de confinement.
La Cour détaille également les répercussions de la crise sur le groupe SNCF. S’il apparaît que celui-ci a su faire preuve de réactivité au cœur de la pandémie pour affronter cette épreuve inédite, la dégradation de sa situation financière n’en est pas moins très sévère. La crise a révélé les fragilités structurelles dont souffrait déjà la SNCF avant la pandémie, sources de préoccupations quant aux perspectives financières du groupe.
Cette question majeure constitue l’un des axes principaux du contrôle que les rapporteurs spéciaux Hervé Maurey et Stéphane Sautarel viennent d’engager et qui a démarré le 9 mars dernier par l’audition du P-DG Jean-Pierre Farandou.
Une étude approfondie du déploiement du fonds de solidarité par la direction générale des finances publiques, la DGFiP, est aussi présentée. Pour la Cour, le bilan intermédiaire est globalement positif : la DGFiP a su réagir rapidement et efficacement aux problématiques rencontrées par les entreprises lors du premier confinement, même si elle note la complexité croissante du dispositif, qui vise à répondre à un grand nombre de situations et concerne des entreprises de plus en plus importantes.
Ces évolutions sont, de fait, porteuses de risques pour nos finances publiques, et ce d’autant plus depuis les annonces visant à prendre en charge une part substantielle des charges fixes des entreprises des secteurs les plus touchés. L’importance des enjeux financiers doit conduire à un renforcement des contrôles. Nous partageons votre inquiétude sur ce point, monsieur le Premier président.
La participation des régions au fonds de solidarité à hauteur de 467 millions d’euros en 2020 a témoigné de la mobilisation exceptionnelle des collectivités territoriales face à la crise. La Cour conteste l’autorisation accordée par le Gouvernement d’imputer ces dépenses en section d’investissement. Une telle décision a néanmoins permis de permettre un haut niveau d’engagement des régions aux côtés de nos entreprises, sans compromettre leur propre équilibre financier, leur capacité à investir et ainsi, à prendre part à la relance.
Les développements consacrés à l’assurance chômage rappellent que la baisse des cotisations, la hausse des dépenses d’indemnisation et le financement d’un tiers du dispositif exceptionnel d’activité partielle ont provoqué une explosion du déficit du régime, qui s’est ainsi établi à 17, 4 milliards d’euros en 2020.
La Cour pose donc la question de la responsabilité que doit prendre l’État dans l’effort de redressement de la trajectoire financière de l’assurance chômage, en évoquant notamment la reprise d’une partie de la dette de celle-ci, qui a atteint 54, 2 milliards d’euros à la fin de l’année 2020. Les comptes de l’Unédic sont, en effet, affectés par des décisions de l’État auxquelles elle est insuffisamment associée.
Comme l’ont déjà souligné les rapporteurs spéciaux Emmanuel Capus et Sophie Taillé-Polian, cette tendance ne date cependant pas de la crise : elle s’était déjà manifestée à l’occasion de la baisse de la subvention de l’État à Pôle emploi, compensée par une contribution croissante de l’Unédic au financement de cet opérateur. Une clarification s’impose sur ce sujet.
Le second tome du rapport est consacré à plusieurs politiques publiques et à leur gestion. J’y relèverai deux éléments.
D’une part, l’interrogation de la Cour quant au modèle des réseaux consulaires, que vous avez évoqué. Je pense que certains d’entre nous ne partagent pas tout à fait la position de la Cour.
Le rapport remet très clairement en cause le financement par une taxe affectée des deux principaux réseaux consulaires, les chambres de commerce et d’industrie, les CCI, et les chambres de métiers et de l’artisanat, les CMA.
La Cour les considère comme des prestataires de services, qui devraient être financés par le produit de leurs activités commerciales. Or ils assument des missions d’intérêt général et, au cours de la crise, ils ont accompagné, dans un contexte difficile, un très grand nombre d’entreprises. Le dispositif de financement actuel joue également un rôle de péréquation territoriale qu’il ne faut pas négliger.
D’autre part, la Cour se penche sur les politiques de lutte contre le désendettement et en faveur de l’inclusion bancaire, ce qui prolonge l’enquête réalisée au titre de l’article 58-2 de la LOLF et remise à notre commission en juillet 2017, plusieurs auditions que nous avons organisées et la préoccupation que traduit la proposition de loi de notre groupe sur le plafonnement des frais bancaires.
La Cour souligne les difficultés rencontrées par la procédure du droit au compte, en recul depuis qu’elle a atteint son plus haut niveau d’application en 2015, du fait de l’insuffisante simplification des procédures et d’une mobilisation hétérogène des réseaux bancaires. Elle constate la grande hétérogénéité des seuils retenus par les établissements bancaires pour apprécier la situation de fragilité financière.
Alors que les nouvelles offres de bancarisation ne font pas l’objet d’un plafonnement des frais et accentuent encore l’exclusion numérique, la Cour cite le « maquis » des frais bancaires et leur difficile appréhension par les clients et par les acteurs. Cette situation plaide pour que notre commission continue à travailler sur ce thème.
En conclusion, je veux dire ma satisfaction de voir la Cour des comptes jouer tout son rôle en assistant le Parlement dans son contrôle de l’action du Gouvernement et l’évaluation des politiques publiques et en répondant aux demandes d’enquêtes formulées par les sénateurs, ceux-ci, dans leurs fonctions législatives comme de contrôle, décidant des suites qu’ils entendent y apporter.