Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je commencerai par féliciter nos collègues du groupe CRCE d’être à l’origine de ce débat auquel la conjoncture actuelle apporte un écho démultiplié. Ne nous berçons pas d’illusions, le sport sortira sérieusement affaibli de la crise sanitaire : le nombre de licenciés aura régressé dans des proportions inquiétantes ; des bénévoles resteront à la maison ; des clubs amateurs disparaîtront ; des structures professionnelles connaîtront une adaptation difficile ; certains événements auront du mal à renaître.
Les loisirs sportifs marchands enregistrent d’ores et déjà des pertes financières considérables. Par exemple, l’Union Sport & Cycle annonce une perte de 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires cette saison pour les commerces et fournisseurs d’équipements de ski.
Bref, tout l’écosystème sportif se trouve affecté par une crise inédite. Dans ce contexte, je salue les efforts déployés par Mme la ministre et ses services, ainsi que par les fédérations, notamment afin de proposer des protocoles sanitaires adaptés à chaque situation.
Rendre l’activité physique accessible au plus grand nombre justifie l’existence d’un service public du sport, qui est un bien collectif à partager. En d’autres termes, la promotion d’un authentique sport pour tous nécessite une politique publique affirmée et globale, en phase avec les évolutions contemporaines. Pour donner de la respiration financière aux clubs sportifs, au moins trois mesures exceptionnelles doivent être envisagées jusqu’à l’été 2024 : d’abord, rehausser de 60 % à 80 % le plafond de réduction fiscale des dons aux associations sportives pour encourager le mécénat ; ensuite, transformer une partie du coût des adhésions et licences en dons donnant lieu à crédit d’impôt pour réduire l’hémorragie du nombre d’adhérents ; enfin, relever le plafond des taxes affectées au financement de l’Agence nationale du sport.
Toutefois, le premier rendez-vous à ne pas manquer, dès le mois de juin prochain, est celui du Pass’Sport, afin d’aider à la reprise d’activité pour les plus jeunes générations. Je formule le souhait que celui-ci devienne d’ailleurs l’outil privilégié d’une orientation structurelle de notre politique sportive. Une enquête réalisée par l’Association européenne des professeurs d’éducation physique et sportive montre que 40 % des élèves présentent une augmentation de leur masse graisseuse et une diminution de 16 % de leurs capacités aérobies. Les tests réalisés à l’issue du premier confinement indiquent une perte de capacité physique des élèves de CE2 de l’ordre de 20 %.
La proposition de loi débattue la semaine dernière à l’Assemblée nationale aurait pu être l’occasion de redonner ses lettres de noblesse à l’éducation physique et sportive. Le rapprochement ministériel entre l’éducation nationale et le sport restera de l’ordre du symbole tant que ne sera pas augmenté le nombre d’heures d’EPS de la maternelle à l’université et qu’un continuum sport éducatif-sport fédéral ne sera pas effectif.
Si le retour à une vie normale s’accompagnera probablement d’une soif d’expression corporelle sous toutes ses formes, mais particulièrement au travers des activités physiques de pleine nature, un soutien public se révélera nécessaire notamment par l’intermédiaire de l’ANS. Il est urgent de doter les politiques sportives d’un financement durable reposant équitablement sur le rendement financier produit par l’activité sportive elle-même, d’où le slogan : « Le sport doit financer le sport ! »
Si l’engagement de l’État doit être consolidé, il faut encourager d’autres sources de financement : mécénat, financement participatif, obligations à impact social des investisseurs privés, etc.
Lever les freins à la pratique des activités physiques et sportives (APS) en renforçant l’accompagnement du public spécifique et en assurant l’égalité d’accès aux pratiques est un enjeu majeur. Des efforts doivent ainsi être conduits pour promouvoir la mixité dans l’éducation sportive et pour lutter plus efficacement contre le sexisme et l’exclusion dont font l’objet les jeunes filles et les femmes dans l’exercice d’activités, dont l’offre n’est pas toujours adaptée et suffisamment diversifiée. Une plus grande inclusion et une meilleure accessibilité des personnes en situation de handicap constituent également un objectif vers lequel nous devons tendre en modernisant les équipements et en développant des politiques plus ambitieuses de promotion du handisport.
Conséquence d’un sous-investissement chronique et persistant, l’état de notre parc d’équipements sportifs, y compris scolaire, doit faire l’objet d’un plan global de modernisation. Le problème se pose, en particulier, pour les piscines, qui n’ont pas fait l’objet de financement d’envergure depuis le grand plan d’équipement lancé en 1971. Depuis de nombreuses années, lors de chaque débat budgétaire est rappelée l’urgence de lancer un ambitieux plan de rénovation-construction d’installations et équipements, avec une recherche de mixité des usages, pour que puissent y cohabiter des sportifs pratiquant dans un cadre institutionnel, mais aussi des personnes venues pratiquer une activité de loisir.
La montée en puissance des exigences environnementales et territoriales est à intégrer, au-delà de la prise en compte impérative des zones dites carencées, notamment les quartiers prioritaires de la politique de la ville et les zones de revitalisation rurale (ZRR).
La problématique d’une pratique sportive populaire et accessible à tous pose la question du droit au sport. Depuis les années 1980, nous connaissons une croissance des activités autonomes dans l’espace public, des pratiques libres ou encadrées dans des structures commerciales.
S’il reste élevé, le nombre de licences sportives, près de 19 millions selon Les Chiffres clés du sport 2020 – 16, 4 millions de licences et 2 millions d’autres titres de participation –, tend à stagner, voire à diminuer depuis quarante ans dans de nombreuses fédérations. Les inégalités territoriales, socioculturelles, économiques, genrées demeurent élevées. À l’aune de la réduction de ces inégalités, la gestion de l’après-covid représentera une période test pour la nouvelle gouvernance du sport français, pour le rôle de l’ANS et de ses déclinaisons territoriales.
En effet, les conférences régionales du sport et les conférences des financeurs, qui se mettent progressivement en place sur le terrain, ont pour mission d’associer plus étroitement l’ensemble des acteurs susceptibles de contribuer au développement de l’offre d’activités physiques et sportives : parcours sportif des enfants, pratique des populations adultes dans leur diversité, etc.
L’intitulé de notre débat de ce soir rappelle l’importance du sport de masse ou du sport pour tous. Il sous-entend que l’accès au sport doit être considéré comme un droit, à l’instar de l’accès à la santé, à l’éducation ou à la sécurité, ce qui suppose d’envisager l’activité physique et sportive comme un élément de la citoyenneté. Cela implique des exigences éminemment concrètes : assurer un accès pour tous aux équipements, favoriser un développement équilibré des pratiques sur l’ensemble du territoire national et tout au long de la vie, diversifier les métiers de l’accompagnement sportif. Sur ce dernier point, les chiffres de Parcoursup parlent d’eux-mêmes : aucun autre secteur de recrutement ne connaît une telle saturation en matière d’orientation.
Aussi le moment est-il sans doute venu de conduire une réflexion sur une nouvelle diversification des métiers du sport. En matière d’encadrement, le recul de 80 % en trois ans des emplois aidés du secteur associatif est fortement préjudiciable à son dynamisme. Le rebond de la pratique passe par une relance de l’emploi sportif qualifié dans les clubs, lesquels demeurent la cellule de base institutionnelle dans un univers de pratiques différenciées. Ces structures doivent se penser comme étant au centre d’une articulation de tout un ensemble de pratiques publiques : sport et éducation, sport et santé, sport et entreprise, sport et développement économique, sport et aménagement du territoire, sport et environnement, sport et tourisme, sport et réinsertion sociale, etc. Au cœur de cette transversalité se distingue une mission : proposer des services à la population et à un territoire comme illustration de l’utilité sociale du sport.
Ainsi le sport d’après-covid devra-t-il intégrer davantage la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) dans le fonctionnement des acteurs concernés, qu’ils soient une composante de l’économie sociale et solidaire ou une entreprise marchande.
Au-delà des mesures d’urgence, le sport français a besoin d’un nouveau cadre et d’objectifs réactualisés. La proposition de loi visant à démocratiser le sport en France a commencé à tracer des perspectives. Les réactions qui ont suivi son adoption sont révélatrices de manques qu’il reste à combler. Un quotidien du soir titrait hier : « La proposition de loi sur le sport provoque frustration et regrets. » Puisse l’examen prochain de ce texte au Sénat contribuer à donner contenu et rayonnement au titre ambitieux qui est le sien.
La première priorité d’une politique sportive nationale doit être de développer le nombre de pratiquants, ce qui suppose une forte capacité d’action de la part de l’État, avec un ministère doté de moyens financiers supplémentaires, à un moment où le sport français est en danger.
Par ailleurs, n’oublions pas qu’il peut fortement contribuer à renforcer la cohésion sociale et éviter les dérives populistes menaçant notre société. L’héritage olympique était censé amener une augmentation de 10 % du nombre de pratiquants en 2024, un objectif exprimé par le Président de la République. Ayons le courage de dire que cette ambition est devenue caduque.
Notre intention de court terme est plutôt de retrouver la situation d’avant-covid. Depuis un an, nous n’avons jamais autant entendu parler de facteurs de comorbidité, mais également de l’apport de l’activité physique pour faire face à ces facteurs, dans le domaine tant préventif que curatif. Cette réalité doit nous encourager à poursuivre collectivement ce combat pour le développement de la pratique sportive.
Je termine sur ce message d’espoir, qui doit susciter une meilleure prise en compte du sport dans notre société et, plus largement, du corps dans notre vie.