Monsieur le garde des Sceaux, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, en préambule, je tiens à remercier le président François-Noël Buffet pour cette audition commune à nos deux commissions : merci de nous faire partager l'expertise reconnue de votre commission en matière constitutionnelle. Il s'agit en effet de la première révision constitutionnelle dont la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable ait à connaître.
Nos collègues députés ont adopté le 16 mars dernier, sans modification, le projet de loi constitutionnelle que le garde des Sceaux a patiemment défendu dans l'hémicycle et dans les médias. Force est de vous reconnaître une grande force persuasive, monsieur le garde des Sceaux, talent que vous avez certainement forgé pendant vos années de plaidoirie.
Les révisions constitutionnelles sont des temps forts de l'activité parlementaire, le législateur n'ayant que rarement l'occasion de revêtir les habits du constituant. Quand il le fait, surtout au Sénat, c'est avec rigueur, sérieux et sens critique : les dispositions constitutionnelles irriguent non seulement tout notre droit et son interprétation par les juges, mais disent également quelque chose des valeurs communes partagées par l'ensemble des citoyens, celles qui fondent notre contrat social. Il importe donc que chacun perçoive ce que tout changement constitutionnel implique et comment l'ordre juridique en serait modifié. La Constitution est un tout cohérent, chaque disposition s'appréciant à l'aune des autres principes constitutionnels.
Le projet de révision qui nous occupe aujourd'hui porte sur l'insertion, à l'article 1er de notre Constitution, d'une nouvelle phrase qui dispose que « [La France] garantit la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ».
Monsieur le garde des Sceaux, nous avons à décortiquer avec vous cette phrase, cette unique phrase. Mais chaque mot de celle-ci compte, d'autant plus qu'elle a vocation à figurer au sommet de notre hiérarchie des normes, à la place symbolique de l'article 1er, celui où les plus éminents principes de notre pays sont affirmés. Cet article agit comme un miroir, qui renvoie l'image de la République à l'ensemble des citoyens. Pour paraphraser Montesquieu, sa modification ne doit être faite que d'une main tremblante, à l'issue d'un raisonnement qui, lui, ne tremble pas.
Comme pour une analyse littérale, il nous faut peser au trébuchet les implications de chaque mot de cette phrase et en particulier la force de chacun des deux verbes qu'elle contient. Car ils recèlent des risques contentieux et ouvrent l'accès au prétoire constitutionnel à de nouveaux types de requérants. Il importe que la représentation nationale puisse débattre de l'articulation d'un nouvel étage de droits environnementaux avec les autres principes constitutionnels consacrés par notre texte fondamental.
Monsieur le garde des Sceaux, nous vous laissons la parole pour présenter au public exigeant que sont les sénateurs la réforme constitutionnelle que vous portez au nom du Président de la République.