Intervention de Éric Dupond-Moretti

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 24 mars 2021 à 16h45
Projet de loi constitutionnelle complétant l'article 1er de la constitution et relatif à la préservation de l'environnement — Audition de M. éric duPond-moretti garde des sceaux ministre de la justice

Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice :

Monsieur le président de la commission des lois, monsieur le président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, à l'heure où nous assistons à la sixième extinction de masse des espèces vivantes - due, pour la première fois, à l'action humaine - le Gouvernement entend être à la hauteur des enjeux auxquels les générations actuelles et futures seront confrontées. C'est la raison pour laquelle il souhaite inscrire à l'article 1er de notre loi fondamentale la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et la lutte contre le dérèglement climatique.

C'est une réforme ambitieuse, qui consiste à rehausser la place de l'environnement dans notre Constitution, à le placer au coeur de toutes nos politiques publiques. Compte tenu de l'urgence climatique, de l'urgence environnementale, le Gouvernement entend fixer aux pouvoirs publics des obligations plus fortes que celles qui existent actuellement.

Comme vous le savez, la protection de l'environnement est un principe inscrit dans la Charte de l'environnement résultant de la loi constitutionnelle du 1er mars 2005. Cette Charte, mentionnée dans le préambule de notre Constitution, fait pleinement partie du bloc de constitutionnalité, et la jurisprudence du Conseil constitutionnel lui a progressivement fait produire le maximum de ses effets juridiques. Il a ainsi jugé, dans sa décision du 31 janvier 2020, que la protection de l'environnement ne constituait plus un simple objectif d'intérêt général, mais un objectif de valeur constitutionnelle, de nature à justifier les limitations apportées par la loi à d'autres exigences constitutionnelles, et notamment à la liberté d'entreprendre.

Toutefois, et vous le savez bien, un objectif à valeur constitutionnelle, à la différence d'une règle constitutionnelle ayant un caractère impératif, ne comporte aucune obligation de moyens, et nécessite pour sa mise en oeuvre l'intervention du législateur. Un objectif à valeur constitutionnelle ne peut pas davantage être invoqué à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité. Le projet de révision constitutionnelle que nous vous soumettons, en érigeant la protection de l'environnement et la lutte contre le dérèglement climatique en véritable principe constitutionnel, entend aller plus loin que les textes et la jurisprudence actuels.

L'inscription de ces principes à l'article 1er de notre Constitution, proposée par les membres de la Convention citoyenne pour le climat lors d'un exercice inédit de démocratie participative, présente une valeur symbolique forte. Que les choses soient claires, il ne s'agit pas aujourd'hui d'opposer démocratie représentative et démocratie participative. Je l'ai déjà dit dans le cadre d'autres débats. Renforcer la démocratie participative ne revient pas à affaiblir la démocratie. Au contraire, plus nos concitoyens sont associés au débat public, plus la légitimité de ceux qu'ils élisent est renforcée.

Certains enjeux doivent pouvoir nous réunir et le climat en fait partie. En effet, la préservation de l'environnement et de la diversité biologique, la lutte contre le dérèglement climatique doivent désormais être au coeur de nos politiques publiques. Je souligne à cet égard que la Charte de l'environnement est muette sur ce dernier point.

Le Gouvernement n'entend toutefois pas introduire d'échelle de valeurs entre les principes constitutionnels. Demain comme hier, tous les principes constitutionnels seront de valeur égale. C'est d'ailleurs pour ce motif que le Président de la République a décidé de ne pas donner une suite favorable à la proposition de modification du préambule de la Constitution qui avait été présentée par la Convention citoyenne pour le climat. L'objectif est en réalité de donner plus de poids à la protection de l'environnement, en la conciliant avec les autres principes à valeur constitutionnelle que nous connaissons.

Il ne s'agit pas davantage de créer un principe constitutionnel de non-régression des lois en matière environnementale. Un tel principe existe dans la loi, mais il n'a pas sa place dans la Constitution. Le Gouvernement veut en effet laisser au législateur le pouvoir de préserver efficacement d'autres principes constitutionnels, à l'instar de la protection de la santé. Dans le contexte de crise sanitaire que nous connaissons aujourd'hui, cela peut être particulièrement important.

Toutefois, le Gouvernement entend fixer un véritable principe d'action pour les pouvoirs publics, nationaux comme locaux, en faveur de l'environnement et de la lutte contre le dérèglement climatique. C'est dans cette optique, et en conscience que l'article unique du projet qui vous est soumis prévoit d'inscrire à l'article 1er de la Constitution que les pouvoirs publics doivent garantir la préservation de l'environnement et la diversité biologique et lutter contre le dérèglement climatique.

Les conséquences de l'emploi de ces verbes ne sont pas neutres. Et telle est bien la volonté du Gouvernement, parfaitement conscient des impacts que cela pourra avoir sur l'engagement de la responsabilité des pouvoirs publics en matière environnementale. Il s'agit de mettre à leur charge, comme l'a souligné le Conseil d'État, une quasi-obligation de résultat.

J'insiste sur ce point, car je sais qu'il a fait débat lors de vos précédentes auditions. Et je rappelle que ce sont les mots employés par le Conseil d'État. Aujourd'hui, la préservation de l'environnement doit déjà conditionner l'action des pouvoirs publics, et la responsabilité de l'État peut être engagée à ce titre. Pour m'en tenir à deux exemples récents, citons l'arrêt du 10 juillet 2020, par lequel le Conseil d'État a ordonné au Gouvernement de prendre des mesures pour réduire la pollution de l'air, sous astreinte de 10 millions d'euros par semestre de retard, ou le jugement rendu par le tribunal administratif de Paris le 3 février 2021 à propos de l' « affaire du siècle » : le tribunal a reconnu l'existence d'un préjudice écologique lié au changement climatique, et jugé que la carence partielle de l'État français à respecter les objectifs qu'il s'est fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre engage sa responsabilité.

Ce projet de loi constitutionnelle consacre encore davantage la responsabilité des pouvoirs publics en promouvant la protection de l'environnement au statut de garantie constitutionnelle. Comme vous le savez, le texte du projet de loi constitutionnelle a été débattu à l'Assemblée nationale pendant près de vingt heures. Il a été adopté en l'état la semaine dernière. Il vous appartient de débattre sur ce texte qui, s'il est adopté par les deux Chambres dans les mêmes termes, sera ensuite soumis aux Français par la voie du référendum, conformément à l'engagement du Président de la République.

C'est pourquoi je suis heureux et honoré de débattre aujourd'hui de ces questions avec vous.

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