Intervention de Claire Hédon

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 24 mars 2021 à 16h45
Audition de Mme Claire Hédon défenseure des droits pour la présentation de son rapport annuel pour 2020

Claire Hédon, Défenseure des droits :

Je suis heureuse de vous présenter le rapport d'activité du Défenseur des droits pour l'année 2020, que nous avons rendu public il y a quelques jours.

Rendre compte de l'année 2020, c'est d'abord rendre compte d'une transition. Avant de présenter l'activité de cette année, je voudrais rendre hommage à mon prédécesseur. Par sa détermination et son engagement, Jacques Toubon a fait progresser considérablement la notoriété et la visibilité du Défenseur des droits. Dans des contextes troublés, il a tenu des positions courageuses, fidèles aux missions qui lui étaient confiées, et c'est à la tête d'une institution solide que je suis arrivée en juillet dernier.

La crise sanitaire a affecté, au-delà de nos modes de vie, l'ensemble de nos droits et libertés. En bouleversant l'organisation des services publics, les mesures sanitaires se sont souvent traduites par un recul des droits ou par de nouveaux obstacles pour y accéder. Pour celles et ceux qui étaient déjà éloignés de leurs droits, ce recul a pu créer de véritables ruptures. C'est pourquoi, dès le début de la crise sanitaire, le Défenseur des droits a été très attentif aux atteintes aux droits qui étaient susceptibles d'émerger, en particulier pour les plus vulnérables. Il est intervenu pour y remédier, à travers les services instructeurs du siège ou par l'intervention des délégués territoriaux.

S'agissant des relations avec les services publics, nous avons été alertés d'atteintes importantes aux droits et libertés.

Les personnes précaires et vulnérables se sont ainsi vues contraintes de retirer leurs aides sociales dans les bureaux de poste ; alerté par le Défenseur des droits, le directeur de La Poste s'est engagé à augmenter le nombre de bureaux de poste ouverts.

Nous avons constaté aussi des atteintes visant les personnes en détention, pour des motifs liés majoritairement aux conditions de détention - accès aux masques et gels hydroalcooliques; accès aux soins, à la douche -, aux conditions d'aménagement de peine et d'exécution des peines, à la suspension des parloirs, à l'usage de la téléphonie, à la rupture du paiement du travail, aux violences entre détenus, ou encore à la prolongation de plein droit de la détention provisoire sans intervention du juge judiciaire. Le contrôle a finalement été rétabli par des arrêts adoptés en mai par la Cour de cassation. Pour pallier l'absence de délégués en établissement pénitentiaire, un numéro de téléphone dédié a été créé : il a enregistré à ce jour près de 5 000 appels.

Les personnes en rétention administrative se sont trouvées dans des conditions de protection insuffisante, sans perspective d'éloignement dans un délai raisonnable. Malgré notre demande de fermeture immédiate, les centres de rétention administrative (CRA) sont restés partiellement ouverts.

Les personnes en demande d'asile se sont heurtées à la fermeture du dispositif d'enregistrement des demandes d'asile et à l'arrêt du fonctionnement de la plateforme téléphonique de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII). Les observations que nous avons adressées au Conseil d'État, saisi d'une requête, ont été accueillies favorablement.

Les personnes bénéficiant de la protection sociale ont, elles, parfois subi des baisses importantes de leurs ressources. Le Défenseur des droits est intervenu pour que leur situation soit prise en compte en cas de recouvrement d'indus.

S'agissant des droits de l'enfant, nous avons reçu plus de 120 saisines révélant que nombre de ces droits étaient mis à mal, en particulier celui d'être protégé contre toutes formes de violence ; le droit d'être entendu, alors que l'ordonnance du 25 mars 2020 permettait de prendre des décisions sans contradictoire ; le droit d'entretenir des relations avec ses parents quand des droits de visite et d'hébergement ont été suspendus ; le droit d'aller à l'école ; le droit de recevoir une protection et des soins, notamment pour des mineurs non accompagnés ni pris en charge ni accueillis ; le droit de voir son intérêt supérieur pris en compte quand des enfants se sont vu refuser l'accès à un supermarché avec leurs parents.

S'agissant de la déontologie de la sécurité, les saisines reçues ont porté essentiellement sur des contrôles d'attestation de déplacement ou des contrôles d'identité dans certains quartiers populaires. Par ailleurs, le Défenseur des droits s'est saisi de la situation des personnes sans domicile fixe et des difficultés rencontrées par les personnes handicapées.

Enfin, de nombreuses saisines ont porté sur des situations de discrimination liées à la crise sanitaire. C'est le cas, par exemple, pour l'accès aux biens et services des personnes âgées, particulièrement vulnérables économiquement ou bénéficiant d'une mesure de protection judiciaire ; elles ont pu rencontrer des difficultés s'apparentant à des discriminations indirectes, au travers, par exemple, des refus de paiement en espèce - atteinte au sujet de laquelle le réseau s'est particulièrement mobilisé. Autre exemple, les nombreuses restrictions ayant affecté les résidents des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), susceptibles de porter une atteinte disproportionnée à leur droit au respect du maintien des liens familiaux et sociaux. Les préconisations formulées au début du confinement restent d'actualité, en particulier la nécessité que les mesures prises à l'égard de ces établissements soient fondées sur un principe de prévention individuelle plutôt que sur un principe de précaution générale.

Je veux souligner le travail que nous menons, au quotidien, pour faire valoir les droits des personnes qui nous saisissent. L'institution du Défenseur des droits est constituée du siège et de son réseau de délégués. La présence de ces délégués dans chaque département, auprès des réclamants pour dysfonctionnements et atteintes aux droits, est souvent déterminante pour répondre au mieux à chaque situation. Dans un contexte de recul des services publics - dont la crise sanitaire a mis en évidence les graves conséquences -, les délégués comblent un manque dont les petites villes et les zones rurales souffrent de plus en plus : la présence effective, incarnée, d'un accès aux droits.

Concrètement, les 536 délégués, qui traitent près de 80 % des réclamations sont à l'origine de la plupart des médiations conduites par l'institution, lesquelles ont une issue favorable dans 80 % des cas. En cherchant un règlement amiable, ce réseau de médiateurs contribue à rétablir le dialogue entre les usagers et les administrations ou les organismes chargés d'une mission de service public. Ce réseau est une force et une composante précieuse de notre institution. Pour l'affermir, nous avons mis en place un maillage de douze cheffes et chefs de pôles régionaux, dont la prise de fonction s'est achevée en 2020. Ils apportent un appui juridique aux délégués, coordonnent le traitement des dossiers, les actions de promotion de l'égalité et les initiatives pour faire progresser la notoriété de l'institution.

En 2020, nous avons enregistré 97 000 saisines, dont près des deux tiers concernent les relations avec les services publics. Les réponses apportées aux situations individuelles ont visé à rétablir les droits des personnes, mais aussi à résoudre des problèmes structurels pour que les atteintes constatées ne se répètent plus. Car, très souvent, les saisines révèlent des problèmes qui dépassent largement l'échelle individuelle. En matière de services publics, les situations dont nous sommes saisis mettent en évidence l'ampleur des délais de réponse des administrations : près de deux ans pour une demande de changement de nom ; plus de deux ans pour une réponse à une demande de naturalisation.

Le forfait post-stationnement présente ainsi des dysfonctionnements importants : nous déplorons la délivrance de forfaits de post-stationnement indus à des personnes titulaires d'une carte de mobilité réduite, des retards dans le traitement des recours administratifs préalables obligatoires (RAPO) entraînant des conséquences financières lourdes. Le Défenseur des droits a formulé des recommandations envers les collectivités territoriales afin que les usagers puissent être rétablis dans leurs droits. Dans un rapport publié en janvier 2020, il a souhaité une meilleure information sur les modalités de stationnement et les tarifs, une meilleure formation des agents chargés de traiter les recours gracieux, ainsi que l'exonération de paiement préalable à la saisine de la commission du contentieux du stationnement payant pour les personnes victimes de vol ou d'usurpation de plaque d'immatriculation ou encore de cession de véhicules. Le Conseil constitutionnel, saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité, a jugé inconstitutionnelle la condition de paiement préalable à la saisine de cette commission.

Le traitement des discriminations offre un deuxième exemple de la manière dont le Défenseur des droits entend apporter des réponses individuelles, mais aussi structurelles. Les réclamations dont nous sommes saisis nous révèlent que les discriminations revêtent un caractère systémique. Elles ne résultent pas seulement d'actes individuels, elles sont le produit d'inégalités collectives, de représentations, préjugés et assignations qui traversent toute la société. C'est pourquoi, dans un rapport publié en juin dernier, le Défenseur des droits a formulé des recommandations pour aller au-delà de la résolution de situations individuelles. Nous proposons d'approfondir la connaissance des discriminations, en développant les statistiques publiques, en créant un observatoire des discriminations, en développant des campagnes de testing, parmi d'autres outils. Nous appelons à une politique publique ambitieuse, avec des audits réguliers au sein des organisations, en renforçant les obligations et les sanctions.

Nous proposons également d'améliorer le traitement judiciaire des discriminations, en rendant plus effective l'action de groupe et en appliquant des sanctions proportionnées et réellement dissuasives. Pour rendre plus visibles nos compétences en matière de lutte contre les discriminations et améliorer l'accompagnement des victimes, nous avons mis en place la plateforme antidiscriminations.fr, lancée le 12 février dernier, à la demande du Président de la République. Conçu et piloté en toute indépendance par le Défenseur des droits, ce nouveau service de signalement et d'accompagnement est ouvert à toute victime ou témoin de discriminations, quels qu'en soient le motif et le domaine ; le contact s'établit par téléphone ou sur le site dédié, une équipe de juristes accompagnent et orientent gratuitement les personnes.

Au-delà du traitement des réclamations, le Défenseur des droits a confirmé, tout au long de l'année 2020, son rôle de vigie des droits et libertés. Cette vigilance, qui se nourrit des saisines reçues et des constats transmis par les associations membres de nos comités d'entente, m'a conduite à formuler régulièrement des alertes sur les différents projets et propositions de loi présentés. J'ai joué ce rôle d'alerte à propos du nouveau schéma de maintien de l'ordre, de la réforme de la justice pénale des mineurs, de la transposition de la directive relative aux lanceurs d'alerte, de la réforme de l'adoption.

S'agissant plus particulièrement des mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, dans le droit fil de mon prédécesseur, je me suis attachée à rappeler certaines des exigences de notre État de droit. J'ai en particulier souligné l'importance d'encadrer strictement l'état d'urgence par une loi précise, claire, prévisible et intelligible, dans le respect des principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité ; de veiller à ce que l'état d'urgence reste exceptionnel en limitant sa durée et en prévoyant des moyens de droit commun pour un retour à la normalité ; de renforcer le rôle du Parlement ; d'organiser un débat public de fond, en particulier sur la protection de nos droits et libertés et le renforcement des services publics ; enfin, de renforcer la transparence et l'accessibilité de l'information. Plus généralement, il m'a paru essentiel, au travers de ces différentes alertes, de mettre en garde contre le risque d'une habituation progressive à la restriction de nos libertés. À l'heure où « vivre avec » le virus relève non plus d'une option, mais d'une nécessité, les choix que nous faisons pour l'affronter doivent faire l'objet de discussions libres et éclairées.

J'évoquerai enfin la dimension internationale de nos actions.

En matière de déontologie de la sécurité, la coopération avec nos homologues a conduit à l'adoption, en juin 2020, de la Déclaration de Paris, par le réseau européen IPCAN - Independent Police Complaint Authorities Network. Elle reprend les principales recommandations issues de la conférence réalisée en octobre 2019 sur les relations entre la police et la population. L'an passé, nous avons également célébré les vingt ans de la recommandation du Conseil de l'Europe sur le code d'éthique de la police. Cette célébration a été l'occasion d'échanges très riches avec nos homologues et les hauts représentants des ministres de l'intérieur du Conseil de l'Europe.

En matière de défense et de promotion des droits de l'enfant, le Défenseur des droits s'est associé à la réflexion du réseau européen des Défenseurs des enfants sur les études d'impact relatives aux droits des enfants. Un cadre commun de référence a été adopté pour harmoniser ces études, dont l'objectif est d'anticiper les effets de toute mesure sur les droits de l'enfant. Le thème du rapport annuel sur les droits de l'enfant s'inscrivait pleinement dans cette thématique puisqu'il portait sur la prise en compte de la parole de l'enfant, une composante centrale des études d'impact sur les droits des enfants.

S'agissant de la lutte contre les discriminations, le Défenseur des droits a poursuivi ses travaux au sein du réseau européen des organismes de promotion de l'égalité (Equinet - European network of equality bodies -), dont il est membre élu au conseil d'administration. Le Défenseur des droits a contribué à ce réseau en livrant un rapport sur l'inclusion des Roms et des gens du voyage, ainsi que des publications sur les effets discriminatoires du recours au numérique et à l'intelligence artificielle en période pandémique pour l'accès aux droits et à l'emploi des plus vulnérables.

S'agissant de la protection des lanceurs d'alerte, le Défenseur des droits a poursuivi son implication dans le réseau des autorités européennes en charge des lanceurs d'alerte (NEIWA). En particulier, les deux séminaires organisés dans la perspective de la transposition de la directive européenne sur la protection des personnes qui signalent des violations au Droit de l'Union ont permis d'aboutir à des recommandations communes pour améliorer la lisibilité des dispositifs nationaux et renforcer les droits des lanceurs d'alerte.

Ce rapport d'activité confirme que le Défenseur des droits est un recours crucial pour toutes celles et tous ceux qui ne parviennent pas à exercer leurs droits. Il nous rappelle que le droit, s'il est bien le socle de notre démocratie, n'est rien sans les moyens mis en oeuvre pour le faire respecter. En tant que Défenseure des droits, ma mission est précisément de faire en sorte que tous ceux qui en sont éloignés soient rétablis dans leurs droits.

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