Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous remercie chaleureusement, au nom des présidents et directeurs d'établissements publics d'enseignement supérieur et de recherche que représente la CPU, pour votre invitation à intervenir devant vous aujourd'hui dans le cadre de la mission d'information sénatoriale sur les conditions de la vie étudiante.
Les questions relatives aux conditions de vie et d'études des étudiants ne datent pas du printemps 2020.
La précarité étudiante est un sujet dont la communauté des universités et des établissements d'enseignement supérieur s'est emparée depuis longtemps et pour laquelle nous nous mobilisons, tant nous sommes conscients que celle-ci affecte la réussite de nos étudiants et hypothèque leur futur.
Les étudiants connaissaient déjà des conditions de vie dégradées avant la crise de la Covid-19 : ils étaient touchés par la précarité matérielle, par des problèmes de santé physique et mentale, et arrivaient parfois difficilement à concilier études et emploi.
La survenue de la crise, au printemps 2020, a joué comme un catalyseur des difficultés déjà rencontrées par les étudiants. En mettant un coup d'arrêt à l'emploi des étudiants, la question des ressources financières s'est faite encore plus prégnante.
La précarité s'est accrue immédiatement, entraînant avec elle d'importants besoins en matière de paiement des loyers ou d'aides alimentaires : ce qui s'est révélé au cours de la crise, c'est la forte aggravation de la précarité matérielle des étudiants qui, pour certains, ne pouvaient subvenir à leurs besoins de base. La demande d'aides sociales a ainsi été multipliée en moyenne par 2,5 pendant le confinement du printemps 2020.
En parallèle, la mise en place parfois massive des enseignements à distance a rendu l'équipement informatique et les connexions nécessaires. Ce besoin préexistait bien sûr à la crise, mais les bibliothèques universitaires ou les salles informatiques pouvaient le satisfaire.
Nous avons constaté que l'équipement des foyers s'était par ailleurs très rapidement montré insuffisant : lors du premier confinement, parents, enfants et étudiants, tous ont eu simultanément besoin d'un équipement individuel. L'ordinateur familial s'est alors révélé insuffisant face à ces nouveaux besoins.
Des aides financières nécessaires pour soutenir les étudiants et répondre à ces difficultés ont été déployées : aides alimentaires, aides à la vie quotidienne, aides à l'équipement numérique. Les universités, les Crous et parfois les acteurs locaux se sont mobilisés. J'y reviendrai. Mais, à côté de ces difficultés matérielles, d'autres difficultés ont considérablement affecté notre jeunesse et nos étudiants. Je veux parler ici bien sûr de leur santé, tant physique que mentale.
L'isolement est malheureusement le maître mot qui résume l'année 2020 pour notre jeunesse. Comme pour toute notre société, soudain, la vie sociale des étudiants s'est arrêtée. Les interactions sociales, essentielles et d'autant plus nécessaires à cette période de la vie, ont été considérablement ralenties, pour ne pas dire suspendues. Il n'y a plus eu d'interactions entre les étudiants et leurs camarades.
La fermeture des universités, au printemps 2020, a stoppé net la vie de campus. Les associations qui animent la vie étudiante et la vie de campus ont été fortement affectées. Le triptyque formation, vie sociale et vie familiale s'est souvent concentré dans quelques mètres carrés, au travers d'un écran d'ordinateur.
Cela n'a pas été sans conséquence. La santé mentale ou psychique de nos étudiants s'est dégradée, comme en témoignent les nombreux appels reçus par les centres et associations de soutien aux étudiants. Aujourd'hui, cela fait un an que nos étudiants ne peuvent accéder aux lieux nécessaires à leur développement et à leur épanouissement. Ils sont certes présents, au compte-gouttes, au sein de nos établissements, mais ne disposent plus de tiers lieux où se réunir pour échanger et être ensemble.
Lassés, isolés, inquiets, stigmatisés souvent, en grandes difficultés psychologiques pour certains, les étudiants réagissent soit par une forme de résignation, soit par une colère que nous devons entendre. Tous ont été touchés par la crise, plus ou moins fortement selon leur environnement social, familial et leur niveau d'études.
Parmi eux, les plus affectés se sont retrouvés face à des difficultés liées à la perte de leur emploi étudiant ou à la non-réalisation de leur stage, qu'il soit rémunéré ou non, isolés physiquement et affectivement, loin de leur famille et ,souvent, dans des logements exigus. Pour les primo-arrivants dans le supérieur, le basculement dans la vie d'adulte et d'étudiant s'est opéré dans des conditions considérablement dégradées. Je ne peux dresser ici une liste exhaustive, mais j'ajoute que les étudiants en fin de cycle, particulièrement inquiets, s'interrogent sur leur insertion professionnelle en temps de crise.
Face à ce constat et à la violence de la situation, la mobilisation de l'État, des universités, des acteurs locaux, des Crous a été immédiate. De nombreuses mesures ont été prises pour accompagner les étudiants dans les différents aspects de leur vie - formation, vie universitaire, santé, social. En première ligne, les universités ont agi sur ces quatre volets, étendant ainsi leur champ d'action pour venir en aide aux étudiants. Elles ont été l'opérateur privilégié de l'État aux côtés des Crous pour le déploiement des mesures gouvernementales.
Plusieurs vagues de mesures ont été déployées : des mesures d'urgence d'abord, prises en charge par les universités sur la base des crédits de la contribution vie étudiante et de campus (CVEC) - lesquels sont répartis par les Crous au bénéfice de tous les étudiants -, d'abord à destination des étudiants en difficulté.
Ces mesures destinées à l'équipement numérique et aux aides sociales ont permis d'amortir le premier choc de la crise et d'absorber une partie des difficultés liées aux pertes d'emploi. Il convient toutefois de rappeler ici que la réaction rapide des universités via la distribution des aides financières d'urgence a pu s'opérer grâce à la CVEC dont disposaient les universités.
Or celle-ci, créée par la loi relative à l'orientation et à la réussite des étudiants (ORE), est destinée à l'origine à la dynamisation de la vie de campus. Il s'agit en effet d'une fiscalité affectée, perçue par les universités, payée par les étudiants en début d'année et dont la fonction est avant tout de financer la vie associative, culturelle, sportive, la santé et, pour une petite part, - à laquelle nous tenons - un fond social pour les étudiants. Les crédits mobilisés par les universités pour venir en aide aux étudiants ne sont donc pas issus de fonds publics mobilisés spécifiquement pour la crise.
Dans un second temps, à la rentrée 2020 et début 2021, à la suite des premières mesures mises en place par les universités, de nouvelles initiatives gouvernementales sont venues renforcer les aides sociales des Crous et les possibilités d'emploi des étudiants au sein des universités : repas à un euro dans les Crous pour les boursiers, puis pour l'ensemble des étudiants, embauche de tuteurs pour les primo-arrivants, financée par des crédits ministériels - mais sur une base de rémunération inférieure au SMIC et à ce qui est pratiqué par les universités, ce qui peut poser certains problèmes.
Pour la santé, le déploiement de la campagne de tests sur les sites universitaires, la possibilité de recrutement de psychologues supplémentaires au sein des services de santé universitaires (SSU) et la création, toute récente, d'un parcours de soins dédié à la santé mentale à travers le« chèque psy », répondent en partie aux difficultés rencontrées par les étudiants. Ces aides se sont donc ajoutées aux dispositifs mis en place par les universités dès le printemps 2020.
Évidemment, ces mesures ont considérablement aidé les étudiants en difficulté, et la mobilisation de l'État a permis de réduire l'impact de la crise. Avec un an de recul, je salue ici la mobilisation générale des acteurs de terrain au contact des étudiants et l'accompagnement de la direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle (DGESIP) du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation.
Les acteurs publics locaux - communautés d'agglomération, départements et régions - se sont mobilisés pour venir en aide aux étudiants, comme en témoignent différents exemples.
Nous avons su travailler ensemble dans l'urgence même si, avec le recul, nous sommes aujourd'hui capables d'identifier des marges de progression possibles. Je pense ici à la coordination des acteurs et au périmètre de chacun.
Au premier rang, je l'ai dit, les universités ont étendu leur champ d'action, notamment dans le domaine social, qui ne relève en théorie pas de leurs compétences. Une véritable coordination nationale en termes de logement, d'emploi ou d'aides sociales pour les étudiants pourrait être bénéfique en termes d'efficacité des dispositifs.
Par ailleurs, permettez-moi de souligner l'urgence d'une hausse pérenne du soutien aux SSU, dont les moyens et le fonctionnement sont très hétérogènes selon les universités. Cette hausse s'avère essentielle pour les années à venir, car les SSU sont les premiers interlocuteurs des étudiants pour répondre à leurs problèmes de santé physique et mentale.
Les mesures gouvernementales et la mobilisation des acteurs ont répondu à l'urgence. Toutefois, elles n'ont pas répondu aux difficultés majeures et structurelles que connaissent les étudiants et les universités. Je veux parler ici, d'une part, de la présence, nécessaire, vitale des étudiants au sein des établissements, d'autre part, des notions de responsabilité, de compétences et d'autonomie des universités.
Depuis un an, les universités ont coordonné et mis en oeuvre les mesures décidées par le Gouvernement, mais ont été dépossédées de leurs responsabilités et de leur autonomie. Elles ont subi, au gré des discussions entre ministères, les décisions et circulaires relatives à la présence des étudiants sur les campus. Pourtant, malgré quelques images malheureuses diffusées dans certains médias, les universités ont, depuis le début de la crise, su s'adapter, créer des protocoles sanitaires rigoureux, repenser les enseignements, mobiliser leurs équipes administratives et enseignantes, qui n'ont pas compté ni leur temps ni leur énergie pour assurer leur fonction première : former notre jeunesse.
Dans leur immense majorité, les étudiants et les personnels des universités se sont montrés responsables et exemplaires dans le respect des protocoles sanitaires. Les étudiants ont aussi subi, sans disposer d'aucune visibilité, les hésitations à répétition - certains parlent d'atermoiements - au sein des universités, que l'on a fermées alors qu'on laissait d'autres lieux ouverts. On les a rouvertes à 50 % à la rentrée, puis fermées à nouveau, avant de laisser les étudiants revenir en travaux pratiques, d'admettre ceux de première année, etc.
Les étudiants ont fait de leur mieux pour s'adapter à cette situation. Les équipes pédagogiques sont parvenues à conserver le lien avec la plupart d'entre eux, mais nous avons aussi malheureusement perdu le contact avec certains.
On constate donc, depuis maintenant un an, trop d'incertitudes, une absence de visibilité, de perspectives et donc d'espoir et de motivation pour notre jeunesse, même si l'on peut comprendre la complexité des décisions. Un an après, avec le recul dont nous disposons, il nous apparaît nécessaire de redonner de l'autonomie aux universités dans la gestion de la crise.
Les universités sont, par définition, des acteurs de terrain qui sont les plus à même de gérer localement, selon leurs spécificités propres, l'organisation et l'adaptation des enseignements et de la vie universitaire dans le contexte actuel.
Les mesures gouvernementales prises depuis le début de la crise sont en effet apparues trop souvent générales et uniformes, ou peu adaptées aux réalités locales et aux spécificités de chaque établissement.
La vie universitaire doit rapidement reprendre pour nos étudiants. Aujourd'hui, la perspective doit être celle d'un retour progressif des étudiants sur les campus pour les apprentissages, mais aussi pour le redémarrage de la vie étudiante et de la vie sociale des étudiants. Cela suppose de faire confiance aux universités et à leurs étudiants, car ce sont eux qui sont à l'origine de la vie de campus.
Il nous faudra donc rapidement aider les associations étudiantes, sinistrées par la crise, à se relever, les accompagner financièrement, encourager l'engagement associatif et aider à rétablir le lien entre les étudiants et les associations.
Dans cette perspective, la CPU va lancer elle aussi très prochainement une grande consultation sur la vie étudiante, qui nous permettra d'envisager, avec l'ensemble des acteurs impliqués, des perspectives d'évolution pour la vie étudiante de demain.
Je tiens également à rappeler que les universités n'ont jamais été et ne sont pas des lieux de transmission du virus. Elles ont d'ailleurs prouvé, à l'automne 2020, qu'un nombre important d'étudiants - 50 % - pouvait être accueilli en présentiel sans que cela entraîne une diffusion du virus.
Aujourd'hui encore, toutes les universités mettent en place des protocoles sanitaires stricts pour assurer la présence des 20 % d'étudiants que nous sommes autorisés à accueillir.
Je tiens donc à exprimer notre incompréhension face à la différence de traitement entre les établissements d'enseignement supérieur, les BTS et les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), alors que tous ces étudiants font partie d'une même classe d'âge et sont exposés aux mêmes risques.
Nous souhaitons aujourd'hui vivement accueillir davantage d'étudiants en présentiel, car c'est l'une des seules réponses valables au mal-être et aux difficultés rencontrées par les étudiants, que j'ai évoquées au début de mon propos. Pour cela les universités ont besoin de moyens et d'une véritable écoute. Il est temps de considérer les universités, leurs personnels et les étudiants comme des interlocuteurs responsables et autonomes et de leur faire confiance.
Je vous remercie de votre attention.