Madame, messieurs, notre mission a trois objectifs : faire le point sur la crise actuelle, comprendre ce qu'elle remet en question dans l'organisation du monde universitaire et de la vie étudiante, et analyser les problèmes systémiques auxquels est confrontée la vie étudiante, ces trois volets étant étroitement liés. Nous souhaitons saisir l'opportunité de la récente médiatisation des problèmes rencontrés par les étudiants pour mener une réflexion avec l'ensemble des acteurs. À la commission de la culture, nous avons déjà travaillé avec la CPU lors du premier confinement, nos échanges ayant nourri les rapports de mes collègues Stéphane Piednoir et Laure Darcos, rapporteurs de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication pour l'enseignement supérieur et la recherche.
Monsieur Bui, vous êtes président de la commission « Vie étudiante et vie de campus » de la Conférence des présidents d'université (CPU), institution dont nous fêtons le demi-siècle cette année, fondée au moment de la rénovation de l'université telle que l'avait conçue Edgar Faure. Vous êtes par ailleurs président de l'université Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines.
Mme Laurence Canteri et M. Raphaël Costambeys-Kempczynski, vous êtes tous deux coordinateurs du réseau des vice-présidents « Vie universitaire, vie de campus et vie étudiante » de la CPU, et respectivement vice-présidente du Conseil de la vie universitaire à l'Université de Lorraine et délégué général de l'Alliance Sorbonne Paris Cité. Vous êtes accompagnés par M. Kévin Neuville, que nous connaissons bien puisqu'il assure avec beaucoup d'efficacité l'interface entre la CPU et les parlementaires.
Je rappelle que la commission « Vie étudiante et vie de campus » de la CPU est compétente pour étudier les conditions matérielles qui concourent à la réussite académique et l'épanouissement personnel de l'étudiant en tant que citoyen - accompagnement social, santé, logement, restauration, engagement sportif, associatif et participation à la démocratie universitaire. Il s'agit d'une précision importante.
Cette mission participe de la création d'une communauté universitaire liée par le même sentiment d'appartenance, de fierté et, aurais-je presque envie d'ajouter, de liberté.
La commission traite également des conditions d'accueil de publics spécifiques, en particulier les étudiants en situation de handicap, mais aussi les étudiants sportifs, engagés, salariés, étrangers, etc.
Après l'intervention du rapporteur, Laurent Lafon, vous aurez la parole, puis les collègues qui le souhaitent vous poseront des questions.
Madame, messieurs, nous sommes très heureux de vous accueillir. C'est toujours un plaisir d'échanger avec la CPU. Vous intervenez en outre directement dans le champ de notre mission, qui porte sur la vie étudiante. Nous souhaitons entendre votre analyse de la vie étudiante avant la crise de la façon dont celle-ci a pu amplifier voire affecter certains aspects, mais aussi faire le point sur la situation un an après le premier confinement, notamment du point de vue des étudiants.
Nous voudrions également savoir quel regard vous portez par rapport aux réponses qui ont été apportées : ont-elles fonctionné ou non ? Quels enseignements peut-on en tirer, qu'il s'agisse des réponses du Gouvernement ou des universités, dont on a peut-être moins parlé, parce qu'elles sont, par définition, nombreuses et diffuses ? Chacune des universités a essayé, avec ses moyens et compte tenu de la situation, d'apporter des réponses. Il est important que vous puissiez d'ores et déjà nous faire part des enseignements que vous avez pu en tirer, même si nous manquons encore de recul.
La coordination des acteurs, dans leur diversité - universités, centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (Crous), services de santé universitaire (SSU), associations, etc. - a-t-elle opéré ?
Quelles peuvent être les conclusions de cette épreuve et quelle vision pouvons-nous avoir de l'université de demain ? Nous avons lu la récente interview de Mme Canteri et de M. Costambeys-Kempczynski au media spécialisé AEF. Ils sur ce qui, demain, attirera les étudiants dans un campus, dès lors qu'on leur a appris, pendant des mois, à s'en passer ? Comment les universités vont-elles concevoir à nouveau la vie en communauté ? Quelles sont les prestations qui pourraient être développées pour rendre l'université attractive, compte tenu des nouveaux modes d'enseignement ?
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous remercie chaleureusement, au nom des présidents et directeurs d'établissements publics d'enseignement supérieur et de recherche que représente la CPU, pour votre invitation à intervenir devant vous aujourd'hui dans le cadre de la mission d'information sénatoriale sur les conditions de la vie étudiante.
Les questions relatives aux conditions de vie et d'études des étudiants ne datent pas du printemps 2020.
La précarité étudiante est un sujet dont la communauté des universités et des établissements d'enseignement supérieur s'est emparée depuis longtemps et pour laquelle nous nous mobilisons, tant nous sommes conscients que celle-ci affecte la réussite de nos étudiants et hypothèque leur futur.
Les étudiants connaissaient déjà des conditions de vie dégradées avant la crise de la Covid-19 : ils étaient touchés par la précarité matérielle, par des problèmes de santé physique et mentale, et arrivaient parfois difficilement à concilier études et emploi.
La survenue de la crise, au printemps 2020, a joué comme un catalyseur des difficultés déjà rencontrées par les étudiants. En mettant un coup d'arrêt à l'emploi des étudiants, la question des ressources financières s'est faite encore plus prégnante.
La précarité s'est accrue immédiatement, entraînant avec elle d'importants besoins en matière de paiement des loyers ou d'aides alimentaires : ce qui s'est révélé au cours de la crise, c'est la forte aggravation de la précarité matérielle des étudiants qui, pour certains, ne pouvaient subvenir à leurs besoins de base. La demande d'aides sociales a ainsi été multipliée en moyenne par 2,5 pendant le confinement du printemps 2020.
En parallèle, la mise en place parfois massive des enseignements à distance a rendu l'équipement informatique et les connexions nécessaires. Ce besoin préexistait bien sûr à la crise, mais les bibliothèques universitaires ou les salles informatiques pouvaient le satisfaire.
Nous avons constaté que l'équipement des foyers s'était par ailleurs très rapidement montré insuffisant : lors du premier confinement, parents, enfants et étudiants, tous ont eu simultanément besoin d'un équipement individuel. L'ordinateur familial s'est alors révélé insuffisant face à ces nouveaux besoins.
Des aides financières nécessaires pour soutenir les étudiants et répondre à ces difficultés ont été déployées : aides alimentaires, aides à la vie quotidienne, aides à l'équipement numérique. Les universités, les Crous et parfois les acteurs locaux se sont mobilisés. J'y reviendrai. Mais, à côté de ces difficultés matérielles, d'autres difficultés ont considérablement affecté notre jeunesse et nos étudiants. Je veux parler ici bien sûr de leur santé, tant physique que mentale.
L'isolement est malheureusement le maître mot qui résume l'année 2020 pour notre jeunesse. Comme pour toute notre société, soudain, la vie sociale des étudiants s'est arrêtée. Les interactions sociales, essentielles et d'autant plus nécessaires à cette période de la vie, ont été considérablement ralenties, pour ne pas dire suspendues. Il n'y a plus eu d'interactions entre les étudiants et leurs camarades.
La fermeture des universités, au printemps 2020, a stoppé net la vie de campus. Les associations qui animent la vie étudiante et la vie de campus ont été fortement affectées. Le triptyque formation, vie sociale et vie familiale s'est souvent concentré dans quelques mètres carrés, au travers d'un écran d'ordinateur.
Cela n'a pas été sans conséquence. La santé mentale ou psychique de nos étudiants s'est dégradée, comme en témoignent les nombreux appels reçus par les centres et associations de soutien aux étudiants. Aujourd'hui, cela fait un an que nos étudiants ne peuvent accéder aux lieux nécessaires à leur développement et à leur épanouissement. Ils sont certes présents, au compte-gouttes, au sein de nos établissements, mais ne disposent plus de tiers lieux où se réunir pour échanger et être ensemble.
Lassés, isolés, inquiets, stigmatisés souvent, en grandes difficultés psychologiques pour certains, les étudiants réagissent soit par une forme de résignation, soit par une colère que nous devons entendre. Tous ont été touchés par la crise, plus ou moins fortement selon leur environnement social, familial et leur niveau d'études.
Parmi eux, les plus affectés se sont retrouvés face à des difficultés liées à la perte de leur emploi étudiant ou à la non-réalisation de leur stage, qu'il soit rémunéré ou non, isolés physiquement et affectivement, loin de leur famille et ,souvent, dans des logements exigus. Pour les primo-arrivants dans le supérieur, le basculement dans la vie d'adulte et d'étudiant s'est opéré dans des conditions considérablement dégradées. Je ne peux dresser ici une liste exhaustive, mais j'ajoute que les étudiants en fin de cycle, particulièrement inquiets, s'interrogent sur leur insertion professionnelle en temps de crise.
Face à ce constat et à la violence de la situation, la mobilisation de l'État, des universités, des acteurs locaux, des Crous a été immédiate. De nombreuses mesures ont été prises pour accompagner les étudiants dans les différents aspects de leur vie - formation, vie universitaire, santé, social. En première ligne, les universités ont agi sur ces quatre volets, étendant ainsi leur champ d'action pour venir en aide aux étudiants. Elles ont été l'opérateur privilégié de l'État aux côtés des Crous pour le déploiement des mesures gouvernementales.
Plusieurs vagues de mesures ont été déployées : des mesures d'urgence d'abord, prises en charge par les universités sur la base des crédits de la contribution vie étudiante et de campus (CVEC) - lesquels sont répartis par les Crous au bénéfice de tous les étudiants -, d'abord à destination des étudiants en difficulté.
Ces mesures destinées à l'équipement numérique et aux aides sociales ont permis d'amortir le premier choc de la crise et d'absorber une partie des difficultés liées aux pertes d'emploi. Il convient toutefois de rappeler ici que la réaction rapide des universités via la distribution des aides financières d'urgence a pu s'opérer grâce à la CVEC dont disposaient les universités.
Or celle-ci, créée par la loi relative à l'orientation et à la réussite des étudiants (ORE), est destinée à l'origine à la dynamisation de la vie de campus. Il s'agit en effet d'une fiscalité affectée, perçue par les universités, payée par les étudiants en début d'année et dont la fonction est avant tout de financer la vie associative, culturelle, sportive, la santé et, pour une petite part, - à laquelle nous tenons - un fond social pour les étudiants. Les crédits mobilisés par les universités pour venir en aide aux étudiants ne sont donc pas issus de fonds publics mobilisés spécifiquement pour la crise.
Dans un second temps, à la rentrée 2020 et début 2021, à la suite des premières mesures mises en place par les universités, de nouvelles initiatives gouvernementales sont venues renforcer les aides sociales des Crous et les possibilités d'emploi des étudiants au sein des universités : repas à un euro dans les Crous pour les boursiers, puis pour l'ensemble des étudiants, embauche de tuteurs pour les primo-arrivants, financée par des crédits ministériels - mais sur une base de rémunération inférieure au SMIC et à ce qui est pratiqué par les universités, ce qui peut poser certains problèmes.
Pour la santé, le déploiement de la campagne de tests sur les sites universitaires, la possibilité de recrutement de psychologues supplémentaires au sein des services de santé universitaires (SSU) et la création, toute récente, d'un parcours de soins dédié à la santé mentale à travers le« chèque psy », répondent en partie aux difficultés rencontrées par les étudiants. Ces aides se sont donc ajoutées aux dispositifs mis en place par les universités dès le printemps 2020.
Évidemment, ces mesures ont considérablement aidé les étudiants en difficulté, et la mobilisation de l'État a permis de réduire l'impact de la crise. Avec un an de recul, je salue ici la mobilisation générale des acteurs de terrain au contact des étudiants et l'accompagnement de la direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle (DGESIP) du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation.
Les acteurs publics locaux - communautés d'agglomération, départements et régions - se sont mobilisés pour venir en aide aux étudiants, comme en témoignent différents exemples.
Nous avons su travailler ensemble dans l'urgence même si, avec le recul, nous sommes aujourd'hui capables d'identifier des marges de progression possibles. Je pense ici à la coordination des acteurs et au périmètre de chacun.
Au premier rang, je l'ai dit, les universités ont étendu leur champ d'action, notamment dans le domaine social, qui ne relève en théorie pas de leurs compétences. Une véritable coordination nationale en termes de logement, d'emploi ou d'aides sociales pour les étudiants pourrait être bénéfique en termes d'efficacité des dispositifs.
Par ailleurs, permettez-moi de souligner l'urgence d'une hausse pérenne du soutien aux SSU, dont les moyens et le fonctionnement sont très hétérogènes selon les universités. Cette hausse s'avère essentielle pour les années à venir, car les SSU sont les premiers interlocuteurs des étudiants pour répondre à leurs problèmes de santé physique et mentale.
Les mesures gouvernementales et la mobilisation des acteurs ont répondu à l'urgence. Toutefois, elles n'ont pas répondu aux difficultés majeures et structurelles que connaissent les étudiants et les universités. Je veux parler ici, d'une part, de la présence, nécessaire, vitale des étudiants au sein des établissements, d'autre part, des notions de responsabilité, de compétences et d'autonomie des universités.
Depuis un an, les universités ont coordonné et mis en oeuvre les mesures décidées par le Gouvernement, mais ont été dépossédées de leurs responsabilités et de leur autonomie. Elles ont subi, au gré des discussions entre ministères, les décisions et circulaires relatives à la présence des étudiants sur les campus. Pourtant, malgré quelques images malheureuses diffusées dans certains médias, les universités ont, depuis le début de la crise, su s'adapter, créer des protocoles sanitaires rigoureux, repenser les enseignements, mobiliser leurs équipes administratives et enseignantes, qui n'ont pas compté ni leur temps ni leur énergie pour assurer leur fonction première : former notre jeunesse.
Dans leur immense majorité, les étudiants et les personnels des universités se sont montrés responsables et exemplaires dans le respect des protocoles sanitaires. Les étudiants ont aussi subi, sans disposer d'aucune visibilité, les hésitations à répétition - certains parlent d'atermoiements - au sein des universités, que l'on a fermées alors qu'on laissait d'autres lieux ouverts. On les a rouvertes à 50 % à la rentrée, puis fermées à nouveau, avant de laisser les étudiants revenir en travaux pratiques, d'admettre ceux de première année, etc.
Les étudiants ont fait de leur mieux pour s'adapter à cette situation. Les équipes pédagogiques sont parvenues à conserver le lien avec la plupart d'entre eux, mais nous avons aussi malheureusement perdu le contact avec certains.
On constate donc, depuis maintenant un an, trop d'incertitudes, une absence de visibilité, de perspectives et donc d'espoir et de motivation pour notre jeunesse, même si l'on peut comprendre la complexité des décisions. Un an après, avec le recul dont nous disposons, il nous apparaît nécessaire de redonner de l'autonomie aux universités dans la gestion de la crise.
Les universités sont, par définition, des acteurs de terrain qui sont les plus à même de gérer localement, selon leurs spécificités propres, l'organisation et l'adaptation des enseignements et de la vie universitaire dans le contexte actuel.
Les mesures gouvernementales prises depuis le début de la crise sont en effet apparues trop souvent générales et uniformes, ou peu adaptées aux réalités locales et aux spécificités de chaque établissement.
La vie universitaire doit rapidement reprendre pour nos étudiants. Aujourd'hui, la perspective doit être celle d'un retour progressif des étudiants sur les campus pour les apprentissages, mais aussi pour le redémarrage de la vie étudiante et de la vie sociale des étudiants. Cela suppose de faire confiance aux universités et à leurs étudiants, car ce sont eux qui sont à l'origine de la vie de campus.
Il nous faudra donc rapidement aider les associations étudiantes, sinistrées par la crise, à se relever, les accompagner financièrement, encourager l'engagement associatif et aider à rétablir le lien entre les étudiants et les associations.
Dans cette perspective, la CPU va lancer elle aussi très prochainement une grande consultation sur la vie étudiante, qui nous permettra d'envisager, avec l'ensemble des acteurs impliqués, des perspectives d'évolution pour la vie étudiante de demain.
Je tiens également à rappeler que les universités n'ont jamais été et ne sont pas des lieux de transmission du virus. Elles ont d'ailleurs prouvé, à l'automne 2020, qu'un nombre important d'étudiants - 50 % - pouvait être accueilli en présentiel sans que cela entraîne une diffusion du virus.
Aujourd'hui encore, toutes les universités mettent en place des protocoles sanitaires stricts pour assurer la présence des 20 % d'étudiants que nous sommes autorisés à accueillir.
Je tiens donc à exprimer notre incompréhension face à la différence de traitement entre les établissements d'enseignement supérieur, les BTS et les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), alors que tous ces étudiants font partie d'une même classe d'âge et sont exposés aux mêmes risques.
Nous souhaitons aujourd'hui vivement accueillir davantage d'étudiants en présentiel, car c'est l'une des seules réponses valables au mal-être et aux difficultés rencontrées par les étudiants, que j'ai évoquées au début de mon propos. Pour cela les universités ont besoin de moyens et d'une véritable écoute. Il est temps de considérer les universités, leurs personnels et les étudiants comme des interlocuteurs responsables et autonomes et de leur faire confiance.
Je vous remercie de votre attention.
Je voudrais revenir sur votre demande d'autonomie. Concrètement, si vous aviez pu disposer de plus de liberté, dans quel domaine auriez-vous agi en priorité ?
Les universités ont, dès le début de la crise, pris des mesures en matière de santé - recrutement de psychologues, renforcement des SSU -, de matériel informatique et d'aides d'urgence.
Il existe de petites universités, de grandes universités, certaines implantées dans des villes, quelques-unes au sein de territoires plus étendus. D'autres comptent un ou deux gros campus, voire plusieurs répartis sur le territoire. La gestion et l'accueil des étudiants ne peuvent donc se faire de manière uniforme.
L'enjeu est de faire confiance aux universités : l'une, de par sa structure, peut estimer être en mesure d'accueillir 60 ou 70 % des étudiants dans le respect des règles sanitaires ; une autre peut évaluer le seuil à ne pas dépasser à 30 % de sa capacité. Les universités savent être au plus proche du terrain et adapter leur jauge. Les instituts universitaires de technologique (IUT), quant à eux, peuvent être considérés comme les lycées.
Depuis le début de la crise, les élus locaux et les collectivités ont été au plus près des habitants pour fournir des masques et des tests. Aujourd'hui, la campagne de vaccination passe aussi par eux. Or les universités ne sont pas isolées au milieu de nulle part. À aucun moment, vous ne parlez de l'aide apportée par les communes aux campus et aux étudiants.
Les communes ont les moyens d'aider les étudiants en leur proposant des animations ou en leur offrant des paniers alimentaires. Tout cela se fait déjà en bonne intelligence ; j'en veux pour preuve les initiatives prises par le maire de Verrières-le-Buisson. Qu'en pensez-vous ? J'ai, pour ma part, écrit à la ministre et au rectorat pour ouvrir des tiers lieux dans les communes afin de proposer aux étudiants des endroits où travailler en attendant la réouverture des universités - salles de classe, etc. Les associations n'ayant plus la possibilité de se réunir, il existe de ce fait beaucoup de locaux disponibles dans les communes. C'est assez simple à mettre en place. Quel est votre sentiment sur ce point ?
Par ailleurs, les jeunes sont en passe de devenir les premiers à être contaminés par le variant anglais et à saturer les réanimations. Pourquoi ne leur propose-t-on pas les tests salivaires que l'on pratique dans le primaire et dans le secondaire ? Dans mon entourage familial, j'ai le témoignage d'étudiants qui, lorsqu'ils se font tester, le font en toute responsabilité, tout comme leurs camarades, et qui déclarent ne pas apprendre du tout de la même façon en présentiel et en visioconférence. C'est très inquiétant pour la suite, car la situation que l'on connaît depuis un an va compromettre le niveau de cette génération.
Je suis d'accord avec le tableau de la situation qui a été dressé il y a quelques instants. Je pense néanmoins qu'il convient que notre mission fasse la distinction entre ce qui relève de la crise actuelle, dont on espère pouvoir sortir rapidement, et les difficultés plus structurelles que connaissent les étudiants.
Même si je considère que la crise sanitaire va forcément souligner un certain nombre de phénomènes, il faudra être clairvoyant au sujet des dispositions qui doivent s'appliquer hors crise sanitaire.
J'entends ce que vous avez dit au sujet de l'autonomie des universités, et je m'étonne qu'il n'y ait pas eu d'échanges entre le ministère et les représentants des universités pour évaluer leurs capacités d'accueil. Comme vous l'avez dit, les campus sont très différents les uns des autres, même au sein d'un même département. Peut-être aurait-il fallu définir un taux d'occupation par campus, même si cela aurait pu créer des disparités entre étudiants - et l'on sait que ceux-ci sont très attachés à un traitement équitable d'une ville à l'autre ?
Quant au parallèle avec les classes préparatoires, auxquelles je suis très attaché, je le trouve un peu étrange, car il n'y existe pas de campus de 250 ou 300 places. L'enseignement dispensé dans les classes préparatoires a lieu dans les lycées. Je ne dis pas que maintenir 36 élèves dans des classes de 30 mètres carrés est pertinent, mais c'est la volonté du ministre pour le secondaire. Ceci s'applique donc aux classes préparatoires et souligne l'absence d'autonomie des établissements secondaires.
Par ailleurs, la crise sanitaire, vous l'avez dit, a permis l'utilisation très rapide de la CVEC. Cela signifie a contrario que son fléchage n'était pas extrêmement clair et son périmètre pas totalement défini. La preuve en est qu'on a pu la mobiliser pour des actions au demeurant fort utiles durant cette crise. Doit-on l'affecter à des besoins urgents ou à des animations récurrentes et pérennes sur les campus ?
Le ministère a par ailleurs déployé un volant de 2 600 étudiants tuteurs, dont les conditions de rémunération peuvent poser problème, ainsi que vous en avez fait état.
Des psychologues ont également été recrutés dans les universités. Ce besoin a-t-il été clairement exprimé par les étudiants, autant que vous puissiez le savoir ? Dans quel intervalle de temps cette mesure peut-elle être mise en oeuvre ? Le vivier de professionnels existe-t-il ? Ce mouvement est-il en cours ?
co-coordinatrice du réseau des vice-présidents « Vie universitaire, vie de campus et vie étudiante » de la CPU, vice-présidente du Conseil de la vie universitaire de l'Université de Lorraine. Je m'associe bien entendu à l'introduction d'Alain Bui, et je me permets d'insister sur la territorialisation du problème. En effet, on a tendance à penser que les étudiants vivent tous dans les grandes villes et logent dans des résidences universitaires, alors que la population est extrêmement hétérogène. Il faut essayer de maintenir l'équité dans l'accès aux services. C'est encore plus prégnant en temps de crise.
Je rappelle par ailleurs que la CVEC n'est pas constituée que d'argent nouveau. Trois ressources lui ont été transférées, l'ancienne cotisation pour la santé de 5,10 euros que payaient l'ensemble des étudiants, y compris les boursiers, la part sociale du Fonds de solidarité et de développement des initiatives étudiantes (FSDIE), d'un montant de 16 euros et, en fonction des universités, les cotisations pour le sport et la culture, dont les montants étaient fixés par chaque université.
Nous avons en effet rapidement mobilisé cette contribution, mais il ne faut pas croire que les universités n'avaient pas de projet pour son utilisation. Conformément aux textes réglementaires, nous avons mis en place des commissions dans lesquelles nous réfléchissons à la programmation de l'utilisation de la CVEC. Celle-ci est votée tous les ans par les conseils d'administration. Cela passe par toute une série de commissions et de conseils, dans lesquels siègent les acteurs de la vie étudiante et des étudiants. Il a donc été possible de la mobiliser rapidement, mais cela s'est évidemment fait au détriment des autres projets.
Certes, la vie associative étant à l'arrêt, nous avons pu faire des économies, mais nous devons aussi réaliser des provisions pour des projets d'ampleur lorsque la vie étudiante va reprendre.
Vous avez entièrement raison, madame Darcos : je n'ai peut-être pas assez insisté, étant moi-même dans une université ancrée dans son territoire, sur le rôle des villes, des communautés urbaines, des départements et des régions, qui a été fondamental durant la crise. Les universités travaillent main dans la main avec les acteurs du territoire - et c'est indispensable.
Autonomie ne signifie toutefois pas autarcie. Je vais illustrer mon propos par deux exemples. Le département des Yvelines vient de mettre en place une action destinée à payer l'euro supplémentaire pour les repas du Crous. Dans notre université multi-sites, où les associations étudiantes ont mis en place une épicerie solidaire (Agoraé), le département nous a aidés à créer une Agoraé mobile, en mettant à notre disposition un bus pour nous déplacer et distribuer de l'aide alimentaire sur l'ensemble du territoire. Il existe beaucoup d'autres exemples de ce type.
Quant à la vaccination, le sujet nous intéresse évidemment, et les universités sont disponibles pour accueillir des centres de vaccination pour les étudiants et les enseignants.
Concernant les tests salivaires, je crois savoir qu'ils sont en cours. Des demandes sont faites, mais le processus prend du temps.
S'agissant des tiers lieux, comme celui de Verrières-le-Buisson, ils sont extrêmement importants. Tout local qui peut accueillir des étudiants afin qu'ils puissent se réunir dans le respect des consignes sanitaires constitue une offre bienvenue et extrêmement utile pour les étudiants.
co-coordinateur du réseau des vice-présidents « Vie universitaire, vie de campus et vie étudiante » de la CPU, délégué général de l'Alliance Sorbonne Paris Cité. - Je veux insister sur les tiers lieux. Même si le tableau que nous dressons ce matin apparaît sombre, il est sans doute important d'essayer d'identifier les opportunités qui peuvent se dégager avec la crise.
Reconnaître aujourd'hui que l'université est aussi une actrice citoyenne sur son territoire, qu'elle travaille en coordination avec les structures locales et les élus, représente un enjeu extrêmement important. Il faut consolider un certain nombre d'actions afin de pouvoir avancer. La question des tiers lieux en fait partie.
Cet écosystème est fondamental et touche à la question de la modulation de la réponse à apporter, territoire par territoire - d'où la question de l'autonomie. Il n'y a pas, comme l'a rappelé Mme Canteri, un profil unique d'étudiant, comme il n'y a pas un profil unique universitaire.
S'agissant de la CVEC, dans un contexte de crise, il semble logique qu'elle soit mobilisée pour financer un certain nombre d'actions, y compris en matière d'aide sociale, destinées aux étudiants les plus dans le besoin. Toutefois, il faudrait éviter que cette gestion de crise ne se pérennise. La CVEC a été mise en place pour essayer de transformer la vie étudiante dans nos établissements et non pour régler les crises.
Comment construire la vie de campus de demain ? Cela passera aussi par le pouvoir de transformation qu'apportent les moyens de la CVEC. Ce sera à chaque université de voir comment utiliser ces fonds comme levier afin de faire progresser la question de la vie étudiante de manière structurelle
Nous avons pu identifier à quel point les questions de vie étudiante sont liées à celles de la vie académique des étudiants. Nous avons jusqu'alors séparé les questions de logement, de restauration et d'aides sociales de celles de l'individualisation des parcours et des formations en tant que telles. Cette crise souligne à quel point nous ne pouvons plus cloisonner ces différents aspects. La vie étudiante est fortement et intimement liée aux études, à la formation et à la vie académique.
Ceux qui me connaissent savent que je fais depuis plus d'une décennie la promotion de ce qu'on appelle les politiques d'expérience étudiante, qui créent des points d'articulation entre la vie étudiante et la formation des étudiants.
En Île-de-France, avant la crise, un peu plus d'un étudiant sur cinq habitait à plus d'une heure de son lieu de formation. Or nous savons que la distance géographique favorise l'éloignement des camarades de classe, des amis, des activités péri- et extra-universitaires, pousse à l'isolement et entraîne une baisse d'assiduité, d'épanouissement et donc de réussite académique. Toutes ces problématiques sont liées.
Pendant la crise sanitaire, nous avons vu à quel point les questions de fracture ou de précarité numérique sont également un point d'articulation entre la vie étudiante et la formation académique. On considérait jusqu'à présent qu'équiper les étudiants d'un ordinateur et d'une connexion internet relevait de la vie étudiante quotidienne. Aujourd'hui, nous savons que c'est un point d'accès à la formation et aux études.
Ayant identifié la problématique des équipements, nous devons aujourd'hui travailler la question des usages. Nous présupposons que la jeunesse connaît mieux les outils numériques que les enseignants du supérieur. C'est peut-être vrai dans certains domaines, mais on voit bien qu'un travail d'accompagnement est aujourd'hui nécessaire concernant les usages liés à la logique d'apprentissage et de professionnalisation.
Si l'on peut espérer que les choses se normalisent, nous savons qu'il n'y aura pas de retour en arrière. Le développement du numérique, par exemple, pour aider et accompagner les étudiants dans leur vie universitaire, devra être préservé et nous devrons bâtir sur cet acquis.
J'insiste vraiment sur le fait que nous ne pouvons plus séparer vie étudiante et vie académique.
C'est un point qui mériterait sans doute que nous lui consacrions une matinée entière. On sent en effet que la problématique est bien plus vaste et complexe que ce que vous avez pu nous présenter ce matin de façon extrêmement synthétique.
J'aurais souhaité vous interroger sur vos relations avec les Crous, qui ont été en première ligne pour mettre en oeuvre le tarif du repas en restaurant universitaire à un euro et d'autres actions de soutien aux étudiants sur les campus.
Si les Crous interviennent aussi sur le plan de l'accompagnement social des étudiants, mon expérience professionnelle m'a conduit ces dernières années à constater qu'ils étaient parfois en retrait et que leur disponibilité à ce niveau était moindre.
Au-delà de leur fonction de restauration et d'accompagnement social des étudiants, comment jugez-vous l'intervention des Crous ? Celle-ci a-t-elle été homogène sur le territoire national ? J'ai le sentiment que cela dépend assez directement des équipes de direction, qui peuvent avoir des moyens et des niveaux d'engagement différents. Pour avoir évalué, via différentes instances ministérielles, un certain nombre établissements, en particulier des IUT, je pense à des sites délocalisés, distants du site central.
Je félicite les intervenants pour la qualité de leurs propos, qui nous décrivent une situation des étudiants que nous percevons comme n'étant guère heureuse, alors que c'est la période de la vie où l'on devrait engranger ses meilleurs souvenirs.
Il est vrai que la crise sanitaire a mis en évidence les failles d'un système. Je pense qu'elle montrera aussi de formidables capacités d'adaptation, à la fois des étudiants, mais aussi des professeurs. Vous avez évoqué l'équipement informatique des étudiants, qui souvent n'est pas à la hauteur, mais savez-vous si les enseignants ont eu eux aussi des difficultés dans ce domaine ? Leur équipement était-il parfaitement adapté à la nouvelle mission qu'ils devaient remplir ?
Mes questions portaient sur la contribution étudiante. Vous y avez en grande partie répondu en vous adressant aux collègues qui ont abordé ce point avant moi. La CVEC doit être plus précise, plus pérenne et plus structurelle. Nous y veillerons.
Peut-être faut-il rester prudent s'agissant d'un fléchage plus précis de la CVEC. Il existe déjà des montants planchers, en particulier dans le domaine de la santé des étudiants, mais de nombreux établissements ont des pratiques hétérogènes. Dans mon établissement, nous essayons de mettre l'accent sur les sites distants. Avant la crise, nous avons, par exemple, renforcé le temps infirmier. Bien sûr, nous rencontrons, comme tout le monde, des difficultés à trouver des médecins, mais nous y sommes parvenus pour des sites distants des métropoles.
Nous avons également développé le sport afin de redonner vie à des campus plus petits et plus éloignés, en essayant d'apporter un vrai niveau de service aux étudiants. À trop vouloir flécher, on risque de créer beaucoup de cases et de générer des contraintes pour les établissements.
S'agissant des Crous, les relations ne sont pas toutes identiques au niveau national, mais la crise fait qu'il existe aujourd'hui beaucoup plus d'articulations avec les établissements. C'est une excellente chose.
Plus les relations étaient proches avant la crise, plus il a été facile de basculer dans un fonctionnement d'urgence et d'aider au mieux les étudiants. Cependant, comme Alain Bui le disait tout à l'heure, nous avons une marge de progression : il faut renforcer les relations. Aujourd'hui, le repas à un euro n'est pas accessible à tous les étudiants, et cela crée une différence. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'il n'y a pas des points Crous partout. Peut-être faut-il les accompagner. Nous y travaillons afin de créer des points où les étudiants pourraient avoir accès à ces repas. Je ne connais pas le tarif du repas à la rentrée 2021 mais, quel qu'il soit, il faut que les étudiants puissent y avoir accès. Ce n'est pas toujours le cas sur les petits sites, même s'il faut souligner l'effort d'adaptation des Crous en matière de restauration.
Vous avez évoqué le décrochage. Nous avons le sentiment qu'il existe toujours une certaine opacité sur ce sujet et une vraie difficulté pour obtenir des chiffres.
Sans être provocant, n'y a-t-il pas là un sujet tabou ? Parler du décrochage, c'est reconnaître une forme d'échec. Quelle est la réalité de ce phénomène cette année ? Il semble que les chiffres ne soient pas très différents par rapport aux années précédentes et que la période actuelle n'ait pas entraîné de décrochage particulier. Qu'en est-il exactement ? N'y aurait-il pas intérêt, si l'on veut être efficace en termes de politiques publiques, à être plus transparent sur les chiffres ? Je pense en particulier aux premières années.
Le lien entre les conditions de la vie étudiante et la réussite académique pose pour les étudiants les plus fragiles la question du suivi individuel et de l'accompagnement. Qui, selon vous, peut s'en charger ?
N'est-ce pas trop demander à un enseignant de se préoccuper, en plus de ses tâches académiques, de tout ce qui fait la vie étudiante - ressources, logement, etc. ? S'il n'en a pas la charge, quelles actions faudrait-il renforcer, éventuellement en partenariat avec les territoires, pour répondre à ces problèmes ?
La CPU s'est saisie de la question du décrochage et a lancé une enquête auprès de ses membres. Nous avons reçu une trentaine de réponses. Le président de la CPU fait en ce moment même une conférence de presse pour présenter les taux de réussite, les retours sur site, le décrochage, etc.
Si nous voulons une analyse claire et fine de la situation et de ses impacts, il faut jouer la transparence. Les échecs font partie de la vie, et il faut les prendre en compte. Il n'existe aucune volonté de laisser croire que tout va bien. Nous vous transmettrons ces résultats dès que possible.
S'agissant de l'équipement informatique, les universités se sont massivement équipées sur le plan numérique pour ce qui est de la visioconférence, du comodal, de l'hybridation. Nous allons essayer de chiffrer la part d'investissement des universités. Dans la mienne, plusieurs centaines de milliers d'euros ont été consacrées à l'équipement individuel des enseignants et des personnels administratifs qui ont été amenés à travailler à distance. Ils n'étaient pas équipés. Les universités ont donc dû y remédier. Un appel à projets sur l'hybridation a également été lancé par notre ministère de tutelle. Il a permis de s'équiper et de former les enseignants en ce sens.
J'ai eu la chance de diriger le centre d'enseignement à distance de la Sorbonne Nouvelle, il y a maintenant presque quinze ans, au moment du tournant opéré en matière de numérique, et de participer à la démarche d'accompagnement des enseignants et des enseignants-chercheurs dans l'appropriation de ces outils.
J'ai même eu la chance, à cette occasion, d'animer et de produire un podcast sur l'e-learning. Nous nous demandons avec certains collègues, dans le contexte de la crise, si nous ne devrions pas faire revivre ce podcast. Nous avons écouté les anciennes émissions qui datent de 2007-2008 et avons été frappés de voir à quel point les questions que l'on évoquait à l'époque restent d'actualité.
Le contexte de crise a joué un rôle de catalyseur et a permis de réfléchir à la problématique de l'équipement, de l'outillage et de l'environnement numérique nécessaires pour les enseignants et les enseignants-chercheurs par rapport à leur mission de formation. Car enseigner avec les outils numériques change fondamentalement la nature de l'enseignement.
Dans une logique de crise, nous ne sommes pas, par définition, dans un environnement serein. On emploie ces outils numériques, mais on a tendance à garder sa manière d'enseigner, comme si on était encore dans une salle de classe.
Cette évolution demande donc un certain accompagnement. Les universités sont depuis quelques années dans une démarche d'innovation pédagogique et d'accompagnement des enseignants et des enseignants-chercheurs. Nous mettons en place des formations pour les nouveaux maîtres de conférences stagiaires dans ce domaine. C'est un point qu'il faut renforcer sur le long terme.
Je n'ai pas évoqué la question des psychologues. Or c'est notre devoir d'insister, comme le président Bui l'a fait dans son propos liminaire, sur la question de la santé mentale étudiante. C'est un sujet sans doute trop long à traiter dans le temps qui nous est imparti ce matin, mais nous savons que c'est durant les premières années de la construction identitaire du jeune adulte que se manifestent le plus grand nombre de problématiques liées à la santé mentale. C'était le cas avant la crise sanitaire, et cela s'est accentué pendant celle-ci.
Nous sommes aujourd'hui tous conscients des difficultés. La santé mentale peut varier, tout comme la santé physique. On peut avoir affaire à des problématiques plus ou moins importantes. Elles ne nécessitent d'ailleurs pas systématiquement un accompagnement médicalisé. Si j'en parle, c'est parce que nous venons d'évoquer la question des enseignants et des enseignants-chercheurs, qui restent le point de contact principal entre un étudiant et son institution.
La possibilité de témoigner ou d'identifier une variation psychologique chez un étudiant ne s'invente pas : elle s'accompagne. C'est sans doute très difficile pour nos collègues d'être face à des étudiants en grande difficulté, de pouvoir identifier les problématiques qui se manifestent d'une part, de savoir les gérer d'autre part, d'orienter les étudiants vers les services appropriés si nécessaire, de savoir comment entamer la démarche d'accompagnement et d'orientation. Il ne faut pas oublier la place des enseignants et des enseignants-chercheurs dans le contexte actuel.
À la rentrée 2021, aucun étudiant, sur les trois années de licence, n'aura connu une vie universitaire qu'on pourrait qualifier de normale. Ces étudiants s'interrogent aujourd'hui sur le sens des enseignements et la valeur de leur diplôme.
Les étudiants en master, surtout ceux de master 2, commencent ce mois-ci à entamer leur stage de fin d'études et se posent des questions à propos de leur stage et de leur insertion professionnelle. Les doctorants, surtout non contractuels, se retrouvent en grande difficulté financière pour achever leur cursus. Certains travaux de recherche sont potentiellement en souffrance.
Avant la crise sanitaire, sur le plan national, 47 % des étudiants avaient une activité rémunérée, d'où l'importance de pouvoir accéder à ces emplois.
L'individuation des parcours, dans un contexte de massification de l'enseignement supérieur, est un sujet vaste et complexe. Nous n'avons pas évoqué les associations étudiantes, qui sont des acteurs extrêmement importants de l'animation des campus et qui peuvent aussi créer un lien entre le campus et le territoire, le campus et la localité, le campus et la commune, voire des activités d'entreprenariat étudiant.
Ces activités, fortement articulées avec la formation étudiante, étaient auparavant qualifiées de péri-universitaires ; elles sont aujourd'hui considérées comme des vecteurs de professionnalisation, d'épanouissement et de réussite. Elles permettent aussi aux étudiants de tracer un parcours plus individualisé, au sein d'une population étudiante de plus en plus nombreuse.
Lors de la visite de la ministre pour la reprise en présentiel à l'université de Bordeaux, les étudiants, dont c'était le premier cours en présentiel, ne connaissaient personne. Ils nous ont indiqué qu'ils étaient prêts à décrocher, ce manque de lien étant pour eux un handicap. La motivation leur faisait défaut.
Avez-vous connaissance d'initiatives destinées à éviter le décrochage ? La question est vaste, mais le phénomène est inquiétant, surtout pour les premières années.
La vie culturelle fait d'une manière générale cruellement défaut dans la période que nous traversons. Avez-vous connaissance d'initiatives pour maintenir une vie culturelle, dont on sait qu'elle est essentielle pour tout le monde et encore plus pour les étudiants, car elle est source d'échanges et de créativité ?
Avez-vous eu connaissance, parmi les professeurs, de problèmes d'utilisation du matériel informatique durant les cours à distance ? Des disciplines ou des filières ont-elles été identifiées comme plus problématiques à cet égard ? Avez-vous pu en tirer un bilan ?
Vous avez par ailleurs évoqué la question des primo-arrivants et de leurs grandes difficultés. En tirez-vous des conséquences pour mettre en oeuvre un lien plus fort entre la fin du lycée et l'université ?
Je ne saurais terminer sans évoquer la question des étudiants en santé qui sont concernés par la mise en oeuvre de la réforme de ces études, dans des conditions très difficiles, et pour lesquels on a d'ores et déjà identifié de grandes difficultés. Disposez-vous d'éléments concernant cette filière ?
Ne pourrait-on mieux identifier, dans le contrat pluriannuel d'établissement qui lie une université à l'État, ce qui relève de la vie étudiante ? Ne serait-il pas utile d'y introduire des clauses permettant de lier ce contrat aux collectivités ? Cette relation contractuelle entre l'État et l'université ne permet en effet pas de répondre aujourd'hui à la totalité de la problématique.
Des schémas directeurs de la vie étudiante sont adossés aux contrats pluriannuels d'établissements. On les appelle schémas directeurs ou schémas d'amélioration de la qualité de vie étudiante. Ils sont également portés par les établissements, les sites, voire les communes.
Il faut les faire vivre et en tirer le bilan afin de progresser. On doit reconnaître que la CVEC a contribué à conférer des moyens à ces schémas.
Pour ce qui est de la vie culturelle, du sport et du bien-être, les établissements ont rivalisé d'initiatives. La plupart d'entre elles sont malheureusement en ligne, ce qui veut dire que l'étudiant, après sa journée de cours en distanciel, doit se connecter à nouveau. Je précise que certains sites utilisés par les gamers ont été détournés, comme le logiciel Discord ou autres.
Sur ces sites, on trouve du sport en ligne, des conseils pour utiliser le matériel urbain et pratiquer en extérieur lorsqu'on est confiné. Il y a également des concerts en ligne, etc.
Dans mon établissement, les associations utilisent Discord afin de garder le lien avec les étudiants. Nous avons ouvert son usage à l'ensemble des étudiants. Tous ne s'en servent pas, mais des étudiants « relais-santé » organisent des animations en ligne sur le thème de l'alimentation, sujet dont on n'a pas parlé. Conserver une alimentation équilibrée quand on ne va pas très bien et qu'on est isolé n'est pas toujours facile.
Les services sont prêts à rouvrir par petits groupes, en respectant les protocoles sanitaires, afin de redonner un petit peu de vie à nos campus.
Je me permets de délivrer ici un dernier message. Nous avons équipé nos étudiants et nos enseignants, nous avons fait des prêts et donné des ordinateurs. Nous avons envoyé, surtout lors du premier confinement, des clés 4G aux étudiants pour qu'ils puissent suivre leurs cours, mais tout cela ne peut fonctionner que si nous disposons d'un réseau. Or le premier confinement a mis en évidence le problème des zones blanches, qui existent encore. Cela ne dépend pas des établissements, mais nous avons été démunis quand des étudiants nous appelaient et nous expliquaient qu'ils se trouvaient confinés dans une zone blanche. Nous n'avions d'autre solution que de leur envoyer les cours par La Poste.