Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis deux ans, nous débattons dans cet hémicycle à l’issue des réunions du Conseil européen. L’expérience a montré que la formule n’était pas satisfaisante.
De fait, le moment politique où les parlements nationaux peuvent mobiliser l’exécutif se situe plutôt en amont qu’en aval du Conseil européen.
Aussi, dès le renouvellement de la commission des affaires européennes, en octobre dernier, son bureau a proposé à l’unanimité de rétablir en séance plénière le débat préalable au Conseil européen, comme c’était le cas auparavant.
Cette proposition a été acceptée par le groupe de travail sur la modernisation de nos méthodes de travail, présidé par Mme Pascale Gruny, vice-présidente du Sénat. Nous nous en félicitons. La nouvelle formule retenue par le groupe de travail prévoit une discussion générale plus longue permettant aux groupes politiques d’exposer leurs positions avant chaque réunion trimestrielle des chefs d’État ou de gouvernement européens.
Après le Conseil européen, la commission des affaires européennes entendra désormais le ministre chargé des affaires européennes pour qu’il lui en rende compte. Nous espérons que cette nouvelle formule satisfera chacun d’entre vous. Souhaitons aussi que, au vu des enjeux, les sujets européens retiennent l’intérêt d’un nombre toujours croissant de nos collègues.
Nous voici donc à l’avant-veille d’un prochain sommet européen, qui se déroulera une nouvelle fois par visioconférence. La situation sanitaire de l’Europe, comme celle de la France, reste la préoccupation première. Elle se dégrade nettement depuis un mois à l’échelle européenne et cette dégradation va s’accélérant à mesure que les variants du virus prennent le dessus.
Notre priorité absolue doit être de maximiser l’approvisionnement en vaccins des États. Nous appuyons donc l’action menée par la Commission dans deux directions.
Première direction : augmenter le plus possible notre capacité de production industrielle de vaccins. À cet égard, je veux saluer ici la détermination du commissaire Thierry Breton à identifier les goulots d’étranglement dans les chaînes de production ; il a ainsi encouragé les entreprises européennes à développer des synergies.
Il sera auditionné la semaine prochaine par la commission des affaires économiques et la commission des affaires européennes réunies, et nous ne manquerons pas de l’interroger à ce sujet.
Seconde direction : maîtriser les exportations européennes de vaccins.
Depuis deux mois, la Commission a les moyens juridiques de bloquer l’exportation des vaccins pour lesquels elle a conclu des contrats d’achats anticipés. Elle ne l’a fait qu’une seule fois, la semaine dernière ; est-ce suffisant ? La France doit faire valoir auprès du Conseil européen que, sans perdre de vue l’objectif d’un accès mondial aux vaccins, nous devons à nos concitoyens les vaccins dont ils ont besoin.
Il n’est pas envisageable de laisser des vaccins produits sur le sol européen quitter l’Union européenne alors que celle-ci ne reçoit même pas les doses promises dans le cadre des contrats. Il ne s’agit pas de fermer nos frontières mais d’appliquer un principe de réciprocité, afin que l’Union ne soit pas seule à supporter l’inconséquence de fabricants incapables d’honorer les contrats. Sans vaccination, en effet, nos libertés restent confinées et la relance de l’économie européenne demeure une chimère.
Enfin, notre pays doit rappeler au Conseil européen l’importance d’un travail approfondi sur le projet de certificat vert numérique pour restaurer la liberté de circulation dans le respect des droits fondamentaux. J’indique d’ailleurs que notre commission des affaires européennes proposera sur ce sujet une résolution européenne dès la semaine prochaine.
Je ne m’étendrai pas sur les autres questions à l’ordre du jour du prochain Conseil européen, à savoir le marché unique et la politique industrielle numérique, ainsi que les relations extérieures en Méditerranée orientale et avec la Russie – je sais que d’autres collègues y reviendront.
Je veux seulement partager un motif de satisfaction profonde : le projet de conclusions du Conseil européen pointe du doigt nos dépendances stratégiques. Cette évolution fondamentale atteste d’une réelle prise de conscience, parmi les Vingt-Sept, de l’enjeu que représente l’autonomie stratégique européenne. Ces mots prêtent toujours à un débat sémantique : chaque État membre leur donne un sens différent selon sa propre situation.
Mais les faits sont là : la Commission entreprend d’analyser nos dépendances stratégiques, et pas seulement dans le domaine pharmaceutique. Terres rares, batteries électriques, microprocesseurs… L’Union européenne ne sera jamais autosuffisante. Elle doit donc construire des stratégies, en s’appuyant notamment sur les pays de son voisinage et en veillant à s’assurer la maîtrise du volet logistique ; les ports et autres infrastructures sont eux aussi d’importance stratégique.
Les projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC), qui permettent de déroger doublement aux règles européennes de concurrence, constituent une opportunité que l’Europe doit exploiter si elle veut exister dans ce nouveau monde qui prend forme autour du cloud, de l’ordinateur quantique, du supercalculateur et des constellations spatiales.
Je relève aussi que le sommet de la zone euro qui suivra la réunion du Conseil européen se penchera sur les moyens de renforcer le rôle international de l’euro, autre clé de l’autonomie européenne. Ne faut-il pas envisager la mise en place d’une banque européenne du commerce extérieur pour sécuriser nos entreprises à l’international contre les sanctions extraterritoriales ?
Monsieur le secrétaire d’État, quel espoir avons-nous de faire partager toutes ces ambitions à nos partenaires européens ?