Intervention de Didier Marie

Réunion du 23 mars 2021 à 21h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 25 et 26 mars 2021

Photo de Didier MarieDidier Marie :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la semaine dernière, dans mon département de la Seine-Maritime, 18 hommes, 5 femmes et 10 enfants ont été secourus à Dieppe alors qu’ils tentaient de rejoindre la Grande-Bretagne en traversant la Manche sur une embarcation pneumatique instable et extrêmement dangereuse.

Heureusement, tous s’en sont sortis sains et saufs. Mais, sur ces cinq derniers mois, ces situations se sont multipliées tout le long de nos côtes, des Hauts-de-France à la Normandie, interrogeant sur les conséquences du Brexit, la fin de l’application des accords de Dublin et la collaboration entre l’Union européenne, la France et la Grande-Bretagne en matière de migrations.

Monsieur le secrétaire d’État, il est urgent de définir un nouveau cadre de partenariat pour éviter les drames, et nous serions intéressés d’en connaître les modalités.

En Méditerranée, ces drames humains n’ont jamais cessé depuis 2014. Ils tendent à se multiplier depuis un an en raison de la situation sanitaire et vont s’accroître avec l’amélioration des conditions climatiques.

En novembre dernier, un navire a maintenu 1 195 migrants en quarantaine au large de la Sicile. D’autres bateaux ont vu leurs délais de débarquement allongés, quand les ports n’étaient pas tout simplement rendus inaccessibles, résultat des égoïsmes nationaux. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) compte plus de 20 000 décès recensés depuis 2014, auxquels s’ajoutent tous ceux qui se sont noyés dans l’anonymat. La Méditerranée est devenue un cimetière, et les Européens regardent ailleurs.

Il n’est plus possible de gérer les migrations sans un partenariat renforcé avec les pays d’origine, et il est inadmissible de les presser à collaborer avec l’Union en fonction d’objectifs excessivement focalisés sur le contrôle migratoire et la réduction du nombre de tentatives de traversées, au détriment de la protection des droits humains. C’est particulièrement vrai à l’égard de la Libye, où plus personne n’ignore que de graves violations de ces droits sont commises, où les femmes deviennent esclaves sexuelles et les hommes sont vendus pour 400 dollars, quand ils ne sont pas torturés jusqu’à ce que leurs familles payent une rançon.

L’Europe, depuis des années, s’est engagée dans une course vers l’abîme pour maintenir hors de nos frontières les personnes ayant besoin de notre protection, usant de manière croissante du refoulement des migrants sous l’œil passif, sinon complice, de Frontex.

Une autre voie est possible, celle de la tenue des engagements de réinstallation, de la généralisation des visas humanitaires, de l’assouplissement du regroupement familial, de la facilitation à poursuivre des études en Europe. Bref, il s’agirait de développer des voies de migration sûres et légales. L’Europe doit prendre ses responsabilités et signer des accords durables avec des pays tiers respectueux des droits de l’homme. Elle doit réorienter et renforcer son partenariat avec notre voisinage sud.

Nous attendons de la France qu’elle pèse au Conseil européen pour que celui-ci trace une voie vers plus de solidarité et d’humanité.

À ce titre, l’expérience de l’accord Union européenne-Turquie, signé voilà maintenant cinq ans, doit être source d’enseignements.

Certes, cet accord a permis de réguler l’arrivée de migrants sur les îles et les côtes grecques, et d’aider légitimement Ankara à gérer l’afflux de plus de 3 millions de réfugiés syriens. Mais il a aussi offert à M. Erdogan la formidable opportunité de devenir notre maître chanteur et de se départir du respect de ses engagements quand bon lui semblait – comme en mars 2020, lorsqu’il ouvrait les frontières de son pays pour faire pression sur l’Europe et la Grèce –, ou de manière plus générale en battant en brèche le droit international et les principes démocratiques, sans réaction sérieuse de l’Union européenne.

Nous saluons à cet égard la position de la France, qui a soutenu la Grèce face aux violations de ses frontières maritimes et aériennes, en signant un contrat de vente de 18 avions Rafale, considéré par Florence Parly comme un choix résolument européen, ou encore en menant la semaine dernière un exercice de contre-terrorisme sans précédent au large de la Crète, destiné à envoyer un message à M. Erdogan.

Celui-ci souffle depuis quelques semaines le chaud et le froid. Le chaud, en retirant les bateaux prospectant dans les eaux territoriales grecques aux abords de Kastellorizo ou de Chypre, pays avec lequel il est, d’autre part, convenu de reprendre les discussions fin avril sur le devenir de la partie nord, occupée par la Turquie. Le froid, en menaçant de dissolution le parti démocratique du peuple, en emprisonnant M. Gergerlioglu, déchu de son mandat de député de l’opposition et condamné à deux ans et demi de prison, ou en arrêtant M. Turkdogan, coprésident de l’association des droits de l’homme.

La Commission veut l’apaisement, la reconduction de l’accord migratoire, un agenda positif. D’accord, mais la réponse de M. Erdogan sur ces propositions, c’est le retrait de son pays de la convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe, premier traité fixant des normes juridiques contraignantes pour prévenir les violences sexistes.

Monsieur le secrétaire d’État, vous vous êtes dit « préoccupé par ce recul des droits », et nous partageons fortement ce sentiment.

Au regard de la montée actuelle des tensions en mer Égée et en Méditerranée, comment la France compte-t-elle peser, lors du Conseil européen, pour que l’Union avance en faveur d’une politique migratoire respectueuse des droits humains, sans être l’otage d’un régime comme celui de M. Erdogan, qui bafoue l’État de droit et la démocratie ?

De même, alors que le nouveau président américain Joe Biden a exprimé très franchement son opinion sur Vladimir Poutine, le reconnaissant coupable de museler son opposition par la violence, le Conseil de cette semaine doit de nouveau s’interroger sur la nature de nos relations avec la Russie.

Il y a un mois, de nouvelles sanctions ciblées avaient été décidées par les Vingt-Sept en réponse à l’emprisonnement d’Alexeï Navalny. Elles n’ont pas eu d’effets. La France va-t-elle emboîter le pas à l’administration américaine et plaider pour plus de fermeté, pour un renforcement de l’aide à la société civile, pour lutter plus efficacement contre la désinformation ou les attaques des hackers russes ? Va-t-elle au contraire se ranger derrière ceux qui ne veulent pas froisser ce pays, dont dépendent un tiers des fournitures de gaz de l’Union européenne, ce qui pose par ailleurs la question de notre autonomie stratégique et de la diversification de nos approvisionnements ?

Je dirai enfin un dernier mot sur la politique extérieure de l’Union à l’égard de la Chine. Nous saluons les premières sanctions prises par les Européens à l’encontre de plusieurs responsables de la province du Xinjiang, coupables de persécutions contre la minorité musulmane des Ouïghours. La réponse de la Chine n’a pas tardé, symbolique car frappant des parlementaires européens dont la liberté d’expression dérange Pékin.

Monsieur le secrétaire d’État, l’Union est en pleine négociation d’un accord sur les investissements. Peut-on croire aux promesses de la Chine, ou celles-ci n’engagent-elles que ceux qui les reçoivent, notamment sur le sujet du travail forcé des Ouïghours, qu’elle nie, ou le respect des règles de l’Organisation internationale du travail (OIT) ?

Monsieur le secrétaire d’État, vous l’aurez compris, mon intervention vise à obtenir des éclaircissements sur la politique extérieure de l’Union et la position de la France. L’Europe doit à nos yeux se réaffirmer comme puissance économique, mais aussi politique, et promouvoir ses valeurs.

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