Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le prochain Conseil européen reviendra, comme il le fait désormais chaque mois, sur la gestion de la crise sanitaire, et se concentrera plus particulièrement sur la question du déploiement des vaccins sur le continent.
Les retards accumulés en la matière par rapport à d’autres pays bien plus performants comme Israël, le Royaume-Uni ou les États-Unis ont suscité de nombreuses critiques, qu’il s’agisse d’une certaine naïveté européenne dans la passation de ces contrats, ou de la lourdeur de ses procédures au regard de la gravité et de l’urgence de la situation sanitaire et économique.
L’exaspération face à ces lenteurs a d’ailleurs conduit certains États membres – l’Autriche, le Danemark, la Slovaquie, la Hongrie et la République tchèque – à sortir des rangs de la stratégie vaccinale commune, voire à s’affranchir des avis de l’Agence européenne des médicaments, pour se tourner sans attendre vers la Russie ou la Chine, leur offrant au passage une victoire symbolique indéniable sur l’Union européenne.
Après les cacophonies désastreuses observées lors de la première vague, ce nouvel accès de désunion montre que pour l’Europe, le risque n’est pas seulement sanitaire et économique mais aussi politique. Pour maintenir l’unité de ses membres, elle doit faire la preuve de sa plus-value, c’est-à-dire de sa capacité à obtenir des résultats que les États n’auraient pu atteindre en agissant seuls.
Force est de constater que nous n’y sommes pas encore en matière vaccinale, et que la spirale de la défiance envers l’Union européenne s’est réenclenchée.
Naturellement, les failles dans l’approvisionnement ne sont sans doute pas toutes imputables à la seule stratégie mise en place et exécutée par la Commission. Il conviendra de dresser dans les semaines et les mois à venir un bilan exhaustif et objectif pour tirer les leçons de ce qu’il faut bien qualifier, malheureusement, d’échec.
Mais, pour l’heure, permettez-moi tout de même de m’interroger sur un élément en particulier. La semaine dernière, Mme von der Leyen précisait en effet qu’avec 41 millions de doses exportées vers 33 pays, dont près de 10 millions vers le Royaume-Uni et plus de 1 million vers les États-Unis, l’Europe était le principal fournisseur de vaccins dans le monde.
Or, dans le même temps, nous apprenions que les nouveaux retards de livraison annoncés par AstraZeneca n’étaient pas seulement liés à des difficultés de production, mais aussi à des restrictions d’exportation en Inde, aux États-Unis et, selon le président du Conseil, Charles Michel, au Royaume-Uni.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez déclaré en évoquant ces retards d’AstraZeneca que l’Europe devait « défendre ses intérêts par tous les moyens possibles, judiciaires en dernier recours, car les contrats doivent être respectés ».
Je souscris bien évidemment à ces propos, mais le décalage entre le rythme de la vaccination en Europe, le volume des exportations de vaccins depuis son territoire et l’attitude que nous découvrons de la part de certains pays est trop grand. Il impose d’aller plus loin. Je pense notamment au mécanisme d’autorisation des exportations, prorogé le 11 mars, et qui n’a été activé à ce jour qu’une seule fois, par l’Italie.
Les chefs d’État et de gouvernement devraient s’employer à le renforcer, non pour singer le « nationalisme vaccinal » pratiqué par certains États, mais par exemple pour lui adjoindre une clause de réciprocité qui interdirait l’exportation de vaccins vers les pays qui font le choix de restreindre l’approvisionnement de l’Europe.
En tout état de cause, le Conseil européen devra trouver des solutions rapides et efficaces pour accélérer la cadence et ne pas donner aux citoyens européens le sentiment d’être abandonnés par l’Union au moment où leur besoin de protection est plus fort que jamais.
Un mot enfin sur le semestre européen 2021, qui sera également au menu du prochain Conseil. La Commission a proposé au début du mois de proroger jusqu’à la fin 2022 la clause dérogatoire générale du pacte de stabilité et de croissance, qui permet aux États membres de déroger aux règles budgétaires et à celles qui encadrent les aides d’État.
Face aux conséquences économiques de la pandémie, qui se feront encore sentir durant de longs mois, le maintien à ce stade d’une orientation budgétaire expansionniste apparaît en effet inévitable.
Cependant, il est tout aussi inévitable, une fois l’urgence sanitaire et économique surmontée, que les finances publiques nationales retrouvent une trajectoire soutenable, en particulier dans les pays très lourdement endettés comme la France.
Le pacte de stabilité et de croissance devra donc à terme trouver à s’appliquer de nouveau, mais peut-être de manière différente, puisque la Commission a fait part de sa volonté de relancer au deuxième semestre de cette année le débat sur la réforme et la simplification du cadre européen de gouvernance économique et budgétaire.
Certaines pistes commencent à se dessiner, que ce soit au Parlement européen ou au sein même de la Commission, notamment au travers des prises de parole de M. Gentiloni. À n’en pas douter, de très nombreuses propositions seront faites d’ici à la clôture de cet ample débat.
Celui-ci ne devra toutefois pas perdre de vue un certain nombre de fondamentaux, essentiels pour préserver tant la solidité que la compétitivité de la zone euro. Ainsi, si le cadre révisé pourra éventuellement faire preuve de davantage de souplesse et de réactivité, il n’en devra pas moins rester suffisamment strict pour assurer dans chaque État membre le retour à des niveaux soutenables de dépense et de dette, et promouvoir les réformes structurelles propices à la croissance.
Monsieur le secrétaire d’État, bien qu’il n’en soit qu’à ses balbutiements, pouvez-vous nous préciser sur quelle ligne la France compte entrer dans ce débat et quelles grandes propositions elle compte défendre à cette occasion ?