Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen se réunira donc ces deux prochains jours. Une fois n’est pas coutume, son ordre du jour n’est pas des plus chargés, mais il se penchera tout de même sur des sujets d’importance pour l’Union européenne, comme la lutte contre la covid-19, et plus spécifiquement le déploiement des vaccins, mais aussi les relations avec la Turquie et la Russie, ou encore le marché unique et la transformation numérique. C’est sur ce dernier point que je souhaite m’attarder, et notamment sur la « boussole numérique » que la Commission a récemment présentée, et qui sera examinée par les chefs d’État et de gouvernement.
Cette boussole vient fixer des objectifs en matière de numérique pour l’Union européenne à l’horizon 2030. J’ai plusieurs fois plaidé pour que l’Union ait des ambitions plus grandes en la matière. Je ne peux donc que me réjouir de ces orientations et de cette planification en amont, qui permettra de compléter la stratégie de l’Union européenne en matière de nouvelles technologies. La politique actuelle reste en effet largement insuffisante face aux mastodontes que sont la Chine et les États-Unis. L’Europe est toujours fortement dépendante de ces pays, malgré ses efforts.
À ce sujet, la Commission européenne a très justement indiqué que l’Union devait renforcer l’investissement dans le numérique. Elle prévoit un objectif de 20 % de dépenses dans ce domaine, par le biais de la facilité pour la reprise et la résilience, et ce en complément du budget européen déjà dédié à ce secteur.
Ces financements devraient alors permettre une véritable transformation digitale et un plus grand développement en Europe des nouvelles technologies, telles que les voitures connectées, les intelligences artificielles ou encore les supercalculateurs. Concernant ces derniers, le Sénat avait adopté une résolution, que nous avions déposée avec mes collègues André Gattolin, Claude Kern et Pierre Ouzoulias. Celle-ci rappelait l’importance stratégique du calcul à haute performance et encourageait les efforts faits par l’Union européenne en ce sens.
Néanmoins, si l’Europe veut devenir un véritable leader en matière de calcul à haute performance, il est nécessaire que des progrès soient faits pour asseoir la souveraineté de l’Union sur toute la chaîne de valeur scientifique et industrielle. Implanter des supercalculateurs en Europe est une bonne chose, mais cela ne suffira pas si ceux-ci sont fabriqués par des entreprises étrangères.
À ce jour, une grande partie des appels d’offres lancés en Europe pour de tels équipements sont remportés par des entreprises américaines et chinoises, faute d’une compétitivité suffisante des entreprises européennes. Utiliser des pièces étrangères pose pourtant des problèmes de sécurité, car cela rend difficile la détection de logiciels espions qui pourraient être implantés par les pays tiers fabriquant ces pièces. Il est donc extrêmement important que l’Union européenne ait une vision ambitieuse et qu’elle s’impose sur toute la chaîne de valeur.
Monsieur le secrétaire d’État, quels leviers seront-ils mobilisés pour atteindre ces objectifs ?
En outre, la question des intelligences artificielles sera abordée. La boussole numérique devrait également permettre d’investir plus massivement dans ce secteur d’avenir. L’Europe accuse pour le moment du retard, et il est important qu’elle s’attache à le rattraper si elle ne souhaite pas devenir dépendante de l’Amérique du Nord et de la Chine, comme elle l’est aujourd’hui en matière de numérique.
L’Union européenne a déjà mis en place de nombreux mécanismes pour investir dans l’intelligence artificielle, mais cela ne suffit pas. Le Conseil européen avait d’ailleurs invité la Commission, en octobre, à se pencher sur les moyens d’accroître les investissements publics et privés dans la recherche, l’innovation et le déploiement des intelligences artificielles.
Le Sénat avait, quant à lui, dès 2019, invité l’Union à faire de l’intelligence artificielle un projet important d’intérêt européen commun (PIIEC), par le biais d’une résolution européenne. Pourtant, cette recommandation n’a pas été suivie d’effet, la mise en place d’un tel projet n’ayant été reprise ni dans le Livre blanc de la Commission sur l’intelligence artificielle ni dans la boussole numérique.
Faire de l’intelligence artificielle un PIIEC serait pourtant l’un des moyens de renforcer les investissements dans ce domaine, les règles relatives à la concurrence au sein de l’Union empêchant de faire émerger des champions européens dans des domaines stratégiques.
Les PIIEC sont l’une des seules façons de contourner ces règles et de permettre aux États d’aider certaines entreprises en menant une véritable politique industrielle. L’intelligence artificielle remplit la totalité des critères fixés pour en bénéficier, et des garanties sont prévues pour maintenir les exigences de transparence et éviter de trop grandes distorsions de concurrence. Alors, pourquoi refuser de mobiliser ce mécanisme, alors même qu’il est l’outil idéal pour aller dans le sens des orientations fixées par la Commission ?
Il ne suffit pas de conclure qu’il faut investir davantage, si les moyens dont l’Europe dispose pour ce faire ne sont pas mis en œuvre… Aussi, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous indiquer si la France compte soutenir la mise en place d’un PIIEC pour l’intelligence artificielle ? Savez-vous pourquoi la Commission n’a pas prévu de le proposer pour l’instant ?