Intervention de Patrick Kanner

Réunion du 25 mars 2021 à 14h30
Veolia-suez : quel rôle doit jouer l'état stratège pour protéger notre patrimoine industriel — Débat organisé à la demande du groupe socialiste écologiste et républicain

Photo de Patrick KannerPatrick Kanner :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat qui nous réunit aujourd’hui a pour vocation d’éclairer le rôle que doit jouer l’État dans la définition de notre politique industrielle. Cette question, centrale en temps normal, devient essentielle en temps de crise. Depuis un an, l’épidémie de covid-19 agit comme un révélateur des failles de notre société ; les fragilités de notre modèle industriel sont apparues en pleine lumière quand il a fallu faire face à des pénuries de produits qui, seuls, pouvaient nous permettre de lutter contre la maladie.

L’épreuve que nous traversons a néanmoins un intérêt : elle remet enfin au centre du débat public la question de la reconquête industrielle. C’est donc notre conception de la souveraineté nationale dans ce domaine qui est interrogée.

Pour illustrer ces thèmes, il est apparu au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain que ce que l’on peut légitimement qualifier d’« affaire Veolia-Suez » était une clé d’entrée pertinente.

Le 30 août dernier, Veolia, numéro un français de la gestion de l’eau et des déchets, annonce son intention de racheter le numéro deux, Suez, son concurrent historique, en se portant candidat à l’acquisition des parts qu’Engie avait annoncé céder. Depuis lors, nous suivons les aléas d’une offre publique d’achat (OPA) qui n’avait d’amicale que le nom et qui a fini par assumer son caractère hostile.

On pourrait y voir le déroulement normal d’une opération économique entre deux grands groupes industriels. On pourrait accepter cet état de fait et se dire qu’il s’agit d’une situation classique dans une économie de marché mondialisée dans sa pire acception, c’est-à-dire non régulée.

Or nous ne sommes pas prêts à accepter ce qui se déroule depuis plusieurs mois, et ce pour deux raisons : d’une part, le rôle de l’État, de l’autre, les conséquences qui pourraient découler de cette affaire.

Depuis le départ, je vous le dis franchement, monsieur le ministre, la position de l’État n’est pas claire. La rapidité de l’offensive menée par Veolia interroge.

Vous me répondrez que vous avez œuvré pour qu’un délai supplémentaire soit accordé afin que Suez puisse soumettre une offre alternative. Certes. Objectivement, toutefois, un délai de cinq jours paraît bien court…

Vous me direz également que les représentants de l’État se sont opposés à la cession des parts d’Engie à Veolia. Leur vote n’a pourtant été que symbolique, tant les autres parties, qui auraient pu rejoindre leur position, ont fait basculer très opportunément le vote final en s’abstenant ou en quittant la salle.

Pouvons-nous, pouvez-vous, accepter un tel camouflet ? Aujourd’hui, Veolia détient 29, 9 % des parts de Suez.

Encore récemment, la proposition des dirigeants de Suez en date du 21 mars dernier a été rejetée par Veolia et la voix de l’État n’a pas été entendue, alors que cela aurait pu aboutir au rapprochement amical que vous appelez de vos vœux.

Pour toutes ces raisons, et bien d’autres que mes collègues développeront, l’action de l’État pose question. Elle me semble bien timide et n’a, pour l’heure, pas obtenu de résultats.

Si vous ne représentiez qu’un actionnaire privé, monsieur le ministre, les marchés vous auraient sanctionné après avoir constaté la faible efficacité de votre action et le manque de rentabilité de votre travail. Or vous n’êtes pas un actionnaire comme les autres : vous représentez l’intérêt général.

Et les conséquences pour l’intérêt général sont bien réelles ! Vous les connaissez, car, dans une interview du 29 septembre 2020, vous avez vous-même défini, et à juste titre, les quatre conditions préalables à tout rachat : protection de l’emploi, protection de l’empreinte industrielle, offre à majorité française, offre amicale.

À ce stade, nous constatons que ces conditions ne sont pas remplies.

À ce stade, vous n’avez pas été en mesure d’apporter des garanties à la représentation nationale, pas plus – c’est peut-être plus grave – qu’aux salariés concernés.

Comment pouvez-vous nous garantir que cette OPA n’emportera pas de conséquences sociales, environnementales et territoriales qui affecteraient durablement notre pays ?

Comment pouvez-vous nous garantir que les intérêts des collectivités locales – donc ceux de nos concitoyens –, très sensibles à cette affaire, seront préservés ?

Comment pouvez-vous nous garantir que la compétitivité d’un nouveau groupe d’une telle taille ne soit pas fortement menacée ?

Comment pouvez-vous nous garantir que cela ne favorisera pas l’apparition d’acteurs low cost défendant un moins-disant social ?

En conclusion, monsieur le ministre, nous voulons vous entendre aujourd’hui sur les choix politiques découlant d’un laisser-faire dommageable à nos yeux, qui n’incarnent plus l’intérêt général et qui conduisent à remettre en cause une véritable politique industrielle. Or celle-ci nous semble au contraire devoir être réinventée aujourd’hui, notamment au regard de la crise.

En cette période si particulière, le choix n’est pas entre moins d’État et mieux d’État, mais il doit être celui de la reconstruction d’un État stratège en matière industrielle.

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