Intervention de Marie Mercier

Réunion du 25 mars 2021 à 14h30
Protection des mineurs contre les crimes et délits sexuels et l'inceste — Adoption en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Marie MercierMarie Mercier :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, il y a exactement dix jours, l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité une proposition de loi dont le titre a changé, puisqu’elle vise désormais « à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste », de manière à prendre en compte les nombreuses dispositions qui ont enrichi le texte présenté par notre collègue Annick Billon.

Le Sénat avait également adopté cette proposition de loi à l’unanimité, après l’avoir amendée.

Ces votes successifs montrent que le texte répond à une attente : dans leur grande majorité, nos concitoyens demandent un renforcement de la protection des mineurs contre les violences sexuelles qui peuvent être commises par les adultes. L’objectif principal est qu’il ne soit plus nécessaire de s’interroger sur la question du consentement du jeune mineur eu égard à son manque de maturité et de discernement.

Rappelons-nous le « un homme ça s’empêche » de Camus. Il est effectivement de la responsabilité de l’adulte de respecter des limites pour préserver l’intégrité physique et psychique des enfants et des adolescents. Je crois que nous en sommes tous d’accord.

En première lecture, nous avions estimé que la création d’une infraction autonome de crime sexuel sur mineur, avec un seuil d’âge fixé à 13 ans, répondait à nos objectifs. Il en aurait résulté une gradation dans la protection des mineurs, avec le délit d’atteinte sexuelle puni de sept ans d’emprisonnement, pour protéger les mineurs de 15 ans, et le nouveau crime sexuel sur mineur, puni de vingt ans de prison, pour protéger les mineurs de 13 ans.

Il nous faut cependant reconnaître que le choix d’un seuil d’âge à 13 ans, même s’il s’appuie sur de solides justifications, a pu être mal compris et parfois perçu comme un recul par rapport au seuil de 15 ans qui vaut pour le délit d’atteinte sexuelle. Comme vous l’avez fait, monsieur le garde des sceaux, je veux assurer Annick Billon de ma sympathie, car notre collègue a fait l’objet, dans les jours qui ont suivi l’adoption du texte au Sénat, d’attaques parfois inacceptables sur les réseaux sociaux.

Avec l’appui de la Chancellerie, l’Assemblée nationale a imaginé une solution différente, qui tient compte de nos préoccupations, tout en étant mieux comprise par les associations de protection de l’enfance, comme les auditions auxquelles j’ai procédé me l’ont montré.

Dans le texte qui nous est transmis, le seuil d’âge est fixé à 15 ans, mais il est assorti d’un écart d’âge de cinq ans entre l’auteur des faits et la victime : de cette manière, les relations consenties entre un mineur âgé d’un peu moins de 15 ans et un tout jeune majeur, relations qui ont d’ailleurs pu débuter alors que les deux partenaires étaient mineurs, ne seront pas automatiquement criminalisées. C’est le terme « automatiquement » qui importe ici.

Le choix de créer une infraction autonome avait également suscité des réserves, certains lui reprochant d’évacuer la dimension violente du passage à l’acte, qui serait mieux prise en compte avec la qualification de viol ou d’agression sexuelle. Sur ce point également, l’Assemblée nationale a fait preuve d’esprit de synthèse en décidant de qualifier de viol la nouvelle infraction sexuelle sur mineur.

Je tiens à dire que certaines infractions prévues par le code pénal renvoient à plusieurs définitions. C’est le cas par exemple pour le harcèlement sexuel, qui suppose en principe la commission d’actes répétés, mais qui peut aussi être constitué si un acte unique particulièrement grave a été commis. Tel serait désormais le cas aussi pour le crime de viol : à la définition classique, qui suppose un élément de contrainte, de menace, de violence ou de surprise s’ajouterait une nouvelle définition, qui ne sera applicable que si la victime est un mineur de 15 ans.

Concernant la définition du viol, je signale que l’Assemblée nationale a conservé la mesure que le Sénat avait adoptée, sur l’initiative de nos collègues Esther Benbassa et Laurence Rossignol, qui tend à l’élargir aux actes bucco-génitaux. Il s’agit d’une avancée importante, ces actes pouvant être tout aussi traumatisants pour la victime qu’une pénétration sexuelle.

Sur la question de l’inceste, le texte renforce la protection de tous les mineurs jusqu’à 18 ans en introduisant deux nouvelles infractions de crime incestueux et d’agression sexuelle incestueuse, qui seront constituées si les faits sont commis par un ascendant ou par un membre de la famille ayant une autorité de droit ou de fait sur la victime.

Par membre de la famille, il faut entendre les frères et sœurs, les oncles et tantes, les neveux et nièces, ainsi que leurs conjoints, concubins ou partenaires de PACS. L’Assemblée nationale a souhaité ajouter à cette liste les grands-oncles et les grands-tantes.

Je sais que l’exigence d’une autorité de droit ou de fait a pu susciter des interrogations. Après réflexion, j’en suis arrivée à la conclusion qu’il s’agit d’un critère essentiel à la cohérence d’ensemble du dispositif : en l’absence d’une relation d’autorité, comment distinguer en effet l’auteur des faits de la victime ? Certains diront que le partenaire majeur est forcément coupable, mais cette affirmation ne résiste pas à un examen objectif de la diversité des situations que l’on peut rencontrer sur le terrain.

Dans une famille, un fils de 17 ans peut fort bien avoir l’ascendant sur le reste de la fratrie, y compris sur sa sœur de 18 ans et demi. Si le père est absent, il arrive même parfois que le fils aîné se comporte quasiment en chef de famille. En cas de relation incestueuse, il convient donc d’examiner chaque situation au cas par cas – c’est le rôle du juge –, afin de déterminer qui a imposé l’acte sexuel, sans quoi nous nous exposerions à un risque élevé d’erreurs judiciaires.

J’en arrive à la question un peu complexe de la prescription pour vous indiquer que l’Assemblée nationale a maintenu l’allongement du délai de prescription pour le délit de non-dénonciation d’infraction sur mineur, que le Sénat avait adopté, en le recentrant sur les crimes et délits sexuels, ce qui est cohérent avec l’objet du texte.

En ce qui concerne la prescription des crimes et délits sexuels eux-mêmes, l’Assemblée nationale a adopté, sur proposition du Gouvernement, un double mécanisme.

Le premier s’inspire de celui que le Sénat a introduit. Il aurait pour effet de prolonger le délai de prescription d’un crime ou délit sexuel sur mineur si l’auteur commet un autre crime ou délit sexuel sur un autre mineur.

Le deuxième mécanisme s’inspire de la notion de connexité : un acte interruptif de prescription, une audition par exemple, interromprait la prescription, non seulement dans l’affaire considérée, mais également dans les autres procédures dans lesquelles serait reprochée au même auteur la commission d’un autre crime ou délit sexuel sur mineur.

Avec ces deux dispositifs, toutes les victimes pourront comparaître comme telles devant la cour d’assises, alors que les victimes les plus « anciennes » sont seulement entendues en tant que témoins aujourd’hui, parce que les faits sont prescrits. Je sais que le garde des sceaux, fort de sa longue expérience d’avocat pénaliste, est sensible à cette évolution, que notre commission a approuvée.

J’évoquerai enfin les autres dispositions qui figurent dans le texte.

Tout d’abord, l’Assemblée nationale a conservé les mesures à caractère préventif que nous avions adoptées sur l’initiative de Michel Savin et de Valérie Boyer. Elles tendent à élargir la liste des infractions entraînant une inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijais). Elles incitent les juridictions à prononcer la peine complémentaire d’interdiction d’exercer une activité impliquant un contact habituel avec un mineur.

L’Assemblée nationale a enrichi le texte sur l’initiative de la rapporteure Alexandra Louis de manière à mieux réprimer des phénomènes nouveaux apparus sur internet et, je dois le dire, très inquiétants, par lesquels des majeurs demandent à des mineurs d’accomplir des actes obscènes devant une caméra, leur demandant de se filmer à un, à deux, à trois, puis de leur envoyer les images. Parfois qualifiés de « sextorsion », ces agissements peuvent ouvrir la voie à un véritable chantage exercé sur le mineur pour l’amener à accomplir des actes de plus en plus avilissants.

Je vous propose d’approuver ces dispositions nouvelles, afin que la loi pénale exprime clairement notre refus de ce type de comportement.

Au total, le texte qui vous est soumis renforce vraiment la protection des mineurs au prix, il est vrai, d’une plus grande complexité des règles de droit applicables. Un travail de pédagogie devra être mené par la Chancellerie auprès des juridictions et je souhaite que nous puissions, après l’adoption de ce texte, stabiliser les règles applicables aux infractions sexuelles sur mineurs afin que les professionnels du droit aient le temps de se les approprier.

Ce texte donne des outils au juge avec le but, que nous partageons tous, de diminuer le nombre de décisions de classement sans suite. Le regard du juge évolue aussi avec la société.

La commission vous propose de préserver les grands équilibres du texte. Certes, il n’est pas parfait, mais je suis convaincue qu’il marquera une étape importante dans nos politiques de sauvegarde de l’enfance.

Il faudra bien sûr l’accompagner de mesures de prévention et d’éducation dans les écoles, dans les milieux sportifs, dans les associations et, surtout, dans les familles. Ces mesures ne relèvent pas du domaine de la loi, mais elles sont décisives pour préserver les enfants et les adolescents contre les violences sexuelles.

Je suis également convaincue qu’il ne suffit pas de changer la loi : ce sont aussi les mentalités qui doivent évoluer. Vraiment, nous devons préserver nos enfants, les enfants ne doivent pas être saccagés, il faut que, tous ensemble, nous soyons là pour préserver leur rêve.

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