Intervention de Marie Mercier

Réunion du 25 mars 2021 à 14h30
Protection des mineurs contre les crimes et délits sexuels et l'inceste — Article 1er, amendement 12

Photo de Marie MercierMarie Mercier :

L’amendement n° 12 tend à remplacer le verbe « commettre » par « exercer ». Cette modification sémantique a pour objet de préciser que, dans l’hypothèse où un mineur subit une fellation imposée par l’agresseur, le mineur ne « commet » pas la pénétration, mais l’« exerce ».

Je me suis interrogée sur l’emploi de ce terme à la suite d’une audition, mais, après avoir examiné la manière dont est rédigé le code pénal, j’en suis arrivée à la conclusion que « commettre » est employé dans ce cadre de façon parfaitement neutre : il renvoie simplement au fait d’accomplir un acte, sans connotation de culpabilité.

En l’occurrence, le texte ne prévoit pas que le mineur commet un viol. Il tend seulement à indiquer ce qui est factuellement exact, c’est-à-dire que le mineur pénètre le corps de l’agresseur si celui-ci lui impose une fellation : cela ne fait évidemment pas du mineur un violeur, car il faut un élément moral pour caractériser l’infraction, élément qui est absent.

L’ajout d’un nouveau terme dans le code, alors que le verbe « commettre » est employé partout, risque d’entraîner plus d’interrogations que de clarifications. Nous avons réfléchi à plusieurs autres termes, comme « perpétrer » ou « accomplir », mais les lecteurs du code pénal n’auront pas forcément connaissance de nos débats et se demanderont quelle nuance le législateur a voulu introduire en distinguant l’acte de pénétration « commis » par le majeur de celui qui est « exercé » par le mineur.

Ces considérations nous ont donc conduits à émettre un avis défavorable sur l’amendement n° 12.

L’amendement de notre collègue Esther Benbassa relatif au crime de viol incestueux constitué en cas d’acte de pénétration sexuelle commis par un membre de la famille avait été repoussé mardi dernier par la commission. Il tend à élargir considérablement la définition du viol incestueux en prévoyant que tout acte sexuel commis par l’une des personnes mentionnées dans la liste figurant à l’article 222-22-3 du code pénal – je ne les cite pas de nouveau – pourrait être caractérisé comme un crime sans qu’il soit nécessaire d’établir un élément de contrainte, menace, violence ou surprise, sans qu’un rapport d’autorité soit exigé et quel que soit l’âge des deux partenaires.

Cet élargissement poserait un problème constitutionnel puisqu’il aboutirait à criminaliser automatiquement un rapport consenti entre, par exemple, un neveu et sa tante, même s’ils sont tous les deux majeurs.

Par ailleurs, il pose problème au regard du principe de liberté sexuelle qui découle du principe de liberté individuelle.

Enfin, dans l’hypothèse où deux adultes ayant à peu près le même âge auraient des relations sexuelles sans contrainte ni rapport d’autorité, qui serait le coupable et qui serait la victime ? Prenez l’exemple d’un frère et d’une sœur qui auraient des rapports sexuels : si l’on ne s’interroge pas sur le consentement des deux partenaires, si l’on ne recherche pas l’existence d’un rapport d’autorité dont l’un des deux aurait abusé, qui devrait figurer dans le box des accusés ? Les deux partenaires devraient-ils être poursuivis devant les assises ?

Au-delà des problèmes de principe qu’il soulève, le dispositif proposé paraît donc tout simplement non opérationnel.

L’amendement n° 7 tend à la suppression de la condition d’autorité de droit ou de fait pour constituer le viol incestueux ou l’agression sexuelle incestueuse. Comme je l’ai expliqué par anticipation dans mon discours lors de la discussion générale, je comprends la volonté de certains de nos collègues d’être dans le mieux-disant pour la protection des mineurs, mais notre responsabilité est d’adopter des dispositions législatives qui soient applicables en toutes circonstances et qui permettent de désigner sans ambiguïté le coupable et la victime. Si cet amendement était adopté, en cas de relations sexuelles incestueuses le partenaire majeur serait automatiquement considéré comme l’auteur d’un crime ou d’un délit. Comme nous évoquons en l’espèce un crime de viol puni de 20 ans de réclusion criminelle, il me semble que nous devrions bien réfléchir à la question.

J’insiste sur ce point, car j’en ai eu l’exemple dans ma commune : dans une fratrie, un fils de 17 ans, surtout s’il est l’aîné de tous les frères, peut avoir l’ascendant sur sa sœur de 18 ans et demi. S’il impose à cette dernière un rapport sexuel, c’est lui qui devra être condamné et non sa sœur sous prétexte qu’elle a plus de 18 ans. Avec une telle disposition, elle pourrait entrer dans un commissariat en victime et ressortir en coupable. On le constate, la solution que vous nous proposez, ma chère collègue, n’est pas opérationnelle, et elle pourrait même aboutir à des erreurs dramatiques.

Dans ces affaires, il est indispensable d’examiner au cas par cas qui a imposé le rapport sexuel à l’autre en abusant de l’autorité de droit ou de fait qu’il exerce, par exemple, sur les membres de la famille. Une telle situation est imaginable. De nombreux psychologues vous diront qu’il est fréquent, dans les relations incestueuses entre collatéraux, qu’une personne ait l’ascendant sur l’autre et que les premières apparences peuvent parfois être trompeuses. Je le redis, seul l’examen très précis des faits peut permettre à la justice de prendre une bonne décision. La commission n’est donc pas du tout favorable à cet amendement.

Enfin, l’amendement n° 3, qui prévoit l’élargissement de la définition de l’agression sexuelle incestueuse, a le même objet que l’amendement n° 2 des mêmes auteurs que nous venons d’examiner et qui portait sur le viol. Il est indispensable que la justice étudie au cas par cas la situation de chacun des protagonistes. L’avis est également défavorable.

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