Intervention de Éric Dupond-Moretti

Réunion du 25 mars 2021 à 14h30
Droit au respect de la dignité en détention — Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire sur une proposition de loi

Éric Dupond-Moretti :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, instaurer un recours effectif tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention, c’est une exigence constitutionnelle, mais c’est avant tout une question d’humanité. C’est pourquoi nous pouvons nous réjouir d’être rapidement parvenus à un consensus sur cette proposition de loi pour répondre dans les meilleurs délais au Conseil constitutionnel.

À ce titre, je tiens à saluer l’initiative qui fut la vôtre, monsieur le président de la commission des lois, d’offrir un véhicule législatif ad hoc sur la base d’un travail que nous vous avions proposé en décembre dernier pour faire aboutir au plus vite cette modification législative devenue indispensable.

La prison doit évidemment protéger nos concitoyens et la société dans son ensemble, mais elle doit également, comme le rappelle à titre liminaire la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, contribuer à l’insertion ou à la réinsertion des personnes qui lui sont confiées par l’autorité judiciaire et à la prévention de la récidive. Or les peines exécutées en maison d’arrêt dans des cellules où s’entassent parfois plusieurs détenus, lesquels dorment sur des matelas à même le sol, sont totalement contre-productives. Plus elle désocialise et déshumanise, plus l’incarcération est un vecteur de récidive.

Permettre aux personnes écrouées de contester leurs conditions de détention devant le juge judiciaire constitue une avancée significative, car la peine, en particulier la peine d’emprisonnement, doit avoir un sens. La prison ne peut pas être une privation de dignité. En cela, le recours effectif que nous avons conçu, dans une coconstruction efficace, que je tiens à souligner, constitue un dispositif cohérent, qui s’inscrira parfaitement dans notre droit.

Cette proposition de loi nous permet de réformer notre droit dans le délai très contraint fixé par le Conseil constitutionnel. Aussi, je tiens à remercier la commission des lois du Sénat, tout particulièrement son président François-Noël Buffet, de son initiative. Je remercie également le rapporteur, Christophe-André Frassa, de son implication.

Il me faut par ailleurs saluer le travail mené par la présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale et par sa rapporteure sur ce texte, Caroline Abadie. Je ne peux que me féliciter de la qualité des échanges parlementaires sur cette question aux enjeux essentiels et des propositions constructives des deux assemblées, qui nous ont permis d’améliorer significativement le dispositif de ce recours effectif.

Plus précisément, ce texte crée un nouvel article 803-8 dans le code de procédure pénale, qui pose le principe d’un recours effectif devant le juge judiciaire, et rappelle son existence dans un nouvel alinéa de l’article 144-1 du même code s’agissant des prévenus, ainsi qu’à l’article 707 pour les condamnés.

Le magistrat compétent pour statuer sur les requêtes des personnes en détention provisoire sera le juge des libertés et de la détention. Pour les condamnés en exécution de peine, c’est au juge de l’application des peines qu’il reviendra de prendre une décision.

Après avoir statué sur la recevabilité de la requête, le magistrat saisi pourra faire vérifier les allégations circonstanciées du détenu et, s’il estime la demande justifiée, il fixera le délai dans lequel l’administration pénitentiaire pourra mettre fin aux conditions indignes de détention, le cas échéant en transférant la personne dans un autre établissement pénitentiaire. Si les conditions indignes perdurent au-delà de ce délai, le juge pourra ordonner lui-même un transfèrement ou, pour les prévenus, la libération de la personne, le cas échéant sous contrôle judiciaire ou surveillance électronique. Pour les condamnés, il pourra prononcer une libération sous aménagement de peine si la personne est éligible à une telle mesure.

Les travaux menés en coconstruction par les deux assemblées ont permis de rendre le texte initial plus lisible et notamment de préciser les délais de recours dont bénéficie la personne écrouée. Ce dispositif répond donc aux exigences conventionnelles et constitutionnelles. Il est à la fois clair, précis, efficace.

Je suis parfaitement conscient qu’il ne peut être la seule réponse à l’amélioration des conditions de détention, objet de toute mon action depuis ma nomination à la tête du ministère de la justice. Il nous faut d’abord mener une politique plus volontariste de régulation carcérale, en poursuivant activement, en lien avec les chefs de cour et de juridiction et les services pénitentiaires, l’accompagnement de l’application des dispositions de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

Par ailleurs, en poursuivant la construction du programme immobilier pénitentiaire, dont j’annoncerai les derniers sites d’implantation dans quelques semaines, mon objectif est non pas d’incarcérer plus, mais de permettre des conditions de détention plus dignes. Pour cela, il nous faut renouveler le parc vieillissant et parfois vétuste et créer de nouvelles places de prison.

Enfin, la dignité passe évidemment par le fait de donner aux personnes incarcérées la possibilité de se réinsérer, notamment par le travail. Je souhaite ainsi faire venir davantage d’entreprises en prison, et il m’est apparu essentiel d’instituer un véritable contrat de travail et des droits sociaux au bénéfice des détenus. Je reviendrai sous peu vous présenter ces nouvelles dispositions.

La France ne doit plus être condamnée pour l’indignité de ses prisons. Cette proposition de loi ajoute un dispositif efficace dans l’amélioration des conditions de détention, dont nous pouvons collectivement nous féliciter.

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