Comme le rappelle l’Observatoire international des prisons, pas moins de quarante établissements sur l’ensemble du territoire ont fait l’objet de condamnations en raison de conditions indignes de détention.
Les décisions rendues depuis des années sont édifiantes et font honte à notre pays. Comment encore accepter, au XXIe siècle, qu’un juge doive imposer de vérifier que chaque cellule dispose d’un éclairage et d’une fenêtre en état de fonctionnement ou demander à l’administration pénitentiaire de trouver un autre moyen de servir les repas que de déposer les barquettes à même le sol ?
Ce n’est pas nouveau. C’est, hélas ! une réalité bien ancrée dans notre pays, et nous ne cessons de critiquer le sort réservé aux détenus dans les prisons françaises.
Les chiffres de la surpopulation sont aussi alarmants : en moins de vingt ans, les prisons françaises sont passées de 48 000 à 72 000 personnes détenues. Si ce chiffre a récemment connu une légère baisse liée à la crise sanitaire, il n’en reste pas moins qu’au 1er janvier 2021 ce sont plus de 20 000 personnes qui sont encore détenues dans des établissements, dont le taux d’occupation est supérieur à 120 %, allant même parfois jusqu’à 200 %. Cette surpopulation carcérale est une constante des dix dernières années.
Cette situation, nous ne pouvons pas prétendre la découvrir aujourd’hui. Déjà en 2018, ma collègue Esther Benbassa interpellait le Gouvernement sur les violences et les mauvais traitements que subissaient certains détenus à la prison de Villefranche-sur-Saône. La garde des sceaux d’alors ne lui avait formulé, hélas ! qu’une réponse reflétant le déni ordinaire des pouvoirs publics face à ce sujet si important, mais très peu traité par les médias ou porté par la société civile.
Elle n’est pas la seule à avoir tenté d’alerter ces dernières années. Pourtant, ces nombreux appels sont restés lettre morte jusqu’aux décisions de la CEDH du 30 janvier 2020 et surtout du Conseil constitutionnel du 2 octobre dernier.
La Cour européenne des droits de l’homme a ainsi notifié à la France qu’elle devait, pour mettre fin aux conditions indignes de détention, prendre des mesures pour se mettre en conformité avec le droit européen et notamment parvenir à une résorption définitive de la surpopulation carcérale.
Le texte résultant de la commission mixte paritaire ne vient pas s’attaquer à ce problème : il répond à l’injonction de la deuxième décision, celle du Conseil Constitutionnel, qui a considéré qu’il incombait au législateur de garantir aux personnes placées en détention la possibilité de saisir le juge pour des conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine. L’échéance avait été fixée au 1er mars 2021, ce qui explique la précipitation avec laquelle ce texte a été inscrit à l’ordre du jour de notre chambre.
Parce que la défense de la dignité des personnes détenues est notre engagement de longue date, nous ne pouvons que soutenir cette proposition de loi et nous y associer.
Monsieur le garde des sceaux, selon votre prédécesseure, l’objectif du Gouvernement était que, « d’ici à la fin du quinquennat, des conditions de détention plus dignes et conformes aux engagements européens soient mises en place ». Le temps presse. L’action de notre chambre pour apporter sa pierre à cette transformation nécessaire du système carcéral vous oblige.
Cette proposition de loi est une première étape. À défaut de présenter une mesure construite, forte, pour une lutte systémique contre les conditions indignes, elle permet une plus grande effectivité pour les personnes détenues de voir leur situation individuelle s’améliorer. Nous attendons toutefois une amélioration urgente des conditions de vie dans les lieux de détention, ainsi que des relations entre les personnes détenues et les surveillants. Nous attendons aussi davantage d’écoute de la part du personnel médical et d’encadrement de ces établissements. Il est également important d’accorder une plus grande attention aux travaux du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Ce n’est pas en construisant de nouvelles prisons, sitôt construites, sitôt remplies, que l’on réglera le problème de la surpopulation carcérale.