Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 25 mars 2021 à 14h30
Droit au respect de la dignité en détention — Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire sur une proposition de loi

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur :

Monsieur le garde des sceaux, personne ne vous empêchait de déposer un projet de loi dès le mois d’octobre… Mais ce débat-là est terminé ; c’est du passé, tournons-nous vers l’avenir.

L’examen de ce texte a été conduit avec une grande rapidité, sans prendre en compte, ni en première lecture ni lors de la commission mixte paritaire, ce qu’ont dit et écrit à la fois l’Observatoire international des prisons et Mme la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté. Je dois dire que je ne comprends toujours pas pourquoi un certain nombre d’amendements que nous avions proposés n’ont pas été adoptés, à aucun stade de la procédure. Il est même arrivé cette chose étonnante, mes chers collègues, de voir la présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale voter, en commission mixte paritaire, contre un de ses propres amendements de première lecture que j’avais repris. C’est qu’il fallait que ce texte fût voté dans la rédaction suggérée par le Gouvernement et que cet amendement constituait un cavalier budgétaire…

Pour ce qui est des délais, rien ne change. Pour ce qui est des conditions dans lesquelles la requête pourra être déposée, il n’est toujours pas tenu compte des conditions générales de détention, ce qui est contraire à un arrêt de la Cour de cassation, que vous connaissez encore mieux que moi, monsieur le garde des sceaux.

Par ailleurs, le juge judiciaire n’a pas de pouvoir direct – je cite Mme la Contrôleure – comme gardien effectif de la dignité des personnes détenues, en ce que les décisions relèvent toujours de l’administration pénitentiaire et que le juge intervient après.

Le texte qui sera voté dans quelques instants organise une hiérarchie : le juge peut, premièrement, ordonner le transfèrement de la personne ; deuxièmement, la mise en liberté – s’il s’agit de détention provisoire – ; et, troisièmement, un aménagement de peine. Nous avions proposé un ordre différent : refus ! Nous avions proposé qu’il n’y ait pas de transfèrement sans accord du juge – refus ! –, puis sans avis du juge : refus également !

Monsieur le garde des sceaux, en ce qui concerne le transfèrement, nous avions demandé des garanties qui ne se limitent pas seulement à la vie familiale. Nous voulions que soient pris en compte la vie sociale, les droits de la défense, la continuité des soins, la préparation de la sortie, l’activité… Rien de tout cela ne l’a été, ce que je ne comprends toujours pas.

Je crains, et je ne suis pas le seul, que ce texte n’aboutisse qu’à des solutions faciles de transfèrement. Vous nous avez dit, voilà quelques jours, que plus de 800 personnes dorment sur des matelas à même le sol dans des cellules de trois ou quatre détenus. La personne dormant sur un matelas va saisir le juge pour conditions indignes de détention. On la transférera alors dans une autre prison, à 500 kilomètres de là, avec les conséquences que cela implique, par exemple, pour voir sa famille au parloir, puis une autre personne viendra prendre sa place, sur le même matelas…

Comme l’a très bien souligné M. Benarroche, ce n’est pas en construisant plus de prisons, même s’il faut sans doute en construire, que l’on parviendra à lutter contre la surpopulation carcérale. Il n’y aura pas de véritable réponse à ce problème si l’on ne développe pas les alternatives à la détention. À la suite de l’épidémie de covid, 6 000 personnes – vous nous l’avez annoncé la dernière fois – ont été libérées. Cela n’a pas créé de problème !

Prévoyons des alternatives à la détention, mettons en œuvre des aménagements de peine et proposons des préparations à la sortie. Toutes ces mesures permettraient de mieux s’occuper de ceux qui sont en détention et qui doivent y demeurer. Pourquoi une telle politique n’est-elle pas mise en œuvre alors que cela fait des décennies que l’on en parle ?

Bien sûr, nous ne nous opposerons pas à ce texte, puisqu’il vise à créer un droit, même si nos collègues de l’Assemblée nationale ont eu peur – c’est étrange – que ce droit ne soit trop utilisé… Quoi qu’il en soit, comme nos remarques n’ont pas été prises en considération, notre groupe s’abstiendra une fois de plus sur ce texte.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion