Non, nous ne cédons pas à la facilité consistant à se contenter d’une société dans laquelle chaque communauté cohabiterait, même pacifiquement, côte à côte, sur un modèle anglo-saxon perpétuant des différences de droit. Nous préférons créer les conditions du rassemblement, au travers duquel peuvent s’exprimer toutes les croyances.
Dans notre cité républicaine, la seule loi qui vaille est celle que les femmes et les hommes se donnent à eux-mêmes. La laïcité consiste non pas à nier la quête spirituelle chez l’être humain mais à refuser, au nom de l’unité et de la liberté, le statut politique dominateur que conférerait l’ascendant d’une religion sur la puissance publique.
Ce qui me frappe aujourd’hui, c’est l’écart entre l’idéal républicain proclamé par le Président de la République et ce projet de loi. Non, l’exécutif ne peut pas dire, comme le fit Aristide Briand en son temps, que ce texte est un projet de loi de liberté. Du point de vue économique, les preuves d’ultralibéralisme de ce gouvernement ne sont plus à démontrer, certes, mais, du point de vue des libertés, nous ne constatons qu’un affaiblissement de nos conquêtes les plus chères.
Ce projet de loi est un texte de contraintes, une addition de mesures d’ordre public : nouveaux délits pénaux, contrôle des associations, fermeture des lieux de culte. Un tiers des articles du texte instaurent des procédures de contrôle et plus d’un quart des articles définissent des peines d’emprisonnement ; même le Défenseur des droits vous en fait le reproche !
Sont pourtant concernées la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, les lois du 16 juin 1881 établissant la gratuité absolue de l’enseignement primaire dans les écoles publiques et du 28 mars 1882 portant sur l’organisation de l’enseignement primaire ainsi que la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, déjà abîmée par le fameux article 24 de la proposition de loi pour un nouveau pacte de sécurité respectueux des libertés, dite « proposition de loi Sécurité globale »…
Sans doute, des avancées importantes en faveur du droit des femmes sont permises par le texte, je vous en donne acte, mais, pour le reste, c’est un projet de loi de contrôle, de police, de répression. Ce n’est pourtant pas en réglementant les cultes à l’excès que l’on parviendra au but…
La laïcité n’est pas l’ennemi de la religion ; c’est un cadre, une liberté – la liberté de croire ou de ne pas croire – ; la laïcité, c’est affirmer avec Hugo que l’État doit être chez lui et l’Église chez elle.
Dès que nous sentons l’expression d’une prétendue laïcité de combat contre la religion et non contre le fanatisme, nous la combattons. Dès que la religion est manipulée par des intégristes qui ne souhaitent pas que les convictions de leurs coreligionnaires soient compatibles avec la République, nous combattons également cette manipulation.
Toutefois, pour combattre cette dernière, il ne suffit pas d’employer la contrainte. L’exposé des motifs énonce que « la République demande une adhésion de tous les citoyens qui en composent le corps ». Je ne suis pas fin psychologue, mais croyez-vous que l’adhésion s’obtienne à coups de boutoir ? Je ne le crois pas. Il nous faut convaincre et non multiplier d’absurdes prohibitions ; l’universel doit être désiré…
Nous regrettons que ce projet de loi ne traite que les conséquences et non les causes du phénomène de radicalisation. Le phénomène dont nous parlons dépasse la question économique et sociale, mais il ne se situe pas hors du social. Il y a un séparatisme prêché par des religieux radicaux ; il y a aussi un séparatisme créé par le sentiment d’abandon de certains territoires.
Or le premier se nourrit du second ; c’est pourquoi un double mouvement est nécessaire : lutter contre le rejet de la République, mais aussi lutter contre le rejet dans la République. Derrière Jaurès, nous, socialistes, affirmons que le combat laïque et le combat social sont indissociables.