Le projet de loi dont nous sommes saisis porte sur la ratification des ordonnances prises en matière de formation des élus, en application de la loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique. Avec Mathieu Darnaud, qui rapportait ce texte avec moi, j'avais contesté le dessaisissement du Parlement, mais il y avait, il est vrai, urgence à agir. Je salue le travail de notre collègue Jean-Pierre Sueur et celui de Jacqueline Gourault, alors sénatrice, sur l'important sujet de la formation des élus dans le cadre de leur proposition de loi devenue la loi visant à faciliter l'exercice, par les élus locaux, de leur mandat.
Le dispositif actuel de formation des élus locaux comprend deux volets. Le premier bénéficie d'un financement des collectivités territoriales à hauteur de 2 % des indemnités perçues par les élus, soit 34 millions d'euros par an. Ce dispositif est utilisé par les collectivités pour organiser des formations portant sur les compétences nécessaires à l'exercice du mandat. Toutefois, bien que la somme correspondante soit inscrite à leur budget, 68 % des collectivités territoriales, notamment les plus petites communes, ne dépensent pas ces crédits budgétés.
Le second volet, créé en 2015 à l'initiative de Jean-Pierre Sueur et de Jacqueline Gourault, est celui du droit individuel à la formation des élus locaux (DIFE). Il a davantage pour objectif de préparer une reconversion professionnelle à l'issue du mandat, même s'il peut porter sur des formations liées à l'exercice du mandat. Sa mise en oeuvre, cependant, s'est accompagnée de certains abus, qu'il convient de corriger pour garantir la solvabilité du fonds DIFE géré par la Caisse des dépôts et consignations (CDC).
Les sommes allouées au DIFE représentent 1 % des indemnités perçues par les élus, soit une somme de 17 millions d'euros annuels pour un dispositif auquel peuvent prétendre 510 000 élus locaux. De nombreux organismes de formation se sont saisis du marché et ont lancé une prospection commerciale dynamique. Le DIFE correspond à vingt heures de formation par an et par élu, initialement sans que soit prévu un plafonnement du coût de l'heure. Or, certains tarifs horaires apparaissent très élevés sans que les formations soient toujours de qualité. Le fonds se trouve en conséquence dans une situation financière dégradée : en 2019, il enregistrait 12 millions d'euros de déficit, somme qui atteignait, en 2020, 25 millions d'euros. Les élus bénéficiant de droits acquis à la formation, qu'ils doivent pouvoir pleinement exercer, il apparaît urgent de redresser la situation. Une mission de l'inspection générale de l'administration (IGA) et de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) menée en 2020 faisait ainsi état des difficultés à corriger.
Les élus apprécieraient davantage de transparence et de qualité s'agissant de leur système de formation. Celui-ci doit en particulier garantir une utilisation plus efficiente de l'argent public. En outre, seuls 3 % des 510 000 élus locaux se forment au titre du DIFE - 8 000 en 2019 et 13 000 en 2020 - alors que le fonds enregistre un déficit de 25 millions d'euros. L'idée était certes intéressante, mais force est de constater que le système se trouve aujourd'hui en grande difficulté.
Il convient d'améliorer l'accès des élus à la formation et de mieux réguler ce marché. En audition, nous avons entendu des organismes de formation, ainsi que l'ensemble des associations d'élus, qui toutes se sont déclarées favorables aux ordonnances telles qu'améliorées par nos propositions. Les élus sont en attente de clarification et de qualité. Pour simplifier l'exercice du DIFE, une plateforme en ligne permettra d'accéder aux différents référentiels de formation et financements possibles. La réforme modifie également le décompte du DIFE pour lui préférer, comme dans le secteur privé, un montant exprimé en euros plutôt qu'en nombre d'heures. Cet alignement me semble souhaitable et devrait contribuer à réduire le coût des formations proposées.
Est également prévue une nouvelle modalité de cofinancement par les collectivités territoriales. Les formations en vue d'une reconversion professionnelle sont souvent coûteuses ; aussi, elles pourront être financées, au-delà du DIFE, par les droits acquis par l'élu au titre d'une activité professionnelle dans une entreprise ou d'un engagement associatif, et par un abondement de sa collectivité. Chaque collectivité devra définir par une délibération les conditions de cet abondement, afin de garantir la transparence et l'équité entre élus.
Ce système me semble intéressant pour développer les formations de reconversion et réduire le déficit financier du fonds. L'est également la dématérialisation du DIFE. Actuellement, les demandes sont traitées manuellement par un nombre élevé de collaborateurs de la CDC employés à cette tâche. Le délai d'instruction et de réponse atteint aujourd'hui plusieurs mois.
La gouvernance du DIFE est assurée par le Conseil national de la formation des élus locaux (CNFEL). Il me semble utile de le renforcer dans ses missions et de le compléter par un conseil d'orientation qui constituerait une instance de dialogue où siégeraient les représentants des organismes de formation. Ces derniers ne peuvent pas siéger au CNFEL, car celui-ci a pour responsabilité de traiter leurs demandes d'agrément : on ne peut pas être juge et partie.
Le texte impose de nouvelles obligations et une certification qualité aux organismes les plus importants pour mettre fin aux dérives nuisant à la qualité des formations. Ces obligations renforcées seraient assorties de nouvelles procédures de sanction en cas de manquement, pouvant aller jusqu'à la suspension temporaire de l'agrément. Pour éviter les abus, un répertoire des formations éligibles au DIFE sera établi.
Les modifications de la gouvernance du DIFE s'inscrivent également dans un objectif d'amélioration de la soutenabilité financière du fonds DIFE. Il faut assainir sa situation pour garantir à tous les élus le plein exercice de leurs droits. L'équilibre financier du fonds serait inscrit dans la loi. La CDC, gestionnaire du fonds, serait autorisée à consentir une avance de trésorerie au fonds afin d'en assurer la pérennité financière. L'ordonnance crée aussi trois leviers de gestion à disposition du Gouvernement afin de rétablir l'équilibre en cas de déficit. Tout d'abord, la ministre pourrait, sur proposition du CNFEL, réduire le montant des droits de formation auquel un élu peut prétendre et qui est estimé aujourd'hui à 700 euros. Le deuxième levier consiste à autoriser le CNFEL à moduler le prélèvement sur les indemnités des élus : le fonds est alimenté par un prélèvement d'1 % sur les indemnités des élus. Il pourrait être possible de l'augmenter. Il serait préférable qu'il soit fait un usage parcimonieux d'une telle possibilité, défavorable aux élus. Enfin, le troisième levier porterait sur les conditions de réalisation des formations. Nous proposerons que le CNFEL priorise les leviers, afin de préserver autant que possible les droits des élus.
Les amendements que je vous soumettrai poursuivent ainsi quatre objectifs principaux : faciliter l'accès des élus à leurs droits ; renforcer le contrôle des organismes de formation ; garantir la visibilité et la stabilité du système de formation ; assurer une transition respectueuse des droits des élus entre l'ancien système, où les droits étaient exprimés en heures, et le nouveau système, où ils seront exprimés en euros.
Mon premier objectif, dont je sais qu'il est largement partagé au sein de notre assemblée, est de faciliter l'accès des élus à leurs droits. Pour ce faire, je souhaite, en premier lieu, revenir sur l'étonnante suppression, dans l'ordonnance, de la possibilité de cumul des droits sur toute la durée de leur mandat, qui est pourtant possible dans les autres régimes de la formation professionnelle. Il faut aussi veiller à l'égalité d'accès à la formation : c'est souvent les élus qui sont déjà les plus formés qui se forment ! Les élus des petites communes sont souvent oubliés. Dans une commune de 300 habitants, les dépenses de formation des élus, comme les indemnités de mandat, passent souvent après les dépenses urgentes. La ministre, elle-même, propose - peut-être s'est-elle inspirée de nos propositions - qu'il soit possible de mutualiser les dépenses de formation à l'échelle de l'intercommunalité, sans procéder pour autant à un quelconque transfert de compétence - nous saurons le lui rappeler lors de l'examen du projet de loi 4D. Il faut, en tout cas, saluer cette évolution.
Je souhaite aussi qu'un « kit de survie » des élus locaux soit accessible gratuitement sous forme de modules élémentaires de formation, dès la première année du mandat. Depuis plusieurs années, l'Association des maires de France (AMF) organise avec les services de l'État des universités des maires : les services de l'État viennent présenter aux élus le cadre institutionnel, la manière de coopérer avec la gendarmerie ou le procureur, etc. Il s'agirait de généraliser ce dispositif pour le rendre accessible, en ligne, à tous les élus locaux.
Mon troisième objectif est de concilier la stabilité financière du système avec l'exigence de visibilité des élus locaux sur leurs droits à la formation. Il n'est pas souhaitable, tant pour les élus que pour les organismes de formation, que le montant des droits change chaque année pour assurer l'équilibre du fonds DIFE. Je vous proposerai un mécanisme contraignant le CNFEL à établir des prévisions triennales du montant annuel des droits à la formation des élus : l'ensemble des acteurs du système, élus comme organismes de formation, demandent une prévisibilité accrue.