Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la convention fiscale avec l’Argentine a été conclue en 1979 ; elle témoigne de l’ancienneté de nos relations économiques et diplomatiques avec ce pays.
La présence française en Argentine demeure aujourd’hui significative, puisque 15 000 de nos ressortissants y sont établis, notamment près de 1 000 étudiants. La France figure au huitième rang des investisseurs étrangers en Argentine, tandis que de grands groupes français y sont implantés, ainsi que près de 250 entreprises. Les échanges commerciaux demeurent cependant très asymétriques : alors que la France est le dixième fournisseur de l’Argentine, cette dernière n’est que le soixante-dixième fournisseur de notre pays.
Depuis la signature d’un avenant en 2001, les intérêts, les dividendes et les redevances sont en principe imposables dans l’État de résidence du bénéficiaire. Néanmoins, la convention autorise l’État d’où proviennent ces revenus à taxer ces derniers, dans la limite d’un plafond fixé à 15 % pour les dividendes, à 20 % pour les intérêts et à 18 % pour les redevances. Cette retenue à la source ouvre droit, en France, à un crédit d’impôt équivalent, qui ne peut excéder l’impôt dû en France au titre de ces revenus. Les gains en capital, quant à eux, font l’objet d’un traitement différent, puisqu’ils sont exclusivement imposables dans l’État source, sans que cet impôt soit plafonné.
À l’aune de ces éléments, notamment des taux élevés de retenue à la source, il apparaît que la convention franco-argentine se rapproche davantage du modèle de convention de l’Organisation des Nations unies (ONU), qui vise à octroyer aux pays en développement plus de droits d’imposition sur les revenus générés par les investissements étrangers qui y sont réalisés.
Cette situation, en tant que telle, n’est pas problématique. Cependant, dans la mesure où la France est essentiellement État de résidence dans ses relations avec l’Argentine, ces taux élevés sont préjudiciables à notre pays à deux titres, d’une part, en renchérissant le coût des investissements pour les entreprises françaises, d’autre part, en diminuant les recettes fiscales pour le Trésor public. De plus, rien ne justifie le maintien de ces taux, l’Argentine ayant conclu ces dernières années des conventions fiscales nettement plus avantageuses, qui prévoient des plafonds de retenue à la source inférieurs.
C’est donc essentiellement pour obtenir une réduction de ces taux que la France a souhaité renégocier la convention. Les discussions ont eu lieu au mois de mai 2019 à Buenos Aires ; après un seul tour de négociations, elles ont abouti à la signature de l’avenant le 6 décembre 2019. La France a obtenu une diminution significative des taux de retenue à la source sur les dividendes, les intérêts et les redevances, et sera à l’avenir aussi bien traitée que ses partenaires européens, voire mieux dans certains cas.
Nos négociateurs ont également obtenu l’insertion de plusieurs clauses du modèle France au sein de la convention, ce qui nous permet de continuer à appliquer notre législation interne dans un certain nombre de cas. En contrepartie, la France s’est engagée à reconnaître un établissement stable de services, ce qui n’est pas anodin.
Toutefois, en dépit de cette concession, l’équilibre global de l’avenant demeure favorable à notre pays. Trois avancées significatives ont été obtenues par la France au titre des négociations, à savoir la réduction des taux de retenue à la source, l’insertion de clauses du modèle France et l’élargissement de la clause de la nation la plus favorisée.
L’article 2 prévoit une diminution du taux de retenue à la source sur les dividendes de 15 % à 10 % en cas de participation substantielle du bénéficiaire sur une période de 365 jours. Il s’agit là d’un alignement sur les taux les plus avantageux octroyés par l’Argentine – seules l’Italie et l’Allemagne bénéficient à ce jour de taux inférieurs. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) préconise de fixer le plafond non pas à 10 %, mais à 5 %.
L’article 3 réduit le taux de retenue à la source sur les intérêts de 20 % à 12 %, soit à un niveau plus conforme au modèle de convention de l’OCDE, qui le fixe à 10 %.
Enfin, l’article 4 diminue les taux de retenue à la source en matière de redevances, tout en opérant une différenciation des plafonds applicables en fonction des catégories de revenus. Le taux de retenue à la source passe donc de 18 %, toutes catégories de redevances confondues, à 3 % s’agissant des redevances versées pour l’usage ou la concession de l’usage d’informations internationales, à 5 % pour les redevances versées pour l’usage ou la concession de l’usage d’un droit d’auteur sur des œuvres littéraires, artistiques ou scientifiques et à 10 % dans tous les autres cas.
Notre pays a également négocié une clarification du champ des revenus compris dans les redevances. L’article 6 exclut ainsi explicitement des redevances les rémunérations de services « normalisés », c’est-à-dire ceux qui ne font appel qu’au savoir-faire usuel de la profession du prestataire. Cette stipulation est loin d’être anodine, en tant qu’elle acte la renonciation de l’Argentine à taxer les services rendus par une entreprise sans recours à un établissement stable sur le territoire argentin.
J’en viens enfin aux stipulations relatives aux gains en capital. À la demande de la France, l’article 5 plafonne l’imposition dans l’État source sur les gains réalisés lors de la cession du capital d’une société : lorsque le cédant détient une participation supérieure à 25 %, le taux maximum de retenue à la source est fixé à 10 %, tandis qu’il s’élève à 15 % dans les autres cas.
De manière générale, les entreprises françaises procédant à des investissements en Argentine bénéficieront de la réduction de ces différents plafonds, et verront ainsi leur charge fiscale locale diminuée et plafonnée.
Certes, la diminution des taux de retenue à la source n’aura pas d’impact sur la charge fiscale totale des entreprises, puisque le cumul du prélèvement à la source argentin et du reliquat d’impôt français a vocation à égaler le montant de l’impôt que le contribuable aurait payé en France. Si le résultat de l’entreprise est déficitaire, en revanche, seul le prélèvement argentin subsiste. La diminution des plafonds de retenue aura alors un impact direct sur le niveau d’imposition des entreprises.
L’insertion de plusieurs clauses du modèle France au sein de la convention franco-argentine a aussi été décidée. Sans entrer dans le détail de chaque dispositif, je tiens tout de même à souligner que ces différentes stipulations sécurisent le cadre juridique applicable aux relations fiscales franco-argentines, garantissent l’application du droit interne français et rendent conforme la convention de 1979 au modèle de convention de l’OCDE.
Je relève également que la France a négocié la mise en place d’une exonération d’impôt sur le revenu pour les volontaires internationaux, qui devrait concerner une quarantaine de personnes annuellement.
Le troisième type de concession obtenue par la France concerne l’insertion au sein du protocole de la convention d’une clause de la nation la plus favorisée, dont la portée est relativement large. Notre pays disposait déjà d’une telle clause, mais celle-ci se limitait au régime des paiements effectués pour les travaux d’étude ou de recherche de nature scientifique ou technique. La nouvelle clause prévoit que la France, à compter de la signature de l’avenant, bénéficiera automatiquement du traitement plus favorable que l’Argentine serait susceptible d’accorder à un autre État en matière de revenus passifs, de gains en capital et de revenus de professions indépendantes.
Cette clause a donc une portée nettement plus vaste que la précédente. À cet égard, permettez-moi de vous signaler que, si la France avait bénéficié d’une telle clause dès 1979, nous n’aurions pas eu à négocier cet avenant, puisque les taux de retenue à la source pratiqués par l’Argentine auraient été revus progressivement à la baisse.
Il me semble intéressant de préciser également que l’Argentine a conclu ce type de clauses avec de nombreux pays, ce qui a pu limiter nos marges de négociation. En effet, toute concession à l’égard de la France aurait dû automatiquement être accordée à d’autres partenaires.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, après vous avoir présenté les principales avancées obtenues par la France, il me faut maintenant vous exposer leur contrepartie, à savoir l’insertion d’une clause portant reconnaissance d’un établissement stable de services.
L’Argentine souhaitait initialement taxer l’ensemble des services rendus par les entreprises françaises sur son territoire, sur une base brute et sans condition de durée, par le biais de l’article sur les redevances. Dans la mesure où cette clause aurait été particulièrement préjudiciable aux entreprises françaises, les négociateurs français ont refusé de l’insérer dans la convention. Les négociations ont finalement abouti à la reconnaissance de l’établissement stable de services en l’absence de toute installation matérielle.
En principe, le siège français d’une entreprise qui ne possède pas de filiales en Argentine dispose du droit exclusif de taxer les bénéfices, sauf si un établissement stable est caractérisé sur place. Il peut s’agir d’un établissement stable traditionnel, c’est-à-dire d’un bureau ou d’un atelier. Cependant, la clause négociée dans l’avenant reconnaît également l’existence d’un établissement stable en l’absence de toute installation matérielle en Argentine, dès lors qu’une entreprise rend des services pour une période cumulée représentant plus de 183 jours au cours d’une année. Si un tel établissement stable est constitué, l’Argentine disposera du droit exclusif de taxer les bénéfices qui s’y rattachent.
Cela étant, l’impact fiscal de cette disposition devrait rester limité, puisqu’elle ne concernerait qu’une trentaine d’entreprises sur les 250 qui exercent une partie de leur activité en Argentine. Les prestataires français qui interviennent plus de 183 jours par an sur un territoire finissent de toute façon par y constituer une installation fixe, donc un établissement stable…
Enfin, d’un point de vue budgétaire, je n’ai malheureusement pas pu obtenir de données chiffrées sur la perte de recettes fiscales pour le Trésor public. L’administration fiscale m’a toutefois indiqué que ces dernières devraient rester très limitées.
Pour conclure, le nouvel équilibre conventionnel résultant de la signature de cet avenant est globalement avantageux pour notre pays. Compte tenu de l’asymétrie de nos échanges économiques avec l’Argentine, la réduction des taux de retenue à la source sera très bénéfique au Trésor public, tout en améliorant la position concurrentielle de nos entreprises sur le territoire argentin. En parallèle, la reconnaissance d’un établissement stable de services ne devrait pas entraîner de préjudice fiscal de grande ampleur.
Enfin, il convient de saluer la clarification opérée dans un certain nombre de cas, conduisant à sécuriser l’application de dispositifs de droit interne.
C’est donc sans modifications que la commission des finances a adopté ce projet de loi.