Intervention de Patrice Joly

Réunion du 1er avril 2021 à 10h30
Convention fiscale avec l'argentine — Adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Patrice JolyPatrice Joly :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la France et l’Argentine sont liées depuis 1979 par une convention fiscale qui a été amendée une première fois en 2001. Vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État.

Le nouvel avenant qui nous est soumis aujourd’hui, signé en décembre 2019 par le ministre des affaires étrangères, aura pour effet de réduire les retenues à la source sur les dividendes et les intérêts, de même que sur les redevances et les gains en capital.

Pour bien mesurer les enjeux de cet accord, il faut rappeler que la France a longtemps figuré parmi les premiers investisseurs en Argentine, avant que la crise de 2008 ne change la donne.

Aujourd’hui, selon les données de la Banque de France, confirmées par celles de la Banque d’Argentine, l’Argentine est la quatrième bénéficiaire de nos investissements directs en Amérique latine, cependant loin derrière le premier, le Brésil. La France figure ainsi au huitième rang des investisseurs étrangers en Argentine et au quatrième rang des investisseurs européens, mais loin derrière l’Espagne, les Pays-Bas ou encore la Suisse. Quant aux investissements argentins en France, ils restent faibles, cela a été dit. L’Argentine est le soixante-dixième fournisseur de la France.

Dans ce contexte de déséquilibre entre la présence des entreprises françaises en Argentine et une moindre présence argentine en France, l’abaissement des niveaux de fiscalité prévu dans l’avenant jouera en faveur des intérêts économiques français et améliorera la position concurrentielle de nos entreprises sur le territoire argentin.

Selon l’étude d’impact, cet avenant bénéficiera également au Trésor public français, puisque le montant de l’impôt étranger à éliminer sera diminué, augmentant d’autant les rentrées fiscales françaises.

Parmi les dispositions retenues figure la clause de la nation la plus favorisée.

Plus largement, ce texte s’inspire des travaux de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) visant à harmoniser les systèmes fiscaux internationaux. Engagés par les dirigeants du G20 lors du sommet de Saint-Pétersbourg en septembre 2013, ces travaux répondent à la prise de conscience collective par les États des importantes pertes de recettes qu’entraînent les stratégies d’optimisation fiscale des grands groupes.

Notre groupe politique a toujours été et demeure favorable au double objectif, d’une part, de remise à niveau des normes du système fiscal international, afin de l’adapter au paysage actuel de l’économie mondialisée, et, d’autre part, d’intégration des pays émergents et en voie de développement au sein d’un système fiscal initialement élaboré sans leur participation.

Le 19 avril 2018, nous adoptions le projet de loi autorisant la ratification de la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion des bases d’imposition et le transfert de bénéfices liés aux stratégies d’optimisation des grands groupes mondiaux tirant parti des différences entre les régimes fiscaux nationaux.

Les pertes de recettes liées à ces optimisations fiscales sont estimées à un montant compris entre 100 milliards et 240 milliards de dollars par an, soit entre 4 % et 10 % des recettes de l’impôt sur le bénéfice des sociétés à l’échelle mondiale.

Si les dispositions de la convention multilatérale visaient principalement à s’assurer que les bénéfices étaient imposés là où s’exerçaient réellement les activités économiques qui les engendraient, en luttant notamment contre l’utilisation abusive des conventions fiscales et le contournement artificiel du statut d’établissement stable, tout en améliorant les modalités de règlement des différends entre États en cas de double imposition, ce texte nous avait conduits cependant à exprimer de nombreuses craintes, qui demeurent d’actualité trois ans plus tard.

En effet, nous déplorions que la question de la fiscalité du secteur de l’économie numérique ne fût à l’époque que peu abordée dans toutes les conventions. La raison est pourtant connue : les divergences entre les États sur la question de la taxation des géants du Net ont empêché des propositions concrètes en la matière. Un rapport sur le sujet a été remis le 16 mars 2018 : les différentes pistes possibles y sont présentées, en même temps qu’il est pris acte de l’absence de consensus à l’échelon international.

Cette absence de consensus montrait que la communauté internationale était loin, voire très loin de mettre en place un dispositif commun. Nos craintes étaient fondées, car, trois ans après, nous avons assisté à la fin des grandes ambitions d’un groupe de travail dénommé task force, coprésidé par la France au sein de l’OCDE et chargé de travailler sur la fiscalité du numérique. La task force s’était donné l’année 2020 comme horizon pour achever ses travaux, lesquels se sont conclus par un échec, compte tenu de l’opposition des États-Unis et du blocage d’un certain nombre de pays européens.

Pour avancer sur ce sujet, il faut que l’Union européenne soit maintenant plus ambitieuse et qu’elle propose une refonte de la notion d’établissement stable, adaptée à l’économie numérique, à l’instar des avancées récentes sur ce sujet de la part de juridictions internationales et, en décembre dernier, du Conseil d’État.

Enfin, l’enjeu de la coopération internationale en matière de fiscalité est bien de régler la contradiction entre une économie qui facilite la mobilité des marchandises, des services et des capitaux et un ensemble de réglementations fiscales segmentées, sur des territoires délimités, permettant tous les évitements des prélèvements.

Or on continue ici à voter des avenants aux conventions fiscales bilatérales à un rythme soutenu, sans que la situation change véritablement à l’échelle internationale, ce qui met en évidence les limites de l’approche actuelle et l’utilité d’une approche multilatérale.

Toutefois, compte tenu des avancées que représente cet avenant, notre groupe votera ce texte.

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