Une république moderne, comme la réclamait Pierre Mendès France en son temps, aurait nécessité que le débat parlementaire ait lieu avant l’allocution du Président de la République et que l’ensemble du corps législatif soit étroitement associé à toutes les décisions prises depuis maintenant un an.
Depuis un an, c’est – hélas ! – le même schéma qui se reproduit sans qu’aucune leçon ait été retenue. Je constate que le Président de la République a demandé aux soignants un effort pour augmenter nos capacités de réanimation, mais ce qui est nécessaire, avant tout, c’est de disposer de plus de main-d’œuvre et de moyens.
Le Président s’est voulu rassurant, mais le constat est tout autre : l’épidémie a bondi, la vaccination, si elle est effective, est encore trop lente et nous payons tous le pari d’avoir privilégié temporairement l’économie, au risque d’un rebond fulgurant de la contamination.
Je le dis sans ambiguïté : il n’y a aucune intention pour notre part de soulever des polémiques inutiles, mais nous avons l’impression, avec regret, que l’ensemble des mesures prononcées hier auraient pu, et auraient dû, être prises en amont et que nous avons perdu un temps précieux.
Sur ces mesures, je crois que nous pouvons tous partager l’objectif initial qui était de maintenir les écoles ouvertes. Maintenir ce lien entre l’école de la République et ses enfants était nécessaire, car on connaît les conséquences désastreuses d’un éloignement prolongé de l’école pour les élèves, notamment pour les plus défavorisés d’entre eux.
Toutefois, si le virus ne circule pas plus à l’école qu’ailleurs, il n’y circule pas moins non plus, aussi, la fermeture annoncée était devenue inévitable. Face à cela, la simple annonce d’un calendrier de réouverture est insuffisante.
Oui, vous avez annoncé le droit au chômage partiel pour l’ensemble des Français qui ne pourraient pas télétravailler, et ils sont nombreux, notamment dans les territoires ruraux. Pensez-vous pour autant qu’il soit aisé de télétravailler avec des enfants à la maison ? Il faut aller plus loin en proposant des alternatives de garde, en prenant plus largement en compte les 8 millions de familles monoparentales de notre pays.
Il faut, enfin, se servir de ces trois semaines de fermeture pour vacciner prioritairement les professeurs et les encadrants, ce qui permettra de concilier une réouverture rapide des classes et la protection sanitaire que nous devons à nos équipes éducatives.
Sur la vaccination, toujours, on ne peut que souscrire au « Vacciner, vacciner, vacciner » et à la volonté de voir l’ensemble de la population vaccinée au plus tôt.
Pour autant, là encore, on ne peut que regretter les atermoiements concernant la stratégie vaccinale.
Atermoiements, d’abord, sur la commande européenne, plus que timide.
Atermoiements, ensuite, sur le rythme de vaccination des plus âgés et des patients à risque.
Atermoiements, enfin, quant à l’utilisation du vaccin AstraZeneca ou sa suppression temporaire, alors même que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a demandé la poursuite de sa prescription, ce qui a créé la défiance et nourri les scepticismes.
Résultat, l’OMS – encore elle – a jugé que le rythme de vaccination en Europe est « inacceptable ».
À ce titre, même si nous sommes des Européens convaincus, il nous faut militer pour la levée des brevets concernant les vaccins et adapter notre appareil productif afin d’avoir la maîtrise de notre destin vaccinal. En somme, il nous faut agir plutôt que réagir pour atteindre nos objectifs de sortie de crise.
Concernant l’extension des mesures sanitaires à l’ensemble du territoire métropolitain et les règles des dix et des trente kilomètres, je crains que leur application ne soit matériellement difficile.
D’abord, dans les zones rurales, nombre de commerces et de services publics ou même de santé ne se situent pas dans un tel cercle, ce qui mettra automatiquement nombre de nos concitoyens hors la loi.
Ensuite, comment vérifier une adresse lorsque celle-ci n’est pas la même que celle du papier d’identité ? Et lorsque l’adresse est la bonne, comment être sûr que le cercle des dix kilomètres est bien respecté ? Les agents de police et les gendarmes ne sont pas dotés de décamètres !
Vous le savez, ce rayon de dix kilomètres sera tout aussi difficile à respecter dans les zones urbaines : si les services essentiels y sont sans doute plus proches, le besoin de s’aérer n’en est pas moins plus grand, d’autant que tout le monde n’a pas la chance d’avoir une résidence secondaire ou un pied-à-terre à la mer, à la montagne ou la campagne.
Enfin, si l’on a appris une chose de ce virus, c’est bien qu’il est imprévisible. Aussi, bien que nous le souhaitions et l’appelions de nos vœux, il nous paraît prématuré de parler de réouvertures diverses pour la mi-mai.
Monsieur le Premier ministre, un an après la mise en place de politiques diverses pour tester, tracer et isoler, que nous avons votées – ou non d’ailleurs – dans cet hémicycle, ce sont là autant d’éléments sur lesquels nous ne disposons pas d’évaluations, ce qui nous porte à douter de leur efficacité.
Un an après, des millions de Français ont toujours autant d’incertitudes : ils ne savent pas s’ils pourront un jour se soigner, travailler, étudier, aller au cinéma, au restaurant ou au café, bref, reprendre une vie normale et décente.
Au final, ce qui a manqué, c’est un débat préalable au Parlement, car c’est bien notre rôle de voter la loi et de contrôler votre action, conformément à l’article 24 de notre Constitution.
Ce qui a manqué aussi, c’est la confiance dans les élus locaux, qui, souvent, sont les plus à même de prendre des décisions pour leur territoire. Mettons-nous à la place du maire de Cahors, de Tarbes ou de Mende, qui voient les décisions arriver d’en haut et subissent du jour au lendemain la fermeture de leurs commerces non essentiels sans avoir été consultés.
Ce qui manque, au fond, c’est la confiance de nos concitoyens, des élus des territoires et de la majorité des membres du RDSE, dont vous connaissez pourtant l’attachement à nos institutions et la volonté de placer l’intérêt du pays au-delà de toute querelle partisane.
L’unité aurait été de mise, ainsi que l’image d’une nation rassemblée face aux défis auxquels nous sommes confrontés. Hélas, monsieur le Premier ministre, l’unité nationale ne se décrète pas : elle se construit. Aussi, vous comprendrez que notre groupe, non pas à l’unanimité, mais dans sa très grande majorité, ne prendra pas part au vote.