Intervention de Éric Dupond-Moretti

Réunion du 2 avril 2021 à 14h45
Respect des principes de la république — Rappel au règlement

Éric Dupond-Moretti :

La volonté du Gouvernement de supprimer cet alinéa se fonde sur de vraies raisons de droit. Normalement, au-delà des dogmes ou des idéologies – je ferai désormais le distinguo entre les deux… –, nous devrions tous y être sensibles.

L’alinéa 5 prévoit l’application de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse pour le délit de mise en danger par divulgation d’informations personnelles alors que les faits incriminés ne sont pas commis par voie de presse ; ils peuvent par exemple l’être par messagerie personnelle.

Une telle disposition conduit à appliquer le régime prévu par la loi de 1881, alors que le délit n’est pas commis par des journalistes ou assimilés. Le maintien de cet alinéa rendrait impossible le placement des auteurs de telles infractions sous le coup d’une mesure coercitive, privant ainsi le dispositif répressif de son efficacité.

Si l’intention est évidemment légitime, le nouveau délit n’a pas pour objet de réprimer la diffusion de propos, sons ou images ayant pour objet d’informer le public – c’est le travail des journalistes –, quand bien même ces informations seraient utilisées par des tiers dans le but de nuire.

L’équilibre du dispositif répressif au regard de la liberté d’expression et de la communication réside dans l’existence d’un élément intentionnel spécifique permettant de réserver l’application du délit aux seules personnes ayant intention de nuire.

Madame la rapporteure, les dispositions de votre amendement, dont je comprends le sens, soulèvent des difficultés en droit. Vous souhaitez que soient applicables « les garanties procédurales prévues par la loi du 29 juillet 1881 ». Mais lesquelles ? Ce n’est pas très clair.

Au regard des règles de droit, trois raisons interdisent à cet amendement de prospérer.

Premièrement, quel sera le délai de prescription de l’action publique ? Trois mois ? Un an ? Ce n’est pas précisé. C’est une vraie difficulté. Or nous sommes en train de créer un délit. Quelles sont les pénalités ?

Deuxièmement, la poursuite du délit est-elle conditionnée par une plainte préalable de la victime alors que cette garantie n’est prévue que pour certains délits de presse ? Oui ? Non ? Pas de réponse.

Troisièmement, la détention provisoire, qui est possible alors que la loi de 1881 ne la prévoit que pour certains délits, sera-t-elle ou non applicable ? Nous n’en savons rien.

Quand on parle des garanties procédurales de la loi de 1881, il faut préciser lesquelles ! Je comprends parfaitement le sens de l’amendement de la commission, qui vise à renforcer les protections. Mais je dis qu’il n’est pas possible d’instituer un délit en ignorant comment il serait sanctionné. En l’occurrence, la difficulté en droit est triple.

À ceux qui ricanent quand je dis qu’il faut supprimer l’alinéa 5, je répète que l’on ne peut pas créer un délit avec une prescription aléatoire, une peine aléatoire et une manière d’introduire l’action publique aléatoire. Moi, cela ne me fait pas ricaner.

Je suis donc défavorable à l’amendement de la commission, même si, encore une fois, j’en comprends parfaitement le sens.

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