Intervention de Cédric O

Réunion du 2 avril 2021 à 14h45
Respect des principes de la république — Article 19

Cédric O :

Madame Benbassa, une étude attentive de la décision du Conseil constitutionnel montre que seul l’article 1er de la loi Avia a été censuré sur le fond, pour non-respect du principe de proportionnalité.

Les articles 2 à 4 relatifs aux obligations de moyens, qui étaient les plus proches des dispositions figurant dans le texte que nous examinons aujourd’hui, ont pour leur part été censurés par voie de conséquence. Ils n’ont donc jamais été jugés au fond.

Un fait nouveau est par ailleurs intervenu entre-temps : la présentation des textes européens. On peut certes discuter de la pertinence de prétransposer un règlement européen – je suis disposé à en débattre avec vous –, mais, juridiquement comme politiquement, il me semble quelque peu rapide de soutenir que nous réintroduisons par la fenêtre le contenu de la loi Avia.

Monsieur Assouline, je ne pourrai pas apporter immédiatement des réponses précises à toutes vos questions, mais je souhaite vous livrer deux éléments.

Premièrement, le parquet numérique n’est pas seul compétent sur ces sujets. L’ensemble des parquets et des tribunaux français peuvent se saisir d’un certain nombre d’éléments, et il est donc faux de réduire à la section du parquet de Nanterre spécialisée sur le sujet le nombre de magistrats qui se consacrent à ces questions.

La plupart des jugements qui ont été rendus dernièrement, y compris après l’assassinat de Samuel Paty, ne l’ont d’ailleurs pas été par le tribunal de Nanterre. Nous pouvons certes avoir un débat plus large sur le nombre de magistrats, mais il dépasse le seul sujet du numérique.

Deuxièmement, s’agissant de Pharos, honnêtement, nous ne résoudrons pas le problème par une simple augmentation des effectifs.

L’irruption des réseaux sociaux et d’internet pose des questions principielles de conception et d’application du droit. Doit-on traduire en justice toutes les personnes qui contreviennent à la loi sur internet ? Nous ne pourrions pas le faire même si nous avions 2 500 magistrats affectés uniquement à cette tâche !

Si vous insultez ou menacez une fois quelqu’un dans la rue, le plus souvent, il ne se passe rien. En revanche, si vous insistez un peu trop, vous finissez devant la justice. On peut tous s’en réjouir, d’une certaine manière : le temps fait son affaire, et les paroles s’envolent.

En revanche, sur internet, la contravention à la loi reste en ligne, et elle est potentiellement accessible au monde entier. Elle peut être consultée par trois personnes en un an comme être subitement vue par 100 000 personnes, si elle est exhumée par quelqu’un qui compte beaucoup de followers.

Aussi, la gravité d’une insulte ou d’une atteinte à la loi dépend-elle du fait lui-même ou de sa visibilité et de sa propagation ? La deuxième réponse est plutôt la norme dans l’univers d’internet, mais cela pose un problème essentiel au regard de notre conception du droit.

Accepte-t-on collectivement de ne pas pouvoir tout régler ? Là encore, c’est un sujet extrêmement problématique.

Les magistrats ne sont pas encore assez nombreux, probablement. Monsieur le sénateur, nous appartenions tous les deux à la même majorité il y a quelques années, et nous n’avons sans doute pas fait assez. Ce gouvernement a agi, mais peut-être pas encore assez, et il faudra probablement encore augmenter leur nombre dans les années à venir.

Toutefois, nous ne réglerons pas ainsi le problème principiel de savoir ce qu’est le droit à l’heure des réseaux sociaux et d’internet. Les démocraties doivent mettre à jour leur cadre conceptuel, juridique, éthique et philosophique en fonction d’un outil qui, au fond, n’en est pas seulement un. Le Gouvernement doit prolonger sa réflexion sur ce point.

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