Intervention de Tony Rebus

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 16 mars 2021 : 1ère réunion
Table ronde dans le cadre du suivi du rapport d'information de la délégation aux outre-mer sur la représentation et la visibilité des outre-mer dans l'audiovisuel public

Tony Rebus, président de l'association des auditeurs et téléspectateurs des outre-mer (AATOM) :

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs. Je vous remercie de votre invitation à cette table ronde pour débattre du Pacte pour la visibilité des outre-mer. Notre espace audiovisuel et cinématographique devrait être, comme Stendhal le disait du roman, « un miroir dans lequel se reflète la société dans sa réalité et sa diversité ». Dans son dernier baromètre publié en septembre 2020, le CSA indique que la représentation des territoires est peu conforme à la réalité. Seules 0,4 % des personnes à l'écran, tous programmes confondus, sont ultramarines, alors que selon les données de l'Insee, les départements et collectivités d'outre-mer représentent 3,26 % de la population française.

La suppression de la chaîne France Ô a fait chuter le nombre d'intervenants ultramarins sur les principales chaînes de la TNT de 10 % à 0,4 %. Pour cette raison, France Télévisions a signé un Pacte de visibilité des outre-mer qui vise à ancrer un réflexe outre-mer sur l'ensemble des antennes.

Pour développer un réflexe, il faut que les faits qui le conditionnent soient récurrents, localisables dans l'espace et le temps, c'est-à-dire que les émissions, les séries ou les films répartis sur une ou plusieurs antennes soient des rendez-vous réguliers. Or, ce n'est pas le cas aujourd'hui. « Coeur outre-mer » a été choisi comme programme phare mais nous considérons qu'il n'est pas le plus adapté pour créer ce réflexe. Il concentre 46 heures de programmes sur 6 jours, ce qui ne permet pas à une personne de regarder l'ensemble des contenus et provoque un effet de saturation. Une programmation mensuelle serait plus adaptée et mieux comprise.

Concernant le premier engagement portant sur la diffusion, chaque mois, de programmes ultramarins en première partie de soirée, j'ai noté 27 premières parties de soirée. Toutefois, ce chiffre n'a pas de réelle signification en termes de représentativité, puisqu'il signifie 2,47 % de taux de présence sur les trois chaînes nationales (France 2, France 3, France 5) et 1,48 % si on prend les cinq chaînes nationales.

S'agissant du point 8 du Pacte, qui prévoit un magazine quotidien sur France 3, le format a été modifié et les sujets ne sont pas toujours pertinents.

Par ailleurs, les ultramarins de l'Hexagone sont les grands oubliés de ce Pacte de visibilité. Depuis la fermeture de France Ô, ils ne sont plus visibles, sauf dans un sujet de trois minutes de l'émission Les Témoins d'Outre-mer (LTOM) traitant souvent de l'artisanat. Pourtant, les ultramarins de l'Hexagone sont aussi nombreux que ceux des outre-mer et participent au rapprochement entre l'outre-mer et l'Hexagone. Auparavant, des invités étaient en plateau et des sujets de société étaient abordés. LTOM sera-t-elle toujours présente à la rentrée sur France 3 ? J'ai en effet entendu parler de l'arrêt des tournages à partir du mois d'avril.

Le point 9 porte sur « l'info outre-mer ». Ce format de six minutes est trop court et ne permet pas de présenter l'ensemble des outre-mer. De plus, les horaires de diffusion ne sont pas respectés. Par exemple, si France 3 diffuse un événement sportif, le rendez-vous est déprogrammé. Par ailleurs, il n'est pas diffusé dans toutes les régions, certaines ont leur propre programme. Les 20 et 27 décembre 2020, par exemple, sa diffusion a été déplacée à 11 heures 50 pour laisser la place à des dessins animés. L'AATOM suggère que ce rendez-vous du week-end retrouve sa place à 12 heures 50, après le journal de France 3.

Le point 10 traite du nouveau portail outre-mer. Selon le Syndicat national de la publicité télévisée, 56 % des Français disent que la télévision occupe un point central au sein de leur foyer, 57 % qu'elle leur manquerait si elle disparaissait, 69 % qu'elle constitue un lien social fort pour la famille, 63 % entre amis et 40 % entre collègues. La télévision est le support le plus utilisé, toutes générations confondues, pour 88 % des Français. Le portail numérique n'est donc pas forcément le meilleur moyen pour connecter les outre-mer au niveau national surtout avec la fracture numérique. Les chaînes locales ne sont pas accessibles sur le flux linéaire à cause de la géolocalisation, alors qu'en outre-mer les chaînes hexagonales sont accessibles. De plus, l'application Android ne permet pas de faire passer les programmes sur la télévision et il y a de nombreuses microcoupures sur les smartphones.

Le point 11 porte sur les documentaires. Il est rédhibitoire de supporter une minute de publicité avant d'accéder à chaque documentaire. L'AATOM ne dispose d'aucun moyen de vérifier le chiffre de six millions de personnes qui seraient touchées par l'opération « Coeur outre-mer ». Des événements quotidiens, répartis sur l'ensemble des chaînes, seraient plus appropriés. Par ailleurs, la plus grande partie de la programmation est constituée de rediffusions. Les artistes devraient pouvoir s'exprimer à cette occasion. Le 24 octobre 2020, France 2 a diffusé un sujet sur l'eau dont le contenu n'était pas satisfaisant car il ne reflétait pas ce que sont les outre-mer. Les personnes interrogées ne représentent pas la diversité de la population dans le quartier résidentiel de Saint-François (une femme, son fils, un restaurateur et un retraité). Le 7 mars 2021, Laurent Delahousse a diffusé un sujet sur les requins à La Réunion. Pendant les 46 minutes du reportage, pas une seule personne issue de la diversité n'apparaît alors que la population réunionnaise est composée de 75 % de noirs et de malbars, de 15 % de créoles et seulement de 10 % de « zoreilles ». Enfin, Culturebox propose beaucoup de rediffusions.

En 2000, le « Collectif Égalité » avait alerté sur l'absence des minorités visibles dans le paysage cinématographique et audiovisuel. En 2020, lors de la 46e cérémonie des Césars, la comédienne Aïssa Maïga a alerté l'opinion en réclamant davantage d'égalité. En 2021, il y a encore de nombreuses inégalités dans le paysage audiovisuel. La télévision doit faire des efforts, le service public peut aider à améliorer la situation dans le cinéma.

Pour une meilleure représentation de la diversité, nous proposons que le 10 mai 2021, date anniversaire des 20 ans de la loi Taubira, la Journée nationale des mémoires de la traite négrière, de l'esclavage, et de leur abolition fasse l'objet d'une soirée thématique en première partie de soirée sur l'une des principales chaînes du service public. Un film d'un cinéaste originaire des Antilles pourrait être diffusé et suivi d'un débat en présence du réalisateur et d'historiens de France, y compris des Antilles, et d'Afrique. Ce serait une excellente occasion d'offrir aux téléspectateurs la possibilité de mieux comprendre des pans de cette histoire méconnue.

Nous proposons également un projet sur 5 ans, avec la découverte, chaque année, du catalogue des meilleurs longs métrages des réalisateurs ultramarins : Christian Lara, qui a produit 25 films et dont aucun n'a été acheté par France Télévisions, Euzhan Palcy, Guy Deslauriers, Jean-Claude Barny, Christian Grandman. France Télévisions pourrait rencontrer ces réalisateurs des outre-mer pour étudier des possibilités de coproduction.

L'inquiétude des professionnels de la culture ne cesse de grandir, les lieux culturels sont toujours fermés. Pour les cinéastes d'outre-mer, déjà largement sous-représentés au cinéma comme sur le petit écran, la situation risque d'être encore plus catastrophique.

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