Intervention de Sylviane Le Guyader

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 11 mars 2021 : 1ère réunion
Audition de mmes géraldine derozier et sylviane le guyader de l'agence nationale de la cohésion des territoires anct

Sylviane Le Guyader, cheffe du pôle analyses et diagnostics territoriaux de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) :

Merci Madame la présidente. Nous nous réjouissons d'intervenir ce matin. Nous nous efforcerons de vous présenter un exposé synthétique et nous tiendrons à votre disposition pour répondre à vos questions.

Nous souhaitons organiser nos propos de la manière suivante : mon intervention concernera d'abord la production de connaissances, car je suis responsable du pôle Analyses et Diagnostics territoriaux, dont l'Observatoire des territoires fait partie. Géraldine Derozier abordera ensuite les missions de l'ANCT relatives aux ruralités, dans le cadre de l'agenda rural notamment.

Mon propos s'articulera autour de trois temps : je récapitulerai tout d'abord les résultats de l'étude réalisée en 2017-2018. Elle s'est révélée structurante car elle s'est appuyée sur des séminaires de production de connaissances, de travail partenarial, de préconisations et de bonnes pratiques. J'évoquerai ensuite l'étude publiée le 8 mars dernier. Je vous en communiquerai le lien d'accès. Ce dernier rapport sur la situation des femmes en général comprend notamment quelques données récentes sur la situation des femmes en milieu rural.

Ensuite, je présenterai l'outillage, l'information et les données mises à disposition sur le site de l'Observatoire des territoires, notamment par l'application Sofie.

Enfin, je terminerai mon exposé en évoquant les pistes et le programme de travail envisagé en 2021.

L'étude de 2017-2018 concernait les freins et les leviers d'accès des femmes à l'emploi dans les territoires ruraux. Quelques années auparavant, une étude avait concerné les femmes des quartiers prioritaires de la politique de la ville.

Les principaux résultats de cette étude révèlent un taux d'emploi dans les territoires ruraux légèrement supérieur au chiffre national. En revanche, le taux de chômage des jeunes femmes y est plus élevé et les femmes travaillant à temps partiel ou non diplômées y sont plus nombreuses.

Toutefois, la problématique des femmes dans la ruralité est à appréhender au regard de la diversité des ruralités. La dynamique et la composition du tissu économique de ces territoires impactent différemment les emplois des femmes.

Les freins à l'accès à l'emploi des femmes dans les territoires ruraux s'expliquent par des caractères structurels - situation, profil, formation -, d'une part, et par des problématiques d'accompagnement d'autre part, relatives à la formation et à la mobilité. La possession d'un permis de conduire et les bassins d'emplois desquels dépendent les femmes en milieu rural constituent des facteurs pouvant limiter leur accès à l'emploi, de même que leurs responsabilités familiales et la possibilité de garde d'enfants par exemple, l'offre de services en milieu rural étant moindre qu'en zone urbaine.

Dans le cadre de cette étude, dont un des volets traitait de l'entreprenariat féminin, des filières d'avenir ont été explorées pour développer l'emploi des femmes :

- la filière numérique, où les femmes ne sont présentes qu'à hauteur de 27 %, contre 48 % dans le reste de l'économie ;

- les métiers verts et verdissants - agriculture, entretiens des espaces, circuits courts du tourisme vert - dont les enjeux actuels s'avèrent importants ;

- la silver economy relative à la problématique du vieillissement de la population, au sein de laquelle les femmes sont surreprésentées ;

- l'économie sociale et solidaire.

L'étude s'est appuyée sur des groupes de travail et un guide pratique a été publié afin de pointer la nécessité de mettre en place un certain nombre de politiques publiques relatives à l'emploi des femmes et aux territoires ruraux. Géraldine Derozier précisera ces éléments lorsqu'elle abordera l'agenda rural.

L'étude publiée à l'occasion du 8 mars est une étude globale portant sur la dimension territoriale de l'accès à l'emploi des femmes. Quelques chiffres illustrent la situation générale de l'emploi des femmes et révèlent les écarts observés dans les territoires ruraux.

Depuis 1975, la part des femmes dans la population active progresse et les différences entre les zones d'emploi s'estompent. Pour autant, le taux d'activité des femmes est inférieur de 6 % à celui des hommes. Dans les territoires ruraux à faible densité de population, la disparité s'avère plus faible car l'écart est de 5 %.

Par ailleurs, il convient de retenir que les jeunes femmes sont plus souvent touchées par le chômage que les jeunes hommes dans les territoires ruraux et les différences entre femmes et hommes sont plus marquées à la campagne qu'à la ville. La crise actuelle va accentuer probablement ce phénomène, dans des proportions qui restent à déterminer.

En fonction des territoires, ces écarts s'avèrent plus ou moins importants. Dans l'ouest de la France, les écarts femmes-hommes chez les jeunes chômeurs sont plus importants. Il est intéressant de noter que les femmes au foyer y sont plus nombreuses.

Dans l'ensemble, les territoires ruraux se distinguent des autres territoires par une offre d'emplois moins mixte (secteurs d'activité à dominante masculine : construction, agriculture, transport...). Nous observons une dichotomie entre la faible mixité des emplois et la surreprésentation des femmes dans le secteur médico-social. L'emploi se révèle donc beaucoup moins diversifié dans le secteur rural et très fortement concentré dans le secteur médico-social. Ce problème de mixité dans l'offre d'emplois est majeur. Comment en effet encourager les femmes à occuper des emplois dans des secteurs qu'elles occupent habituellement peu ?

Plus d'une femme sur cinq ayant un emploi dans les territoires ruraux travaille dans le secteur médico-social. Cette proportion représente le double de celle observée dans les territoires urbains. Ainsi, plus de 20 % des femmes travaillent dans le secteur médico-social contre 11 % dans le secteur urbain. Une femme sur quatre travaille dans le secteur de la santé, où les hommes sont peu présents.

Ces quelques données brièvement présentées témoignent de la situation actuelle. J'aborde maintenant le deuxième point de mon exposé : l'outillage et la mise à disposition de connaissances.

L'Observatoire des territoires existe depuis plus de quinze ans. Nous veillons à enrichir les données au fil des ans. Les données genrées sont de plus en plus présentes sur notre site, dont le meilleur exemple est l'application Sofie.

Cette application interactive, dont je vous communiquerai le lien d'accès, a été développée en 2019. Elle propose un découpage très fin du territoire - à l'échelle des intercommunalités et des ETP de la métropole du Grand-Paris (pour la nouvelle version) - et propose un certain nombre d'indicateurs sur un territoire observé. L'outil présente en effet les caractéristiques de l'accès à l'emploi des femmes - taux d'inactivité, chômage, temps partiel, contrats précaires et insertion des jeunes - et des freins à l'accès à l'emploi des femmes selon les territoires.

L'outil permet ainsi de faire apparaître des écarts genrés ; de comparer les territoires et d'aborder le thème des freins indépendamment des composantes liées à la formation et à l'emploi. Il propose des indicateurs relatifs à la composition de la famille - part des familles monoparentales ou nombreuses - à la non-mixité de l'offre d'emploi et de l'offre de formation, à l'accueil des jeunes enfants, à l'éloignement des écoles et au trajet domicile-travail.

Je développerai ce dernier point car la problématique de l'égalité femmes-hommes et les freins à l'accès à l'emploi pour les femmes nécessitent également d'appréhender la question de la mobilité. En effet, le bassin de vie des femmes est spécifique pour plusieurs raisons. Tout d'abord, elles ont moins souvent accès à un véhicule, soit parce que leur ménage ne dispose pas d'un véhicule pour chaque membre du couple, soit parce qu'elles ne possèdent pas le permis de conduire.

Par ailleurs, les études menées sur les mobilités révèlent que les distances entre le lieu de travail et le domicile ont tendance à s'accroître, car les emplois demeurent très concentrés dans les milieux urbains, tandis que les habitations s'installent dans des zones plus isolées dans lesquelles les prix de l'immobilier sont moindres. La distance moyenne parcourue par les femmes pour se rendre sur leur lieu de travail est de seize kilomètres contre vingt-quatre pour les hommes, que ce soit en ville ou à la campagne. Le bassin d'emploi potentiel des femmes est donc plus restreint que celui des hommes.

Les contraintes horaires qui s'imposent aux femmes sont également plus fortes en raison des obligations familiales liées à leurs enfants, mais également au maintien des personnes âgées à domicile, qui nécessite un accompagnement aujourd'hui supporté par les familles. À nouveau, la crise sanitaire actuelle nous invite à être sensibles à ces problématiques.

Je terminerai mon exposé par la présentation des travaux en cours. L'ANCT a pour ambition d'accompagner davantage les collectivités territoriales dans leurs projets de territoire. Parallèlement à l'action publique, le chantier des ruralités monte en puissance, comme l'illustre la nomination d'un secrétaire d'État aux ruralités.

Nous avons notamment participé très activement à la définition du zonage rural, lequel a été validé lors du comité interministériel des ruralités de novembre 2020. Ainsi, nous avons largement contribué à la prise en compte des espaces peu et très peu denses dans la distinction des territoires ruraux et urbains. Jusqu'à présent, l'INSEE qualifiait en effet les territoires ruraux par défaut par rapport à l'urbain. Ceux-ci sont désormais mieux reconnus en matière d'espace et de population.

La définition de ce nouveau zonage rural constitue une avancée très importante, notamment pour l'INSEE, car la définition des zonages d'étude au niveau national en lien avec la politique européenne et celle d'Eurostat est essentiellement urbaine. Cependant, nous avons réussi à défendre davantage la cause rurale au niveau national, grâce à la spécificité de nos territoires nationaux et infranationaux.

Nous préparons un projet de comité de coordination entre des travaux relatifs aux ruralités, afin de qualifier la diversité des territoires ruraux. Certains sont éloignés des zones urbaines et très peu denses, comme les territoires de montagne ; certains demeurent très agricoles ; certains accueillent de manière diffuse des activités et des bassins industriels relativement importants ; d'autres enfin sont susceptibles de se mobiliser autour de l'accueil de jeunes retraités et de la diversification des activités de tourisme et de loisirs.

Nous veillerons à appréhender les diverses problématiques liées à celles des femmes dans la coordination des travaux que nous mènerons notamment avec l'INSEE, Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) et les laboratoires universitaires.

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