Merci pour votre invitation, je constate avec plaisir et avec envie que vous savez pratiquer la distanciation sociale tout en étant ensemble, c'est encourageant lorsque nous nous efforçons de revenir à une vie plus normale grâce à la vaccination, dont j'espère qu'elle sera accessible à tous les Européens dès la mi-juillet.
Mon propos liminaire portera sur les trois grands thèmes que j'entends dans vos questions : l'organisation de notre espace numérique, la stratégie industrielle sous tous ces aspects, la responsabilité nouvelle qui m'a été confiée pour que notre continent soit en mesure de fournir le nombre de vaccins nécessaires pour nous, Européens, et pour une bonne partie de la planète.
Sur l'espace numérique, sujet essentiel, je me suis beaucoup impliqué, car nous avons estimé primordial de proposer une nouvelle organisation et une réglementation de ces plateformes, qui jouent un rôle structurant dans notre vie quotidienne. Effectivement, la crise sanitaire s'est confirmée être un accélérateur de tendance, nous l'avons vu avec l'usage de plus en plus important des plateformes numériques. Il faut s'organiser afin que les règles de la vie physique soient transposées dans l'espace virtuel, c'est-à-dire que ce qui est autorisé et interdit dans l'espace physique le soit pareillement dans l'espace numérique ; c'est simple à dire, mais complexe à mettre en oeuvre et c'est l'objet du DSA qui est à l'étude chez nos co-législateurs. Le DMA organise de son côté la vie économique de ces grandes plateformes sur le marché intérieur dont j'ai la charge, pour que la concurrence telle que nous l'entendons s'exerce dans de meilleures conditions, qu'il y ait moins de goulets d'étranglement et que tous les acteurs économiques puissent s'épanouir ; la crise sanitaire nous a montré combien il était important de développer les outils numériques pour toucher les clients des grandes mais aussi des petites entreprises. Le DSA donne des responsabilités très claires aux plateformes et prévoit des contrôles pour vérifier qu'elles mettent bien en oeuvre leurs obligations, ce qui suppose des moyens humains - c'est à cette condition que les législateurs que vous êtes auront la certitude que les règles établies seront effectivement appliquées avec célérité dans l'espace numérique, qu'il s'agisse de lutte contre le terrorisme ou la pédopornographie, les produits contrefaits ou encore de lutte contre les fake news. L'application effective de ces règles redonnera confiance dans l'espace numérique et responsabilisera les plateformes afin qu'elles réagissent rapidement, ceci dans l'intégralité de l'Union puisque la loi y sera partout la même. L'espace informationnel sera ainsi géré avec plus de rigueur ; il y aura ce que les Anglo-saxons appellent des gatekeepers, des contrôleurs d'accès qui répondront à des critères précis tels que le chiffre d'affaires, le nombre de clients connectés, ou encore, et c'est nouveau, la valorisation. Nous pourrons ainsi mieux contrôler ce que font ces grandes plateformes, y compris en matière d'acquisitions.
La nécessité que nous avons d'investir massivement dans les infrastructures numériques fait le lien avec la stratégie industrielle européenne, un point décisif lui aussi. Nous avons besoin d'investissements massifs dans les processeurs, le cloud, la 5G sécurisée, la connectivité par un réseau satellitaire qui nous donne une redondance en cas de défaillance des infrastructures terrestres. Nous passons en revue notre stratégie industrielle après un an de crise sanitaire qui a accéléré certaines tendances que nous avions identifiées ; nous la confortons autour des trois axes que sont la stratégie verte et le Pacte vert pour l'Europe, qui s'engage à zéro carbone en 2050 avec une étape importante en 2030, la stratégie numérique, avec la décennie numérique de l'Europe, qui a des objectifs très ambitieux pour 2030, enfin, avec tout ce qui concerne la résilience, dans l'objectif de renforcer notre autonomie stratégique - nous avons initié de nombreux travaux sur nos forces et nos vulnérabilités et de voir nos dépendances, en particulier pour savoir comment renforcer notre autonomie dans l'accès aux matériaux critiques et rares, par exemple le lithium pour les batteries.
La crise sanitaire nous rappelle combien il est nécessaire de maîtriser nos dépendances. Nous examinons cet impératif dans le cadre de quatorze écosystèmes, chacun ayant sa dynamique propre : l'automobile, les transports, la distribution, la défense, l'espace, etc. À chaque fois, les données, les dépendances, les priorités ne sont pas les mêmes ; pour chacun de ces écosystèmes, nous avons analysé les dépendances critiques, avec le jeu des règles du commerce et de la concurrence ; nous en sommes à la finalisation de ces analyses.
Les vaccins, enfin, sont un sujet essentiel pour notre autonomie de santé critique. En ce domaine, beaucoup a été dit, vécu, dans l'angoisse légitime de nos concitoyens européens, sentiment qui traduit des attentes en particulier des jeunes, qu'il faut savoir écouter de même que l'impatience de retrouver une vie normale. Derrière le contexte, il y a la réalité, les faits qui établissent où nous en sommes, et le devoir que nous avons de mieux coordonner notre action pour parvenir à l'immunité collective. Cette réalité est trop méconnue : l'Europe est le premier producteur mondial de vaccins puisqu'elle en a produit 180 millions de doses, un peu plus que les États-Unis ; nous avons 53 usines actives qui montent en puissance de manière très significative, ce qui nous place là encore au premier rang mondial. Vous connaissez mon goût pour le terrain, j'ai visité bien de ces usines, j'y ai rencontré des équipes très impliquées, qui résolvent des problèmes très complexes et très concrets en particulier de chaînes d'approvisionnement ; les usines fonctionnent en continu, 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, leurs personnels sont en première ligne : il faut les en remercier, car c'est aussi à travers leur travail que nous allons nous en sortir. Alors qu'il faut habituellement quatre à cinq ans entre la première formule d'un vaccin et son flaconnage disponible, deux ans si elles sont déjà certifiées et que les équipes ont les savoir-faire, les usines y sont parvenues cette fois en quelques mois, c'est inédit et cela relève d'une sorte d'économie de guerre.
Notre capacité de production devrait atteindre de 2 à 3 milliards de doses en fin d'année, ce qui nous mettra au premier rang mondial et cela me paraît nécessaire pour lutter contre la pandémie à l'échelle planétaire. Car l'Europe a ici une vision différente de celle des États-Unis, même si nous avons des contacts permanents : alors qu'outre-Atlantique, un décret présidentiel a interdit l'exportation de tout vaccin tant que les Américains n'auraient pas atteint l'immunité collective, nous avons décidé d'exporter 40 % de ceux que nous produisons, en particulier dans des pays voisins et amis, qui dépendent entièrement de l'Europe pour leur approvisionnement - je pense au Royaume-Uni, au Canada, au Mexique, à Israël et, de plus en plus, grâce à COVAX, les pays africains.
Notre approvisionnement en vaccins est en forte hausse. Nous avons commandé 360 millions de doses pour la fin juin, qui seront toutes produites en Europe : 200 millions de doses à Pfizer-BioNTech, un vaccin qui, soit dit en passant, a été développé en Europe et financé par des fonds européens, 70 millions de doses à AstraZeneca, toutes produites dans deux usines européennes, 35 millions de doses à Moderna, 55 millions de doses à Johnson&Johnson, et 10 millions de doses à CureVac dont on attend l'approbation fin mai-début juin. Au total, donc, nous attendons 360 millions de doses pour la fin juin, 420 millions de doses à la mi-juillet, ce qui permettrait d'atteindre l'objectif de 70 % d'immunité collective. Nous avons une vision précise, sachant qu'il faut entre 70 et 90 jours entre l'agrément et la mise en flaconnage proprement dite.
Cela dit, pour qu'il y ait immunité collective, une fois ces vaccins produits, il faut que les États membres augmentent très significativement leur capacité de vacciner. L'accélération de la livraison est très nette : sur les 12 millions de doses livrées par exemple à la France depuis janvier, 3 millions, donc le quart, l'ont été la semaine dernière. Les cadences augmentent : nous avons produit et livré en Europe 14 millions de doses en janvier, 28 millions en février, 60 millions en mars, nous devrions être à 80 à 100 millions de doses prochainement, pour monter à 150 millions de doses mensuelles à partir de septembre.
Mon rôle n'est pas d'être optimiste ou pessimiste, mais d'être le plus clair, le plus précis, le plus transparent possible. Ce matin, j'étais, comme tous les mardis, avec les parlementaires européens, pour leur communiquer les derniers chiffres : je suis là pour donner la plus grande transparence aux élus.