Je partage avec les présidents Laurent Lafon et Jean-François Rapin le plaisir d'accueillir Monsieur Thierry Breton. Nous vous avions entendu, Monsieur le commissaire, il y a bientôt un an, alors que la coordination européenne face à la crise économique liée à la covid-19 en était encore à ses premiers pas. Depuis, un plan de relance d'une ampleur inédite, 750 milliards d'euros, financé par un emprunt mutuel, a été adopté, après plus de six mois de négociations difficiles entre États membres. Le tribunal constitutionnel allemand a suspendu vendredi le processus de ratification et par conséquent retardé son adoption définitive. Vous nous direz votre lecture de ce qui n'est pas tout à fait un veto, mais au moins un sérieux caillou dans la chaussure européenne.
En tant que commissaire chargé de la politique industrielle, du marché intérieur, du numérique, de la défense et de l'espace, vous êtes sans aucun doute l'un des mieux placés pour mesurer l'urgence de l'autonomie stratégique, dont la dimension économique - et surtout industrielle - est plus évidente que jamais.
Ma première question porte sur la mise en oeuvre de la stratégie industrielle « verte, numérique et compétitive » présentée il y a un an. Où en est la réflexion sur l'articulation de cette stratégie avec les politiques commerciales et de concurrence ? Les mentalités vous semblent-elles avoir évolué avec la crise : la stratégie industrielle fait-elle désormais consensus ? Je souhaiterais aussi que vous nous présentiez vos actions concrètes dans les 14 secteurs stratégiques identifiés, au coeur de la crise, comme priorités pour l'Union.
Par ailleurs, vous rappeliez récemment que « nous sommes le continent qui a produit le plus de vaccins », et pourtant, force est de constater que la stratégie de vaccination connaît quelques retards. Peut-on mettre ces retards sur le compte d'une certaine « naïveté européenne » ? La cheffe économiste du FMI partageait en fin de semaine dernière, sur Twitter, un graphique édifiant : les États-Unis et le Royaume-Uni, jadis fers de lance de la mondialisation, n'ont pas exporté les vaccins produits sur leur sol, quand l'Union européenne exportait 42 % de sa production, à l'instar de la Chine ou de l'Inde. L'émergence d'une stratégie plus offensive de l'UE, vis-à-vis du Royaume-Uni ou des autres, est-elle à l'ordre du jour ?
Enfin, je souhaiterais vous interroger sur votre action en matière de numérique. La Commission européenne entend flécher 20 % du plan de relance, soit 150 milliards d'euros, vers l'économie numérique. Quels sont les principaux objectifs fixés d'ici 2030 et les secteurs prioritaires identifiés qui bénéficieront de ces investissements supplémentaires ?
Je ne saurais conclure sans vous interroger sur votre initiative pour constituer une constellation européenne de satellites capables de fournir un accès Internet haut débit au sein de l'UE. Quelles sont les premières orientations retenues par le consortium chargé de réaliser une étude de faisabilité ? Le cas échéant, l'industrie spatiale française sera-t-elle cheffe de file de ce nouveau défi industriel, au regard de son expertise en la matière ?
Je tiens tout d'abord à remercier sincèrement pour leur invitation Mme la Présidente Sophie Primas et M. le Président Jean-François Rapin. Monsieur le commissaire, comme vous le voyez, l'affluence à cette audition traduit non seulement l'estime que nous vous portons, mais également l'étendue et la richesse des thématiques que vous avez à traiter !
La commission de la culture se trouve presque sur chaque dossier confrontée à l'épineuse question de la révolution du numérique, un sujet que vous connaissez fort bien, dans le cadre de vos fonctions actuelles, mais également des précédentes.
En la matière, l'Europe est très certainement le seul échelon pertinent pour peser face à des grands acteurs du numérique, les fameux « Gafam », qui profitent de leur supériorité technologique, mais également d'une position de quasi-monopole, pour imposer leur vision des échanges.
C'est le sujet de ma première question : comme vous le savez, le Sénat, grâce à notre collègue David Assouline, a été à l'origine de la première transposition en Europe de la directive sur les droits voisins des agences de presse et des éditeurs de presse. Un an et demi après son adoption définitive, les médias ont toujours les plus grandes difficultés à faire valoir leurs droits face à Google et Facebook. Pensez-vous qu'une initiative complémentaire, par exemple dans le cadre de la discussion des futures directives Digital Services Act (DSA) et Digital Markets Act (DMA), soit nécessaire ?
Le Sénat a examiné, le 22 octobre dernier, une proposition de loi, que j'ai portée, visant à imposer une certification de cybersécurité des plateformes numériques destinées au grand public.
Je sais que vous êtes particulièrement sensible à cette question de la cybersécurité, qui prend une importance grandissante dans un contexte géopolitique instable avec des acteurs « semi-étatiques » en mesure de mener des opérations de piratage à grande échelle. Que pensez-vous de cette démarche visant à responsabiliser les plateformes tout en attirant l'attention des usagers sur ce point ?
C'est avec grand plaisir que nos trois commissions vous auditionnent aujourd'hui. Il y a un an, mon prédécesseur Jean Bizet vous accueillait dans un contexte inédit puisque la France vivait son premier confinement pour freiner la pandémie de Covid-19. Il était déjà évident que cette pandémie mettait à mal le marché intérieur, révélait nos dépendances industrielles et accélérait la numérisation de nos économies et de nos sociétés.
Vous nous aviez alors annoncé votre plan de bataille pour y répondre, tout en soulignant que les crises de cette ampleur sont des accélérateurs de tendances. Force est de reconnaître que vous avez depuis réalisé un travail important, mais il reste encore du pain sur la planche sur les trois volets de votre plan.
Le fonctionnement du marché intérieur d'abord : c'est toujours un défi important, à l'heure où la nouvelle flambée de la pandémie motive à nouveau des fermetures de frontières. Après avoir facilité la circulation des marchandises, l'Union européenne s'attelle maintenant à favoriser la circulation des personnes via le certificat vert. Ce passeport sanitaire doit permettre à un citoyen qui voudrait passer d'un État membre à un autre de prouver qu'il n'est pas contagieux. C'est un défi technologique majeur de rendre ce certificat interopérable : comment pouvez-vous assurer qu'il sera en service d'ici l'été ? Pour les travailleurs transfrontaliers qui doivent pouvoir circuler chaque jour, une autre solution doit être trouvée : qu'envisagez-vous ? Nous sommes par ailleurs soucieux des distorsions internes au sein du marché intérieur qui découlent de l'aménagement de crise apporté aux règles européennes en matière d'aides d'État : ce sont bien entendu les États les mieux dotés budgétairement qui en ont profité, au risque de creuser encore l'écart. Comment assurer une concurrence loyale entre les États membres dans ce contexte ?
Deuxième enjeu : nos dépendances industrielles. Vous vous employez à optimiser notre approvisionnement en vaccins et les capacités européennes de production : de quels leviers disposez-vous à cet effet ? Votre promesse d'immunité collective au 14 juillet peut-elle être tenue ? Au-delà, se pose la question de notre autonomie stratégique. Ma collègue Sophie Primas en a parlé. Le concept fait toujours débat entre les Vingt-Sept, mais les faits sont là. Nos dépendances stratégiques sont avérées : terres rares, batteries électriques, microprocesseurs... mais aussi ports, lanceurs et autres infrastructures logistiques d'importance stratégique. Nous avons le sentiment d'une prise de conscience nouvelle. À ce titre, le récent papier publié par les Pays-Bas et l'Espagne prouve leur ralliement à cette ambition, même si ces pays restent inquiets du protectionnisme déguisé qu'elle cacherait. Ils vont jusqu'à proposer d'étendre le vote à la majorité qualifiée dans certains domaines stratégiques pour avancer : est-ce indispensable à vos yeux ? Vous comptiez aussi recourir aux Projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC), qui dérogent doublement aux règles européennes de concurrence : cette opportunité sera-t-elle exploitée pour l'ordinateur quantique, les supercalculateurs, ou les constellations spatiales ?
Troisième défi : le numérique. Vous avez mis sur la table un bouquet de textes structurants pour l'économie de la donnée, les marchés organisés autour des plateformes et les services rendus en ligne. Ces textes témoignent d'une détermination nouvelle de la Commission qui vous doit beaucoup : ce virage qui s'amorce dans le champ numérique restera-t-il sectoriel ou peut-on espérer une révision plus générale des règles européennes de concurrence ? Mieux, la stratégie industrielle révisée, que la Commission annonce pour le mois prochain, sera-t-elle articulée avec une révision de la politique de concurrence et avec celle de la politique commerciale ?
Merci pour votre invitation, je constate avec plaisir et avec envie que vous savez pratiquer la distanciation sociale tout en étant ensemble, c'est encourageant lorsque nous nous efforçons de revenir à une vie plus normale grâce à la vaccination, dont j'espère qu'elle sera accessible à tous les Européens dès la mi-juillet.
Mon propos liminaire portera sur les trois grands thèmes que j'entends dans vos questions : l'organisation de notre espace numérique, la stratégie industrielle sous tous ces aspects, la responsabilité nouvelle qui m'a été confiée pour que notre continent soit en mesure de fournir le nombre de vaccins nécessaires pour nous, Européens, et pour une bonne partie de la planète.
Sur l'espace numérique, sujet essentiel, je me suis beaucoup impliqué, car nous avons estimé primordial de proposer une nouvelle organisation et une réglementation de ces plateformes, qui jouent un rôle structurant dans notre vie quotidienne. Effectivement, la crise sanitaire s'est confirmée être un accélérateur de tendance, nous l'avons vu avec l'usage de plus en plus important des plateformes numériques. Il faut s'organiser afin que les règles de la vie physique soient transposées dans l'espace virtuel, c'est-à-dire que ce qui est autorisé et interdit dans l'espace physique le soit pareillement dans l'espace numérique ; c'est simple à dire, mais complexe à mettre en oeuvre et c'est l'objet du DSA qui est à l'étude chez nos co-législateurs. Le DMA organise de son côté la vie économique de ces grandes plateformes sur le marché intérieur dont j'ai la charge, pour que la concurrence telle que nous l'entendons s'exerce dans de meilleures conditions, qu'il y ait moins de goulets d'étranglement et que tous les acteurs économiques puissent s'épanouir ; la crise sanitaire nous a montré combien il était important de développer les outils numériques pour toucher les clients des grandes mais aussi des petites entreprises. Le DSA donne des responsabilités très claires aux plateformes et prévoit des contrôles pour vérifier qu'elles mettent bien en oeuvre leurs obligations, ce qui suppose des moyens humains - c'est à cette condition que les législateurs que vous êtes auront la certitude que les règles établies seront effectivement appliquées avec célérité dans l'espace numérique, qu'il s'agisse de lutte contre le terrorisme ou la pédopornographie, les produits contrefaits ou encore de lutte contre les fake news. L'application effective de ces règles redonnera confiance dans l'espace numérique et responsabilisera les plateformes afin qu'elles réagissent rapidement, ceci dans l'intégralité de l'Union puisque la loi y sera partout la même. L'espace informationnel sera ainsi géré avec plus de rigueur ; il y aura ce que les Anglo-saxons appellent des gatekeepers, des contrôleurs d'accès qui répondront à des critères précis tels que le chiffre d'affaires, le nombre de clients connectés, ou encore, et c'est nouveau, la valorisation. Nous pourrons ainsi mieux contrôler ce que font ces grandes plateformes, y compris en matière d'acquisitions.
La nécessité que nous avons d'investir massivement dans les infrastructures numériques fait le lien avec la stratégie industrielle européenne, un point décisif lui aussi. Nous avons besoin d'investissements massifs dans les processeurs, le cloud, la 5G sécurisée, la connectivité par un réseau satellitaire qui nous donne une redondance en cas de défaillance des infrastructures terrestres. Nous passons en revue notre stratégie industrielle après un an de crise sanitaire qui a accéléré certaines tendances que nous avions identifiées ; nous la confortons autour des trois axes que sont la stratégie verte et le Pacte vert pour l'Europe, qui s'engage à zéro carbone en 2050 avec une étape importante en 2030, la stratégie numérique, avec la décennie numérique de l'Europe, qui a des objectifs très ambitieux pour 2030, enfin, avec tout ce qui concerne la résilience, dans l'objectif de renforcer notre autonomie stratégique - nous avons initié de nombreux travaux sur nos forces et nos vulnérabilités et de voir nos dépendances, en particulier pour savoir comment renforcer notre autonomie dans l'accès aux matériaux critiques et rares, par exemple le lithium pour les batteries.
La crise sanitaire nous rappelle combien il est nécessaire de maîtriser nos dépendances. Nous examinons cet impératif dans le cadre de quatorze écosystèmes, chacun ayant sa dynamique propre : l'automobile, les transports, la distribution, la défense, l'espace, etc. À chaque fois, les données, les dépendances, les priorités ne sont pas les mêmes ; pour chacun de ces écosystèmes, nous avons analysé les dépendances critiques, avec le jeu des règles du commerce et de la concurrence ; nous en sommes à la finalisation de ces analyses.
Les vaccins, enfin, sont un sujet essentiel pour notre autonomie de santé critique. En ce domaine, beaucoup a été dit, vécu, dans l'angoisse légitime de nos concitoyens européens, sentiment qui traduit des attentes en particulier des jeunes, qu'il faut savoir écouter de même que l'impatience de retrouver une vie normale. Derrière le contexte, il y a la réalité, les faits qui établissent où nous en sommes, et le devoir que nous avons de mieux coordonner notre action pour parvenir à l'immunité collective. Cette réalité est trop méconnue : l'Europe est le premier producteur mondial de vaccins puisqu'elle en a produit 180 millions de doses, un peu plus que les États-Unis ; nous avons 53 usines actives qui montent en puissance de manière très significative, ce qui nous place là encore au premier rang mondial. Vous connaissez mon goût pour le terrain, j'ai visité bien de ces usines, j'y ai rencontré des équipes très impliquées, qui résolvent des problèmes très complexes et très concrets en particulier de chaînes d'approvisionnement ; les usines fonctionnent en continu, 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, leurs personnels sont en première ligne : il faut les en remercier, car c'est aussi à travers leur travail que nous allons nous en sortir. Alors qu'il faut habituellement quatre à cinq ans entre la première formule d'un vaccin et son flaconnage disponible, deux ans si elles sont déjà certifiées et que les équipes ont les savoir-faire, les usines y sont parvenues cette fois en quelques mois, c'est inédit et cela relève d'une sorte d'économie de guerre.
Notre capacité de production devrait atteindre de 2 à 3 milliards de doses en fin d'année, ce qui nous mettra au premier rang mondial et cela me paraît nécessaire pour lutter contre la pandémie à l'échelle planétaire. Car l'Europe a ici une vision différente de celle des États-Unis, même si nous avons des contacts permanents : alors qu'outre-Atlantique, un décret présidentiel a interdit l'exportation de tout vaccin tant que les Américains n'auraient pas atteint l'immunité collective, nous avons décidé d'exporter 40 % de ceux que nous produisons, en particulier dans des pays voisins et amis, qui dépendent entièrement de l'Europe pour leur approvisionnement - je pense au Royaume-Uni, au Canada, au Mexique, à Israël et, de plus en plus, grâce à COVAX, les pays africains.
Notre approvisionnement en vaccins est en forte hausse. Nous avons commandé 360 millions de doses pour la fin juin, qui seront toutes produites en Europe : 200 millions de doses à Pfizer-BioNTech, un vaccin qui, soit dit en passant, a été développé en Europe et financé par des fonds européens, 70 millions de doses à AstraZeneca, toutes produites dans deux usines européennes, 35 millions de doses à Moderna, 55 millions de doses à Johnson&Johnson, et 10 millions de doses à CureVac dont on attend l'approbation fin mai-début juin. Au total, donc, nous attendons 360 millions de doses pour la fin juin, 420 millions de doses à la mi-juillet, ce qui permettrait d'atteindre l'objectif de 70 % d'immunité collective. Nous avons une vision précise, sachant qu'il faut entre 70 et 90 jours entre l'agrément et la mise en flaconnage proprement dite.
Cela dit, pour qu'il y ait immunité collective, une fois ces vaccins produits, il faut que les États membres augmentent très significativement leur capacité de vacciner. L'accélération de la livraison est très nette : sur les 12 millions de doses livrées par exemple à la France depuis janvier, 3 millions, donc le quart, l'ont été la semaine dernière. Les cadences augmentent : nous avons produit et livré en Europe 14 millions de doses en janvier, 28 millions en février, 60 millions en mars, nous devrions être à 80 à 100 millions de doses prochainement, pour monter à 150 millions de doses mensuelles à partir de septembre.
Mon rôle n'est pas d'être optimiste ou pessimiste, mais d'être le plus clair, le plus précis, le plus transparent possible. Ce matin, j'étais, comme tous les mardis, avec les parlementaires européens, pour leur communiquer les derniers chiffres : je suis là pour donner la plus grande transparence aux élus.
La Commission a récemment rendu publique sa « boussole numérique ». Celle-ci apporte des solutions pour remédier au retard de l'Union européenne, mais certains points restent encore à approfondir. Une hausse des investissements est prévue dans plusieurs technologies clés - les microprocesseurs, les supercalculateurs ou encore les intelligences artificielles -, mais ces investissements ne mettent pas assez l'accent sur l'ensemble des chaînes de valeurs, scientifiques comme industrielles.
Prenons l'exemple du calcul à haute performance. Plusieurs projets ont été mis en place pour implanter des supercalculateurs en Europe. Toutefois, la majorité des appels d'offres sont remportés par des entreprises étrangères, faute de compétitivité suffisante des entreprises européennes.
Le même problème est observé pour l'intelligence artificielle. Les investissements actuels ne permettent pas d'atteindre un niveau d'excellence comparable à ceux des pays leader dans ce domaine. Le Sénat avait proposé, dès 2019, de faire de l'intelligence artificielle un projet important d'intérêt européen commun (PIIEC), afin de pouvoir déroger à certaines règles relatives à la concurrence. La législation européenne, en effet, empêche l'émergence d'une véritable politique industrielle du numérique et ne permet pas de rattraper le retard de l'Union. Il n'a pas été donné suite à cette proposition, alors que l'intelligence artificielle correspond aux critères nécessaires à la mise en oeuvre d'un PIIEC.
Pourriez-vous nous indiquer la stratégie de l'Union européenne pour arriver à s'imposer sur l'ensemble des chaînes de valeurs de nouvelles technologies ? Pourriez-vous également nous informer de la position de la Commission sur l'opportunité de faire de l'intelligence artificielle un PIIEC ? Y est-elle favorable ? Et, si tel n'est pas le cas, pour quelles raisons ?
Le 8 septembre dernier, un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a posé le principe selon lequel les États membres ne peuvent exclure du droit à une rémunération équitable les artistes interprètes ou exécutants qui sont ressortissants d'États tiers à l'Espace économique européen ; ces fameux « irrépartissables » ne peuvent donc plus être utilisés par les États comme des aides à la création.
En France, ce sont entre 20 et 25 millions d'euros d'aide en moins pour les créateurs dans un contexte particulièrement difficile. Comment entendez-vous sécuriser le dispositif de rémunération équitable à l'échelle européenne et favoriser ainsi la création musicale ? Et que pensez-vous faire, d'un point de vue diplomatique, afin d'obtenir la réciprocité avec les États tiers - et singulièrement, bien sûr, les États-Unis ?
L'épidémie de covid et la crise économique qu'elle a entraînée ont propulsé sur le devant de la scène européenne la notion d'autonomie stratégique. Il semblerait que la Commission, auparavant réticente à évoquer les enjeux de souveraineté défendus notamment par la France, ait pris la pleine mesure de cet enjeu.
En mars 2020, vous présentez une stratégie industrielle européenne orientée sur 14 écosystèmes industriels prioritaires. Dans notre rapport de juin dernier, élaboré avec mes collègues M. Alain Chatillon et M. Martial Bourquin, nous appelions à une relance industrielle stratégique ciblée sur les actions à plus fort impact.
Comment, au niveau européen, avez-vous orienté les montants du plan de relance vers les 14 écosystèmes identifiés, pour lesquels vous chiffriez le besoin d'investissements entre 1 500 et 2 000 milliards d'euros ?
Pouvez-vous nous préciser les types d'actions que vous menez en la matière ? Vous concentrez-vous sur la relocalisation d'activités productives sur le territoire européen pour réduire les dépendances ? Privilégiez-vous l'intensification de l'innovation sur certaines technologies de rupture ? Comment encouragez-vous la modernisation et la numérisation de l'outil productif ? Pourriez-vous également nous indiquer les efforts spécifiques menés à l'égard des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI) pour qu'elles ne soient pas les laissées pour compte de cette relance ?
Enfin, l'un des trois piliers de la stratégie industrielle 2020 était le verdissement de l'industrie européenne. Quel bilan tirez-vous de votre action ? La nouvelle stratégie industrielle 2021 augmentera-t-elle les incitations à opérer la transition environnementale ? Pouvez-vous nous présenter les avancées concernant la mise en oeuvre du mécanisme d'inclusion carbone aux frontières ?
Je souhaite également évoquer la question de l'autonomie stratégique de l'Union. Si cette question pouvait paraître presque iconoclaste il y a encore trois ans au niveau de l'Union européenne, nous pouvons observer, avec la crise de la covid, les tentatives de prédation visant certains de nos fleurons technologiques et la nécessité de doter l'Union d'un embryon de politique de défense, afin que les cartes commencent à être rebattues.
La Commission semble aujourd'hui s'accorder sur certains secteurs pour lesquels il devient urgent de remédier à nos dépendances : la santé, l'espace, le numérique, l'énergie et les matières premières. L'inscription d'autres domaines fait encore débat ; je pense, notamment, à la question de la cybersécurité - à laquelle, je le sais, vous êtes attaché. Le développement très rapide en Chine et aux États-Unis de l'intelligence artificielle et de l'informatique quantique appelle à la fois des investissements massifs, afin que notre continent ne soit pas relégué, la mise en place de nouvelles régulations et des choix technologiques préservant au mieux la protection de nos données personnelles, ainsi que celles de nos entreprises et de nos institutions. L'essor de l'informatique quantique constitue, en effet, un défi sans précédent pour la cryptographie.
Pourriez-vous nous indiquer l'état de la réflexion à ce sujet ? Et quels sont les chantiers engagés par la Commission en matière de soutien à l'informatique quantique, notamment en matière de sécurité post-quantique ?
Ma question porte sur la régulation du marché numérique. Depuis quelques années, notre pays se dote progressivement d'une législation sur la régulation des contenus en ligne. L'année dernière, nous avons adopté la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur Internet, et nous examinerons sous peu, dans le projet de loi confortant le respect des principes de la République, des dispositions relatives à la lutte contre les discours de haine et les contenus illicites en ligne. La circulation de l'information, y compris la désinformation, n'ayant pas de frontières ni de limites, en particulier grâce ou à cause des réseaux sociaux, nous attendons avec impatience la concrétisation du projet de Bruxelles sur la question de la régulation du numérique : le Digital Services Act.
Au sein de cet ensemble, on devrait retrouver un volet sur la régulation des réseaux sociaux, notamment pour tout ce qui touche à la violence. Avec le drame de Conflans-Sainte-Honorine, la France, bien sûr, est en première ligne pour défendre une action rapide dans ce domaine.
Quel est l'état d'esprit ailleurs en Europe ? Quelles sont les attentes des autres pays membres à l'égard de cette régulation qui peut à certains égards poser des questions concernant la liberté d'expression ? Et comment notre législation nationale va-t-elle s'articuler avec les propositions de la Commission ?
Par ailleurs, il serait question de nommer une autorité dans chaque pays pour réguler ce que vous appelez « l'espace informationnel ». À quelle structure pensez-vous ? Une structure ad hoc ou une institution déjà existante comme, par exemple, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) ?
Monsieur Pellevat, la « boussole numérique », les chaînes de valeurs, les supercalculateurs, l'intelligence artificielle soulèvent des questions évidemment très importantes et qui m'ont très rapidement occupé. Je souhaite, avant tout, vous réconforter un peu. J'entends que nous serions en retard dans certains domaines, mais, concernant les supercalculateurs, nous avons mis en place un dispositif doté de 8 milliards d'euros - EuroHPC - qui permet de positionner l'Europe sur ce sujet. Les entreprises françaises, notamment, sont en situation de leadership en Europe dans ce secteur.
L'intelligence artificielle, ce sont d'abord des données. Pourquoi ai-je poussé pour avoir une vraie politique des données, qui a donné naissance au Data Act, puis au DSA, puis encore au Digital Markets Act ? Parce que je sais que, si l'on a des données, on les maîtrise et, ensuite, on peut travailler sur des machines apprenantes, avec des algorithmes, pour développer des applications d'intelligence artificielle.
Mais il convient de faire les choses dans l'ordre. Nous sommes le continent qui va produire le plus grand nombre de données industrielles au monde. La planète produit actuellement 40 000 milliards de milliards de données personnelles et industrielles. Tous les 18 mois, ce chiffre double - essentiellement avec l'arrivée des données industrielles, et surtout en Europe, premier continent industriel.
Nous avons été en retard sur la première vague des données personnelles parce que le marché américain, comme le marché chinois, était plus profond et unifié que le nôtre. Concernant la vague des données industrielles, qui va être quatre fois plus importante, il s'agit de nous mettre en position pour gagner la bataille.
Ce sera possible grâce au développement massif des réseaux 5G qui permettent à la fois le traitement, la connexion et une réaction en temps réel localement, « on the edge » comme on dit, et au déploiement d'une stratégie de cloud industriel ; celui-ci n'existe pas encore, aucun fournisseur de cloud - y compris aux États-Unis - n'est encore capable d'avoir cette spécificité, avec des temps de latence plus importants et des obligations de cybersécurité plus strictes. Et c'est pour cela que nous avons lancé une alliance, un PIIEC, sur ce sujet.
Derrière la puissance de calcul, il faut des processeurs. Dans ce domaine, il faut que l'Europe regagne du terrain après en avoir perdu. Dans le cadre de la « boussole numérique », nous avons prévu de doubler nos parts de marché dans les dix ans à venir. L'idée est de disposer de processeurs autonomes, maîtrisés, utiles pour les supercalculateurs et pour le edge computing supportant les applications en périphérie.
Cette chaîne de valeurs, encore à développer, aura des implications sur le numérique, mais aussi sur la politique industrielle. Il s'agit donc d'une stratégie à la fois transverse et sectorielle sur les trois sujets : les supercalculateurs, les données et l'intelligence artificielle - auxquels j'ajoute le sujet des processeurs.
Madame Robert, le secteur créatif est durement frappé par la crise de la covid. Nous faisons en sorte que l'ensemble des États membres puissent accompagner ce secteur durant cette période difficile. Nous avons mis en place des instruments de soutien, comme par exemple le programme SURE, qui permet à l'Union européenne de se substituer aux États n'ayant pas les instruments nécessaires pour continuer à financer et soutenir ce secteur. Nous sommes actuellement en train de voir si le programme SURE peut suffire, s'il faut le poursuivre, voire l'augmenter.
Par ailleurs, le combat que je mène avec mes équipes pour atteindre le plus rapidement possible une capacité vaccinale permettant l'immunité collective s'inscrit dans la perspective - dès cet été, je l'espère - d'un retour des spectacles, notamment vivants, selon des modalités sanitaires qui seront arrêtées par chacun des États membres. Le tourisme est également un secteur très important et il ne faut pas rater la saison touristique.
J'ai présenté, en novembre dernier, un plan d'action pour les médias et l'audiovisuel. Une bonne nouvelle également à partager avec vous : le programme Europe créative a été renforcé.
Madame Létard, vous avez raison, on parle maintenant plus volontiers d'autonomie stratégique. Peut-être que, avec certains de mes collègues commissaires, nous y sommes un peu pour quelque chose... Je ne perds pas une occasion d'en rappeler l'importance.
Avec mon collègue Paolo Gentiloni, il y a un an, nous avons signé une tribune qui, visiblement, n'a pas été oubliée, dans laquelle nous indiquions qu'il faudrait 1 500 ou 1 600 milliards d'euros pour que l'Europe puisse répondre à tous ces défis. Nous avons déjà mis en place un plan de 750 milliards d'euros, auquel s'ajoutent 540 milliards d'euros liés à d'autres mécanismes comme le Mécanisme européen de stabilité (MES). Nous verrons s'il convient de poursuivre en ce sens ; le Président de la République a commencé à évoquer le sujet. Mais il faut d'abord s'assurer que les 750 milliards d'euros abondent le plus rapidement possible les secteurs qui en ont besoin.
Le soutien des États membres aux secteurs industriels ne doit souffrir aucun retard. Les plans de relance vont abonder directement les États, y compris ceux qui - comme nous les y avions incités - ont déjà engagé des actions auprès des secteurs les plus touchés.
Nous travaillons de la façon suivante : les États nous présentent des plans ; nous avons insisté sur le fait que, dans ces plans, 37 % du montant soient consacrés à la politique verte, 20 % à la politique numérique et le reste à la résilience. Nous regardons ensuite, plan par plan, si les enveloppes sont respectées et distribuées en fonction des écosystèmes. En raisonnant par écosystème, nous veillons ainsi à ce que toutes les PME soient associées. Nous avons, je crois, une gestion assez fine, de manière à pouvoir accompagner l'ensemble des écosystèmes et leurs acteurs avec cette triple stratégie : verte, numérique et résiliente.
Monsieur Gattolin, vous m'interrogez sur la cybersécurité et le quantique, deux sujets absolument essentiels, au coeur de nos réflexions. Concernant la cybersécurité, nous avons présenté une stratégie au niveau du continent européen. Cela me permet de rappeler que nous favorisons beaucoup de projets transeuropéens ; nous parlions tout à l'heure de la constellation de satellites ; on peut également évoquer la dizaine de Security Operations Centers (SOC) - à savoir des centres de cybersécurité - qui couvrent l'ensemble du continent européen et le protègent, comme une sorte de bulle cyber.
Sur le sujet du quantique, comme vous le savez, nous sommes associés au programme Quantum Manifesto. Le sujet me tient particulièrement à coeur, notamment avec le développement des calculateurs, pour lequel nous avons beaucoup de compétences en Europe.
Plutôt que des ordinateurs purement quantiques dont on ignore la date à laquelle ils seront opérationnels - dans 10 ou 15 ans peut-être -, on peut envisager, à plus court terme, la création du premier accélérateur quantique - à savoir une carte que l'on pourrait plugger sur les supercalculateurs et qui donnerait une puissance de calcul considérable, nous permettant d'atteindre le post-quantique évoqué par M. Gattolin.
La protection de notre réseau Internet fonctionne aujourd'hui grâce à la factorisation des polynômes, le fameux algorithme RSA. Un calculateur quantique pourrait « casser » cette protection et rendre vulnérable notre système ; c'est la raison pour laquelle je « pousse » le projet de constellation satellitaire. En effet, cette constellation en orbite basse permettrait : une couverture intégrale du continent européen ; une duplication des infrastructures informationnelles, si jamais les réseaux terrestres venaient à être vulnérabilisés, notamment par des cyberattaques ; une capacité de cryptologie quantique, notamment pour les communications gouvernementales ou intergouvernementales par satellites.
Madame Guillotin, le DSA et le DMA marquent un changement historique de la réglementation de notre espace informationnel. On peut désormais avoir des réglementations sectorielles, par exemple pour tout ce qui concerne les incitations à la violence, les contenus haineux, les actes terroristes, la pédopornographie. Tous ces actes sectoriels sont liés à des dynamiques et des législations différentes. Nous serons en mesure d'apporter aux législateurs des réponses adaptées et en temps réel.
Un point important : ce combat est mené à 27 ; aucun État ne peut être autonome dans l'espace informationnel. Nous proposons un règlement. J'incite les pays travaillant à une loi nationale à collaborer en bonne intelligence avec nous, puisque, in fine, le règlement s'appliquera à tous.
Madame Guillotin, vous avez soulevé un point concernant les structures susceptibles, au niveau des États membres, de jouer ce rôle de relais. Nous laissons à chaque État membre le choix de désigner l'autorité indépendante compétente. Vous avez évoqué le CSA ; cela peut être, en effet, un candidat tout à fait valable. D'autres ont également proposé l'Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes (Arcep) ou encore la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).
Ce choix, en tout cas, incombe aux États membres. Nous ferons en sorte que toutes ces structures soient organisées en réseau, au sein d'un conseil opérationnel, et fonctionnent 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Cela permettra, si une infraction est identifiée sur telle plateforme dans tel pays, de lancer une sorte de mandat européen digital.
J'ajoute que, si une plateforme non européenne souhaite opérer en Europe, elle aura l'obligation d'avoir un représentant légal dans au moins un pays. Et le régime s'appliquera de la même façon quel que soit le pays.
Monsieur le commissaire, je souhaite saluer votre engagement constant depuis votre prise de fonction. L'Europe a besoin de voix fortes en ce moment, et vous incarnez bien cela.
Vous avez déjà évoqué la santé, les vaccins et les usines qui montent en puissance. Ces usines poursuivent-elles la fabrication d'autres vaccins qui restent nécessaires, comme celui contre la grippe ?
Les attentes sont nombreuses sur la question du numérique, notamment avec le DSA. Engagée depuis longtemps sur les questions d'éducation, je n'ai pu que constater l'évolution du harcèlement scolaire et, plus particulièrement, du cyber-harcèlement. Encore récemment, nous avons connu en France des situations tragiques, et les plateformes ne se sont pas montrées à la hauteur. La lutte contre le harcèlement scolaire est essentielle pour la jeunesse européenne.
Vous avez expliqué, en fin d'année dernière, que tout ce qui était interdit dans l'espace physique serait aussi interdit dans l'espace online. Quels problèmes constatez-vous à ce sujet dans les discussions sur le DSA ? Et comment y remédier ?
Enfin, notre stratégie industrielle dans le numérique doit mieux s'exprimer. Quelles sont les avancées législatives nécessaires identifiées afin de permettre l'émergence de nos propres plateformes, de nos propres outils numériques européens ?
Je souhaite vous interroger sur l'enjeu de la transition verte pour la stratégie industrielle de l'Union. Cette transition vers la neutralité carbone d'ici 2050 nécessite de la résolution, un cadre réglementaire adapté, des investissements massifs. Elle implique de cesser les subventions européennes aux « projets fossiles », de décarboner les processus industriels, de développer l'hydrogène 100 % renouvelable et de s'engager résolument dans l'économie circulaire ; autant d'axes de cette stratégie industrielle pour lesquels il faudra de robustes dispositifs d'accompagnement, notamment pour nos PME.
Afin que ces solutions soient viables économiquement, elles devront être « protégées » par un juste prix du carbone. Un débat récent au Parlement européen sur le futur ajustement carbone aux frontières a montré que deux lignes s'affrontaient. Les plus conservateurs au Parlement viennent d'emporter - de très peu - un vote sur le maintien des droits à polluer octroyés gratuitement aux industries hautement polluantes. Ce traitement spécial, conçu pour être temporaire, ne peut pas se perpétuer avec l'instauration du mécanisme d'ajustement carbone et, en outre, ne serait pas conforme au droit de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Monsieur le commissaire, quelle est votre résolution sur ce sujet ?
Je souhaite vous interroger sur le passeport sanitaire européen, appelé également « certificat vert numérique », avec des questions très pratiques. Aujourd'hui, le test PCR est gratuit en France ; demain, il pourrait devenir payant avec la généralisation de la vaccination ou, en tout cas, assorti d'un reste à charge.
On sait également que ce test PCR coûte cher dans un certain nombre de pays européens ; je pense, par exemple, à l'Allemagne - entre 50 et 150 euros - et à l'Espagne - entre 130 et 250 euros. Comment conserver des échanges internationaux fluides, notamment dans le cas des activités professionnelles, avec des coûts très différents et l'obligation, en l'absence de certificat vert pour l'instant, de fournir des tests PCR négatifs ?
Se pose également la question du formulaire papier. Son édition dépendrait du choix de l'État membre. Si tel est le prix à payer pour retrouver une saison touristique, comment être sûr qu'une version papier permettra, notamment à des personnes âgées ou à des personnes n'utilisant pas de smartphones, de pouvoir se déplacer librement, et que les États ne retiendront pas seulement les versions numériques ?
Sept Français sur dix sont aujourd'hui très défavorables à l'instauration d'un passeport vaccinal européen, en raison de l'atteinte aux libertés individuelles. Sachant la très lente capacité vaccinale en France, comment faire en sorte de ne pas pénaliser les Français non prioritaires pour les vaccins - je pense, en particulier, aux jeunes qui aspirent à voyager mais ne sont pas dans les publics prioritaires ?
La 5G pourrait être la clé de la troisième révolution industrielle. Ce qui est sûr, en revanche, c'est qu'elle donne déjà lieu à des affrontements entre la Chine - champion, pour le moment, de cette technologie - et les États-Unis - qui sont distancés. Entre ces deux géants, on trouve les autres continents à conquérir, dont l'Europe et son marché prometteur, avec ses industries, ses villes, son énergie, ses transports, sa santé encore à transformer par la 5G.
Certains analystes disent que cette technologie offre la possibilité aux opérateurs de télécoms européens de gagner la bataille mondiale des ondes contre Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft (Gafam), Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi (BATX) ou Huawei. Monsieur le commissaire, quelle est la stratégie industrielle de la Commission pour faire des opérateurs de télécoms européens des acteurs de premier plan ? Comment faire accéder Nokia et Ericsson aux premiers rangs mondiaux des fournisseurs de technologie 5G ?
Dans le projet de méta-cloud Gaia-X, fruit d'une coopération franco-allemande, on retrouve de plus en plus de partenaires américains - Amazon Web Services (AWS), Microsoft, Google, Intel, l'officine de renseignements Palantir -, voire chinois - Ali Baba et Huawei. Que faut-il comprendre ? Quelle est la stratégie de l'Europe sur ces sujets ?
Merci pour votre impulsion en faveur de la nouvelle stratégie numérique. Comme vous l'avez dit, il est temps d'en finir avec la naïveté et la complaisance : le bilan de l'Europe en matière de transformation numérique et de politique industrielle est plutôt particulièrement faible : incapacité à créer un écosystème numérique de niveau international - le Programme-cadre de recherche et de développement (PCRD) et Horizon 2020 ont surtout profité à des acteurs historiques sans aider à faire émerger des licornes européennes -, absence de Small Business Act à l'européenne permettant de financer indirectement nos PME, des règles de concurrence contreproductives, etc. Au-delà des pistes défensives - fiscales, dispositions anti-trust, etc. -, quelles seront les pistes offensives pour aider l'écosystème européen ? À l'heure de l'internet des objets, ne doit-on pas orienter nos marchés vers des PME innovantes vers des secteurs stratégiques, comme la santé connectée, l'énergie, la maîtrise de l'environnement, ou les transports ?
Au-delà de Gaïa-X, quels sont les projets pour se doter de capacités suffisantes de stockage et de traitement des données sur le territoire européen, afin d'éviter les interventions extraterritoriales et les ingérences dans les données des Européens, qui sont devenues un actif stratégique majeur ? Le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA) constituent des avancées, certes, mais le véritable sujet n'est-il pas plutôt le modèle économique toxique des Gafam que même des géants comme Apple contestent désormais, et non seulement Shoshana Zuboff. Tim Cook dénonce ainsi le profilage des individus qu'il estime incompatible avec la démocratie et explique que le RGPD devrait s'appliquer partout ! Les Américains eux-mêmes parlent de démantèlement des Gafam, comme vous d'ailleurs. N'est-il donc pas temps, comme nous avons su le faire avec le RGPD, de bâtir une troisième voie, entre le « business above all » des Américains et le modèle autoritaire chinois ?
Madame Mélot, effectivement, nous devons continuer évidemment à produire les autres vaccins. Nous devons aussi anticiper, le cas échéant, une nouvelle politique vaccinale à l'automne au cas où l'apparition de nouveaux variants rendrait nécessaire l'injection d'une troisième dose à nos concitoyens. C'est pour cela que nous voulons porter à trois milliards de doses notre capacité de production vaccinale, tout en maintenant notre capacité sur les autres pathologies. La création de l'incubateur HERA va dans ce sens afin d'intervenir en amont, pour disposer et maintenir sur le moyen et long terme une plateforme de production capable de répondre rapidement à l'évolution de la situation pandémique.
Le DSA suscite un large consensus, y compris parmi les plateformes, que nous avons beaucoup associées à notre démarche et qui se rendent compte qu'elles n'ont plus guère le choix. Je suis donc optimiste sur notre capacité à faire aboutir cette législation. Nous créons un nouveau système de responsabilité. Harcèlement scolaire, discours haineux, etc., les plateformes ont compris qu'elles n'étaient plus de simples intermédiaires. C'est un moment historique dans le basculement de cette responsabilité. Le DSA crée des obligations de moyens et de résultats pour les plateformes, avec des audits annuels et des sanctions éventuelles, allant jusqu'à l'interdiction d'opérer sur le territoire européen.
Monsieur Fernique, la transition verte est un élément clef de la stratégie industrielle : nous voulons une approche différenciée selon les écosystèmes, afin de mieux identifier les barrières. Cette vision sectorielle, proche du terrain, nous permet d'associer tous les acteurs, notamment les PME pour les doter des moyens nécessaires pour réaliser cette transition. Nous devons aussi veiller à garantir le level playing field, c'est-à-dire la possibilité pour nos entreprises de lutter à armes égales avec leurs concurrentes dans la mondialisation. Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, que je défends activement, est un instrument de justice qui vise à nous permettre de mieux réguler, tout en dotant l'Union européenne de nouvelles ressources pour accompagner ceux qui auront à effectuer cette transition.
Madame Estrosi-Sassone, nous ne créons pas un « passeport », car ce mot rime avec obligation, mais plutôt un certificat vaccinal, qui sera fondé sur le volontariat. Rien ne sera obligatoire. Il appartiendra à chacun de déterminer si un tel document peut lui être, ou non, utile. Il sera disponible sous format papier ou numérique et contiendra des informations simples, afin de savoir si la personne a été vaccinée, si elle possède des anticorps, ou si elle a réalisé un test PCR. Il faut aussi que ceux qui ne disposeront pas de ce certificat ou refuseront d'en être porteurs, puissent, pour retrouver une vie sociale normale, sans restrictions de mouvements, et ne serait-ce que pour se protéger ou pour protéger les autres, réaliser des tests rapides, à moindre coût. Il appartiendra évidemment aux autorités locales de décider si un tel certificat ou de tels tests sont nécessaires pour prendre des transports, aller au spectacle, etc. Tout cela contribuera à ce que nous retrouvions une vie normale lorsque nous aurons atteint l'immunité collective, dont nous sommes proches.
Ceux qui croient qu'il suffit d'homologuer d'autres vaccins pour atteindre plus vite l'immunité collective se trompent : il faut aussi s'assurer que ces vaccins peuvent être produits en masse. Or, entre le moment où on l'agrée un vaccin et le moment où il peut être distribué massivement, il s'écoule un délai de douze à quatorze mois, car il faut adapter les lignes de production. Les Russes ont ainsi les plus grandes difficultés à produire en masse le Spoutnik V. Notre but est de parvenir à l'immunité collective le plus rapidement possible, puis de laisser aux États membres le soin de fixer les règles les moins attentatoires à notre liberté pour retrouver une vie sociale normale.
Monsieur Montaugé, il est faux de dire que la Chine est leader sur la 5G, car ce sont les deux entreprises européennes que vous avez citées qui possèdent le plus de brevets et de contrats de déploiement de réseaux 5G. Les États-Unis sont en retard, et nous leur fournissons l'intégralité de leurs réseaux 5G. L'enjeu est que nous restions en tête. C'est l'objet des alliances que nous lançons comme l'Alliance européenne sur les données industrielles et le cloud. Gaia-X est un projet franco-allemand et réunit différents partenaires. Aucun des acteurs que vous avez cités n'est membre de l'alliance sur le cloud industriel que la Commission a lancé et qui se situe au-dessus du partenariat Gaia-X, car notre but est l'autonomie stratégique. Nous voulons créer un projet industriel d'intérêt européen commun pour financer la recherche qui sera nécessaire et répondre aux exigences de souveraineté.
Madame Morin-Desailly, vous avez raison, on ne crée pas assez d'entreprises innovantes en Europe, mais je peux témoigner que l'on peut créer en Europe des leaders mondiaux en matière de paiement, de supercalculateurs, etc. L'Europe n'est pas toujours à la traîne ! Cela dépend des entrepreneurs, du soutien des pouvoirs publics, et de notre capacité à créer un écosystème adapté. Nous avons ainsi décidé qu'un lanceur spatial serait chaque année réservé à des start-up désirant tester gratuitement des applications dans l'espace. Vous avez fait référence à L'Âge du capitalisme de surveillance de Shoshana Zuboff, qui décrit l'économie de surveillance. Sans aller jusqu'à Harvard, M. Tirole, à Toulouse, qui a reçu le prix Nobel d'économie, a aussi décrit la réalité de ce marché biface, qui repose, de façon plus ou moins consciente, sur l'utilisation des données des utilisateurs en échange de services. Finalement, on est parvenu à une économie que vous qualifiez de toxique. Il est temps que cela cesse. C'est le but du DMA qui permettra de lutter contre les situations de monopoles : beaucoup de PME sont obligées, pour vendre leurs produits, de passer par ces plateformes qui n'hésitent pas à utiliser leurs données et celles de leurs clients pour proposer ensuite des services concurrents. Cela sera désormais interdit. Il faut revenir aux principes de l'économie de marché, fondée sur la juste concurrence et la liberté d'entreprendre.
Vous avez évoqué la nouvelle stratégie industrielle de l'Europe. L'Europe a-t-elle les moyens d'assurer la sécurité de son réseau satellitaire ?
La Chine contrôle 85 % des terres rares : comment desserrer la contrainte ? Est-il possible de mettre en exploitation de nouveaux gisements ? Il faut du temps entre la découverte et l'exploitation, et celle-ci n'est pas très écologique. Ou bien faut-il parier sur des substituts ? Mais là encore les délais sont longs entre la recherche et l'industrialisation.
La crise a montré le défaut d'articulation entre la recherche fondamentale et l'industrie. L'Europe ne dispose pas d'une structure comparable à la Biomedical Advanced Research and Development Authority (Barda) américaine. Un règlement européen est en préparation sur cette question. Pourriez-vous nous en dire plus ?
En quoi le travail effectué depuis février sur la chaîne de valeur peut-il permettre d'apporter des éléments de réponse ?
On entend souvent que les vaccins devraient être un bien commun, mais la propriété industrielle est aussi un moteur de l'innovation. Vous avez évoqué un partage volontaire de licences. Selon quelles modalités concrètes ?
L'industrie aéronautique française et européenne traverse la crise la plus longue de son histoire, frappant aussi bien les compagnies aériennes que les sous-traitants, avec des conséquences sociales et financières considérables. Ainsi l'usine Daher fermera-t-elle bientôt à Saint-Julien-de-Chédon ; plus de 300 salariés et tout un bassin d'emplois seront touchés. Il est essentiel que l'État et l'Europe soutiennent cette filière face à ses concurrents chinois ou américains. Les pistes sont nombreuses : gestion des mutations industrielles, accélération de la transition énergétique, consolidation des rapports entre fournisseurs et grands groupes, etc. Airbus avait été un symbole de la construction européenne. Pouvez-vous nous donner votre vision de l'avenir de l'aéronautique français et européen ? Quels sont les leviers d'action ?
Nous ne pouvons que nous féliciter du Green Deal, à articuler avec la politique industrielle. Nous en déduisons que l'Union européenne fera des industries bas-carbone sa priorité. Dès lors, il apparaît impensable que le futur de l'industrie nucléaire en Europe, première des technologies bas-carbone sur laquelle l'Europe a eu un leadership historique, s'écrive en russe, en chinois ou en américain, qu'il s'agisse de son financement ou des technologies employées... Il en va de la souveraineté européenne et de notre autonomie stratégique. Le nucléaire sera-t-il bien inclus dans la taxonomie européenne en cours de définition, afin de garantir une égalité de traitement entre toutes les technologies bas-carbone ? Dans la mesure où le parc nucléaire européen, et en particulier français, constitue la colonne vertébrale qui garantit la sûreté européenne du système électrique et l'outil le plus efficace pour atteindre la neutralité carbone en Europe, défendez-vous la notion de service d'intérêt économique général pour le nucléaire européen, au nom de sa valeur assurantielle et climatique, comme vous avez porté le Fonds européen de défense en 2016 ?
En France, à ce jour, 7,7 millions de personnes ont reçu une première injection de vaccin, soit 11,5 % de la population ; au Royaume-Uni, 30 millions de personnes ont reçu une injection, soit 60 % de la population adulte. La France est le 49e pays au monde en nombre de doses injectées ramené à la population, selon les statistiques de l'université d'Oxford. Pour parvenir à l'immunité collective le 14 juillet, il faudrait en moyenne vacciner 3 millions de personnes par semaine. Est-il raisonnablement possible de rattraper ce retard ? Pensez-vous que l'Europe a été à la hauteur en matière de vaccination ? Israël et les États-Unis ont commandé des vaccins six mois auparavant, en y mettant le prix. Le processus de vaccination a-t-il été bien anticipé ? La Grande-Bretagne, en plein Brexit, a commandé, dès juin 2020, des quantités importantes de vaccins, pour la plupart, d'ailleurs, fabriqués en France, alors que la France et l'Europe ont attendu novembre 2020.
Ma question portera sur le soutien au secteur des médias et de l'audiovisuel dans l'Union européenne. Ce secteur, déjà fragilisé par rapport à ses concurrents mondiaux par la fragmentation du marché, a été encore affaibli par la crise sanitaire qui a provoqué une baisse des recettes publicitaires, l'effondrement des cinémas - les pertes ont été estimées à 100 000 euros par écran et par mois pendant le confinement -, la mise en veille de la production cinématographique, etc. Pour les médias d'information, les recettes liées à la publicité ont chuté de 30 à 80 %. Cette situation, à un moment où les plateformes en ligne de pays tiers gagnent des parts de marché, risque de compromettre notre autonomie stratégique. Parallèlement, la désinformation en ligne progresse au niveau mondial, et l'autorégulation des géants du net est préoccupante pour la liberté d'expression. Les secteurs des médias et de l'audiovisuel sont essentiels pour la démocratie, la diversité culturelle et l'autonomie numérique de l'Europe. La Commission européenne a adopté, il y a quelques mois, un plan d'action visant à soutenir ce secteur et sa transformation. Pourriez-vous nous apporter des précisions sur ce plan ?
Monsieur Allizard, la sécurité satellitaire est un sujet important pour notre sécurité stratégique. Toute mon action est articulée autour de notre sécurité stratégique, un sujet un peu nouveau pour l'Union européenne. Mais dans le monde d'aujourd'hui, fondé sur des rapports de force, des tensions entre la Chine et les États-Unis qui iront s'exacerbant, nous devons désormais agir sans naïveté et affirmer notre autonomie. Nous devons mieux maîtriser nos dépendances et notre sécurité. Notre projet satellitaire va dans ce sens.
Nous avons mené une analyse de nos écosystèmes pour identifier nos dépendances et diversifier nos sources. Nous avons fait une cartographie de nos ressources, qui sera annexée à la revue de notre politique industrielle, qu'il s'agisse des composants, des matériaux stratégiques, ou de nos ressources minières, même si nous avons des contraintes environnementales plus fortes que dans d'autres parties du globe. Il est possible d'accroître plus rapidement que vous ne l'indiquez nos capacités d'extraction. Par exemple, pour fabriquer des batteries, essentielles pour notre stratégie de verdissement - comme l'est le nucléaire, d'ailleurs -, il faut du lithium ; or, nous sommes dépendants d'autres pays, mais nous avons la capacité d'assurer notre indépendance, y compris en ce qui concerne l'extraction sur le continent européen.
Madame Harribey, la propriété intellectuelle est un enjeu essentiel pour la compétitivité, en effet, et le gage du bon fonctionnement de la recherche et de l'innovation. On aime beaucoup en France se comparer avec les autres pays pour voir ce qui n'a pas marché, mais il est curieux, sinon tendancieux, de se comparer à des pays qui dépendent totalement de nous pour leur politique vaccinale... En revanche, il est incontestable que les États-Unis ont joué un rôle important dans cette crise grâce à la Barda, mise en place en 2006, après les attaques terroristes, avec un contrôle parlementaire très faible - une telle institution serait inenvisageable en Europe -, richement dotée et très libre dans ses interventions. Les Américains ont pu ainsi investir massivement très vite plus d'1,8 milliard de dollars par an, alors qu'en Europe la politique de santé relève des États membres et que nous ne possédons pas une telle structure. Très vite, dès juin, nous avons travaillé à la création d'une autorité comparable pour pouvoir réagir aux urgences sanitaires, l'HERA. La Barda a pu financer à la fois des vaccins développés aux États-Unis, mais aussi en-dehors des États-Unis. Je rappelle toutefois que plus de la moitié des vaccins utilisés contre la covid ont été développés grâce à des fonds européens : c'est le cas des vaccins de BioNTech, CureVac, Oxford, Janssen, etc.
Accorder des licences gratuites n'accélérerait pas la vaccination : nous disposons déjà d'un certain nombre de vaccins qui fonctionnent. L'enjeu est désormais de les produire de manière industrielle. Or il faut dix à douze mois au minimum pour convertir ou installer des chaînes de production. Ce n'est donc pas en allant en Inde que l'on ira plus vite, les délais seront les mêmes et nous ne disposerons pas des vaccins avant 2022, date à laquelle nous aurons déjà produit plus de 2 milliards de doses, et où l'on aidera tous les autres pays à vacciner, aussi bien ceux qui ont besoin de la seconde dose, comme le Royaume-Uni, qui dépend entièrement de l'Europe à cet égard, que les pays africains, par exemple. Nous pourrons sans doute revenir sur la question de la propriété intellectuelle après la crise, mais dans l'immédiat il convient de ne pas déstabiliser le marché.
Monsieur Janssens, l'aéronautique traverse une crise profonde. Je suis en contact permanent avec tous les acteurs. Des commandes ont été annulées. Voir tous ces avions immobilisés sur les tarmacs ne peut que nous fendre le coeur ! Nous devons dès maintenant réfléchir à l'avion du futur. Nous accompagnons la filière en ce sens, pour garder les compétences, tout en préparant l'industrie aéronautique de demain, qui sera différente. Ce sujet mérite une audition à lui tout seul et je suis prêt à venir en reparler devant votre commission si vous le souhaitez.
Monsieur Hugonet, je n'ai pas peur de le dire, je suis à la Commission un fervent défenseur du nucléaire. Je sais ce que cette technologie a apporté à la France et à l'Europe. Je parle d'ailleurs d'une énergie décarbonée de transition à bas coût. La taxonomie est un sujet capital et c'est la raison pour laquelle la Commission n'a pas encore présenté d'acte délégué. Nous sommes en discussion sur ce sujet. Mais je suis très vigilant à cet égard.
Monsieur Boyer, j'entends les critiques sur la vaccination. L'Europe aurait certainement pu faire mieux, notamment si elle avait disposé d'un équivalent de la Barda. Mais je rappelle que l'Union européenne a été la première à commander le vaccin AstraZeneca, développé à Oxford, non le Royaume-Uni. Chaque biotech s'est associée à un industriel, car aucune n'avait de capacité de production : BioNTech avec Pfizer, Moderna avec Lonza, Janssen avec Johnson&Johnson, etc. Oxford voulait s'associer avec l'américain Merck mais le Gouvernement britannique s'y est opposé, et Oxford a fini par s'associer avec AstraZeneca, entreprise partiellement britannique, mais qui n'avait malheureusement pas de compétence en matière de fabrication vaccinale. Nous avons commandé 120 millions de doses à AstraZeneca, qui nous en a livré 30 millions. Si le contrat avait été respecté, nous serions dans la même situation vaccinale que le Royaume-Uni... Depuis, nous avons augmenté nos commandes auprès de nos autres fournisseurs et nous aurons la capacité de fournir 360 millions de doses à la fin du mois de juin, 420 millions à la mi-juillet.
Il faut reconnaître que la culture vaccinale est très forte outre-Manche : lorsque AstraZeneca a cherché des volontaires pour tester son vaccin, 400 000 personnes se sont immédiatement manifestées au Royaume-Uni, tandis que chez nous on entendait surtout les anti-vaccins... Il n'en demeure pas moins que la pandémie a été très virulente au Royaume-Uni, avec une gestion qui n'a peut-être pas été aussi rigoureuse que sur le continent, du moins au début, ce qui se traduit par plus de 136 000 victimes outre-Manche. La Grande-Bretagne s'est appuyée sur les vaccins produits dans l'Union européenne, car elle n'a pas les moyens de les produire. Donc tout cela n'a rien à voir avec le Brexit. Des deux côtés de la Manche, on a commandé un nombre de doses suffisant. Il y a simplement eu un petit incident avec une société anglaise, qui n'a pas fourni ce qu'elle aurait dû fournir, comme l'ont fait les sociétés européennes. Israël a eu une politique vaccinale très dynamique, même si je rappelle que sa population est inférieure à celle de l'Île-de-France. Ce pays a commandé 7 ou 8 millions de doses à Pfizer, qui étaient fabriquées en Europe - je le rappelle, les États-Unis ne fournissent aucune dose au monde -, en échange de la transmission des données anonymisées de sa population, ce qui ne serait pas possible en Europe, étant donné notre sensibilité sur ce sujet. Au total, l'Europe a produit 180 millions de doses pour 450 millions d'habitants, les États-Unis 180 millions de doses. Cela n'est pas suffisant pour régler le problème. Nous avons tiré les leçons : si un nouveau vaccin devait être homologué, je demanderais une inspection de la chaîne de production pour vérifier que l'industriel peut produire dans les délais les doses promises.
Enfin, Monsieur Vial, je partage votre analyse. Les médias constituent un secteur fondamental pour la démocratie ; il figure parmi nos priorités. J'ai proposé un plan d'action pour les médias qui consiste en un soutien aux fonds propres, car le secteur est sous-capitalisé, un accompagnement à la transformation numérique, et une réflexion sur le numérique, en particulier les données et le développement de nouvelles relations avec les plateformes. Nous avons lancé un dialogue avec tous les acteurs pour une mise en oeuvre rapide. Nous espérons agir dès cette année, car il y a urgence.
Nous vous remercions.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 heures.