Monsieur Pellevat, la « boussole numérique », les chaînes de valeurs, les supercalculateurs, l'intelligence artificielle soulèvent des questions évidemment très importantes et qui m'ont très rapidement occupé. Je souhaite, avant tout, vous réconforter un peu. J'entends que nous serions en retard dans certains domaines, mais, concernant les supercalculateurs, nous avons mis en place un dispositif doté de 8 milliards d'euros - EuroHPC - qui permet de positionner l'Europe sur ce sujet. Les entreprises françaises, notamment, sont en situation de leadership en Europe dans ce secteur.
L'intelligence artificielle, ce sont d'abord des données. Pourquoi ai-je poussé pour avoir une vraie politique des données, qui a donné naissance au Data Act, puis au DSA, puis encore au Digital Markets Act ? Parce que je sais que, si l'on a des données, on les maîtrise et, ensuite, on peut travailler sur des machines apprenantes, avec des algorithmes, pour développer des applications d'intelligence artificielle.
Mais il convient de faire les choses dans l'ordre. Nous sommes le continent qui va produire le plus grand nombre de données industrielles au monde. La planète produit actuellement 40 000 milliards de milliards de données personnelles et industrielles. Tous les 18 mois, ce chiffre double - essentiellement avec l'arrivée des données industrielles, et surtout en Europe, premier continent industriel.
Nous avons été en retard sur la première vague des données personnelles parce que le marché américain, comme le marché chinois, était plus profond et unifié que le nôtre. Concernant la vague des données industrielles, qui va être quatre fois plus importante, il s'agit de nous mettre en position pour gagner la bataille.
Ce sera possible grâce au développement massif des réseaux 5G qui permettent à la fois le traitement, la connexion et une réaction en temps réel localement, « on the edge » comme on dit, et au déploiement d'une stratégie de cloud industriel ; celui-ci n'existe pas encore, aucun fournisseur de cloud - y compris aux États-Unis - n'est encore capable d'avoir cette spécificité, avec des temps de latence plus importants et des obligations de cybersécurité plus strictes. Et c'est pour cela que nous avons lancé une alliance, un PIIEC, sur ce sujet.
Derrière la puissance de calcul, il faut des processeurs. Dans ce domaine, il faut que l'Europe regagne du terrain après en avoir perdu. Dans le cadre de la « boussole numérique », nous avons prévu de doubler nos parts de marché dans les dix ans à venir. L'idée est de disposer de processeurs autonomes, maîtrisés, utiles pour les supercalculateurs et pour le edge computing supportant les applications en périphérie.
Cette chaîne de valeurs, encore à développer, aura des implications sur le numérique, mais aussi sur la politique industrielle. Il s'agit donc d'une stratégie à la fois transverse et sectorielle sur les trois sujets : les supercalculateurs, les données et l'intelligence artificielle - auxquels j'ajoute le sujet des processeurs.
Madame Robert, le secteur créatif est durement frappé par la crise de la covid. Nous faisons en sorte que l'ensemble des États membres puissent accompagner ce secteur durant cette période difficile. Nous avons mis en place des instruments de soutien, comme par exemple le programme SURE, qui permet à l'Union européenne de se substituer aux États n'ayant pas les instruments nécessaires pour continuer à financer et soutenir ce secteur. Nous sommes actuellement en train de voir si le programme SURE peut suffire, s'il faut le poursuivre, voire l'augmenter.
Par ailleurs, le combat que je mène avec mes équipes pour atteindre le plus rapidement possible une capacité vaccinale permettant l'immunité collective s'inscrit dans la perspective - dès cet été, je l'espère - d'un retour des spectacles, notamment vivants, selon des modalités sanitaires qui seront arrêtées par chacun des États membres. Le tourisme est également un secteur très important et il ne faut pas rater la saison touristique.
J'ai présenté, en novembre dernier, un plan d'action pour les médias et l'audiovisuel. Une bonne nouvelle également à partager avec vous : le programme Europe créative a été renforcé.
Madame Létard, vous avez raison, on parle maintenant plus volontiers d'autonomie stratégique. Peut-être que, avec certains de mes collègues commissaires, nous y sommes un peu pour quelque chose... Je ne perds pas une occasion d'en rappeler l'importance.
Avec mon collègue Paolo Gentiloni, il y a un an, nous avons signé une tribune qui, visiblement, n'a pas été oubliée, dans laquelle nous indiquions qu'il faudrait 1 500 ou 1 600 milliards d'euros pour que l'Europe puisse répondre à tous ces défis. Nous avons déjà mis en place un plan de 750 milliards d'euros, auquel s'ajoutent 540 milliards d'euros liés à d'autres mécanismes comme le Mécanisme européen de stabilité (MES). Nous verrons s'il convient de poursuivre en ce sens ; le Président de la République a commencé à évoquer le sujet. Mais il faut d'abord s'assurer que les 750 milliards d'euros abondent le plus rapidement possible les secteurs qui en ont besoin.
Le soutien des États membres aux secteurs industriels ne doit souffrir aucun retard. Les plans de relance vont abonder directement les États, y compris ceux qui - comme nous les y avions incités - ont déjà engagé des actions auprès des secteurs les plus touchés.
Nous travaillons de la façon suivante : les États nous présentent des plans ; nous avons insisté sur le fait que, dans ces plans, 37 % du montant soient consacrés à la politique verte, 20 % à la politique numérique et le reste à la résilience. Nous regardons ensuite, plan par plan, si les enveloppes sont respectées et distribuées en fonction des écosystèmes. En raisonnant par écosystème, nous veillons ainsi à ce que toutes les PME soient associées. Nous avons, je crois, une gestion assez fine, de manière à pouvoir accompagner l'ensemble des écosystèmes et leurs acteurs avec cette triple stratégie : verte, numérique et résiliente.
Monsieur Gattolin, vous m'interrogez sur la cybersécurité et le quantique, deux sujets absolument essentiels, au coeur de nos réflexions. Concernant la cybersécurité, nous avons présenté une stratégie au niveau du continent européen. Cela me permet de rappeler que nous favorisons beaucoup de projets transeuropéens ; nous parlions tout à l'heure de la constellation de satellites ; on peut également évoquer la dizaine de Security Operations Centers (SOC) - à savoir des centres de cybersécurité - qui couvrent l'ensemble du continent européen et le protègent, comme une sorte de bulle cyber.
Sur le sujet du quantique, comme vous le savez, nous sommes associés au programme Quantum Manifesto. Le sujet me tient particulièrement à coeur, notamment avec le développement des calculateurs, pour lequel nous avons beaucoup de compétences en Europe.
Plutôt que des ordinateurs purement quantiques dont on ignore la date à laquelle ils seront opérationnels - dans 10 ou 15 ans peut-être -, on peut envisager, à plus court terme, la création du premier accélérateur quantique - à savoir une carte que l'on pourrait plugger sur les supercalculateurs et qui donnerait une puissance de calcul considérable, nous permettant d'atteindre le post-quantique évoqué par M. Gattolin.
La protection de notre réseau Internet fonctionne aujourd'hui grâce à la factorisation des polynômes, le fameux algorithme RSA. Un calculateur quantique pourrait « casser » cette protection et rendre vulnérable notre système ; c'est la raison pour laquelle je « pousse » le projet de constellation satellitaire. En effet, cette constellation en orbite basse permettrait : une couverture intégrale du continent européen ; une duplication des infrastructures informationnelles, si jamais les réseaux terrestres venaient à être vulnérabilisés, notamment par des cyberattaques ; une capacité de cryptologie quantique, notamment pour les communications gouvernementales ou intergouvernementales par satellites.
Madame Guillotin, le DSA et le DMA marquent un changement historique de la réglementation de notre espace informationnel. On peut désormais avoir des réglementations sectorielles, par exemple pour tout ce qui concerne les incitations à la violence, les contenus haineux, les actes terroristes, la pédopornographie. Tous ces actes sectoriels sont liés à des dynamiques et des législations différentes. Nous serons en mesure d'apporter aux législateurs des réponses adaptées et en temps réel.
Un point important : ce combat est mené à 27 ; aucun État ne peut être autonome dans l'espace informationnel. Nous proposons un règlement. J'incite les pays travaillant à une loi nationale à collaborer en bonne intelligence avec nous, puisque, in fine, le règlement s'appliquera à tous.
Madame Guillotin, vous avez soulevé un point concernant les structures susceptibles, au niveau des États membres, de jouer ce rôle de relais. Nous laissons à chaque État membre le choix de désigner l'autorité indépendante compétente. Vous avez évoqué le CSA ; cela peut être, en effet, un candidat tout à fait valable. D'autres ont également proposé l'Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes (Arcep) ou encore la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).
Ce choix, en tout cas, incombe aux États membres. Nous ferons en sorte que toutes ces structures soient organisées en réseau, au sein d'un conseil opérationnel, et fonctionnent 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Cela permettra, si une infraction est identifiée sur telle plateforme dans tel pays, de lancer une sorte de mandat européen digital.
J'ajoute que, si une plateforme non européenne souhaite opérer en Europe, elle aura l'obligation d'avoir un représentant légal dans au moins un pays. Et le régime s'appliquera de la même façon quel que soit le pays.