Monsieur Allizard, la sécurité satellitaire est un sujet important pour notre sécurité stratégique. Toute mon action est articulée autour de notre sécurité stratégique, un sujet un peu nouveau pour l'Union européenne. Mais dans le monde d'aujourd'hui, fondé sur des rapports de force, des tensions entre la Chine et les États-Unis qui iront s'exacerbant, nous devons désormais agir sans naïveté et affirmer notre autonomie. Nous devons mieux maîtriser nos dépendances et notre sécurité. Notre projet satellitaire va dans ce sens.
Nous avons mené une analyse de nos écosystèmes pour identifier nos dépendances et diversifier nos sources. Nous avons fait une cartographie de nos ressources, qui sera annexée à la revue de notre politique industrielle, qu'il s'agisse des composants, des matériaux stratégiques, ou de nos ressources minières, même si nous avons des contraintes environnementales plus fortes que dans d'autres parties du globe. Il est possible d'accroître plus rapidement que vous ne l'indiquez nos capacités d'extraction. Par exemple, pour fabriquer des batteries, essentielles pour notre stratégie de verdissement - comme l'est le nucléaire, d'ailleurs -, il faut du lithium ; or, nous sommes dépendants d'autres pays, mais nous avons la capacité d'assurer notre indépendance, y compris en ce qui concerne l'extraction sur le continent européen.
Madame Harribey, la propriété intellectuelle est un enjeu essentiel pour la compétitivité, en effet, et le gage du bon fonctionnement de la recherche et de l'innovation. On aime beaucoup en France se comparer avec les autres pays pour voir ce qui n'a pas marché, mais il est curieux, sinon tendancieux, de se comparer à des pays qui dépendent totalement de nous pour leur politique vaccinale... En revanche, il est incontestable que les États-Unis ont joué un rôle important dans cette crise grâce à la Barda, mise en place en 2006, après les attaques terroristes, avec un contrôle parlementaire très faible - une telle institution serait inenvisageable en Europe -, richement dotée et très libre dans ses interventions. Les Américains ont pu ainsi investir massivement très vite plus d'1,8 milliard de dollars par an, alors qu'en Europe la politique de santé relève des États membres et que nous ne possédons pas une telle structure. Très vite, dès juin, nous avons travaillé à la création d'une autorité comparable pour pouvoir réagir aux urgences sanitaires, l'HERA. La Barda a pu financer à la fois des vaccins développés aux États-Unis, mais aussi en-dehors des États-Unis. Je rappelle toutefois que plus de la moitié des vaccins utilisés contre la covid ont été développés grâce à des fonds européens : c'est le cas des vaccins de BioNTech, CureVac, Oxford, Janssen, etc.
Accorder des licences gratuites n'accélérerait pas la vaccination : nous disposons déjà d'un certain nombre de vaccins qui fonctionnent. L'enjeu est désormais de les produire de manière industrielle. Or il faut dix à douze mois au minimum pour convertir ou installer des chaînes de production. Ce n'est donc pas en allant en Inde que l'on ira plus vite, les délais seront les mêmes et nous ne disposerons pas des vaccins avant 2022, date à laquelle nous aurons déjà produit plus de 2 milliards de doses, et où l'on aidera tous les autres pays à vacciner, aussi bien ceux qui ont besoin de la seconde dose, comme le Royaume-Uni, qui dépend entièrement de l'Europe à cet égard, que les pays africains, par exemple. Nous pourrons sans doute revenir sur la question de la propriété intellectuelle après la crise, mais dans l'immédiat il convient de ne pas déstabiliser le marché.
Monsieur Janssens, l'aéronautique traverse une crise profonde. Je suis en contact permanent avec tous les acteurs. Des commandes ont été annulées. Voir tous ces avions immobilisés sur les tarmacs ne peut que nous fendre le coeur ! Nous devons dès maintenant réfléchir à l'avion du futur. Nous accompagnons la filière en ce sens, pour garder les compétences, tout en préparant l'industrie aéronautique de demain, qui sera différente. Ce sujet mérite une audition à lui tout seul et je suis prêt à venir en reparler devant votre commission si vous le souhaitez.
Monsieur Hugonet, je n'ai pas peur de le dire, je suis à la Commission un fervent défenseur du nucléaire. Je sais ce que cette technologie a apporté à la France et à l'Europe. Je parle d'ailleurs d'une énergie décarbonée de transition à bas coût. La taxonomie est un sujet capital et c'est la raison pour laquelle la Commission n'a pas encore présenté d'acte délégué. Nous sommes en discussion sur ce sujet. Mais je suis très vigilant à cet égard.
Monsieur Boyer, j'entends les critiques sur la vaccination. L'Europe aurait certainement pu faire mieux, notamment si elle avait disposé d'un équivalent de la Barda. Mais je rappelle que l'Union européenne a été la première à commander le vaccin AstraZeneca, développé à Oxford, non le Royaume-Uni. Chaque biotech s'est associée à un industriel, car aucune n'avait de capacité de production : BioNTech avec Pfizer, Moderna avec Lonza, Janssen avec Johnson&Johnson, etc. Oxford voulait s'associer avec l'américain Merck mais le Gouvernement britannique s'y est opposé, et Oxford a fini par s'associer avec AstraZeneca, entreprise partiellement britannique, mais qui n'avait malheureusement pas de compétence en matière de fabrication vaccinale. Nous avons commandé 120 millions de doses à AstraZeneca, qui nous en a livré 30 millions. Si le contrat avait été respecté, nous serions dans la même situation vaccinale que le Royaume-Uni... Depuis, nous avons augmenté nos commandes auprès de nos autres fournisseurs et nous aurons la capacité de fournir 360 millions de doses à la fin du mois de juin, 420 millions à la mi-juillet.
Il faut reconnaître que la culture vaccinale est très forte outre-Manche : lorsque AstraZeneca a cherché des volontaires pour tester son vaccin, 400 000 personnes se sont immédiatement manifestées au Royaume-Uni, tandis que chez nous on entendait surtout les anti-vaccins... Il n'en demeure pas moins que la pandémie a été très virulente au Royaume-Uni, avec une gestion qui n'a peut-être pas été aussi rigoureuse que sur le continent, du moins au début, ce qui se traduit par plus de 136 000 victimes outre-Manche. La Grande-Bretagne s'est appuyée sur les vaccins produits dans l'Union européenne, car elle n'a pas les moyens de les produire. Donc tout cela n'a rien à voir avec le Brexit. Des deux côtés de la Manche, on a commandé un nombre de doses suffisant. Il y a simplement eu un petit incident avec une société anglaise, qui n'a pas fourni ce qu'elle aurait dû fournir, comme l'ont fait les sociétés européennes. Israël a eu une politique vaccinale très dynamique, même si je rappelle que sa population est inférieure à celle de l'Île-de-France. Ce pays a commandé 7 ou 8 millions de doses à Pfizer, qui étaient fabriquées en Europe - je le rappelle, les États-Unis ne fournissent aucune dose au monde -, en échange de la transmission des données anonymisées de sa population, ce qui ne serait pas possible en Europe, étant donné notre sensibilité sur ce sujet. Au total, l'Europe a produit 180 millions de doses pour 450 millions d'habitants, les États-Unis 180 millions de doses. Cela n'est pas suffisant pour régler le problème. Nous avons tiré les leçons : si un nouveau vaccin devait être homologué, je demanderais une inspection de la chaîne de production pour vérifier que l'industriel peut produire dans les délais les doses promises.
Enfin, Monsieur Vial, je partage votre analyse. Les médias constituent un secteur fondamental pour la démocratie ; il figure parmi nos priorités. J'ai proposé un plan d'action pour les médias qui consiste en un soutien aux fonds propres, car le secteur est sous-capitalisé, un accompagnement à la transformation numérique, et une réflexion sur le numérique, en particulier les données et le développement de nouvelles relations avec les plateformes. Nous avons lancé un dialogue avec tous les acteurs pour une mise en oeuvre rapide. Nous espérons agir dès cette année, car il y a urgence.