Intervention de Thani Mohamed Soilihi

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 7 avril 2021 à 9h00
Proposition de loi relative à la lutte contre l'illectronisme et pour l'inclusion numérique — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Thani Mohamed SoilihiThani Mohamed Soilihi, rapporteur :

Le rapport que je vous présente aujourd'hui porte sur la proposition de loi relative à la lutte contre l'illectronisme et pour l'inclusion numérique, déposée par notre collègue Éric Gold et inscrite à l'ordre du jour de l'espace réservé du groupe RDSE.

Je tiens à remercier nos collègues du groupe RDSE de cette initiative, qui met en lumière un sujet qui concerne nombre de nos concitoyens, voire chacun et chacune d'entre nous.

La proposition de loi fait suite au rapport du 17 septembre 2020 de la mission d'information du Sénat sur la lutte contre l'illectronisme et pour l'inclusion numérique et a pour objet d'offrir une traduction législative à ses préconisations.

Je tiens d'emblée à indiquer que les travaux que j'ai conduits ont très largement corroboré l'actualité et la pertinence du constat opéré par cette mission : l'ancrage profond du numérique dépasse le simple défi technologique pour poser aujourd'hui d'importants problèmes de société.

Comme l'indique le rapport d'information, « 14 millions de Français ne maîtrisent pas le numérique et près d'un Français sur deux n'est pas à l'aise. Si la France est dans la moyenne européenne, la situation n'est pas satisfaisante. Les personnes en situation de handicap, qui représentent une personne en exclusion numérique sur cinq, subissent une double peine. Si les sites en ligne doivent être théoriquement accessibles, seulement 13 % de démarches administratives leur étaient, en avril 2020, réellement accessibles. »

Face à ce constat, le rapport formule quarante-cinq propositions, réparties en sept axes, afin de lutter contre ce phénomène sous tous ses aspects. Ces axes comportent notamment l'évaluation de l'exclusion numérique, le passage à une logique « 100 % accessible » et la construction d'une « éducation nationale 2.0 ».

De son côté, le Gouvernement a mis en oeuvre plusieurs mesures de soutien financier pour favoriser l'inclusion numérique, notamment à travers le plan de relance instauré pour faire face aux conséquences économiques et financières de la crise sanitaire actuelle : 120 millions d'euros sont ainsi consacrés dans ce plan à la numérisation des PME et des TPE.

Par ailleurs, pour garantir un accès physique des usagers aux administrations, le Gouvernement a également créé un réseau de maisons labellisées « France Services » (MFS), lesquelles vont progressivement remplacer les maisons de services au public créées en 2015. Ces structures sont des guichets uniques permettant aux citoyens de réaliser les démarches administratives relevant, par exemple, du ministère de l'intérieur, de la Caisse nationale des allocations familiales ou de l'assurance maladie. Elles assurent également un accompagnement numérique pour la réalisation des démarches en ligne. Au 1er février 2021, on comptait 1 123 MFS. L'objectif affiché par le Gouvernement est d'atteindre 2 000 MFS d'ici à janvier 2022, afin que chaque Français puisse accéder à une MFS à moins de trente minutes de son domicile.

En outre, le Gouvernement a développé la plateforme « Aidants Connect », qui facilite l'intervention d'un tiers pour accomplir des démarches en ligne pour le compte d'une personne en difficulté.

Afin de mettre en oeuvre les propositions du rapport d'information précité, la présente proposition de loi comporte 16 articles, répartis en quatre chapitres.

Le chapitre Ier traite de la détection des publics en difficulté. Les deux articles qu'il comporte tendent respectivement à mettre en oeuvre une étude biannuelle sur le sujet et à inclure une évaluation des compétences numériques dans le programme de la Journée défense et citoyenneté (JDC).

Toutefois, les travaux que j'ai conduits ont révélé que certaines études couvrent déjà le besoin exprimé à l'article 1er. Concernant l'article 2, les compétences numériques des élèves sont déjà évaluées au collège et au lycée et certifiées par le groupement d'intérêt public PIX, de sorte que l'évaluation lors de la JDC apparaîtrait surabondante. Elle poserait également certaines difficultés de mise en oeuvre pratique.

Le chapitre II s'intitule « Passer d'une logique de services publics 100 % dématérialisés à une logique de services publics 100 % accessibles ». Ses articles 3 et 4 tendent à modifier ou compléter le code des relations entre le public et l'administration afin de créer un « droit au guichet » et de permettre aux usagers du service public de choisir les modalités de correspondance avec l'administration ainsi que les modalités de paiement des services dématérialisés. Si je soutiens ces objectifs, je considère que l'intervention législative proposée ne permettra pas d'offrir de nouvelles garanties aux usagers, a fortiori en modifiant le code des relations entre le public et l'administration, dont les dispositions sont supplétives et ne s'appliquent qu'en l'absence de dispositions spécifiques. Il semble également aujourd'hui matériellement impossible de faire renaître un système 100 % papier en parallèle des démarches numériques.

Les difficultés d'accès effectif au service public résultent principalement des moyens humains et de l'organisation des services des différentes administrations concernées pour accompagner les publics en difficulté et des procédures spécifiques qui régissent chaque démarche. À cet égard, la manière la plus efficace d'agir pour le Parlement consiste non pas à légiférer, mais à user de ses pouvoirs de contrôle de l'action du Gouvernement, lesquels permettront d'évaluer l'efficacité des mesures mises en oeuvre, notamment la mise en place des MFS.

L'article 5 tend à modifier les dispositions relatives au droit à l'erreur en précisant qu'elles s'appliquent aux démarches accomplies en ligne. Je constate que ces démarches entrent déjà dans le champ des dispositions existantes, mais qu'il serait opportun de couvrir explicitement les cas où l'erreur est commise par un tiers agissant pour le compte d'une personne qui n'est pas en mesure d'effectuer elle-même une démarche en ligne.

L'article 6 vise à créer un référentiel d'ergonomie des sites internet publics dont les modalités seraient définies par décret et qui s'imposerait aux administrations, le cas échéant sous astreinte. Il impose également diverses obligations relatives à l'organisation des sites internet. Enfin, l'article 7 prévoit la mise en conformité sous astreinte des moyens de communication des administrations avec les règles d'accessibilité aux personnes handicapées. Une souplesse serait néanmoins introduite pour les petites communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Je pense que ces deux articles vont dans le bon sens, sous réserve de quelques adaptations techniques.

Le chapitre III, intitulé « Financement de la politique d'inclusion numérique », comprend l'article 8, qui tend à créer un chèque « équipement numérique » à destination des ménages peu aisés et un fonds de lutte contre l'exclusion numérique, dont le financement serait prévu par l'article 9. Or cette mesure de financement ne peut relever que d'une loi de finances, en application de l'article 34 de la Constitution et de l'article 34 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).

L'article 9 tend également à modifier la stratégie nationale d'orientation de l'action publique annexée à la loi du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance (ESSOC), qui est toutefois dépourvue de portée normative.

Enfin, le chapitre IV traite de l'accompagnement des usagers exclus de la dématérialisation des services publics. L'article 10 tend à élargir les compétences confiées à l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) afin qu'elle établisse une cartographie de l'ensemble des lieux d'accompagnement des usagers du service public.

L'article 11 prévoit la création d'un référent en charge de l'inclusion numérique au sein de chaque EPCI. Je pense que cette création peut être opportune en fonction des situations locales, mais qu'il n'est pas pertinent d'en faire une obligation pour chaque EPCI. Il convient de faire confiance aux collectivités territoriales et à leurs groupements pour s'adapter à leurs besoins propres.

L'article 12 tend à la prise en compte, aux côtés de l'illettrisme et de « l'innumérisme », de l'illectronisme parmi les priorités nationales en matière d'éducation prévues par le code de l'éducation. Cette modification n'aurait qu'une portée symbolique, puisque l'article L. 121-2 de ce code, que l'article 12 tend à modifier, ne possède lui-même qu'une portée normative limitée.

L'article 13 tend, d'une part, à rendre obligatoire la formation des enseignants des établissements d'enseignement supérieur en matière de numérique et, d'autre part, à prévoir que les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation organisent la formation numérique des enseignants. Toutefois, cette dernière précision ne relève pas du champ que l'article 34 de la Constitution confie à la loi.

L'article 14 tend à créer une réduction d'impôt pour les PME égale à la moitié des dépenses engagées pour les formations aux outils numériques. Or cette mesure vient s'ajouter à l'ensemble de celles que le Gouvernement a récemment mises en place pour les PME, à hauteur de 120 millions d'euros, dans le cadre du plan de relance.

Mes chers collègues, à l'issue des travaux que j'ai conduits, je ne pense pas que la commission des lois pourrait adopter un texte sans modifier profondément la proposition de loi dont elle est saisie. Comme vous l'aurez compris, plusieurs dispositifs ne relèvent pas de la loi ordinaire ou ne justifient pas une inscription au niveau de la loi au regard de l'article 34 de la Constitution. D'autres dispositions sont satisfaites ou en voie de l'être.

Par conséquent, je vous propose de ne pas adopter de texte afin que le texte initial de la proposition de loi soit examiné en séance.

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