À la suite de la décision du bureau de notre commission d'examiner l'état des lieux des soins palliatifs dans notre pays à la demande de notre collègue Corinne Imbert, nous entendons ce matin le docteur Sarah Dauchy, présidente du conseil d'orientation stratégique du centre national des soins palliatifs et de la fin de vie.
Nous avions également convié le directeur du centre, M. Brahim Bouselmi qui m'a fait part hier de son indisponibilité et de ses excuses. J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Le centre national des soins palliatifs et de la fin de vie a été créé, auprès du ministre chargé de la santé, par un décret du 5 janvier 2016, initialement pour une durée de 5 ans, avec trois missions principales :
- contribuer à une meilleure connaissance des conditions de la fin de vie et des soins palliatifs, des pratiques d'accompagnement et de leurs évolutions, ainsi que de l'organisation territoriale de la prise en charge des patients et de leur entourage ;
- participer au suivi des politiques publiques relatives aux soins palliatifs et à la fin de vie ;
- informer le grand public et les professionnels afin de contribuer à la diffusion des connaissances sur la démarche palliative et sur la fin de vie.
Le centre national est doté d'un conseil d'orientation stratégique que le Dr Dauchy préside depuis février dernier et qui comprend 18 autres membres : des représentants des ministères, des sociétés savantes, le directeur général de la fondation « OEuvre de la Croix St Simon » et des représentants des usagers. Il définit les orientations du centre national.
Le président est nommé pour cinq ans par arrêté ministériel, tandis que le centre lui-même est créé jusqu'au 31 décembre 2021. Vous pourrez peut-être nous indiquez quelles sont les perspectives au-delà de cette échéance.
Lors de l'examen au Sénat de la proposition de loi sur l'aide active à mourir, le ministre de la Santé a annoncé l'élaboration d'un nouveau plan pour le développement des soins palliatifs dans notre pays, le dernier ayant expiré en 2018.
Dans la perspective de ce nouveau plan, nous attendons de cette audition un état des lieux mais aussi les perspectives qui peuvent être tracées pour le développement des soins palliatifs dans les années à venir.
Dr Dauchy, je vous laisse la parole pour un propos liminaire avant que les commissaires ne vous posent leurs questions.
Dr Sarah Dauchy, présidente du conseil d'orientation stratégique du centre national des soins palliatifs et de la fin de vie. - Je vous remercie de cette invitation. Je puis d'emblée vous indiquer que les perspectives à venir du centre ne sont pas encore très claires pour les équipes, mais nous y reviendrons certainement.
Nos missions consistent, comme vous l'avez rappelé, à augmenter l'information des citoyens sur leurs droits en fin de vie ainsi que celle des décideurs publics.
Concernant les soins palliatifs, je puis vous donner quelques éléments comme présidente du conseil d'orientation stratégique, dont j'ai été membre cinq ans avant d'en exercer la présidence, et comme psychiatre ayant travaillé pendant vingt ans à l'institut Gustave-Roussy sur la mise en place de l'anticipation palliative.
L'application des lois relatives à la fin de vie est insuffisante pour deux raisons : le manque de ressources et le manque de connaissances. Je me permets de vous renvoyer, pour plus de détails, au site du conseil : parlons-fin-de-vie.fr.
Le caractère limité des ressources en soins palliatifs au regard des besoins exprimés se déduit de certains chiffres. Nous ne disposons que de 164 unités de soins palliatifs pour 1 880 lits sur le territoire national, 5 618 lits identifiés de soins palliatifs, 426 équipes mobiles de soins palliatifs. L'ensemble ainsi constitué forme une offre de soins graduée : les unités de soins palliatifs sont réservées aux fins de vie, bien que 20 % des patients qui y sont accueillis meurent à leur domicile ; les lits de soins palliatifs sont des lits situés dans des services de médecine avec un accompagnement renforcé en soins palliatifs, mais ne sont pas pour autant des lits de fin de vie - seul un tiers des patients y meurent ; quant aux équipes mobiles, qui sont rattachées à un établissement de santé, elles sont habilitées à intervenir au sein de cet établissement, mais aussi à l'extérieur pour 20 % de leur activité, et notamment dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).
Cette offre de soins est en dessous des objectifs fixés par le plan « soins palliatifs 2015-2018 » d'un lit au moins par 100 000 habitants. On dispose aujourd'hui d'en moyenne 2,8 unités de soins palliatifs par 100 000 habitants, chiffre en apparence réjouissant mais qui cache une disparité géographique très importante, allant jusqu'à l'absence totale dans 26 départements. Un autre problème concerne les effectifs médicaux et paramédicaux qui y sont affectés : des ratios de 2,5 postes de médecins et de 10 postes d'aide-soignant pour 10 lits ont été définis par la société française des soins palliatifs (SFSP) et les agences régionales de santé (ARS), et nous observons que ces postes effectifs plafonnent respectivement à 1,5 et à 6,8. Pour vous donner un ordre d'idées, une équipe mobile de soins palliatifs se compose normalement d'un médecin, de personnel infirmier à raison de 1,5 ETP et de bénévoles.
La moitié des décès a aujourd'hui lieu en milieu hospitalier, l'autre moitié advenant au domicile ou en Ehpad. Sur les 552 000 patients morts en 2014, 343 000 auraient pu recevoir des soins palliatifs - je veux dire que leur fin de vie s'est révélée suffisamment progressive pour que des soins palliatifs aient pu leur être prodigués - et, pourtant, seuls 44 % d'entre eux en ont effectivement reçu. Par ailleurs, seul un Ehpad sur 10 a une infirmière la nuit, ce qui rend particulièrement difficile l'accompagnement du décès dans cette circonstance.
L'autre enjeu est celui de la formation de l'intégralité des acteurs, qui ne se résume pas à la prise en charge des situations complexes, mais aussi de situations non complexes dont des médecins généralistes ou spécialistes formés aux soins palliatifs peuvent se saisir. De cette formation globale, va dépendre la capacité d'anticiper la phase palliative et d'initier la réflexion sur la fin de vie le plus tôt possible. Je souligne que cette capacité est a priori peu prise en compte dans les approches « hyper-curatives » de certaines spécialités, notamment la cancérologie - pourtant la première cause de décès. Pourtant, il n'y a pas forcément d'incompatibilité entre elles : l'objectif curatif ne devrait pas empêcher le patient d'exercer le plus tôt possible son droit à l'autonomie et de formuler son souhait en matière de fin de vie ou - plus simplement - de traitement.
Je souhaiterais maintenant aborder le défaut de connaissance des Français de la question des soins palliatifs. D'après un sondage réalisé par le centre en 2021, la notoriété de la loi en la matière reste stable : 60 % des personnes interrogées savent qu'il existe une loi qui régit la fin de vie. 48 % d'entre eux ont entendu parler des directives anticipées ; 72 % connaissent la personne de confiance ; 53 % connaissent la sédation profonde et continue jusqu'au décès.
18 % ont rédigé leurs directives anticipées et 54 % de ceux qui ne l'ont pas fait ne souhaitent pas le faire. 60 % des médecins considèrent que la diffusion de ces connaissances relève de leur compétence ; pourtant 91 % des personnes interrogées n'en ont pas discuté avec leur médecin.
Ces situations de défaut d'information conduisent souvent à ce que l'on appelle des « inconforts décisionnels », c'est-à-dire des cas où le patient est insuffisamment sensibilisé à l'incertitude thérapeutique et davantage soumis au risque médical de « surproposition thérapeutique ». En découlent des situations d'obstination déraisonnable, question sur laquelle le centre a récemment appelé à une plus grande vigilance et à un repérage plus précoce.