À la suite de la décision du bureau de notre commission d'examiner l'état des lieux des soins palliatifs dans notre pays à la demande de notre collègue Corinne Imbert, nous entendons ce matin le docteur Sarah Dauchy, présidente du conseil d'orientation stratégique du centre national des soins palliatifs et de la fin de vie.
Nous avions également convié le directeur du centre, M. Brahim Bouselmi qui m'a fait part hier de son indisponibilité et de ses excuses. J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Le centre national des soins palliatifs et de la fin de vie a été créé, auprès du ministre chargé de la santé, par un décret du 5 janvier 2016, initialement pour une durée de 5 ans, avec trois missions principales :
- contribuer à une meilleure connaissance des conditions de la fin de vie et des soins palliatifs, des pratiques d'accompagnement et de leurs évolutions, ainsi que de l'organisation territoriale de la prise en charge des patients et de leur entourage ;
- participer au suivi des politiques publiques relatives aux soins palliatifs et à la fin de vie ;
- informer le grand public et les professionnels afin de contribuer à la diffusion des connaissances sur la démarche palliative et sur la fin de vie.
Le centre national est doté d'un conseil d'orientation stratégique que le Dr Dauchy préside depuis février dernier et qui comprend 18 autres membres : des représentants des ministères, des sociétés savantes, le directeur général de la fondation « OEuvre de la Croix St Simon » et des représentants des usagers. Il définit les orientations du centre national.
Le président est nommé pour cinq ans par arrêté ministériel, tandis que le centre lui-même est créé jusqu'au 31 décembre 2021. Vous pourrez peut-être nous indiquez quelles sont les perspectives au-delà de cette échéance.
Lors de l'examen au Sénat de la proposition de loi sur l'aide active à mourir, le ministre de la Santé a annoncé l'élaboration d'un nouveau plan pour le développement des soins palliatifs dans notre pays, le dernier ayant expiré en 2018.
Dans la perspective de ce nouveau plan, nous attendons de cette audition un état des lieux mais aussi les perspectives qui peuvent être tracées pour le développement des soins palliatifs dans les années à venir.
Dr Dauchy, je vous laisse la parole pour un propos liminaire avant que les commissaires ne vous posent leurs questions.
Dr Sarah Dauchy, présidente du conseil d'orientation stratégique du centre national des soins palliatifs et de la fin de vie. - Je vous remercie de cette invitation. Je puis d'emblée vous indiquer que les perspectives à venir du centre ne sont pas encore très claires pour les équipes, mais nous y reviendrons certainement.
Nos missions consistent, comme vous l'avez rappelé, à augmenter l'information des citoyens sur leurs droits en fin de vie ainsi que celle des décideurs publics.
Concernant les soins palliatifs, je puis vous donner quelques éléments comme présidente du conseil d'orientation stratégique, dont j'ai été membre cinq ans avant d'en exercer la présidence, et comme psychiatre ayant travaillé pendant vingt ans à l'institut Gustave-Roussy sur la mise en place de l'anticipation palliative.
L'application des lois relatives à la fin de vie est insuffisante pour deux raisons : le manque de ressources et le manque de connaissances. Je me permets de vous renvoyer, pour plus de détails, au site du conseil : parlons-fin-de-vie.fr.
Le caractère limité des ressources en soins palliatifs au regard des besoins exprimés se déduit de certains chiffres. Nous ne disposons que de 164 unités de soins palliatifs pour 1 880 lits sur le territoire national, 5 618 lits identifiés de soins palliatifs, 426 équipes mobiles de soins palliatifs. L'ensemble ainsi constitué forme une offre de soins graduée : les unités de soins palliatifs sont réservées aux fins de vie, bien que 20 % des patients qui y sont accueillis meurent à leur domicile ; les lits de soins palliatifs sont des lits situés dans des services de médecine avec un accompagnement renforcé en soins palliatifs, mais ne sont pas pour autant des lits de fin de vie - seul un tiers des patients y meurent ; quant aux équipes mobiles, qui sont rattachées à un établissement de santé, elles sont habilitées à intervenir au sein de cet établissement, mais aussi à l'extérieur pour 20 % de leur activité, et notamment dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).
Cette offre de soins est en dessous des objectifs fixés par le plan « soins palliatifs 2015-2018 » d'un lit au moins par 100 000 habitants. On dispose aujourd'hui d'en moyenne 2,8 unités de soins palliatifs par 100 000 habitants, chiffre en apparence réjouissant mais qui cache une disparité géographique très importante, allant jusqu'à l'absence totale dans 26 départements. Un autre problème concerne les effectifs médicaux et paramédicaux qui y sont affectés : des ratios de 2,5 postes de médecins et de 10 postes d'aide-soignant pour 10 lits ont été définis par la société française des soins palliatifs (SFSP) et les agences régionales de santé (ARS), et nous observons que ces postes effectifs plafonnent respectivement à 1,5 et à 6,8. Pour vous donner un ordre d'idées, une équipe mobile de soins palliatifs se compose normalement d'un médecin, de personnel infirmier à raison de 1,5 ETP et de bénévoles.
La moitié des décès a aujourd'hui lieu en milieu hospitalier, l'autre moitié advenant au domicile ou en Ehpad. Sur les 552 000 patients morts en 2014, 343 000 auraient pu recevoir des soins palliatifs - je veux dire que leur fin de vie s'est révélée suffisamment progressive pour que des soins palliatifs aient pu leur être prodigués - et, pourtant, seuls 44 % d'entre eux en ont effectivement reçu. Par ailleurs, seul un Ehpad sur 10 a une infirmière la nuit, ce qui rend particulièrement difficile l'accompagnement du décès dans cette circonstance.
L'autre enjeu est celui de la formation de l'intégralité des acteurs, qui ne se résume pas à la prise en charge des situations complexes, mais aussi de situations non complexes dont des médecins généralistes ou spécialistes formés aux soins palliatifs peuvent se saisir. De cette formation globale, va dépendre la capacité d'anticiper la phase palliative et d'initier la réflexion sur la fin de vie le plus tôt possible. Je souligne que cette capacité est a priori peu prise en compte dans les approches « hyper-curatives » de certaines spécialités, notamment la cancérologie - pourtant la première cause de décès. Pourtant, il n'y a pas forcément d'incompatibilité entre elles : l'objectif curatif ne devrait pas empêcher le patient d'exercer le plus tôt possible son droit à l'autonomie et de formuler son souhait en matière de fin de vie ou - plus simplement - de traitement.
Je souhaiterais maintenant aborder le défaut de connaissance des Français de la question des soins palliatifs. D'après un sondage réalisé par le centre en 2021, la notoriété de la loi en la matière reste stable : 60 % des personnes interrogées savent qu'il existe une loi qui régit la fin de vie. 48 % d'entre eux ont entendu parler des directives anticipées ; 72 % connaissent la personne de confiance ; 53 % connaissent la sédation profonde et continue jusqu'au décès.
18 % ont rédigé leurs directives anticipées et 54 % de ceux qui ne l'ont pas fait ne souhaitent pas le faire. 60 % des médecins considèrent que la diffusion de ces connaissances relève de leur compétence ; pourtant 91 % des personnes interrogées n'en ont pas discuté avec leur médecin.
Ces situations de défaut d'information conduisent souvent à ce que l'on appelle des « inconforts décisionnels », c'est-à-dire des cas où le patient est insuffisamment sensibilisé à l'incertitude thérapeutique et davantage soumis au risque médical de « surproposition thérapeutique ». En découlent des situations d'obstination déraisonnable, question sur laquelle le centre a récemment appelé à une plus grande vigilance et à un repérage plus précoce.
Je vous remercie de ce propos liminaire. Vous avez évoqué le fait que beaucoup de malades ne mouraient pas nécessairement en soins palliatifs, mais à domicile ou en Ehpad. Le décès à l'hôpital est-il selon vous dû à la dispensation exclusive de certains médicaments de soins palliatifs à l'hôpital, et non en ville ?
Serait-il pertinent d'équiper les Ehpad de lits dédiés en soins palliatifs plutôt que de développer des équipes de soins mobiles ?
Par ailleurs, il me semble que la loi prévoit la conservation des directives anticipées dans un registre national, qui à ma connaissance n'existe toujours pas. Le dossier médical partagé (DMP) pourrait-il offrir un support opportun à la collecte de ces directives ?
Le mode de financement hospitalier par la tarification à l'activité (T2A) a-t-il eu des effets pervers sur l'organisation des soins palliatifs ?
Enfin, concernant la gouvernance du centre, une mission de l'IGAS a fait état de tensions internes. Sont-elles liées à des divergences de vues sur l'euthanasie active ou le suicide assisté ?
Je vous remercie également. Je suis frappée par la proportion de personnes ignorantes de leurs droits en matière de fin de vie - près de 40 % ! Que pourrait-on faire pour y remédier ?
Vous avez, en évoquant les équipes mobiles, précisé qu'elles se composaient d'infirmiers et de bénévoles. Quelle est la part des bénévoles et quelle est leur formation ? J'ai moi-même été infirmière libérale et n'ai connu de formation que « sur le tas ». Nous n'avions pas d'accès à une formation institutionnalisée, à l'exception de quelques stages animés par Marie de Hennezel.
Combien y a-t-il d'endroits dédiés uniquement aux soins palliatifs ? J'ai notamment connaissance du centre « La Maison » situé à Gardanne.
Les lits identifiés de soins palliatifs se trouvent par définition uniquement dans des établissements médicaux. En plus des équipes mobiles de soins palliatifs, peuvent intervenir au sein des Ehpad, comme à domicile, des infirmiers libéraux et des médecins généralistes. Il faudrait donc revaloriser le temps nécessaire à l'accompagnement de la fin de vie consacré par ces professionnels de santé. L'explosion de la demande qu'on observe dans les Ehpad n'est compensée ni par la formation ni par la valorisation du temps consacré par les professionnels en dehors des équipes mobiles.
Il faut améliorer l'accès aux directives anticipées lorsque celles-ci ont été rédigées. Le DMP peut être un outil utile mais tous les Français n'en disposent pas, pour diverses raisons. La création d'un registre national pourrait donc être envisagée, mais il faudrait s'assurer de la possibilité de l'actualiser en permanence.
Lorsque la personne n'est plus en état de s'exprimer, le législateur a prévu le rôle de la personne de confiance. Certaines personnes préfèrent d'ailleurs se confier à l'oral à un proche de confiance.
Rédiger des directives anticipées de manière abstraite et sans lien avec un médecin est très difficile. À la demande de la DGS, le centre national a initié un travail d'aide au remplissage des directives, dans le prolongement de ce qui a été fait par la haute autorité de santé.
La T2A a pu avoir des effets pervers en ne prenant pas suffisamment en compte les temps de coordination et d'échange. Je précise qu'il s'agit là d'un avis personnel, le centre national ne s'étant pas prononcé sur ce point. En revanche, la T2A valorise ce temps dans le cadre des lits identifiés de soins palliatifs, dont le nombre a augmenté.
Lorsque je travaillais à l'Institut Gustave Roussy, j'avais contribué à l'ouverture d'une unité d'expertise onco-palliative afin de permettre à des patients encore sous traitement mais dont l'espérance de vie ne dépassait pas quelques mois d'être hospitalisés quelques jours afin d'avoir le temps de réfléchir et le cas échéant de décider de la poursuite des traitements.
Je me permettrai de garder une certaine réserve sur la gouvernance du centre national.
L'information de la population constitue une question majeure pour le centre, dont c'est une des missions majeures. IL s'agit d'un des axes du cadre du plan soins palliatifs qui doit être publié prochainement. Toutefois, les campagnes à destination du grand public ont leurs limites. Des outils plus ciblés peuvent être pertinents.
Il faut aussi davantage impliquer les citoyens dans les travaux du centre, afin de favoriser le développement d'une culture globale dans laquelle parler de la fin de vie serait plus accepté.
Les bénévoles qui interviennent dans les unités de soins palliatifs bénéficient de formations et d'un soutien par les deux principales associations. En moyenne, l'intervention de ces bénévoles représente 8 demi-journées par mois pour les unités de soins palliatifs et 4 demi-journées par semaine pour les équipes mobiles. Cette moyenne est nettement dépassée dans certains centres hospitaliers.
La fin de vie est très souvent un moment difficile et la mort peut ne pas être « douce » quel que soit le lieu et l'accompagnement. L'objectif est de faire le maximum pour qu'elle soit paisible, tant pour le patient que pour ses proches.
Il y a 164 unités de soins palliatifs sur le territoire, soit environ 1 880 lits, à raison d'une moyenne de 10 à 12 lits par unité. Ces lieux sont conçus pour permettre une fin de vie paisible, y compris en permettant aux proches d'y être associés.
Enfin, je pense qu'un décès peut se passer dans de bonnes conditions même s'il n'a pas lieu dans une unité de soins palliatifs, c'est une question de formation, d'anticipation et d'équipement. La mise à disposition du Midazolam à domicile pourrait y contribuer.
Le meilleur endroit pour mourir reste selon moi le domicile. Encore faut-il anticiper suffisamment afin de bénéficier de l'accompagnement d'une unité de soins palliatifs, comme on anticipe son décès en réglant par avance les modalités de sa succession avec son notaire. Les notaires pourraient d'ailleurs peut-être constituer un vecteur de transmission de l'information sur la fin de vie.
Je suis régulièrement alertée par des personnes dont un proche souffre ou a souffert d'une sclérose latérale amyotrophique, ou maladie de Charcot. Face à cette maladie, les soins palliatifs à domicile trouvent leurs limites.
Enfin, quelles sont les modalités d'information sur les soins palliatifs des parents d'enfants souffrant de maladies en phase terminale ?
La priorité doit être de soigner quand c'est possible et d'accompagner lorsque cela ne l'est plus. La loi Leonetti de 2004 puis la loi Claeys-Leonetti de 2016 ont permis des avancées importantes. Il est aujourd'hui possible de rédiger des directives anticipées, d'éviter l'obstination déraisonnable et d'avoir recours à la sédation profonde et continue même lorsque celle-ci conduit à accélérer le décès.
Lorsque des équipes de soins palliatifs sont disponibles, les choses se passent relativement bien.
Les demandes tendant à légaliser l'euthanasie ne proviennent-elles pas d'une ignorance de ce que permet aujourd'hui la loi ou du manque d'unités de soins palliatifs ?
L'atlas national des soins palliatifs et de la fin de vie indique que la France était dotée en 2019 de 8,4 lits identifiés de soins palliatifs pour 100 000 habitants en moyenne. Ce chiffre est inférieur à 4 en Guadeloupe.
Comment réduire les disparités, qui touchent notamment les départements d'outre-mer ?
Une partie importante des personnes de plus de 50 ans ne souhaitent pas rédiger de directives anticipées. Quels sont les freins ? S'agit-il du manque d'information ? de la difficulté à appréhender sa propre mort ? du manque de médecins spécialisés ?
Où se situe la limite entre soins palliatifs et aide active à mourir ?
L'anticipation des soins palliatifs dès le début de la maladie n'est pas chose facile, car il y a plusieurs trajectoires de fin de vie, qui rendent la dégradation de l'état de santé plus ou moins prévisible. Il y a donc surtout un travail de recherche à faire, auquel s'attèlera le CNSPFV dans les prochains mois, afin de mieux repérer les pathologies nécessitant une anticipation.
Le notaire, pourquoi pas ? L'appropriation de la fin de vie par la société civile est clairement une piste pour mieux anticiper. L'obstacle majeur réside dans le fait qu'il est difficile d'anticiper sa fin de vie, d'autant plus, à l'évidence, lorsqu'on se trouve dans une situation angoissante. Y penser très tôt, avant de se sentir concerné, peut donc être un moyen de faciliter les choses, ou du moins d'en parler avec la liberté que donne la tranquillité d'esprit. C'est d'ailleurs ce que nous faisons déjà pour la plupart des risques, que nous anticipons avant d'y être directement confronté. Passer par le notaire, en effet, peut être une idée. Des facteurs culturels entrent aussi en ligne de compte. Aux Pays-Bas, dès qu'une maladie risque de ne pas guérir, les médecins commencent à anticiper la possibilité de soins palliatifs. C'est faisable en pratique : on choisira alors tel médecin généraliste en lien avec un réseau de soins palliatifs à domicile, qui interviendra lorsque ce sera nécessaire.
La sclérose latérale amyotrophique, ou maladie de Charcot, place dans une situation très difficile. Pour rappel, elle est responsable de près de 1 000 décès par an, et tous les malades en meurent. Un groupe de travail composé de généralistes, de neurologues, de palliatologues et de non-médecins, qui réfléchit à cette question depuis fin 2019, rendra bientôt ses conclusions au CNSPFV. L'objectif était de documenter les situations dans lesquelles le décès se passe mal. Cette maladie provoque une perte d'autonomie progressive, douloureuse, que l'on soit ou non en fin de vie.
Madame Lassarade, je ne saurais répondre directement à votre question sur l'information des parents, mais je peux vous indiquer qu'une société de soins palliatifs pédiatriques a récemment été créée. Le CNSPFV n'a pas travaillé spécifiquement sur la pédiatrie ; elle n'a été qu'évoquée dans ses travaux sur l'obstination déraisonnable, par exemple, qui ont mobilisé des réanimateurs pédiatriques et des néonatologues. Là encore, le problème est d'anticiper et d'entendre que la médecine a des limites dans des situations où, par hypothèse, le patient a normalement toute sa vie devant lui.
Monsieur Chasseing, le CNSPFV n'a pas travaillé spécifiquement sur la relation existant entre l'ignorance de la loi ou le défaut de soins palliatifs et la demande d'euthanasie. Les travaux de recherche sur le contexte des demandes d'euthanasie existent en France, mais ils sont encore insuffisants. Dans les pays où la chose est mieux documentée, ne sont étudiées que les demandes ayant effectivement donné lieu à une euthanasie. Celles que les soins ou le changement d'avis du patient ont rendues caduques ne sont pas prises en compte. Or ces demandes sont très équivoques, ce qui explique d'ailleurs que les pays ayant autorisé l'aide active à mourir exigent la réitération de la demande, imposent le respect de certains délais, et prévoient l'évaluation de la situation par plusieurs médecins. Les services cliniques l'observent : certaines demandes s'éteignent avec la mobilisation de soins efficaces, palliatifs, physiques ou psychiques. La demande d'aide à mourir fait ainsi partie des symptômes de la dépression - ce qui ne veut évidemment pas dire que toutes les demandes d'aide à mourir témoignent de dépressions. Nous avons quoi qu'il en soit besoin de travaux supplémentaires, qui étudieraient les demandes de manière plus globale.
La Guadeloupe est un exemple criant des inégalités territoriales en matière de soins palliatifs. Une politique de santé requiert des moyens, sans quoi la loi établissant le droit d'accès aux soins palliatifs - qui date de 1999... - ne sert à rien. Indiquer précisément les raisons du sous-équipement de la Guadeloupe excède toutefois mon champ de compétences. Notez que ce n'est pas le seul territoire dans ce cas ; la région Centre-Pays-de-Loire est aussi une région relativement défavorisée en la matière.
D'après ce qu'ont montré les travaux du CNSPFV - en l'espèce les groupes de travail sur les directives anticipées et sur l'aide à la rédaction de ces directives -, la rédaction des directives anticipées se heurte d'abord, nous l'avons dit, à la difficulté d'une telle anticipation. Il faudrait marteler le message que l'autonomie décisionnelle en matière de fin de vie passe par l'anticipation. Plus celle-ci sera précoce, mieux on pourra structurer une réponse tenant compte de la complexité médicale et des positions des proches. D'autres freins sont plus structurels : les directives anticipées doivent être assez précises. Refuser l'acharnement thérapeutique est inopérant puisque l'obstination déraisonnable - terme qui l'a remplacé - s'apprécie subjectivement. L'objectif de l'advance care planning que j'ai évoqué est de remplir les directives anticipées et de discuter avec le médecin de ce que la pathologie permet d'envisager ou d'écarter - ventilation non invasive, trachéotomie, sonde de gastrostomie, transfert en réanimation en cas d'accident infectieux aigu... Tout cela requiert un peu d'innovation organisationnelle, pour contourner d'éventuels freins psychologiques. Un tel acte de soin relatif à l'advance care planning, retracé quelque part et dont il serait tenu compte, pourrait renforcer la notion d'anticipation et se traduire par davantage d'autonomie pour le patient.
Sur la frontière entre les soins palliatifs et l'aide active à mourir, il est difficile de vous répondre au nom du conseil d'orientation stratégique du CNSPFV, qui regroupe des interlocuteurs d'horizons variés ayant chacun sur ce point une appréciation différente. Il faudrait sans doute distinguer les acteurs d'une part et la réalisation des soins palliatifs d'autre part. Ceux-ci font partie de l'exercice du travail de tout médecin, qui consiste à prendre en charge une vie du début à la fin. Dans ce cadre, la loi s'applique au médecin, comme elle s'applique au citoyen. L'implication des acteurs spécifiquement identifiés dans le soin palliatif est une autre question, qu'il faudrait poser à la société française d'accompagnement et de soins palliatifs.
Je retrouve bien dans vos propos, madame Dauchy, ce que vous nous disiez il y a un peu plus d'un mois, en amont de l'examen de la proposition de loi relative à la fin de vie. Le Sénat a voté, par 19 voix d'écart seulement, la suppression de l'article relatif à l'aide active à mourir par l'euthanasie ou l'assistance au suicide. Le débat aura lieu à l'Assemblée nationale... Je vous rejoins sur la méconnaissance de la loi ou sa mauvaise utilisation, et la défense du statu quo me consterne. Vous avez à juste titre insisté sur la formation des professionnels, la collégialité et les questions de moyens car, là comme dans les autres services publics, nous gérons la pénurie. Ce matin, une dépêche AFP relatait le cas de ce monsieur en soins palliatifs depuis trente-cinq ans : est-ce acceptable dans la France de 2021 ? Tandis que nous débattions, l'Espagne, elle, a autorisé l'euthanasie ! Chez nous, les choses stagnent de manière incompréhensible.
Je retiens néanmoins deux choses positives de la période récente. D'une part, nous avons appris que le midazolam serait par décret autorisé à domicile d'ici la fin du mois d'avril. D'autre part, l'annonce du plan national de développement des soins palliatifs, dont la mouture précédente avait pris fin en 2018. Que savez-vous de la mise en oeuvre de ce nouveau plan ?
Pour ma part, je n'ai pas entendu lors de nos débats que tout allait bien. La solution proposée par le texte a certes inspiré des réactions variables, mais nous avons tous dénoncé la faiblesse des moyens alloués aux soins palliatifs.
La France a pris ces trente ou quarante dernières années un retard important en matière de soins palliatifs, que nous ne nous attachons à rattraper que depuis une bonne décennie environ. Comment se situe-t-on désormais par rapport à nos voisins européens ?
Nous sommes toujours sur une ligne de crête sur les soins palliatifs, comme sur l'aide active à mourir - ou euthanasie, terme qui fait peur à nos concitoyens au point qu'il ne figure pas dans le texte discuté à l'Assemblée nationale. Sans doute beaucoup d'entre nous se disent-ils en outre que les soins palliatifs ne suffisent pas, ne vont pas assez loin, quand l'euthanasie, elle, va trop loin. Je reviens par là à la comparaison avec nos voisins : observe-t-on chez eux une corrélation entre le niveau de développement des soins palliatifs et leur position légale sur l'euthanasie et que peut-on en dire : que l'effort en termes de soins palliatifs dispense de se positionner sur l'aide active à mourir, ou au contraire qu'il finit par rencontrer des limites conduisant à y réfléchir ?
Je vous remercie de ces échanges très éclairants quelques semaines après la discussion de la proposition de loi au Sénat, sur ce débat de société qui continue d'évoluer.
Au regard de la crise sanitaire, quel état des lieux faites-vous de la capacité sur le terrain à accompagner les malades et leurs familles ? Pendant cette période, les décès ont été vécus de manière insupportable par les familles qui ne pouvaient pas être auprès de leurs proches. Nous avons totalement manqué d'anticipation. Quelle analyse en faites-vous ?
Les moyens, notamment en termes de ressources humaines, affectés à nos hôpitaux nous conduisent légitimement à nous interroger sur ceux dédiés aux soins palliatifs. Que faire face au constat des inégalités territoriales ? Comment développer l'accompagnement de la fin de vie à domicile, en tenant compte notamment des évolutions démographiques et épidémiologiques ?
L'évolution de la prise en charge en soins palliatifs passe par une large information, une sensibilisation, des moyens humains et matériels, de la formation, mais aussi une évaluation sur la base d'indicateurs partagés. Elle passe également selon moi par un travail en direction des aidants qui sont de plus en plus nombreux et souvent dans une situation de détresse importante pour accompagner les leurs et comprendre les prises en charge médicales et soignantes. Les unités et équipes mobiles en soins palliatifs sont en nombre insuffisant, ce qui reporte les prises en charge sur des équipes soignantes déjà épuisées dans les services hospitaliers, alors que cet accompagnement requiert beaucoup de temps, d'énergie et de disponibilité. Cette situation est insatisfaisante pour tous.
Merci madame la présidente pour vos propos très intéressants mais également apaisants et bienveillants sur ce sujet complexe et intime.
Quelle est la place des associations dans le parcours en soins palliatifs ? Je pense notamment à l'association JALMALV, Jusqu'à la mort accompagner la vie, qui assure la formation et un accompagnement psychologique de ses intervenants. Je constate qu'elle apporte beaucoup quand elle est présente.
Si vous aviez été à notre place dans l'hémicycle lors de l'examen de la proposition de loi de notre collègue Marie-Paule de la Gontrie, qu'auriez-vous voté ?
Vos propos sur l'anticipation de la fin de vie et des complications douloureuses possibles de la maladie rejoignent un peu le sujet de l'annonce de la maladie. Nous vous avions entendu dans le cadre du groupe d'études Cancer sur votre expérience à l'Institut Gustave Roussy. L'obligation de donner une information complète ne laisse parfois aucune place à l'espoir. Or, certaines personnes préfèrent ne pas savoir. Avec les dernières générations de praticiens qui normalement ont été formés à cette annonce, celle-ci demeure parfois brutale. Il faut être vigilant dans la manière d'annoncer qu'il n'y a plus rien à faire.
Vous avez raison : il est difficile d'entendre des messages trop rapides, trop brutaux et surtout inadaptés aux attentes. La bonne information est celle qui est adaptée. Elle ne correspond pas forcément à l'intégralité de la vérité scientifique du jour, toujours susceptible d'évoluer. Nous avons probablement formé à l'idée de la vérité et pas à celle de l'incertitude. Or, c'est dans l'incertitude que vont se nicher l'espoir et la progression de la réponse thérapeutique. Dire qu'il n'y a « plus rien à faire » conduit à établir une vérité scientifique, alors que cela n'a pas de réalité dans une grande partie de la médecine. Il faut redonner de la valeur à cette zone grise, à la connaissance de ces limites, inhérentes à l'exercice de la médecine. En cancérologie, le discours pendant de nombreuses années a été combattant, ce qui a accompagné un effort majeur de recherche. Mais le discours entre humains, l'échange entre deux subjectivités, ne se situe pas au même niveau.
Il n'y aurait pas de plan soins palliatifs si tout allait bien. Je fais partie du comité de pilotage de ce plan en préparation et nous conduisons un travail en étroite synergie avec le centre. L'un des axes du plan est d'améliorer la connaissance des droits, ce qui s'inscrit en cohérence avec les missions du centre. La lutte contre les inégalités territoriales constitue un autre axe stratégique. Cela est notamment relié au développement de formations médicales et paramédicales, largement insuffisantes au regard de l'ampleur des enjeux. Un autre axe est d'améliorer la prise en charge coordonnée et adaptée aux souhaits des patients.
Vous évoquez une personne suivie depuis 35 ans en soins palliatifs. Nous ne pouvons pas tirer d'exemple de ces situations singulières, qui dépendent de l'interaction entre un patient, son médecin, sa maladie et son contexte. La notion d'obstination déraisonnable a un caractère intersubjectif. Toutefois, nous ne pouvons nier le fait que certaines situations se passent mal.
Sur l'éventuelle corrélation entre développement des soins palliatifs et accès à l'euthanasie, le centre vient de mettre en ligne un panorama des législations sur l'aide active à mourir dans le monde et publiera début mai un panorama sur le développement international des soins palliatifs, ce qui permettra d'établir des comparaisons.
En matière de développement des soins palliatifs, la France se situerait au 10è rang mondial sur la base d'un panel de 20 indicateurs quantitatifs et qualitatifs, au 5è rang pour la qualité des soins et au 22è rang pour l'accès aux soins.
Sur les difficultés de l'anticipation, la crise de la covid-19 offre un très bon exemple de notre difficulté à travailler dans un contexte d'incertitude. Le centre publiera prochainement une documentation sur la thématique « fin de vie et covid ». Cette crise a poussé notre dispositif dans ses retranchements : les manques en termes de directives anticipées ou d'échanges avec la personne de confiance se sont faits cruellement ressentir.
Le vieillissement de la population nécessite de déployer des moyens pour que, mathématiquement, la loi puisse être applicable, par le développement d'équipes mobiles ou en valorisant le travail fait à domicile par les médecins généralistes.
Des indicateurs sont en effet nécessaires. Le prochain plan en comportera, à commencer par la création d'un acte médical correspondant aux sédations profondes, qui ne sont pas codées aujourd'hui.
Nous avons un grand travail à faire en direction des aidants, y compris des jeunes aidants. Le centre a publié un guide à leur attention, sur leurs droits et les possibilités d'aides. Il ne faut pas uniquement les considérer comme des auxiliaires du soin. Tous ne peuvent pas ou ne souhaitent pas aider, pour préserver la qualité d'une autre relation avec leur proche. Nous devons aborder toutes ces situations sans jugement. Plus généralement, sur les situations de la fin de vie qui peuvent vite nous plonger dans des clivages, nous devons aborder les demandes des patients sans jugement, et entendre une demande d'aide à mourir comme une demande d'aide.
J'userai de mon joker sur votre question concernant mon vote sur la proposition de loi. Il ne m'appartient pas de me prononcer. Quelle que soit l'évolution souhaitée pour l'avenir, nous constatons, y compris ces derniers mois, une inadéquation des réponses pour que les patients accèdent à leurs droits actuels.
Les associations ont un rôle majeur à jouer dans l'information et l'accompagnement, car elles représentent la société civile. Pour le patient, elles portent la parole du « même », de celui qui lui ressemble à la différence du soignant.
Le centre a prévu des travaux sur l'accès à des populations spécifiques, parmi lesquelles les personnes âgées qui nécessitent une information adaptée.
Nous vous remercions de vos paroles pleines d'humanité et de sensibilité, en lancement de nos travaux sur les soins palliatifs souhaités par Corinne Imbert.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Nous poursuivons nos travaux avec l'examen du rapport de notre collègue Daniel Chasseing sur la proposition de loi d'expérimentation, déposée par Claude Malhuret et les membres du groupe Les Indépendants-République et Territoires, visant à favoriser le retour à l'emploi des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA).
La présente proposition de loi vise à mettre en oeuvre, à titre expérimental, un dispositif d'incitation au retour à l'emploi ciblé sur les bénéficiaires du revenu de solidarité active afin de favoriser leur insertion sur le marché du travail.
Il me revient d'abord de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Je considère que ce périmètre comprend des dispositions relatives à la mise en place et aux modalités d'une expérimentation visant à permettre le cumul du RSA et de revenus professionnels, ainsi qu'aux conditions d'emploi et aux règles d'attribution de la prime d'activité aux bénéficiaires de ladite expérimentation. En revanche, ne présenteraient pas de lien avec le texte des amendements relatifs aux règles générales d'attribution, de calcul, de service et de financement du RSA et de la prime d'activité, aux autres dispositifs d'insertion sociale et professionnelle, aux aides sociales, à l'action sociale, ou à l'indemnisation du chômage.
J'en viens à mon rapport sur la proposition de loi.
Depuis 2008, les réformes de notre système de minima sociaux ont visé à éliminer les désincitations à l'emploi et à faire en sorte que le travail paie davantage que l'inactivité. Le revenu de solidarité active a succédé le 1er juin 2009 au revenu minimum d'insertion (RMI) et à l'allocation de parent isolé (API) afin, notamment, d'en corriger les effets désincitatifs. Il comportait deux volets : un volet « minimum social » ou « socle », qui est le seul à subsister aujourd'hui ; un volet « activité » tendant à intéresser financièrement les bénéficiaires à la reprise d'un emploi. Le RSA « socle », financé par les départements, est une allocation différentielle qui complète les ressources initiales du foyer pour qu'elles atteignent le seuil d'un revenu garanti, ou montant forfaitaire, dont le barème varie selon la composition du foyer. Le RSA est versé tant que les revenus du foyer sont inférieurs à ce montant et décroît à mesure que les ressources de l'allocataire augmentent. Au 1er avril 2021, celui-ci est fixé à 565,34 euros pour une personne seule sans enfant. 1,99 million de foyers bénéficiaient du RSA fin juin 2020, selon la CNAF.
En 2016, le RSA « activité » a été fusionné avec la prime pour l'emploi et remplacé par la prime d'activité. Sa formule de calcul, complexe, tient compte de la situation d'emploi de chacun des membres du foyer afin d'offrir un complément de revenus d'activité aux travailleurs modestes. Son montant est progressif jusqu'à un niveau de revenus qui dépend de la situation familiale, et dégressif au-delà.
La bonification individuelle de la prime d'activité a fait l'objet, au 1er janvier 2019, d'une revalorisation exceptionnelle de 90 euros, qui a élargi mécaniquement le public éligible en rehaussant le plafond de ressources pour y prétendre, mais aussi amélioré le taux de recours à la prestation. À la fin de 2019, quelque 4,5 millions de foyers bénéficiaient de la prime d'activité, occasionnant une dépense annuelle de 9,6 milliards d'euros pour l'État.
En pratique, un allocataire reprenant une activité professionnelle cumule pendant les trois premiers mois RSA et rémunération professionnelle, mais il ne perçoit pas encore la prime d'activité. Les trois mois suivants, son RSA est diminué à concurrence du niveau de sa rémunération. En revanche, il perçoit la prime d'activité qui vient compenser une partie de la baisse du RSA. L'articulation du RSA et de la prime d'activité se veut vertueuse et incitative.
Si ces réformes ont éliminé l'essentiel des « trappes à inactivité », l'objectif incitatif du RSA n'a pas été totalement atteint. Les bénéficiaires du RSA sont majoritairement sans emploi, et la plupart ont plus d'un an d'ancienneté en tant qu'allocataires. Plus cette ancienneté est élevée, moins ils ont de chances d'en sortir. Fin 2019, près de 61 % des bénéficiaires du RSA étaient allocataires depuis au moins deux ans, 37 % depuis au moins cinq ans et 16 % depuis au moins dix ans.
La présente proposition de loi tend à mieux soutenir la transition des allocataires du RSA vers l'emploi. Elle comprend deux articles, l'article 2 visant à gager financièrement le dispositif. Inspirée d'une initiative portée par le département de l'Allier, elle procède du constat d'un paradoxe : d'un côté, les entreprises peinent à trouver les compétences qu'elles recherchent quand, de l'autre, de nombreux chômeurs ne trouvent pas d'emploi. En particulier, les bénéficiaires de minima sociaux qui pourraient travailler ne parviennent pas à reprendre une activité en raison d'un ensemble de freins monétaires et non monétaires. Plus leur ancienneté dans les minima sociaux est élevée, moins ils ont de chances d'en sortir d'une année sur l'autre.
L'article 1er prévoit la mise en place, pour une durée de quatre ans, dans des départements volontaires, d'une expérimentation visant à soutenir financièrement le retour à l'emploi des bénéficiaires du RSA. Cette expérimentation s'adresse aux bénéficiaires du RSA « privés d'emploi depuis au moins un an » et résidant dans le département. Elle permettrait aux personnes concernées d'être embauchées par des entreprises tout en conservant le bénéfice de leur allocation pendant une durée d'un an, dans la limite d'un plafond fixé par décret. Ce maintien en tout ou partie du RSA pourrait être cumulé avec la prime d'activité.
Le coût du dispositif pour le département ferait l'objet d'une compensation financière par l'État dans les conditions applicables au financement du RSA. En effet, la loi permet déjà à un département de décider de conditions plus favorables que le droit commun, à condition qu'il en assume les conséquences financières. Le principal apport de la proposition de loi est donc d'étendre à cette expérimentation le principe de la compensation financière versée par l'État via la dotation globale de fonctionnement (DGF) - laquelle ne couvre que de manière incomplète le coût réel du RSA, comme le déplore régulièrement l'Assemblée des départements de France (ADF). L'expérimentation ferait l'objet d'une évaluation au plus tard un an avant son terme, sur la base de rapports établis par les départements expérimentateurs.
En matière d'insertion dans l'emploi des chômeurs de longue durée, il n'existe pas de solution miracle. Le dispositif proposé s'inscrirait dans un paysage déjà dense incluant les structures d'insertion par l'activité économique, en faveur desquelles le Gouvernement a renforcé son appui dans le cadre du plan de relance, les parcours emploi compétences (PEC) - la nouvelle génération de contrats aidés -, ou des expérimentations comme « Territoires zéro chômeur de longue durée ». Il viendrait compléter les dispositifs existants et présenterait l'intérêt de permettre à des chômeurs de longue durée de bénéficier, au-delà d'un soutien monétaire, de l'accompagnement des allocataires du RSA tout en s'intégrant progressivement dans l'entreprise. Il se fonde sur le potentiel des personnes en les aidant à franchir la distance qui les sépare de l'emploi durable. Il vise tout autant à responsabiliser les entreprises pour qu'elles soient, comme elles le souhaitent, des acteurs de cette démarche d'insertion.
La philosophie de cette expérimentation est bien distincte de celle des solutions du type du revenu universel, lesquelles, outre leur coût colossal pour les finances publiques, présentent le risque de laisser les bénéficiaires livrés à eux-mêmes. Il me paraît cependant souhaitable d'apporter des modifications au dispositif afin de lui permettre d'atteindre sa cible et ses objectifs. Tous les amendements que je vais vous présenter ont recueilli l'approbation de l'auteur de la proposition de loi.
Je vous suggérerai d'abord d'introduire, en lieu et place de la condition de privation d'emploi, notion équivoque, une condition d'ancienneté minimale d'un an dans le RSA, afin de cibler un public réellement en difficulté. Les bénéficiaires devraient en outre être inscrits sur la liste des demandeurs d'emploi pour un suivi garanti. Je vous présenterai aussi un amendement prévoyant la possibilité de déroger à la durée hebdomadaire minimale de travail de droit commun pour un contrat à temps partiel, qui est de 24 heures. Conformément au projet initial des promoteurs de l'expérimentation, les bénéficiaires pourraient être embauchés, pendant la première année, pour une durée de 15 heures hebdomadaires minimum, ce qui favoriserait, à moindre coût pour l'employeur, la réadaptation professionnelle des personnes durablement éloignées de l'emploi.
Afin de limiter les éventuelles distorsions introduites par le dispositif tout en garantissant un gain au travail pour les bénéficiaires, il est préférable que ceux-ci ne puissent pas percevoir la prime d'activité pendant la période de maintien du RSA. Cette mesure ne modifierait pas leurs ressources, toujours plus élevées que s'ils étaient soumis au droit commun, mais elle permettrait au dispositif de mieux s'insérer dans le paysage des minima sociaux, tout en entraînant une économie pour l'État, qui finance la prime d'activité.
Le maintien du RSA, dont les modalités ne sont pas précisées, pourrait être assuré par l'exclusion des revenus professionnels perçus dans le cadre d'un contrat à durée déterminée (CDD) d'un an ou d'un contrat à durée indéterminée (CDI), jusqu'à un plafond fixé par décret, dans les ressources prises en compte pour l'attribution et le calcul de l'allocation.
Outre ces modifications réécrivant le coeur de la proposition de loi, je vous proposerai des amendements précisant les conditions de financement, d'évaluation et d'application du dispositif. Je vous soumettrai ainsi un amendement visant à lever toute ambigüité sur l'application de la compensation par l'État des dépenses occasionnées par l'expérimentation. Par ailleurs, il convient d'encadrer le contenu des rapports qui devront être établis par les départements expérimentateurs et le Gouvernement, en vue de dresser le bilan de l'expérimentation au regard de ses objectifs initiaux et d'envisager les conditions d'une éventuelle généralisation. En effet, une expérimentation n'est utile que si elle s'accompagne d'une évaluation rigoureuse. Devront être pris en considération l'évolution de la situation des bénéficiaires ainsi que les effets du dispositif sur le nombre de bénéficiaires du RSA, sur l'appariement entre l'offre et la demande de travail et sur les finances publiques. Enfin, un dernier amendement précisera les conditions d'application du dispositif, en faisant débuter l'expérimentation à la date de parution du décret, afin de garantir que cette période dure effectivement quatre ans, et en confiant au ministre chargé de l'action sociale la responsabilité d'établir la liste des départements retenus pour l'expérimentation.
Ce projet a obtenu le soutien de très nombreux employeurs de l'Allier, ainsi que des départements de la Manche ou de La Réunion que nous avons auditionnés. Ce dispositif ne s'adresse évidemment pas à tous les publics, mais l'insertion par l'activité économique reste pertinente pour aider les personnes les plus éloignées de l'emploi. En outre, il ne peut fonctionner que si l'accompagnement par le département et le service public de l'emploi est une réalité. Telle est bien l'intention du conseil départemental de l'Allier, qui prévoit un accompagnement spécifique de trois mois au démarrage, renouvelable une fois, afin de sécuriser toutes les parties prenantes. Le dispositif pourrait s'articuler vertueusement avec l'« accompagnement global » déployé dans le cadre de la stratégie pauvreté et avec le futur service public de l'insertion et de l'emploi (SPIE).
Pour toutes ces raisons, je demande à la commission de bien vouloir adopter cette proposition de loi.
Je remercie Daniel Chasseing pour son rapport, mais en tant qu'élue d'un des départements les plus pauvres où l'on constate un taux de chômage quatre à cinq fois supérieur à la moyenne nationale, et un nombre très élevé de bénéficiaires du RSA, je puis vous dire que ces sujets ont déjà été largement évoqués. Des expérimentations ont même eu lieu. Nous avons notamment mis en place une plateforme entre les entreprises et les bénéficiaires du RSA, mais sans prendre en charge une augmentation de leur rémunération.
Le dispositif que vous proposez, nous l'utilisons pour les saisonniers lors des vendanges, car, monsieur Savary, nous avons également du champagne dans l'Aisne ! C'est la durée d'un an qui suscite ma perplexité. Il faudrait peut-être la réduire, et encore... Moi qui étais directeur des ressources humaines il y a peu, je puis vous dire que la coexistence de travailleurs au SMIC et de ceux qui cumuleront pendant un an leur salaire avec le RSA risque de dégrader le climat social. Et la différence du nombre d'heures travaillées ne fera qu'accentuer ce phénomène.
Pour ce qui est de l'accompagnement financier de l'État, il nous manque 40 % pour que le coût du RSA soit compensé. Dès lors, je doute fort de l'efficacité du dispositif. La situation est la même pour les PEC, qui fonctionnent moins bien que les contrats aidés, car trop coûteux pour les collectivités territoriales.
Le travail est socialement important et permet à chacun de retrouver sa dignité. Les chantiers d'insertion sont intéressants, car ils comportent un volet formation insuffisamment évoqué dans le texte. Soyons vigilants : quand le travail manque dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP), on entend que les travailleurs en parcours d'insertion, comme les auto-entrepreneurs, font de la concurrence aux artisans. La proposition de loi suscite de nombreuses questions. C'est pourquoi je n'y suis pas favorable.
Je remercie à mon tour Daniel Chasseing pour sa présentation et je tiens à lui dire tout le bien que je pense de cette proposition de loi, et ce pour trois raisons. Premièrement, elle émane des territoires. L'audition des représentants de l'Allier à laquelle j'ai assisté a conforté mon sentiment : il existe une vraie dynamique locale dans ce département, et le Sénat est à même de répondre à cette attente de décentralisation. Deuxièmement, un amendement en ce sens avait été déposé lors de l'examen de la proposition de loi relative au renforcement de l'inclusion dans l'emploi par l'activité économique et à l'expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée ». Cet amendement avait été frappé d'irrecevabilité en application de l'article 40 de la Constitution, mais j'avais pris la parole dans l'hémicycle pour le soutenir. Troisièmement, cette proposition de loi offre un panel supplémentaire de perspectives dont peuvent se saisir un certain nombre de départements.
Nous devons porter une attention particulière sur notre capacité à évaluer cette expérimentation, et ce d'autant que nous nous sommes heurtés, lors de la prolongation de l'expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée », à une controverse relative à son coût pour les finances publiques. C'est pourquoi il faut apporter une précision sur ce que l'on veut expérimenter et évaluer. Le pouvoir de contrôle du Parlement doit ensuite nous permettre de savoir si l'on peut généraliser l'expérimentation.
J'aurai une position intermédiaire et je vous confirme qu'il y a bien du champagne dans l'Aisne ! On a déjà expérimenté depuis des années un certain nombre de dispositifs sur le terrain, mais les freins sont toujours d'ordre financier. Dans le département que j'ai présidé pendant quinze ans, je me suis acharné à favoriser le retour à l'emploi des bénéficiaires du RSA. Au début, le dispositif nous coûtait 42 millions d'euros ; en 2007, il atteignait 96 millions d'euros. La compensation par l'État était toujours à l'euro près, soit 42 millions, à charge pour les départements de financer le reste. Nous étions tellement ponctionnés que les actions d'insertion, qui s'élevaient au départ à 11 millions d'euros, ont progressivement diminué à 3 millions ou 4 millions d'euros.
En quinze ans, les choses n'ont pas beaucoup évolué. Les bénéficiaires du RSA étaient divisés en trois catégories, avec une certaine fongibilité : ceux qui étaient victimes de la conjoncture, du fait des mutations industrielles ou des crises économiques, et se sont retrouvés dans le système des minima sociaux ; ceux qui étaient dans le dispositif depuis un certain temps et dont la sortie nécessitait des actions d'insertion professionnelle ; enfin, pour les accidentés de la vie qui étaient hors du système depuis très longtemps, il fallait avant tout des actions sociales. Le curseur pouvait varier d'un dispositif à l'autre.
Je suis préoccupé par la condition pour les bénéficiaires du RSA d'être privés d'emploi depuis au moins un an. J'opterai plutôt pour ceux qui se trouvent dans le dispositif depuis seulement quelques mois, car leur insertion est plus facile - ou plutôt moins difficile vu le contexte économique - et supposera un accompagnement social plus léger. Je suis prêt à déposer un amendement pour que nous puissions en discuter.
Par ailleurs, la durée d'un an du cumul du RSA et du salaire va poser des problèmes au sein de l'entreprise : avoir, à nombre d'heures égales, une rémunération supplémentaire peut poser question. De plus, si la personne est bien dans l'emploi, elle n'a plus besoin d'insertion et profite alors d'un effet d'aubaine. La situation est tout autre pour ceux qui ne sont toujours pas dans l'emploi et qui ont absolument besoin de ces aides. Il faudrait proposer une solution différente, sous peine de distorsions compliquées.
Pourquoi ne pas garder la prime d'activité et diminuer le RSA ? Il n'y a pas de raison que l'État bénéficie de l'économie plutôt que le département. Pourquoi ne pas diminuer le RSA, allocation différentielle et subsidiaire, avec laquelle on peut faire jouer la dégressivité ?
Néanmoins, mon département serait partant pour tester cette expérimentation. Aucun dispositif ne doit être exclu. Il faut beaucoup d'humilité dans l'approche de l'insertion ; tout ce qui est novateur à ce sujet mérite d'être essayé.
Merci pour toutes ces explications. On sent le vécu du président de département...
Je salue ce texte qui porte un certain nombre de messages positifs. Comme nous l'avions déjà identifié, la peur de perdre les aides - notamment le RSA - rend plus difficile le retour à l'emploi. La question de l'incitation est aussi décisive.
Il y a donc ces deux délais d'un an qui s'appliquent : il faut bénéficier du RSA depuis au moins un an pour pouvoir cumuler l'allocation et des revenus d'activité pendant un an. Ne faudrait-il pas fonctionner avec des maximums et des minimums ? Cela donnerait de la souplesse et laisserait à chaque département la possibilité d'adapter le dispositif en fonction de la situation et de la typologie des demandeurs d'emploi.
Je partage l'inquiétude sur la compensation financière de l'État. Je comprends la mécanique du raisonnement - la prime d'activité et le RSA n'ont pas la même vocation -, mais on pourrait trouver un moyen de participation.
L'expérimentation est prévue pour une durée de quatre ans. On peut imaginer que, durant cette période, l'État aura la volonté d'avancer sur le revenu universel d'activité (RUA). Peut-on envisager une coordination ?
L'accompagnement personnalisé des demandeurs d'emploi est nécessaire. Les initiatives et les expérimentations sont nombreuses dans ce domaine. Se pose, une nouvelle fois, la question de la coordination de tous ces outils.
Toutes les expérimentations venant du terrain sont une bonne chose. Le sujet nous prépare aux débats concernant la future loi « 4D », avec un parfait exemple de différenciation. Il serait d'ailleurs intéressant que cette proposition de loi soit associée aux débats, dans la mesure où, comme vous le savez, le Gouvernement propose de renationaliser le RSA.
Une fois de plus, M. Malhuret est précurseur, visionnaire, provocateur. Je ne suis ni pour ni contre, mais, encore une fois, tout ce qui vient du terrain mérite d'être débattu. Cette expérimentation ne doit-elle pas être limitée à un nombre déterminé de départements ?
Je suis également très dubitatif sur l'accompagnement financier de l'État. Cette problématique du RSA est, d'un point de vue financier, insupportable pour nos départements.
Je suis favorable à cette proposition de loi, mais cela ne m'empêche pas de trouver pertinentes les questions posées par mes collègues.
Deux mots me viennent à l'esprit : inspiration et exploration. L'inspiration nous vient des territoires, et les initiatives locales doivent recevoir un regard bienveillant du Sénat. En matière d'insertion professionnelle, l'exploration est de mise, tous les outils peuvent être importants.
La question de l'accompagnement des demandeurs d'emploi relève du département. Je verrais bien, adapté à l'emploi, le même type de dispositif mis en place pour le logement avec l'accompagnement vers et dans le logement (AVDL). Cette mission serait réalisée par les professionnels de l'insertion dans les départements, et l'on pourrait également envisager une forme de tutorat ou de compagnonnage dans les entreprises.
Pour répondre à Pascale Gruny, la durée d'un an correspond à la double volonté d'intégrer les volontaires dans l'emploi durable et de distinguer le dispositif de celui qui s'applique aux emplois saisonniers.
Actuellement, les allocataires qui reprennent un emploi bénéficient encore du RSA, auquel s'ajoute un salaire, pendant trois mois ; ils reçoivent ensuite la prime d'activité, mais n'ont plus droit au RSA.
La formation est une condition de réussite du dispositif. Une sorte de tutorat, dans l'entreprise, est une piste intéressante. En tout cas, les entreprises sont intéressées.
Dans le cadre d'un contrat de 15 heures, le revenu reste suffisamment éloigné de celui d'une personne à temps plein percevant la prime d'activité. Sous réserve de l'adoption de mon amendement qui suspend la prime d'activité, la différence de revenu entre la personne bénéficiaire de l'expérimentation et celle qui travaille 35 heures pour le salaire minimum resterait importante - 1 025 euros pour la première, 1 400 euros pour la seconde.
Ceux qui le peuvent ont la possibilité de reprendre un emploi à temps plein, même rémunéré au SMIC. Nous avons proposé de fixer un plafond - autour de 800 euros - pour conserver le RSA. Au-dessus de ce plafond, le RSA baisserait, ce qui permettrait de rester en dessous du SMIC.
Madame Puissat, l'expérimentation ouvre effectivement de nouvelles possibilités. Je présente un amendement afin de préciser ses modalités d'évaluation.
Pour répondre à René-Paul Savary, l'un des objectifs est bien de lever l'obstacle financier pour mener l'expérimentation en prévoyant une participation de l'État. En revanche, la compensation du RSA par l'État dépasse le cadre du texte.
Afin d'éviter les effets d'aubaine, l'expérimentation doit inciter à la reprise de l'emploi tout en conservant le RSA. Il s'agit d'accompagner des personnes qui ne sont pas encore complètement éloignées de l'emploi.
La durée peut se discuter. Le pari de cette proposition de loi est d'arriver à diminuer, à l'issue de l'expérimentation, le nombre de bénéficiaires du RSA.
Pour répondre à Philippe Mouiller, la prime d'activité est un dispositif hybride, entre la lutte contre la pauvreté et le revenu supplémentaire pour les travailleurs modestes. Le but n'est pas que l'État fasse des économies. Au bout d'un an, les bénéficiaires du dispositif pourront de nouveau toucher la prime d'activité. Je propose de retirer temporairement la prime d'activité afin que la personne travaillant 15 ou 20 heures ne perçoive pas un revenu supérieur au SMIC.
Il faudrait adapter le dispositif dans le cadre du RUA. Mais cette réforme, pour l'instant, n'est pas à l'ordre du jour.
Monsieur Burgoa, la recentralisation du RSA dépasse le cadre du texte. À La Réunion, où cette recentralisation a déjà eu lieu, le conseil départemental expérimente une aide locale afin d'intéresser les bénéficiaires du RSA qui reprennent un travail en complément de la prime d'activité. Elle est prise en charge par le département, mais cela fonctionne car le RSA y est totalement pris en charge par l'État.
Madame Doineau, les structures d'insertion par l'activité économique (IAE) mènent des expériences intéressantes en matière d'accompagnement des employeurs. Il n'est pas facile d'encadrer des chômeurs de longue durée dans une démarche de retour à l'emploi. Cette question doit être prise en compte par les départements volontaires.
Quand le contrat dure trois mois, les personnes s'inquiètent de ne plus bénéficier du RSA. En le perdant, elles craignent de perdre également des droits connexes : la Complémentaire santé solidaire, l'aide pour les transports, une partie de la prise en charge du téléphone ou de l'aide personnalisée au logement (APL). Conserver le RSA pendant un an représente une sécurité.
Je salue le mérite de ce texte qui, bien sûr, concerne le pays tout entier, mais, peut-être plus spécifiquement encore, un certain nombre de départements. Dans le Nord, 8 % des foyers bénéficient du RSA ; dans certains secteurs, comme à Roubaix, plus du tiers des foyers est concerné.
Au-delà de la question financière, l'important pour les personnes est d'avoir l'assurance de retrouver le RSA. Sur ce point, la proposition de loi est à améliorer.
J'ai un doute sur la suspension de la prime d'activité financée par l'État. Cela pourrait créer une distorsion de coût par rapport aux départements. Le débat, c'est le reste à charge - et non la renationalisation.
Ma question concerne l'accompagnement. Quel type de partenariat peut-on envisager avec Pôle emploi ?
Sur le principe, je suis favorable à ce texte, mais je me pose également beaucoup de questions. Concernant la durée hebdomadaire, je crains l'effet d'aubaine. Il sera facile pour certains employeurs, dans certains domaines, de ne plus proposer que des contrats de très courte durée, en se disant que les gens continueront à bénéficier du RSA.
Je m'interroge également sur la durée du contrat. Quand on devient bénéficiaire du RSA, on a déjà rencontré beaucoup de difficultés ; on a connu le chômage, puis la fin des droits ; on est éloigné de l'emploi depuis un moment déjà. Exiger un contrat de travail d'une durée d'un an me paraît excessif. Si l'on veut inciter les personnes à revenir vers l'emploi, il faut leur permettre d'accéder à des contrats de plus courte durée.
Je ne comprends pas l'idée du CDI. Quand on est en CDI, on est déjà inséré. Il n'y a aucune raison de continuer à bénéficier du RSA, d'autant que la prime d'activité existe.
Les départements qui expérimentent déjà sont assez nombreux. Dans mon département, nous donnons la possibilité aux bénéficiaires du RSA de pouvoir « cumuler » avec des emplois saisonniers. Ces départements devront-ils s'inscrire également dans l'expérimentation de la proposition de loi ? Si tel est le cas, cela risque d'être très contraignant.
Concernant la durée limite d'inscription, pourquoi réserver cette expérimentation à des personnes dans le dispositif depuis obligatoirement un an ?
Cette proposition de loi prouve que les dispositifs actuels ne sont pas satisfaisants. Peut-être faudrait-il réfléchir à une véritable loi dans laquelle nous remettrions tous ces dispositifs à plat.
J'ai compris que cette proposition de loi n'intéressait que les entreprises. Depuis trois ans, dans le cadre de l'économie sociale et solidaire (ESS), des associations forment des personnes bénéficiaires du RSA. Le dispositif s'adresse également à des personnes à la retraite ou vivant de minima sociaux. Le secteur associatif offre de véritables opportunités pour former les personnes et les accompagner vers l'emploi.
Je suis favorable à l'idée de soutenir les expérimentations de terrain. Je partage les réserves de mes collègues sur les bénéficiaires du RSA cumulant des revenus pendant un an, par rapport aux salariés travaillant dans la même entreprise.
Les départements ont, me semble-t-il, davantage besoin de faire des économies que l'État.
Que fait-on des bénéficiaires du RSA ne suivant pas le dispositif jusqu'à son terme ? On s'engage sur une période d'un an, mais si, après quinze jours ou deux mois, pour diverses raisons, le bénéficiaire ne vient plus à son travail, que se passe-t-il ? Des sanctions sont-elles prévues ? Les effets d'aubaine marchent dans les deux sens...
Le département de La Réunion a mis en place le dispositif expérimental R+, dans le cadre duquel un volet s'adresse aux créateurs d'entreprises. Dans cette proposition de loi, les porteurs de projets et les créateurs de petites entreprises sont-ils également concernés ?
À La Réunion, la prime donnée par le département aux créateurs d'activités est recalculée tous les six mois. Un contrat d'engagement réciproque spécifique entre le département et le bénéficiaire fait l'objet d'un suivi trimestriel. Ces possibilités sont-elles envisagées ?
En travaillant 15 heures tout en percevant le RSA, on n'est pas très loin de toucher le même salaire que ceux qui travaillent 35 heures et sont au SMIC. Comment appréhendez-vous la relation dans l'entreprise entre la personne aidée et le salarié « normal » ?
Comment envisage-t-on la sortie du dispositif ? Les personnes doivent-elles passer à temps plein ? Accepter une baisse de revenus avec la perte du RSA ?
Enfin, comme certains de mes collègues, j'émets une réserve sur l'empilement des dispositifs, qui peut s'avérer contre-productif.
Le texte garantit que les bénéficiaires restent dans le RSA et n'auront pas à réaliser de nouvelles démarches pour l'obtenir.
Je répète que la suspension de la prime d'activité, afin d'éviter les effets d'aubaine, est temporaire. L'expérimentation vise à réduire les dépenses liées au RSA dans les départements, de manière à leur redonner des marges de manoeuvre en matière d'accompagnement.
Il serait intéressant d'envisager une articulation du dispositif avec le binôme formé par le travailleur social et le conseiller pour l'emploi dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et d'action contre la pauvreté.
Monique Lubin, vous estimez que la durée hebdomadaire de 15 heures va susciter des effets d'aubaine du côté des employeurs ; je ne le pense pas. Les employeurs doivent être motivés pour accompagner la personne dans le cadre d'un tutorat ou d'une formation, en lien avec le personnel de Pôle emploi ou du conseil départemental.
La durée de contrat à durée déterminée d'un an distingue le dispositif de l'emploi saisonnier. L'objectif est une insertion à long terme.
Un travail d'unification est sans doute nécessaire pour répondre à l'empilement des dispositifs. Cette proposition de loi apporte un plus : son originalité concerne le maintien du RSA. Les personnes bénéficiaires n'auront plus l'angoisse de ne pas retrouver le RSA après un contrat de trois mois.
Madame Jasmin, lors de nos auditions, nous avons constaté que beaucoup d'entreprises sont intéressées. Tous les départements que j'ai auditionnés partagent le constat du caractère insuffisamment incitatif de l'articulation entre le RSA et la prime d'activité. De nombreux employeurs font part de leur difficulté à recruter. Entre 2019 et 2020, le nombre de personnes bénéficiaires du RSA a augmenté de 7,5 %. Le secteur associatif offre effectivement des opportunités.
Madame Jacquemet, le soutien offert par l'expérimentation doit produire des effets concrets sur l'insertion des bénéficiaires dans le monde du travail. Il est vrai que les échecs sont nombreux et que les dispositifs ne fonctionnent pas toujours, mais, à ce stade, il n'est pas nécessaire d'envisager des sanctions. Je crois à la synergie entre les travailleurs sociaux et les entreprises pour intégrer des personnes restées longtemps éloignées de l'emploi.
Madame Malet, les créateurs d'entreprises ne sont pas inclus dans le dispositif. Quant à la proposition d'un contrat d'engagement réciproque, l'expérimentation doit s'inscrire dans les contrats existants entre le bénéficiaire, le département et Pôle emploi.
Monsieur Lévrier, c'est justement pour éviter toute distorsion que nous ne conservons pas la prime d'activité. Sinon, nous arriverions à 1 300 euros, soit 100 euros de moins que le SMIC. Notre amendement vise donc à suspendre le versement de la prime d'activité lorsque le RSA est maintenu, avec un accompagnement en contrepartie. Quoi qu'il en soit, le total restera toujours inférieur au revenu d'un salarié travaillant 35 heures.
Ce texte vise à répondre aux nombreuses questions des départements qui doivent s'engager dans cette expérimentation, mais des interrogations demeurent.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er
L'amendement COM-1 vise à faire débuter la période prévue pour l'expérimentation à la date de la parution du décret d'application, et non à la date de l'entrée en vigueur de la loi, afin de garantir que cette période dure effectivement quatre ans. Il confie par ailleurs au ministre chargé de l'action sociale la responsabilité d'établir la liste des départements retenus pour l'expérimentation.
L'amendement COM-1 est adopté.
L'amendement COM-2 réécrit le coeur du dispositif de l'expérimentation de manière à le rendre plus opérationnel. Il définit une condition d'ancienneté minimale d'un an dans le RSA afin de cibler un public réellement en difficulté. Les bénéficiaires devraient en outre être inscrits sur la liste des demandeurs d'emploi pour que leur suivi soit garanti par le service public de Pôle emploi. Cet amendement introduit par ailleurs deux éléments très importants qui consolident les apports de la proposition de loi : la possibilité de déroger à la durée hebdomadaire minimale du travail à temps partiel, qui est de 24 heures, par des contrats de 15 heures hebdomadaires minimum ; la suspension du bénéfice de la prime d'activité pendant la période de maintien du RSA.
Si j'ai bien compris le dispositif, pour un CDI de 15 heures, le bénéficiaire percevra un revenu total de 1 025 euros. Au bout d'un an, il ne touchera plus que 700 euros.
L'objectif est que les bénéficiaires du RSA se rapprochent au bout d'un an d'un travail à temps plein. Entre leur salaire et la prime d'activité, nous espérons qu'ils percevront au minimum l'équivalent du SMIC.
Il faudrait préciser cette période de transition dans l'expérimentation et amender le texte en conséquence. C'est pourquoi je m'abstiens sur ces propositions.
L'objectif est qu'ils soient de nouveau soumis au droit commun après avoir été accompagnés durant un an.
Ils vont irrémédiablement revenir à la case départ ! Si l'entreprise veut employer le bénéficiaire pour 24 heures hebdomadaires ou dans le cadre d'un CDI, elle n'a aucun intérêt à attendre. Il faut trouver une articulation satisfaisante.
Il ne s'agit pas de faire en sorte qu'ils reviennent à la case départ. Le contrat de 15 heures hebdomadaires s'achève de toute façon au bout d'un an, avec le retour au droit commun. Les bénéficiaires se verront peut-être proposer un contrat plus long et retrouveront la prime d'activité, l'objectif étant qu'ils puissent, à terme, travailler à plein temps.
L'amendement COM-3 vise à garantir que le financement de l'expérimentation est bien compensé par l'État via la DGF.
L'amendement COM-3 est adopté.
L'amendement COM-4 précise que l'évaluation devra prendre en compte l'évolution de la situation des bénéficiaires, mais aussi, plus généralement, les effets du dispositif sur le nombre de bénéficiaires du RSA, sur l'évolution des postes non pourvus et sur les finances publiques.
L'amendement COM-4 est adopté.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 2
L'article 2 est adopté sans modification.
Au nom du groupe Les Républicains, je soutiens cette initiative, car le principe d'une expérimentation volontaire de la part des départements est positif. Toutefois, nous appelons de nos voeux des amendements sur les points en suspens.
Nous sommes sensibles aux souhaits des départements. Nous avons maintenant une ébauche d'expérimentation ; il nous reviendra de clarifier la situation face à la multiplication des dispositifs.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
TABLEAU DES SORTS
Mes chers collègues, la semaine dernière, je vous faisais part des décisions du Bureau pour ce qui concerne les compléments au programme de travail de la commission.
Je vous propose aujourd'hui de désigner nos rapporteurs.
La commission désigne :
sur la psychiatrie, M. Jean Sol et Mme Victoire Jasmin ;
sur la situation des soins palliatifs, Mmes Corinne Imbert et Christine Bonfanti-Dossat ;
sur l'actualisation des travaux sur l'accès précoce à l'innovation avant le prochain CSIS, Mmes Annie Delmont-Koropoulis et Véronique Guillotin.
La réunion est close à 12 h 15.