L'anticipation des soins palliatifs dès le début de la maladie n'est pas chose facile, car il y a plusieurs trajectoires de fin de vie, qui rendent la dégradation de l'état de santé plus ou moins prévisible. Il y a donc surtout un travail de recherche à faire, auquel s'attèlera le CNSPFV dans les prochains mois, afin de mieux repérer les pathologies nécessitant une anticipation.
Le notaire, pourquoi pas ? L'appropriation de la fin de vie par la société civile est clairement une piste pour mieux anticiper. L'obstacle majeur réside dans le fait qu'il est difficile d'anticiper sa fin de vie, d'autant plus, à l'évidence, lorsqu'on se trouve dans une situation angoissante. Y penser très tôt, avant de se sentir concerné, peut donc être un moyen de faciliter les choses, ou du moins d'en parler avec la liberté que donne la tranquillité d'esprit. C'est d'ailleurs ce que nous faisons déjà pour la plupart des risques, que nous anticipons avant d'y être directement confronté. Passer par le notaire, en effet, peut être une idée. Des facteurs culturels entrent aussi en ligne de compte. Aux Pays-Bas, dès qu'une maladie risque de ne pas guérir, les médecins commencent à anticiper la possibilité de soins palliatifs. C'est faisable en pratique : on choisira alors tel médecin généraliste en lien avec un réseau de soins palliatifs à domicile, qui interviendra lorsque ce sera nécessaire.
La sclérose latérale amyotrophique, ou maladie de Charcot, place dans une situation très difficile. Pour rappel, elle est responsable de près de 1 000 décès par an, et tous les malades en meurent. Un groupe de travail composé de généralistes, de neurologues, de palliatologues et de non-médecins, qui réfléchit à cette question depuis fin 2019, rendra bientôt ses conclusions au CNSPFV. L'objectif était de documenter les situations dans lesquelles le décès se passe mal. Cette maladie provoque une perte d'autonomie progressive, douloureuse, que l'on soit ou non en fin de vie.
Madame Lassarade, je ne saurais répondre directement à votre question sur l'information des parents, mais je peux vous indiquer qu'une société de soins palliatifs pédiatriques a récemment été créée. Le CNSPFV n'a pas travaillé spécifiquement sur la pédiatrie ; elle n'a été qu'évoquée dans ses travaux sur l'obstination déraisonnable, par exemple, qui ont mobilisé des réanimateurs pédiatriques et des néonatologues. Là encore, le problème est d'anticiper et d'entendre que la médecine a des limites dans des situations où, par hypothèse, le patient a normalement toute sa vie devant lui.
Monsieur Chasseing, le CNSPFV n'a pas travaillé spécifiquement sur la relation existant entre l'ignorance de la loi ou le défaut de soins palliatifs et la demande d'euthanasie. Les travaux de recherche sur le contexte des demandes d'euthanasie existent en France, mais ils sont encore insuffisants. Dans les pays où la chose est mieux documentée, ne sont étudiées que les demandes ayant effectivement donné lieu à une euthanasie. Celles que les soins ou le changement d'avis du patient ont rendues caduques ne sont pas prises en compte. Or ces demandes sont très équivoques, ce qui explique d'ailleurs que les pays ayant autorisé l'aide active à mourir exigent la réitération de la demande, imposent le respect de certains délais, et prévoient l'évaluation de la situation par plusieurs médecins. Les services cliniques l'observent : certaines demandes s'éteignent avec la mobilisation de soins efficaces, palliatifs, physiques ou psychiques. La demande d'aide à mourir fait ainsi partie des symptômes de la dépression - ce qui ne veut évidemment pas dire que toutes les demandes d'aide à mourir témoignent de dépressions. Nous avons quoi qu'il en soit besoin de travaux supplémentaires, qui étudieraient les demandes de manière plus globale.
La Guadeloupe est un exemple criant des inégalités territoriales en matière de soins palliatifs. Une politique de santé requiert des moyens, sans quoi la loi établissant le droit d'accès aux soins palliatifs - qui date de 1999... - ne sert à rien. Indiquer précisément les raisons du sous-équipement de la Guadeloupe excède toutefois mon champ de compétences. Notez que ce n'est pas le seul territoire dans ce cas ; la région Centre-Pays-de-Loire est aussi une région relativement défavorisée en la matière.
D'après ce qu'ont montré les travaux du CNSPFV - en l'espèce les groupes de travail sur les directives anticipées et sur l'aide à la rédaction de ces directives -, la rédaction des directives anticipées se heurte d'abord, nous l'avons dit, à la difficulté d'une telle anticipation. Il faudrait marteler le message que l'autonomie décisionnelle en matière de fin de vie passe par l'anticipation. Plus celle-ci sera précoce, mieux on pourra structurer une réponse tenant compte de la complexité médicale et des positions des proches. D'autres freins sont plus structurels : les directives anticipées doivent être assez précises. Refuser l'acharnement thérapeutique est inopérant puisque l'obstination déraisonnable - terme qui l'a remplacé - s'apprécie subjectivement. L'objectif de l'advance care planning que j'ai évoqué est de remplir les directives anticipées et de discuter avec le médecin de ce que la pathologie permet d'envisager ou d'écarter - ventilation non invasive, trachéotomie, sonde de gastrostomie, transfert en réanimation en cas d'accident infectieux aigu... Tout cela requiert un peu d'innovation organisationnelle, pour contourner d'éventuels freins psychologiques. Un tel acte de soin relatif à l'advance care planning, retracé quelque part et dont il serait tenu compte, pourrait renforcer la notion d'anticipation et se traduire par davantage d'autonomie pour le patient.
Sur la frontière entre les soins palliatifs et l'aide active à mourir, il est difficile de vous répondre au nom du conseil d'orientation stratégique du CNSPFV, qui regroupe des interlocuteurs d'horizons variés ayant chacun sur ce point une appréciation différente. Il faudrait sans doute distinguer les acteurs d'une part et la réalisation des soins palliatifs d'autre part. Ceux-ci font partie de l'exercice du travail de tout médecin, qui consiste à prendre en charge une vie du début à la fin. Dans ce cadre, la loi s'applique au médecin, comme elle s'applique au citoyen. L'implication des acteurs spécifiquement identifiés dans le soin palliatif est une autre question, qu'il faudrait poser à la société française d'accompagnement et de soins palliatifs.